Sous la tente proche du terrain d’entraînement, les quelques apprentis soldats étaient agglutinés autour d’une grande table de bois sur laquelle siégeait une carte des déserts environnants. Un jeune homme portant un simple kimono coloré et des petites lunettes sur le nez, était en train de déplacer des pions sur la carte en expliquant aux plus jeunes les différentes formations de l'armée.
—Lors des grandes batailles, il est primordial que vous puissiez rapidement reconnaître les différentes formations à adopter, expliquait le formateur en stratégie militaire. Vous vous demandez certainement comment dans le chaos ambiant, nous serions capable d’entendre les ordres de nos supérieurs ? Eh bien nous avons plusieurs méthodes pour arriver à nos fins. Avez-vous des idées ?
L’homme en question parlait d’une voix réellement douce qui allait de pair avec sa tenue et sa posture légèrement décontractée. Autrefois soldat, il s’était tourné vers une vocation qui l’inspirait bien plus. La formation des plus jeunes sur le plan stratégique. Contrairement à l’autre instructeur qui s’occupait également du groupe de Rachelle, ce dernier était bien plus pédagogue et patient que l’autre.
La petite souris aimait bien les enseignements de cet instructeur. Elle avait l’impression de comprendre assez facilement les explications et se sentait bien plus douée que lors des entraînements d’endurance ou de combat. Enjouée, elle leva la main pour répondre.
—J’ai vu certains s’entraîner avec des drapeaux, expliqua-t-elle avec un sourire.
—Bien vu mademoiselle Virsce. Effectivement, il arrive que nous utilisions des drapeaux. Parfois, nous avons de puissants télépathes capables de faire parvenir les ordres à toutes les troupes rapidement. Néanmoins, nous essayons de ne pas trop nous reposer dessus. Imaginez que des mages ennemis parviennent à débusquer nos communications ou à les pervertir ? Ils pourraient nous cueillir aisément. C’est pour cela que nous avons mis au point plusieurs méthodes qu’il vous sera primordiale de retenir. Notamment au sujet des drapeaux. Selon comment ils seront levés et agités, vous aurez à changer de formation, changer de cible ou même prendre la retraite. Bien que fuir ne soit pas l’acte le plus noble, il convient parfois de mettre sa fierté de côté pour se battre un autre jour. Sachez que vous défendez le Reike, c’est important que vous preniez connaissance de ce que vous avez à protéger. Et pour le protéger, vous devez commencer par protéger votre propre vie. (Il marqua une courte pause pour remonter ses lunettes du bout de ses doigts.) Mais je m’égare. Aujourd’hui, nous allons apprendre les significations des drapeaux. Et-...
Il s’arrêta au milieu de sa phrase alors qu’un soldat entra dans la tente.
—Je peux vous aider ? reprit-il avec un sourire.
—Monsieur, répondit le nouveau venu qui semblait essoufflé suite à une course de longue haleine. J’ai une missive pour vous.
Le soldat donna à l’instructeur un papier que ce dernier parcourut des yeux rapidement avant de relever la tête vers les jeunes recrues avec un sourire.
—Il semblerait que je sois demandé de toute urgence, expliqua-t-il toujours aussi calmement. Vous avez donc l'après-midi pour vous. Je suis fier du travail que nous avons accompli depuis ce matin. Continuez comme ça et vous serez des soldats compétents en un rien de temps.
Il les salua de la main avant de sortir de la tente, suivi par le soldat qui lui avait apporté la lettre.
Rachelle baissa la tête, légèrement déçue d’apprendre que le cours venait d’être ajourné. A quelques mètres d’elle, un jeune adolescent commença à se moquer de l’instructeur.
—Quel débile ce type ! scanda le jeune garçon. Il ne comprend rien à l’honneur, c’est un faible qui ne sait pas se battre.
