Aurae s’était laissé convaincre que la traversée du lac serait plus sécurisée que d’arpenter les landes désolées qui la séparaient du Reike. C’était un long détour pour rejoindre la capitale, mais elle avait apprécié la traversée. Le bateau à fond plat accosta dans un petit port qui partageait son activité entre commerce et pêche. La zone était humide car la brume du fleuve rencontrait celle de la Forêt Sanglante. Aurae ressentit la désagréable sensation de lourdeur et de moiteur dans l’air et se débarrassa de sa cape quelle fourra sans ménagement dans son sac à dos. La taverne locale était connue pour son cordial qui vous requinque un orc, sa soupe de brochet et ses piliers de comptoir qui ergotent sur la moindre nouvelle qui parvient jusqu’au village grâce au commerce sur le lac. Mais cette fois, les cancans portaient sur les frondaisons de la forêt. Grâce à son ouïe développée, la jeune elfe ne perdait pas un mot de ces commérages entre un pêcheur et l’aubergiste qui essuyait sa vaisselle avec un chiffon de couleur douteuse.
« J’te jure, il a touché la fleur et d’un coup il s’est mis à brouter l’herbe et ronger l’écorce du houx. L’pauvre gars en est mort, les baies son toxiques. Ribold a pris sacrément cher, il a failli crever lui aussi. Il paraît que c’est une sale fay qui a fait l’coup. Elle a défoncé tout l’village d’Ombrebrume. On raconte que c’est une morte vivante avec ses yeux de merlan frit et qu’elle avait l’air malade. Allez savoir, c’est p’tet une liche ou un machin du genre. On peut pas faire confiance à ceux qui vivent dans la nature et qui viennent pas du Reike. » Un coup d’œil en biais à l’elfe, qui ne releva pas. Ces ploucs avaient des manières rudes, et elle n’allait pas s’abaisser à leur niveau en relevant l’insulte. L’échange prit fin quand un autre pêcheur rentra dans le bouge en beuglant à propos de sa bonne femme qui lui cassait les noisettes.
Cette histoire avait piqué sa curiosité ; elle n’était pas herboriste mais toute nouvelle connaissance était bonne à prendre. Et puis ce n’étaient pas des histoires de taverne qui allaient l’empêcher de découvrir le monde. Aurae n’a jamais eu peur d’être empoisonnée ; les elfes sont immunisés ce qui est une bonne chose considérant qu’elle avait tendance à s’échapper de Melorn pour parcourir les Terres du Nord. En vérité elle s’inquiétait surtout de se perdre : elle ne connaissait absolument pas la région ni ses dangers. Après avoir offert quelques tournées aux hommes du cru, ceux-ci se montrèrent assez loquaces pour lui expliquer le chemin à emprunter pour se rendre à Ombrebrune. Forts en gueule mais pas téméraires, ils refusèrent tout net de l’accompagner, se désolant même qu’une si jolie fille décide d’aller mourir seule dans la jungle au lieu de rester s’amuser avec eux. Leurs haleines chargées et leurs chicots l’incitaient justement à courir dans les bois, peu importe le danger.
L’oreille aux aguets, arc en main, Aurae ne rencontra pas âme qui vive sur son chemin. La nature se montrait silencieuse, inexistante même. Ce silence pesant, alors que la jungle aurait dû bruisser de vie, l’inquiétait. Des coups de marteaux et le bruit de scies lui indiquaient la direction à prendre et bientôt elle se retrouva dans le village d’Ombrebrume. Les quelques âmes peuplant la clairière se remettaient difficilement des évènements récents. On menaça Aurae de fourches jusqu’à ce qu’elle se présente comme guérisseuse. Après avoir soigné quelques contusions les villageois lui accordèrent leur confiance et évoquèrent du bout des lèvres leur mésaventure. Les choses avaient commencé avec la présence d’une fleur parmi les champignons dont ils font leur quotidien. Délicate, elle n’en était pas moins mortelle : elle donnait une irrépressible envie de manger. Des villageois s’étaient jetés les uns sur les autres pour s’entre-dévorer. Puis la créature avait frappé alors qu’ils étaient affaiblis. Le bûcheron du village, Ribold, s’était interposé et il avait eu fort à faire avec une créature effrayante. Selon les versions elle était toute petite ou de taille démesurée. On se souvenait surtout de sa faux. Pour le reste… Les villageois avaient faim, c’était leur principal souvenir. Beaucoup refusaient de parler des évènements récents, à mi-chemin entre la culpabilité et la honte. Elle avait peu parlé mais on avait entendu qu’elle se rendait à la capitale du Reike. Qui sait ce qu’elle y ferait ? On présumait déjà que ses intentions seraient malveillantes.
