Un sourire satisfait aux lèvres, elle repousse l’assiette désormais vide en soupirant doucement. Cela fait quelques jours que sa mère l’autorise enfin à sortir de chez elle, mais elle n’a pas encore eu l’occasion d’avoir plus d’une dizaine de minutes de paix. Elle aurait pu en profiter pour aller n’importe où, voir William ou Dorgen, aller dans un parc, à la librairie, mais non, elle choisit un endroit bien connu et chaleureux : l’auberge du Bruit qui Court.
Elle est, comme prévu, chaleureusement accueillie par son patron qui lui signifie pourtant vivement qu’elle ne reprendrait pas le travail de sitôt, et encore plus chaleureusement par deux habitués qui préfèrent apparemment son service à celui de sa remplaçante qui se trompe souvent de commande d’après leurs dires. Elle passe quelques minutes avec chacun d’eux avant de s’installer confortablement à une table de choix, celle près du poêle, au fond de la salle. Après avoir avalé avec appétit et gourmandise la fameuse soupe du chef, elle prend quelques minutes pour observer la salle qui lui semble un peu étrangère bien qu’elle y travaille depuis quelques années.
Elle est sortie de sa rêverie par le cuisinier qui a jugé bon de plier la cuisine pour tenir compagnie à sa jeune collègue. Il pose deux petits verres sur la table ainsi qu’une grande bouteille d’un vert profond, avant de s’affaler sur la chaise en face de Nehla. Elle lui adresse un doux sourire en le voyant servir deux verres mais fronce immédiatement les sourcils en suspectant un alcool bien trop fort pour elle, qui a somme toute peu l’habitude de boire dans tous les cas. Elle approche prudemment son verre pour y tremper les lèvres, voyant le subterfuge, le cuisinier, d’un geste rapide et visiblement expert, glisse ses doigts sous ceux de la jeune femme pour que tout le contenu se déverse dans sa bouche, l’obligeant à boire l’intégralité du liquide ambré. Elle sent ses joues se réchauffer immédiatement, une petite larme perler au coin de son œil, immédiatement absorbée par sa peau. Elle tousse pendant quelques instants avant de reposer le verre sous les yeux pétillants et déjà hilares de son collègue.
Tu devrais pourtant, ça te requinque un homme ça !
Elle secoue vivement la tête alors qu’il lui resserre un verre avant de vider un bon quart de sa carafe d’eau d’une traite dans un soupir de soulagement. Il éclate de rire et vide d’un trait à son tour les deux verres de liqueur avant de se lever et d’apporter, quelques instants plus tard, un nouveau verre pour Nehla. Elle observe le liquide légèrement pétillant, d’un bleu profond lui rappelant le regard de William, et avec tout la précaution du monde, goûte à ce breuvage qui relève plus de la potion magique que d’un alcool qui « requinque un homme ». Elle est stupéfaite par la douceur de la boisson, la légère note sucrée et citronnée qui vient chatouiller sa langue une fois la surprise des bulles fines passées. Elle acquiesce en réponse au regard interrogateur du cuisinier avant d’avaler une nouvelle gorgée.
Ils passent presque une heure à discuter de tout et de rien, surtout de ce que Nehla a pu louper pendant son absence pour convalescence, et, sous l’insistance de son camarade, elle consent à lui expliquer tout le déroulé de l’aventure qui lui vaut les petites blessures encore bien visibles sur le visage et les bras, notamment la cicatrice laissée par William sur son bras.
Entraînée dans son histoire, elle ne remarque pas tout de suite l’arrivée d’un jeune homme qui s’installe à une table non loin de la sienne. Elle ne lui prête de l’attention que lorsque sa collègue vient prendre sa commande, se disant qu’elle est vraiment moins douée que Nehla dans cette tâche. Elle adresse un sourire au jeune homme lorsqu’il se rend compte de son observation et reporte tout aussi vite son attention sur son camarade de cuisine, les joues légèrement rosées.
Quelques instants plus tard, la bouteille de liqueur ambrée vide, le cuisinier prend congé de la jeune femme, débarrassant sa table en même temps, bien qu’il manque de renverser le reste d’eau de la carafe sur Nehla, qui stoppe l’arrivée du filet d’eau d’un geste de la main avant de la diriger dans son verre vide, souriant doucement au maladroit quand il s’excuse de sa maladresse, qui vient plutôt du fait qu’il a liquidé près d’un litre d’alcool fort. Elle en profite pour remplir son verre à ras bord avant de le laisser emporter le tout.
Elle se cale un peu plus confortablement dans sa chaise, détache ses cheveux et continue de siroter ce breuvage bleu citronné, se rendant compte qu’elle l’a quasiment terminé et que le cuisinier lui avait servit le tout dans une de ces grandes choppes qu’ils utilisent habituellement pour servir la bière des clients. Elle écarquille les yeux en se rendant compte que sa vision est un peu troublée. Elle hausse finalement les épaules en se disant qu’elle a bien le droit, de temps en temps, de prendre un peu de bon temps pour elle.
Elle continue donc de siroter son verre en solitaire, se prenant à s’amuser avec des petites bulles d’eau qu’elle fait léviter de son verre pour les faire éclater en une pluie fine quelques secondes après.