Il s’agissait de Ryth’lek. Un jeune oni prometteur qui surclassait tous ses pairs aux entraînements physiques. Un véritable prodige, la plupart des instructeurs s’entendaient à dire qu’il était promis à une grande vie au sein de l’armée reikoise. Etant le plus fort du groupe de recrues auquel appartenait Rachelle, la plupart de la classe lui mangeait littéralement dans la main et comme il n’avait jamais eu le malheur de connaître la défaite lors des entraînements, il appuyait sa supériorité sur les autres en se comportant comme une véritable brute. Rachelle, qui était la dernière arrivée, s’était rapidement retrouvée être l’une de ses cibles favorites. Le fait qu’elle était la plus faible de la classe et qu’elle appartenait à une race si faible et misérable n’arrangeait en rien son cas. Heureusement, pour le moment elle n’avait pas encore eu à subir quelconque coup de la part de l’oni. Étant assez sage pour comprendre l’écart de force, Rachelle se faisait petite en la présence de ce dernier. Elle s’apprêta d’ailleurs à quitter la tente avec ses affaires quand ce dernier l’interpella.
—Et toi le rat ? T’en penses quoi ? C’est sûr que ça doit te plaire un cours ou tu finis pas étendue raide morte face contre le sol. Tu aurais dû te voir, presque sautillante à vouloir répondre à chacune des questions. Si tu tiens tant que ça à minauder, fallait prendre une autre vocation que soldate. Pourquoi tu ne prendrais pas quelque chose qui te siérait mieux ? Esclave sexuelle par exemple ? (Il prit une pause avant de reprendre dans un éclat de rire.) Oh c’est vrai, c’est pas avec ton visage de rat crevé que quelqu’un voudrait de toi.
Rachelle qui s’était rendue sur le pas de la sortie, s’arrêta net. Fixant la sortie, elle serra doucement les poings. Les brimades allaient encore, mais jamais, au grand jamais elle se laisserait traiter d’esclave une fois de plus.
—En atteste le tatouage qui me couvre le dos, expliqua-t-elle. Je suis reikoise tout autant que toi. Et par conséquent, j’ai toute ma place dans l’armée. (Elle ne put s’empêcher d’ajouter.) Et ce n’est pas de ma faute si tu es incapable de te rendre compte qu’attaquer une troupe ennemie ayant l’avantage de la hauteur est la pire des idées. Notre instructeur a pourtant passé une bonne partie de la mâtinée à nous expliquer l’intérêt de prendre en compte le terrain avant d’y déployer les troupes.
Elle leva la tête fièrement mais en l’espace de quelques instants, l’oni se jeta sur elle pour écraser ses deux poings de chaque côté de son visage avant de la projeter d’un coup de pied.
Rachelle vola hors de la tente et roula dans le sable un moment. Sa vision troublée par le coup, elle sentait ses oreilles siffler. Elle tenta de se relever, mais le jeune oni l’avait déjà rejoint pour la retenir au sol et commencer à la cogner sous les regards de la classe qui les entouraient en lâchant des cris suite au début de bagarre.
—Allez Ryth ! Montre lui !
—Explose-la !
Les cris d’encouragements, sans surprise, allaient tous à l’attention de l’oni. Rachelle tenta de se protéger le visage, mais le jeune garçon lui retint un bras pour continuer de la rouer de coups. La souris qui n’arrivait plus à retenir ses larmes, commença à se recroqueviller sur elle-même.
—Tu crois que je ne te vois pas ? lui cria l’oni. A essayer d’attirer l’attention des instructeurs ? Tu crois qu’il te suffit de jouer la gentille recrue pleine de motivation pour arriver quelque part ? Laisse-moi te donner une bonne dose de réalité vermine !
Il continua de la maltraiter quelques secondes avant de se relever et de lui asséner un violent coup de pied dans l’abdomen, ce qui arracha un cri de douleur à la souris qui s’était mise en boule contre le sable. Attendant que les attaques cessent.
—Tu sais quoi le rat ? cracha presque l’oni. Je crois que tu vas me donner ton ticket pour le tournoi. Je trouve pas ça très juste que l’instructeur t’en ai donné un. Qu’est-ce que tu as fait pour qu’il t’apprécie autant ?
Rachelle qui était en larmes sur le sol avait du mal à répondre. Son corps endolori lui donnait l’impression qu’elle ne serait plus capable de se relever.