Aurae n’avait pas du tout envie d’arrêter la fay. Elle n’était qu’une étrangère et l’arrestation d’un malandrin relève des attributions de la garde. Son intérêt pour cette histoire était plus académique : elle n’avait jamais rencontré de créature capable de faire pousser des plantes vénéneuses avec ce type d’effet. Avant de partir vers Ikusa il lui restait à trouver l’étrange fleur et la préserver. Grâce aux indications des villageois elle obtint une description détaillée du végétal empoisonné et put restreindre sa zone de recherche. Hélas beaucoup de fleurs avaient flétri et elle ne put en cueillir que deux, prenant d’infinies précautions pour ne pas arracher des pétales ou asperger ses vêtements de son suc venimeux. Ne connaissant pas la formule de la glace éternelle, il serait impossible qu’elle reste congelée jusqu’à son arrivée dans la capitale. Elle décida de les glisser entre deux pages d’un livre de magie où elles sécheraient sans tomber en miettes.
Après un voyage qui n’avait rien d’un parcours de santé à travers un paysage pittoresque, Aurae se trouva face aux gardes d’Ikusa. Après avoir examiné suspicieusement son laisser-passer, ils la firent entrer. Elle n’avait pas osé leur demander s’ils avaient vu une fée mal en point, si la créature avait commis un délit elle aurait pu passer pour une complice. Elle oublia un temps sa fleur vénéneuse car la ville l’époustouflait, autant dans ce qu’elle avait de meilleur et de pire. Elle trouva à loger dans une auberge respectable et commença son enquête. Ni le tenancier ni ses esclaves n’avaient connaissance d’une fay maladive, mais on l’envoya à d’autres adresses où, peut-être, on en avait aperçu une. Après avoir fait le tour des artisans du quartier elle trouva enfin un boucher qui aurait vu une frêle silhouette pouvant correspondre à cette description.
S’avançant dans la ruelle d’une démarche conquérante, les sens aux aguets, l’elfe observait sans peur les recoins qui auraient pu abriter l’objet de sa recherche.
« Ohé, n’y a t’il pas une fae par ici ? » lança t’elle à la cantonade, espérant avoir une réponse.
« J’te jure, il a touché la fleur et d’un coup il s’est mis à brouter l’herbe et ronger l’écorce du houx. L’pauvre gars en est mort, les baies son toxiques. Ribold a pris sacrément cher, il a failli crever lui aussi. Il paraît que c’est une sale fay qui a fait l’coup. Elle a défoncé tout l’village d’Ombrebrume. On raconte que c’est une morte vivante avec ses yeux de merlan frit et qu’elle avait l’air malade. Allez savoir, c’est p’tet une liche ou un machin du genre. On peut pas faire confiance à ceux qui vivent dans la nature et qui viennent pas du Reike. » Un coup d’œil en biais à l’elfe, qui ne releva pas. Ces ploucs avaient des manières rudes, et elle n’allait pas s’abaisser à leur niveau en relevant l’insulte. L’échange prit fin quand un autre pêcheur rentra dans le bouge en beuglant à propos de sa bonne femme qui lui cassait les noisettes.
Cette histoire avait piqué sa curiosité ; elle n’était pas herboriste mais toute nouvelle connaissance était bonne à prendre. Et puis ce n’étaient pas des histoires de taverne qui allaient l’empêcher de découvrir le monde. Aurae n’a jamais eu peur d’être empoisonnée ; les elfes sont immunisés ce qui est une bonne chose considérant qu’elle avait tendance à s’échapper de Melorn pour parcourir les Terres du Nord. En vérité elle s’inquiétait surtout de se perdre : elle ne connaissait absolument pas la région ni ses dangers. Après avoir offert quelques tournées aux hommes du cru, ceux-ci se montrèrent assez loquaces pour lui expliquer le chemin à emprunter pour se rendre à Ombrebrune. Forts en gueule mais pas téméraires, ils refusèrent tout net de l’accompagner, se désolant même qu’une si jolie fille décide d’aller mourir seule dans la jungle au lieu de rester s’amuser avec eux. Leurs haleines chargées et leurs chicots l’incitaient justement à courir dans les bois, peu importe le danger.
