Les discussions, les rires et les cris s'entremêlent alors qu'une musique légère et agréable occupe l'arrière-fond de la salle en ce début de soirée. Les deux douzaines de tables sont encerclés par les quelques badauds qui sont venus s'échouer dans cette taverne dans l'unique bût de dépenser leurs maigres salaires. Les liqueurs diverses que sert avec dextérité le tenancier s'enchainent les unes après les autres, dans une chorégraphie que seules les meilleures soirée peuvent permettre. Grands biens leurs fassent à ses soulards si ces quelques heures de répit leurs permettent de supporter la vie à la capitale.
Pourtant, malgré l'atmosphère insouciante et frivole, il est une table qui n'est occupé que par une seule personne. Si son aspect est inconnu pour les habitués du lieu, il l'est surtout pour la femme qui vient d'y pénétrer. Vêtue d'une longue cape noire aussi sobre qu'abimée et dont la capuche est rabattue par-dessus sa chevelure, son profil est dissimulé derrière un voile d'aussi mauvaise qualité que le vêtement. Apparemment intimidée par l'ambiance de la taverne, elle hésite un instant avant de finalement investir l'un des tabourets du bar. Quelques instants plus tard, le serveur vient à elle et lui prend sa commande.
- Je vous prendrais du vin, s'il-vous-plait ... Répond-t-elle d'une voix fébrile que le stress rend presque stridente.
- Lequel vous ferais plaisir, ma p'tite dame ?
- Heu ... Un morillon ?
Cette simple demande provoque dans un premier temps l'étonnement du vieil homme, puis un franc rire dans un second. Croyait-elle vraiment que ce genre de cuvée se trouvait dans n'importe quel tripot ? Elle se confond en excuse, expliquant à grands peines qu'en réalité elle ne connait pas les vins et qu'elle à cité le premier à lui être venu à l'esprit. Gentiment, le tavernier la rassure et lui propose une bière de fruit à la place, ce qu'elle accepte avec un charmant, mais timide, sourire.
L'homme à la table isolée n'a rien perdu de cet échange, mais il ne bouge pas de sa chaise et continu tranquillement à déguster son verre. La femme fait de même, sortant un livre de la besace qu'elle porte à son côté et en entame la lecture.
L'un comme l'autre s'ignore superbement, alors qu'ils sont précisément à cet endroit pour se rencontrer. Tout deux savent très bien qu'ils sont présents, pourtant ils restent tranquillement à leur place et laisse le temps défiler. Près d'une heure passe avant que l'ignorante en vin ne tourne légèrement son visage en direction de la silhouette esseulée. Ce bref coup d'œil ne lui permet pas de le discerner convenablement, cependant, elle le désigne immédiatement comme la raison de sa venue. Elle a immédiatement reconnu cette aura de puissance, celle qu'elle ne saurait ni confondre, ni oublier. Comment le pourrait-elle ? L'homme au visage clandestin est le seul en cette République perfide pour qui elle éprouve un véritable respect. Il a été son amant, son mentor, son confident, son allié et tout d'autres titres qu'elle-même ne saurait tous les énumérer. Il est celui qui est responsable de l'ascension de la Reine des Catins de Courage, le créature génialement fou qui à fait de la bête de foire un monstre de cauchemar, il est Bazyleus, ce démon qui vous veut du bien.
Le bien qu'il lui apporté, Koraki s'en rappelle encore. Cette orgiaque nuit sanglante reste gravée dans sa mémoire, intacte et chérie.
Une nouvelle heure passe avant que l'hybride ne change de place pour occuper l'une des tables venant de se libérer au fond de la salle, celle qui donne un aperçu sur l'ensemble des clients. Une fois installer, elle reprend un verre, cette fois de vin, et replonge dans la lecture de son livre, couverture évidente lui permettant de surveiller l'assistance. Une fois sûre et certaines qu'aucun regard ne déviait de temps en temps vers elle et qu'aucune oreille ne viendrait à s'approcher de trop près, elle referme sèchement son livre et le pose en évidence sur le plateau.
C'était le signal que le démon attendait. C'étant lui aussi assuré que personne ne les espionnerait, il vient la rejoindre.
Toute cette comédie, la jeune ingénue, les vêtements miteux, le voile, l'apparence inconnu de l'homme, le temps d'attente, les changements fréquents de places, était le rituel qu'ils avaient tout deux mis en place lorsqu'il souhaitait se rencontrer. Une personnalité aussi éminente au sein du gouvernement républicain que Bazyleus avait de grandes chances d'être surveillé, probablement à ses dépends, et il ne pouvait décemment pas être surpris en compagnie d'une femme connue pour être la banquière de la pègre de Courage. Cette mise-en-scène servait à les protéger tout deux. Pour l'occasion, ils changeaient même de nom. En cette soirée, Koraki ce nommait Adéïa.
Un large sourire fend le visage dissimulé de la Reine des Catins lorsque son mentor s'approche. Combien de temps c'était-il écouler depuis la dernière fois qu'ils c'étaient vu ? D'ordinaire, c'était lui qui fixait les rendez-vous lorsqu'il se rendait à Courage. Cependant, pour une fois qu'elle était présente à Liberty, elle ne pouvait éviter une rencontre. Elle en avait d'ailleurs bien besoin.
- Tu m'as manqué, lui dit-elle simplement.