—J-j’ai rien fait de spécial… essaya-t-elle d’expliquer dans un balbutiement presque incohérent. Il me l’a offert parce qu’il sait que je n’ai pas de famille ici et que je n’ai pas les moyens de m’acheter un ticket par moi même. Ta famille a déjà dû acheter ton ticket. (Elle grimaça et commença finalement à se relever devant l’adolescent.) J’ai promis d’aller au tournoi. Et d’apprendre en voyant les meilleurs à l’action. Je… j’en ai marre d’être derrière… Je ne veux pas te donner mon ticket. C’est le mien, on me l’a offert.
L’oni lui lança un regard noir avant de la tacler au niveau des jambes.
—Reste à terre, rat que tu es ! lui cria-t-il. Peut-être dois-je te casser quelque chose pour que tu comprennes que tu n’as pas le choix ?
Rachelle qui s’était écroulée de nouveau sur le sable le fixa un long moment. Une colère sourde s’éveilla peu à peu en elle. Elle commença à se ressasser sa rencontre avec le soldat qui lui avait fait signer ses papiers pour gagner l’identité reikoise.
—Mon visage n’a rien à faire sur le sol, et encore moins sur tes bottes, lâcha-t-elle en lui lançant un regard noir alors qu’elle se relevait de nouveau tandis que son corps lui criait de rester au sol. Je suis reikoise ! J-je ne me soumettrai jamais à une petite brute cornue tout juste bonne à voler et dénigrer autrui !
L’oni recula tout d’abord d’un pas avant de la cogner au visage d’un coup, la renvoyant contre le sol.
—Ne joue pas avec mes nerfs, tu n’es qu’un sale rat d’égout. Regarde-toi. Déjà adulte et tu te fais massacrer par n’importe lequel d’entre nous. D’ici une trentaine d’années tu seras déjà bonne pour la tombe. Franchement, tu es juste ridicule. Les sous-races dans ton genre feraient mieux de rester au sol. Telles les larves que vous êtes !
Autour, l'assemblée retenait son souffle. Ryth’lek tentait de garder l’ascendant, mais c’était la première fois que quelqu’un osait lui tenir tête ouvertement. Et l’oni, surpris, ne savait pas vraiment comment réagir.
Rachelle cracha sur le sol le sang qui s’était accumulé entre ses dents et fît un effort colossal pour se retrouver sur ses deux pattes arrières. Elle se sentait au plus mal, mais sa fierté reikoise l’empêchait de courber l’échine.
—Les poules auront des dents le jour où je me coucherai à tes pieds, lui dit-elle avec le peu de force dont elle était capable. Et je n’ai pas besoin de trente ans pour prouver au Reike mes capacités. Un jour, le roi lui même reconnaîtra ma valeur ! Et quand ce jour arrivera, le sale rat d’égout se fera un plaisir de te rappeler ta place.
Elle le toisa d’un regard plein de rancœur, mais également de détermination. L’oni, qui en perdait les mots, se contenta de la frapper de nouveau pour la renvoyer au sol. Rachelle se releva de nouveau. Trop faible pour répliquer, elle peinait déjà à rester debout. Mais elle ne perdrait pas ce combat. Pas après sa promesse envers le Reike.
Le garçon la frappa, encore et encore. La renvoyant inlassablement au sol. Pourtant, la frêle souris continuait de se relever alors que son regard s’intensifiait à chaque coup.
Le garçon finit par balbutier un peu.
—Pourquoi tu te relèves ? Tu ne comprends pas que ça ne sert à rien ?
Rachelle esquissa un léger sourire.
—Parce qu’un véritable habitant du Reike se relève toujours, lâcha-t-elle complètement exténuée. Mon honneur de reikoise est en jeu. Je ne te laisserai pas me le prendre. Tout comme mon ticket.
Quelques chuchotements commençaient à se faire entendre parmi les apprentis soldats. Certains commençaient à trouver l’oni ridicule à s’énerver de la sorte et beaucoup saluaient le courage de la souris.
Finalement, l’oni la toisa du regard.