L’oreille aux aguets, arc en main, Aurae ne rencontra pas âme qui vive sur son chemin. La nature se montrait silencieuse, inexistante même. Ce silence pesant, alors que la jungle aurait dû bruisser de vie, l’inquiétait. Des coups de marteaux et le bruit de scies lui indiquaient la direction à prendre et bientôt elle se retrouva dans le village d’Ombrebrume. Les quelques âmes peuplant la clairière se remettaient difficilement des évènements récents. On menaça Aurae de fourches jusqu’à ce qu’elle se présente comme guérisseuse. Après avoir soigné quelques contusions les villageois lui accordèrent leur confiance et évoquèrent du bout des lèvres leur mésaventure. Les choses avaient commencé avec la présence d’une fleur parmi les champignons dont ils font leur quotidien. Délicate, elle n’en était pas moins mortelle : elle donnait une irrépressible envie de manger. Des villageois s’étaient jetés les uns sur les autres pour s’entre-dévorer. Puis la créature avait frappé alors qu’ils étaient affaiblis. Le bûcheron du village, Ribold, s’était interposé et il avait eu fort à faire avec une créature effrayante. Selon les versions elle était toute petite ou de taille démesurée. On se souvenait surtout de sa faux. Pour le reste… Les villageois avaient faim, c’était leur principal souvenir. Beaucoup refusaient de parler des évènements récents, à mi-chemin entre la culpabilité et la honte. Elle avait peu parlé mais on avait entendu qu’elle se rendait à la capitale du Reike. Qui sait ce qu’elle y ferait ? On présumait déjà que ses intentions seraient malveillantes.
Aurae n’avait pas du tout envie d’arrêter la fay. Elle n’était qu’une étrangère et l’arrestation d’un malandrin relève des attributions de la garde. Son intérêt pour cette histoire était plus académique : elle n’avait jamais rencontré de créature capable de faire pousser des plantes vénéneuses avec ce type d’effet. Avant de partir vers Ikusa il lui restait à trouver l’étrange fleur et la préserver. Grâce aux indications des villageois elle obtint une description détaillée du végétal empoisonné et put restreindre sa zone de recherche. Hélas beaucoup de fleurs avaient flétri et elle ne put en cueillir que deux, prenant d’infinies précautions pour ne pas arracher des pétales ou asperger ses vêtements de son suc venimeux. Ne connaissant pas la formule de la glace éternelle, il serait impossible qu’elle reste congelée jusqu’à son arrivée dans la capitale. Elle décida de les glisser entre deux pages d’un livre de magie où elles sécheraient sans tomber en miettes.
Après un voyage qui n’avait rien d’un parcours de santé à travers un paysage pittoresque, Aurae se trouva face aux gardes d’Ikusa. Après avoir examiné suspicieusement son laisser-passer, ils la firent entrer. Elle n’avait pas osé leur demander s’ils avaient vu une fée mal en point, si la créature avait commis un délit elle aurait pu passer pour une complice. Elle oublia un temps sa fleur vénéneuse car la ville l’époustouflait, autant dans ce qu’elle avait de meilleur et de pire. Elle trouva à loger dans une auberge respectable et commença son enquête. Ni le tenancier ni ses esclaves n’avaient connaissance d’une fay maladive, mais on l’envoya à d’autres adresses où, peut-être, on en avait aperçu une. Après avoir fait le tour des artisans du quartier elle trouva enfin un boucher qui aurait vu une frêle silhouette pouvant correspondre à cette description.
S’avançant dans la ruelle d’une démarche conquérante, les sens aux aguets, l’elfe observait sans peur les recoins qui auraient pu abriter l’objet de sa recherche.
« Ohé, n’y a t’il pas une fae par ici ? » lança t’elle à la cantonade, espérant avoir une réponse.