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Le rire joyeux qui s’éleva dans les jardins de la Haute Cathédrale fut ce qui tira Amren de ses pensées. La nonne redressa la tête en direction des éclats cristallins d’une jeune femme quelques mètres plus loin du petit banc de pierre sur lequel elle lisait son livre. Un bouquin hérité de son oncle, qu’elle avait déjà relu des centaines de fois, à défaut de pouvoir accéder à des ouvrages plus distrayants.
« Spiritualité et Divinisme ». Un bouquin dans lequel elle constatait à chaque page qu’elle ne pourra jamais réellement être digne de sa foi, ou de ce qu’on attendait d’elle. La nonne avait songé à plusieurs reprises à balancer le chiffon de papier dans la fontaine qui résidait au centre des jardins.
Les éclats de rire de la femme furent bientôt accompagnés de ceux de l’homme à ses côtés. Elle devait avoir quelques années de plus seulement qu’Amren. À travers son voile, la nonne se permit de s’attarder un peu plus longtemps dans la contemplation du couple qui lui faisait face. Le voile avait parfois ses avantages. Comme vous permettre d’épier les autres sans qu’ils ne le réalisent. Une chevelure d’or, cascadant sur ses épaules, venant magnifier le tissu soyeux de la robe qu’elle portait. L’homme, lui, était tout aussi séduisant dans un costume taillé à la perfection. Mais ce qui interpella d’abord Amren n’était ni l’apparence du couple, ni la qualité des vêtements qu’ils portaient. C’était le dynamisme entre eux, qui clamait une chose à tous ceux qui osaient poser les yeux sur eux : ils s’aimaient. C’était une évidence, une certitude qu’on pouvait lire dans leurs regards, dans les gestes affectueux qu’ils échangeaient à de multiples reprises, comme si les émotions qui irradiaient d’eux n’avaient pas été suffisantes.
Amren laissa ses sens s’étendre jusqu’à eux. Un sourire satisfait trouva son minois, derrière le tissu blanc. Elle ne s’était pas trompée. L’élan d’amour qui émanait de chacun d’eux était presque insupportable. La rousse rappela ses sens aussitôt, non car elle venait de faire quelque chose que son oncle lui interdisait formellement, non car c’était inapproprié de lire les émotions des autres sans qu’ils ne lui permettent ou même qu’ils le sachant, mais parce que la pointe de jalousie qui naissait dans ses pensées n’aurait fait qu’amplifier si elle laissait son don s’aventurer un peu plus.
Et malgré tout, ce fut ce qu’elle ressentie. Jalousie, et culpabilité. Injustice.
Ses sourcils se froncèrent alors qu’elle réalisait avec amertume que c’était quelque chose qu’elle n’aurait jamais la chance d’expérimenter.
Comme tous ceux qui avaient décidé d’offrir leur vie aux Divins.
Sous son voile, elle secoua lentement la tête. C’était dangereux de penser de cette manière. Elle le savait que trop bien. Certes, elle devrait confesser ses pensées à son oncle, qui ne manquerait pas de faire les remontrances appropriées, mais surtout, car cela ne servait à rien de penser à quelque chose qui n’était pas fait pour vous. Mis à part faire grandir la frustration un peu plus encore. Un long soupire s’échappa de ses lèvres, alors qu’elle tentait de décrocher son regard du couple. L’homme venait de passer un bras autour de sa compagne, et les joues de la jeune femme s’étaient doucement colorées lorsqu’il avait approché son visage du sien.
Tout à coup, le petit bouquin avait perdu toutes miettes d’intérêt qui lui restait.
A vrai dire, elle était tellement absorbée par ce qui se déroulait devant elle, elle ne remarqua pas les pas qui s'approchaient à ses côtés...