—Vu que tu sembles tant que ça à déblatérer sur l’honneur, commença t-il en serrant le poing. Je te défi. Demain soir à la tombée de la nuit. Ici même. Si je gagne, tu me files ta place pour le tournoi. Et je veux voir ta langue crasseuse nettoyer mes bottes. Tu ne vas pas refuser un défi tout de même ? A moins que tu ne souhaites partir la queue entre les jambes. Remarque, ce serait attendu de la part d’une hybride.
Rachelle hésita quelques secondes avant de le fixer de nouveau dans les yeux. C’était fourbe de sa part, mais malin. Si elle faisait marche arrière après tout ce qu’elle venait de dire, ce combat idéologique où elle avait passé son temps à se relever n’aurait eu aucune valeur. Elle serra les poings fermement, tremblant un long moment avant de lui lancer un regard assassin.
—Puisse les astres en être témoins, lui invectiva-t-elle. Demain soir je te ferai ravaler tes paroles ! Si je gagne, je veux que tu me présente tes excuses les plus sincères. Devant tous nos camarades.
—Ca me va, répondit-il en lui assénant un dernier coup pour la renvoyer au sol avant de commencer à partir. Te défile pas petit rat. Je ne serais pas tendre avec toi !
Peu à peu, le reste du groupe s’en alla. Suivant l’oni et laissant Rachelle sur le dos dans le sable chaud alors qu’elle fixait le ciel sans émotion. Elle commençait à comprendre que les jolis mots plein de détermination n’étaient rien s’ils n’étaient pas accompagnés d’actions à leur hauteur. Elle avait un peu plus de vingt-quatre heures pour trouver un moyen de défaire le jeune oni en combat singulier. Ce qui était loin d’être gagné pour la retardataire qu’elle était. Elle n’avait jamais gagné le moindre duel d’entraînement, alors se mesurer à la recrue la plus performante…
Elle soupira longuement avant de cracher de nouveau un peu de sang. Trop faible pour bouger, elle cligna légèrement des yeux. Se sentant s’endormir, elle tenta de grommeler un peu pour appeler à l’aide, mais à cette heure-là, il n’y avait plus personne sur le terrain d’entraînement. Du moins en temps normal.
La souris se sentit peu à peu basculer dans le royaume des songes, épuisée.
—Lors des grandes batailles, il est primordial que vous puissiez rapidement reconnaître les différentes formations à adopter, expliquait le formateur en stratégie militaire. Vous vous demandez certainement comment dans le chaos ambiant, nous serions capable d’entendre les ordres de nos supérieurs ? Eh bien nous avons plusieurs méthodes pour arriver à nos fins. Avez-vous des idées ?
L’homme en question parlait d’une voix réellement douce qui allait de pair avec sa tenue et sa posture légèrement décontractée. Autrefois soldat, il s’était tourné vers une vocation qui l’inspirait bien plus. La formation des plus jeunes sur le plan stratégique. Contrairement à l’autre instructeur qui s’occupait également du groupe de Rachelle, ce dernier était bien plus pédagogue et patient que l’autre.
La petite souris aimait bien les enseignements de cet instructeur. Elle avait l’impression de comprendre assez facilement les explications et se sentait bien plus douée que lors des entraînements d’endurance ou de combat. Enjouée, elle leva la main pour répondre.
—J’ai vu certains s’entraîner avec des drapeaux, expliqua-t-elle avec un sourire.
—Bien vu mademoiselle Virsce. Effectivement, il arrive que nous utilisions des drapeaux. Parfois, nous avons de puissants télépathes capables de faire parvenir les ordres à toutes les troupes rapidement. Néanmoins, nous essayons de ne pas trop nous reposer dessus. Imaginez que des mages ennemis parviennent à débusquer nos communications ou à les pervertir ? Ils pourraient nous cueillir aisément. C’est pour cela que nous avons mis au point plusieurs méthodes qu’il vous sera primordiale de retenir. Notamment au sujet des drapeaux. Selon comment ils seront levés et agités, vous aurez à changer de formation, changer de cible ou même prendre la retraite. Bien que fuir ne soit pas l’acte le plus noble, il convient parfois de mettre sa fierté de côté pour se battre un autre jour. Sachez que vous défendez le Reike, c’est important que vous preniez connaissance de ce que vous avez à protéger. Et pour le protéger, vous devez commencer par protéger votre propre vie. (Il marqua une courte pause pour remonter ses lunettes du bout de ses doigts.) Mais je m’égare. Aujourd’hui, nous allons apprendre les significations des drapeaux. Et-...
