Elle soupire en croisant les bras, observant les passants à travers la grande vitre de l’auberge, son chiffon à la main. Un si bel après-midi dont elle pourrait profiter, déjà presque à moitié gâché par l’incapacité de ses collègues, et plus particulièrement de l’une d’entre elle, à respecter des horaires et à respecter les autres également. Elle fronce les sourcils, scrutant les visages qui défilent devant ses grands yeux verts à la recherche de celle qui aurait dû être à sa place déjà une heure plus tôt. Ses yeux se lèvent rapidement vers la grande horloge alors qu’elle resserre les mâchoires.
*Si elle n’est pas là dans deux minutes…*
Elle se tourne vers la porte, balayant des yeux la salle totalement vide, puis s’adosse à la fenêtre et patiente encore. Il ne reste que quelques secondes avant l’heure fatidique qui annoncera à Nehla que sa journée de travail double, mais pas son salaire. Elle retient son souffle, ferme les yeux et prie tous les dieux qui peuvent exister pour que la porte s’ouvre.
La porte s’ouvre enfin, dans un grand fracas, sur une jeune blondinette essoufflée qui pose ses mains sur ses genoux, à moitié pliée en deux.
PARDON !
Nehla soupire à nouveau avant de dénouer son tablier lentement en se rapprochant du comptoir. Elle attrape un verre, glissant son doigt sur le bord pour le remplir avant de le tendre à la jeune fille qui l’avale d’un trait, les joues en feu, les cheveux en bataille. La brunette lui tend un chiffon propre et humide avant de l’aider à remettre de l’ordre dans sa coiffure.
Tu es arrivée juste à temps tu sais.
Je sais, tu ne devineras jamais ce qu’il m’est arrivé ! J’étais à l’heure pourtant mais sur le chemin, j’ai croisé un type qui travaillait dans un cirque et du coup je me suis arrêtée, il était juste hallucinant, tu aurais vu ça ! Et puis après je me suis dépêchée mais de la foudre est tombé et…
Et un dragon est arrivé et t’as emmenée loin dans un château abandonné, esseulée de tous, en attendant que tu puisses te sauver toute seule ?
Tu racontes vraiment n’importe quoi, Nehla. Tu me crois pas hein ?
Si, je te crois, mais le patron, lui, il s’en fiche de tes histoires. Tâche de ne plus jamais te pointer en retard, encore moins à quelques secondes de la limite raisonnablement acceptée par le patron. Ça nous coûte cher à toutes les deux.
La jeune fille acquiesce avant de glisser son tablier blanc sur son pantalon et de le nouer dans son dos alors que Nehla termine de nouer la longue natte qu’elle vient de tresser à sa remplaçante.
On se voit demain. Et sois à l’heure. Sinon…
Je sais, c’est pas la peine de revenir, mais tu dis toujours ça !
L’impétueuse lui adresse un clin d’œil avant que Nehla ne lui tourne le dos, un léger sourire en coin aux lèvres. Elle attrape son carnet et un vieux livre sous le comptoir, détache ses longs cheveux en glissant la broche dans sa besace et tire la porte de l’auberge pour profiter de son après-midi de repos bien méritée.
Elle se rend sans vraiment y réfléchir, ses doigts courant déjà sur les pages de son ouvrage, dans un des parcs de Liberty où elle a ses habitudes. Elle s’installe confortablement à l’ombre d’un grand saule pleureur, non loin d’un petit ruisseau qui fait tout le tour du parc pour rejoindre une des nombreuses fontaines de la ville, toujours à la recherche de ce précieux liquide qui lui permet de s’exercer et de se ressourcer quand bon lui semble.
Elle est déjà plongée dans son vieux manuscrit depuis une bonne heure lorsqu’un léger brouhaha parvient jusqu’à ses oreilles. Elle n’y prête aucune attention, habituée à ce que les moments calmes précèdent les tornades d’enfants qui viennent jouer dans ces grands espaces, mais son esprit est tout de même sorti de son occupation première et de l’étude du manifeste de magie qu’elle a emprunté à la librairie lorsqu’elle se rend compte que le bruit se rapproche. Elle fronce les sourcils, resserre un peu ses doigts sur le livre, comme si crisper son corps lui permettait de mieux se concentrer, et tente de se plonger à nouveau dans son ouvrage. Elle ne tient que quelques secondes avant que son attention ne se relâche à nouveau lorsqu’elle perçoit, parmi tous les bruits alentours, que quelque chose se rapproche visiblement d’elle et relativement rapidement. Nehla lève finalement les yeux de ses si précieuses pages en soupirant pour repérer la source de tout ce vacarme.
Lorsque ses yeux rencontrent le phénomène, elle ne peut qu’entrouvrir la bouche de surprise en haussant un sourcil.