Aparté autour d’un verre
ft. Bazyleus
Diriger une nation telle que celle de la République n’était pas banal. Ce n’était pas une chose dont beaucoup pouvait se vanter d’avoir les épaules. Il fallait être à la fois une louve, un renard, une vipère, une sangsue. Il fallait posséder une personnalité au mental fort, ne pas avoir peur de se salir les mains, mais surtout, il fallait avoir cette capacité à se lier aux bonnes personnes, au bon moment. C’était ce que je faisais, jour après jour. Tous mes magistrats, mes employés, mes servants, ils passaient tous au crible de mon regard inquisiteur. Rien ne devait m’échapper et chaque éternuement suspect, susceptible d’être le signe d’une maladie épidémique, devait m’être annoncé. C’était ainsi que je fonctionnais, et ce soir je n’allais pas déroger à cette règle de conduite implacable. J’avais promu, il a quelques temps, Messire Bazyleus au rang de magistrat militaire. Mon choix avait fait jaser, je n’en doutais pas, car même si personne n’avait osé contester la décision j’avais vu dans les regards de certains qui m’entouraient l’incompréhension et la résignation. Le démon était un être intelligent et doué de capacités telles que je préférais les voir à mon service. Il était évident qu’avoir dans ses rangs un allié de ce gabarit était non négligeable. Mais comme tout pion de l’échiquier, je me devais d’avoir un contrôle dessus, un contrôle dans un commun accord qui sur le long terme ferait des merveilles. C’était la raison pour laquelle j’entretenais, avec cet homme aux muscles disproportionnés, des diners occasionnels. Je l’y conviais et il venait à chacun d’eux, se doutant certainement du petit jeu qui s’était installé et dont je briserai les tenants et aboutissants ce soir sans mâcher mes mots, sans passer par quatre chemins et sans enjoliver la réalité fade et morne de l'envers du décor.
Assise devant ma coiffeuse, je laissais quelques gouttes de mon flacon de parfum perler la fine peau de mes poignets, avant de les frotter l’une contre l’autre. Un parfum qui valait son prix, c’était indéniable. Son odeur délicate mais puissante était toute à l’image que je renvoyais de ma personne. A travers le miroir qui me faisait face et dans lequel je me jaugeais d’un regard très narcissique, j’esquissais un sourire, satisfaite de l’apparence raffinée et froide que je dégageais. Je me levais, prête à recevoir mon noble invité. Bien qu’on m’ait déjà fait part de son arrivée à la salle de réception il y a une bonne dizaine de minutes, me faire désirer était une chose que je maîtrisais à la perfection et c’était un jeu que je ne me refusais pas. Dans les couloirs de la Maison Bleue, je sillonnais le sol en claquant du talon, au milieu des murs décorés avec goût. J’avais expressement exigé que le diner se passe dans l’immense salle, où la longue table verticale qui prenait tout l’espace nous soient dédiés. Seuls mots d’ordre pour mes serviteurs ; ne nous déranger en aucun cas, ne nous parlez en aucun cas, servez et disparaissez. L’entretien que je comptais mener avec mon sujet ne concernant que nous deux, et j’avais fort à parier que les oreilles indiscrètes se déplaçaient dans l’enceinte de ma demeure en toute impunité.
J’arrivais devant cette haute porte, décorée de belles arabesques aux finitions proche de l’excellence. La poussant avec nonchalance, je distinguais enfin la silhouette massive et sombre de Bazyleus.
Codage par Libella sur Graphiorum