Il s’arrêta au milieu de sa phrase alors qu’un soldat entra dans la tente.
—Je peux vous aider ? reprit-il avec un sourire.
—Monsieur, répondit le nouveau venu qui semblait essoufflé suite à une course de longue haleine. J’ai une missive pour vous.
Le soldat donna à l’instructeur un papier que ce dernier parcourut des yeux rapidement avant de relever la tête vers les jeunes recrues avec un sourire.
—Il semblerait que je sois demandé de toute urgence, expliqua-t-il toujours aussi calmement. Vous avez donc l'après-midi pour vous. Je suis fier du travail que nous avons accompli depuis ce matin. Continuez comme ça et vous serez des soldats compétents en un rien de temps.
Il les salua de la main avant de sortir de la tente, suivi par le soldat qui lui avait apporté la lettre.
Rachelle baissa la tête, légèrement déçue d’apprendre que le cours venait d’être ajourné. A quelques mètres d’elle, un jeune adolescent commença à se moquer de l’instructeur.
—Quel débile ce type ! scanda le jeune garçon. Il ne comprend rien à l’honneur, c’est un faible qui ne sait pas se battre.
Il s’agissait de Ryth’lek. Un jeune oni prometteur qui surclassait tous ses pairs aux entraînements physiques. Un véritable prodige, la plupart des instructeurs s’entendaient à dire qu’il était promis à une grande vie au sein de l’armée reikoise. Etant le plus fort du groupe de recrues auquel appartenait Rachelle, la plupart de la classe lui mangeait littéralement dans la main et comme il n’avait jamais eu le malheur de connaître la défaite lors des entraînements, il appuyait sa supériorité sur les autres en se comportant comme une véritable brute. Rachelle, qui était la dernière arrivée, s’était rapidement retrouvée être l’une de ses cibles favorites. Le fait qu’elle était la plus faible de la classe et qu’elle appartenait à une race si faible et misérable n’arrangeait en rien son cas. Heureusement, pour le moment elle n’avait pas encore eu à subir quelconque coup de la part de l’oni. Étant assez sage pour comprendre l’écart de force, Rachelle se faisait petite en la présence de ce dernier. Elle s’apprêta d’ailleurs à quitter la tente avec ses affaires quand ce dernier l’interpella.
—Et toi le rat ? T’en penses quoi ? C’est sûr que ça doit te plaire un cours ou tu finis pas étendue raide morte face contre le sol. Tu aurais dû te voir, presque sautillante à vouloir répondre à chacune des questions. Si tu tiens tant que ça à minauder, fallait prendre une autre vocation que soldate. Pourquoi tu ne prendrais pas quelque chose qui te siérait mieux ? Esclave sexuelle par exemple ? (Il prit une pause avant de reprendre dans un éclat de rire.) Oh c’est vrai, c’est pas avec ton visage de rat crevé que quelqu’un voudrait de toi.
Rachelle qui s’était rendue sur le pas de la sortie, s’arrêta net. Fixant la sortie, elle serra doucement les poings. Les brimades allaient encore, mais jamais, au grand jamais elle se laisserait traiter d’esclave une fois de plus.
—En atteste le tatouage qui me couvre le dos, expliqua-t-elle. Je suis reikoise tout autant que toi. Et par conséquent, j’ai toute ma place dans l’armée. (Elle ne put s’empêcher d’ajouter.) Et ce n’est pas de ma faute si tu es incapable de te rendre compte qu’attaquer une troupe ennemie ayant l’avantage de la hauteur est la pire des idées. Notre instructeur a pourtant passé une bonne partie de la mâtinée à nous expliquer l’intérêt de prendre en compte le terrain avant d’y déployer les troupes.
