Détroit du Berceau,Milieu d’après-midi
Suspendu dans les cordages, les cheveux soufflés par l’air chaud du désert, Maui observait la ville au-delà du détroit, notant avec intérêt les progrès de sa reconstruction. Si la guerre civile lui avait touché l'une sans bouger l’autre, il s’était surtout préoccupé de l’état des établissements les plus importants : les tavernes, les bains et les bordels. Pour le fils de la mer, une ville et son port n’avait d’intérêts que pour les divertissements qu’elle proposait. Enfant des vagues, la politique ne lui importait seulement quand sa liberté était en danger. Et heureusement pour lui, le problème ne s’était jamais vraiment posé pour lui. S’il n’avait pas une force exceptionnelle, le triton était assez fort pour ne pas finir marqué au fer rouge. Et avait assez de jugeote pour ne pas insulter ceux qui le seraient pour lui mettre un collier.
Après trois semaines de voyage, tout l’équipage était plus que pressé de mettre pieds à terre. L’Atalante, lui, était un peu affecté par ce besoin irrépressible. Il fallait dire que sa double origine faisait de lui un être amphibie, autant à l’aise sur terre que sur mer. Beaucoup le jalousaient pour cela, mais force était de constater que malgré ses prédispositions naturelles, ses capacités et ses connaissances maritimes n’étaient pas usurpées. Maui était un marin dans l’âme, qui ne rechignait nullement à la tâche. Un modèle à suivre, si l’on excluait sa manie à fuir les responsabilités…
FERLEZ LA GRAND VOILE !
L’ordre tira Maui de sa contemplation et répondant en chœur avec le reste de l’équipage, il entreprit les manœuvres pour amarrer au port d’Ikuza. L’estuaire pouvait s'avérer assez traître par moment, aussi, le triton focalisa toute son attention. Le travail avant les loisirs. Peu à peu, la cité millénaire se révéla dans toute sa splendeur et bientôt le trimât glissa le long du ponton. Pour Maui, c’était la fin du voyage et de son contrat. Il était de nouveau libre, prêt à voguer vers sa nouvelle aventure. Il salua donc le Capitaine et son Second, s’apprêta à faire la tournée des bars avec les marins quand il aperçut un pavillon familier du coin de l'œil. Il ne lui fallut pas plus de deux secondes pour se décider, et prenant congés, il partit en direction du navire, non sans récupérer son solde au passage.
Ne comptant pas les jours, Maui ne se souvenait pas de la dernière fois qu’il était monté sur le pont de la Murène, mais malgré tout ce temps, il se souvenait précisément des moindres détails de son anatomie. Après deux années, il avait appris à connaître le navire comme un fidèle compagnon et l’équipage comme des frères d’une autre mer. D’ailleurs, les rares Boross restés à bord l’accueillirent chaleureusement, comme s’il n’était jamais parti. Il reconnaissait bien là le tempérament des hommes du Nord. C’était d’ailleurs une des choses qui l’avait décidé à les rejoindre après tout. Après quelques tapes virils sur l’épaule, des prises de nouvelles de femmes et enfants, à son grand étonnement, on lui désigna la cabine du capitaine. Une chance pour le triton, qui espérait justement la revoir.
-Ahoy Capitaine ! Permission de monter à bord., déclara-t-il d’une voix assurée pour attirer l’attention.
Négligemment accoudé à l’encadrement de la porte de la cabine, Maui Atalante observait son ex-capitaine avec un petit sourire amical et toujours empreint de malice. Malgré les années, il n’avait pas changé, mis à part quelques nouveaux tatouages visibles sur son torse nu. Son héritage sous-marin le préservait des affres du temps, c’était bien connu.
-Je viens juste d’arriver et j’ai vu ton pavillon. Comment va en ce moment ?
Un jour ou un siècle, pour Maui, le temps de la séparation était vite balayé par la joie des retrouvailles. Vivre le temps présent était sa philosophie de vie après tout.