- Ma-majesté ! Vous êtes de retour ? Où étiez-vous passée ? Tout le monde vous cherche partout. Le roi est chamboulé par votre absence. Qu'avez-vous eu comme...

- Le voyage a été long et je suis épuisée. Taisez-vous et allez me préparer un bain. En temps voulu, mon mari entendra ce que j'ai à lui dire.

- Oui... Votre Altesse.

Suite aux paroles de la maîtresse des lieux, la simple servante s'inclina et s'exécuta à la tâche demandée. Cela faisait maintenant une semaine que l'ingénieuse Ayshara avait mystérieusement disparu dans le terrible désert du Reike, ne donnant pas le moindre signe de vie à ses proches. Évidemment, il s'agissait d'une pratique peu recommandable qui lui causerait sûrement de gros soucis. Son entourage lui reprocherait probablement de ne pas être assez responsable, de ne pas suffisamment réfléchir avant d'agir, et blablabla. Rien de bien surprenant, car depuis sa tendre enfance, la reine vivait enfermée entre les barreaux d'une cage dorée. On lui dictait toujours comment elle devait agir, ce qu'elle pouvait faire et surtout ne pas faire. Son frère aîné l'avait vendu comme une vulgaire poupée de chiffon et son nouveau mari désirait envoyer le royaume à la guerre sans même chercher à connaître son avis. Un violent sentiment de rébellion et de frustration l'envahissait peu à peu. Le dragon était proche. Très proche.

Cette aventure avait été si longue et fatigante. Nullement habituée à chevaucher pendant des jours, elle sentait que les muscles de son corps allaient très bientôt l'abandonner. Son ancienne petite vie confortable de château ne l'avait pas du tout préparée à de telles conditions. La dragonne méritait bien quelques heures de détente avant d'affronter le cruel jugement de son roi, n'est-ce pas ?
Lorsque le bain fut enfin prêt, la domestique aida la jeune femme à la chevelure de soie à retirer ses vieux vêtements, dévoilant ainsi une poignée d'ecchymoses et de traces de fatigue sur sa peau auparavant parfaite. Cela n'avait rien de très grave et c'était d'ailleurs assez normal d'arborer quelques marques après un voyage aussi éprouvant, mais leurs présences n'empêchèrent pas la belle demoiselle de grimacer en les apercevant. Quand elle daigna finalement à s'asseoir dans la baignoire, Ayshara serra les dents de douleur, douleur qui se transforma vite en sentiment de soulagement et de détente. Elle demanda à la servante de la laisser seule et de quitter la pièce, chose que cette dernière fit sans broncher.

La souveraine reikoise ferma lentement les yeux, entrant dans un état de méditation et de songe profond. Elle repensa à l'échec de sa mission et aux fuites constantes de Valerion, l'étrange dragon noir qui la visitait jusque dans ses rêves. Pourquoi fuyait-il chaque fois qu'elle tentait une approche ?
Cette idée fut vite écartée lorsque la vosdraak se mit à penser à son mari et à la relation qu'elle entretenait avec lui. La frustration et le souhait de liberté laissèrent rapidement place à des remords et à de la tristesse. Elle s'en voulait terriblement de l'avoir quitté comme ça. Sa présence lui manquait cruellement. L'envie de le retrouver était à son paroxysme.

Sur le point de s'endormir bercée par l'eau quasiment bouillante de son bain, la jeune femme sursauta en entendant les portes de la pièce s'ouvrir avec brutalité. Son premier réflexe fut de placer ses bras là où il le fallait afin de préserver sa pudeur, mais elle réalisa que cela n'était probablement pas nécessaire...
Pendant un court instant, son souffle se coupa net quand elle vit le visage si singulier de son cher époux. À ce moment-là, aucun mot ne sortit de sa bouche. La belle se contenta de le fixer avec ses grands yeux améthystes.

Lentement, la reine se leva, exposant par la même occasion ses délicates formes dignes de faire frémir de jalousie n'importe quel dieu de la beauté de ce monde. Tandis que l'eau encore ruisselante épousait les courbes divines de son corps, Ayshara s'avança vers Tensai, son regard toujours profondément plongé dans le sien. Une fois à la hauteur du colosse, elle s’approcha davantage de lui et très près - peut-être trop près -. Elle ne trouva qu'une seule chose à lui dire :

- Désolée.

La voix et les yeux de la demoiselle ne se voulaient aucunement provocateurs ou confrontant. Au contraire, on pouvait aisément y lire un certain sentiment de tristesse et de mélancolie, signe qu'elle s'était rendue compte du mal que son absence au palais avait causé.

Satisfaction. Du haut de ses dix-huit années, la dragonne croyait fermement qu'il n'y avait que cet homme qui pouvait la satisfaire à ce point. Elle ignorait comment définir avec exactitude les sensations ressenties durant l'acte, mais cela dépassait assurément le simple plaisir passionnel et charnel. Oui, Ayshara ressentait une véritable connexion amoureuse réciproque et ses sentiments n'avaient rien à voir avec ceux d'une banale conquête. Depuis que Tensai était entré dans sa petite existence de princesse, c'était comme si les autres hommes n'avaient jamais eu de réelle importance à ses yeux... Quelque chose de très fort et d'indescriptible les liait. Une force impossible à nommer pour le moment. Certes, la jeune femme n'oubliait pas les meurtres odieux de son époux et ses crimes envers le peuple reikois, mais cela ne l'empêchait pas de voir l'avenir d'une façon plutôt optimiste et sereine. L'amour est plus puissant que la haine... Complètement épuisée, la belle aux cheveux d'argent laissa le corps brûlant de son mari se lover amoureusement contre elle. Profitant de cet instant de calme et de sérénité, le couple se reposait dans les eaux désormais tièdes de cette baignoire qui venait d'être le seul témoin de ce spectacle ardent. La tête collée contre le torse de son grand roi, la vosdraak ferma doucement les yeux, bercée par les battements de son cœur. Alors qu'elle se sentait plonger dans un sommeil bien mérité, la voix du guerrier la maintint légèrement en alerte. D'un ton semi-faible et somnolent, elle lui répondit, sans réellement réfléchir à ses paroles et d'un naturel qui lui était caractéristique. « Vous n'avez aucune idée de tout ce dont je suis capable de faire pour ceux que j'aime... La colère n'a jamais été suffisante pour vaincre un dragon. » Puis, à peine quelques minutes plus tard, la souveraine reikoise tomba profondément dans l'étreinte de Morphée. Cette fois-ci, elle ne rêva point et n'eut pas d'étrange vision. Un sommeil calme et réparateur. Les glorieuses destinées avaient parfois besoin de repos, elles aussi.