Elle leva la tête fièrement mais en l’espace de quelques instants, l’oni se jeta sur elle pour écraser ses deux poings de chaque côté de son visage avant de la projeter d’un coup de pied.
Rachelle vola hors de la tente et roula dans le sable un moment. Sa vision troublée par le coup, elle sentait ses oreilles siffler. Elle tenta de se relever, mais le jeune oni l’avait déjà rejoint pour la retenir au sol et commencer à la cogner sous les regards de la classe qui les entouraient en lâchant des cris suite au début de bagarre.
—Allez Ryth ! Montre lui !
—Explose-la !
Les cris d’encouragements, sans surprise, allaient tous à l’attention de l’oni. Rachelle tenta de se protéger le visage, mais le jeune garçon lui retint un bras pour continuer de la rouer de coups. La souris qui n’arrivait plus à retenir ses larmes, commença à se recroqueviller sur elle-même.
—Tu crois que je ne te vois pas ? lui cria l’oni. A essayer d’attirer l’attention des instructeurs ? Tu crois qu’il te suffit de jouer la gentille recrue pleine de motivation pour arriver quelque part ? Laisse-moi te donner une bonne dose de réalité vermine !
Il continua de la maltraiter quelques secondes avant de se relever et de lui asséner un violent coup de pied dans l’abdomen, ce qui arracha un cri de douleur à la souris qui s’était mise en boule contre le sable. Attendant que les attaques cessent.
—Tu sais quoi le rat ? cracha presque l’oni. Je crois que tu vas me donner ton ticket pour le tournoi. Je trouve pas ça très juste que l’instructeur t’en ai donné un. Qu’est-ce que tu as fait pour qu’il t’apprécie autant ?
Rachelle qui était en larmes sur le sol avait du mal à répondre. Son corps endolori lui donnait l’impression qu’elle ne serait plus capable de se relever.
—J-j’ai rien fait de spécial… essaya-t-elle d’expliquer dans un balbutiement presque incohérent. Il me l’a offert parce qu’il sait que je n’ai pas de famille ici et que je n’ai pas les moyens de m’acheter un ticket par moi même. Ta famille a déjà dû acheter ton ticket. (Elle grimaça et commença finalement à se relever devant l’adolescent.) J’ai promis d’aller au tournoi. Et d’apprendre en voyant les meilleurs à l’action. Je… j’en ai marre d’être derrière… Je ne veux pas te donner mon ticket. C’est le mien, on me l’a offert.
L’oni lui lança un regard noir avant de la tacler au niveau des jambes.
—Reste à terre, rat que tu es ! lui cria-t-il. Peut-être dois-je te casser quelque chose pour que tu comprennes que tu n’as pas le choix ?
Rachelle qui s’était écroulée de nouveau sur le sable le fixa un long moment. Une colère sourde s’éveilla peu à peu en elle. Elle commença à se ressasser sa rencontre avec le soldat qui lui avait fait signer ses papiers pour gagner l’identité reikoise.
—Mon visage n’a rien à faire sur le sol, et encore moins sur tes bottes, lâcha-t-elle en lui lançant un regard noir alors qu’elle se relevait de nouveau tandis que son corps lui criait de rester au sol. Je suis reikoise ! J-je ne me soumettrai jamais à une petite brute cornue tout juste bonne à voler et dénigrer autrui !
L’oni recula tout d’abord d’un pas avant de la cogner au visage d’un coup, la renvoyant contre le sol.
—Ne joue pas avec mes nerfs, tu n’es qu’un sale rat d’égout. Regarde-toi. Déjà adulte et tu te fais massacrer par n’importe lequel d’entre nous. D’ici une trentaine d’années tu seras déjà bonne pour la tombe. Franchement, tu es juste ridicule. Les sous-races dans ton genre feraient mieux de rester au sol. Telles les larves que vous êtes !
Autour, l'assemblée retenait son souffle. Ryth’lek tentait de garder l’ascendant, mais c’était la première fois que quelqu’un osait lui tenir tête ouvertement. Et l’oni, surpris, ne savait pas vraiment comment réagir.
Rachelle cracha sur le sol le sang qui s’était accumulé entre ses dents et fît un effort colossal pour se retrouver sur ses deux pattes arrières. Elle se sentait au plus mal, mais sa fierté reikoise l’empêchait de courber l’échine.
—Les poules auront des dents le jour où je me coucherai à tes pieds, lui dit-elle avec le peu de force dont elle était capable. Et je n’ai pas besoin de trente ans pour prouver au Reike mes capacités. Un jour, le roi lui même reconnaîtra ma valeur ! Et quand ce jour arrivera, le sale rat d’égout se fera un plaisir de te rappeler ta place.
Elle le toisa d’un regard plein de rancœur, mais également de détermination. L’oni, qui en perdait les mots, se contenta de la frapper de nouveau pour la renvoyer au sol. Rachelle se releva de nouveau. Trop faible pour répliquer, elle peinait déjà à rester debout. Mais elle ne perdrait pas ce combat. Pas après sa promesse envers le Reike.
Le garçon la frappa, encore et encore. La renvoyant inlassablement au sol. Pourtant, la frêle souris continuait de se relever alors que son regard s’intensifiait à chaque coup.
Le garçon finit par balbutier un peu.
—Pourquoi tu te relèves ? Tu ne comprends pas que ça ne sert à rien ?
Rachelle esquissa un léger sourire.
—Parce qu’un véritable habitant du Reike se relève toujours, lâcha-t-elle complètement exténuée. Mon honneur de reikoise est en jeu. Je ne te laisserai pas me le prendre. Tout comme mon ticket.
Quelques chuchotements commençaient à se faire entendre parmi les apprentis soldats. Certains commençaient à trouver l’oni ridicule à s’énerver de la sorte et beaucoup saluaient le courage de la souris.
Finalement, l’oni la toisa du regard.
—Vu que tu sembles tant que ça à déblatérer sur l’honneur, commença t-il en serrant le poing. Je te défi. Demain soir à la tombée de la nuit. Ici même. Si je gagne, tu me files ta place pour le tournoi. Et je veux voir ta langue crasseuse nettoyer mes bottes. Tu ne vas pas refuser un défi tout de même ? A moins que tu ne souhaites partir la queue entre les jambes. Remarque, ce serait attendu de la part d’une hybride.
Rachelle hésita quelques secondes avant de le fixer de nouveau dans les yeux. C’était fourbe de sa part, mais malin. Si elle faisait marche arrière après tout ce qu’elle venait de dire, ce combat idéologique où elle avait passé son temps à se relever n’aurait eu aucune valeur. Elle serra les poings fermement, tremblant un long moment avant de lui lancer un regard assassin.
—Puisse les astres en être témoins, lui invectiva-t-elle. Demain soir je te ferai ravaler tes paroles ! Si je gagne, je veux que tu me présente tes excuses les plus sincères. Devant tous nos camarades.
—Ca me va, répondit-il en lui assénant un dernier coup pour la renvoyer au sol avant de commencer à partir. Te défile pas petit rat. Je ne serais pas tendre avec toi !
Peu à peu, le reste du groupe s’en alla. Suivant l’oni et laissant Rachelle sur le dos dans le sable chaud alors qu’elle fixait le ciel sans émotion. Elle commençait à comprendre que les jolis mots plein de détermination n’étaient rien s’ils n’étaient pas accompagnés d’actions à leur hauteur. Elle avait un peu plus de vingt-quatre heures pour trouver un moyen de défaire le jeune oni en combat singulier. Ce qui était loin d’être gagné pour la retardataire qu’elle était. Elle n’avait jamais gagné le moindre duel d’entraînement, alors se mesurer à la recrue la plus performante…
Elle soupira longuement avant de cracher de nouveau un peu de sang. Trop faible pour bouger, elle cligna légèrement des yeux. Se sentant s’endormir, elle tenta de grommeler un peu pour appeler à l’aide, mais à cette heure-là, il n’y avait plus personne sur le terrain d’entraînement. Du moins en temps normal.
La souris se sentit peu à peu basculer dans le royaume des songes, épuisée.