A quand remonte la dernière fois que j’ai ressenti cela ? Ce frisson du combat, c’était quand la dernière fois ? Je ne me souviens même plus. Est-ce que ça me manque ? Oui. Oui, ça me manque. C’est drôle comme le destin fonctionne.
Pendant tous ces millénaires, je n’avais aucune idée que ce que je faisais ici, ce n’était que de tomber dans mon propre piège. Je suis un monstre et cette fédération est devenue ma cage. Ce combat, ce frisson, n’était qu’un aperçu de la liberté que j’ai eue par le passé.
Devrai-je me libérer de cette geôle ? Devrai-je en briser les murs ? Je pensais que pendant des millénaires, je les préparais à une nouvelle guerre. Mais, ils sont à l’image de leur monarque, Seagan, ils ne seront jamais prêts.
Non...cette fédération n’est pas une prison...ce n’est juste qu’une cellule d’un bâtiment bien plus grand et je ferai exploser cette putain de bâtisse…

Le poing de Gunnhildr se serra fortement, alors qu’elle grogna sous la douleur. Visiblement, la jeune nonne infirmière qui s’occupait de ses blessures avait été un peu trop rapide pour retirer un pensement. Oui, Gunnhildr se faisait soigner à l’ancienne.
Il fallait dire que les blessures infligées par Seagan, étaient importantes. Personne ne savait vraiment non plus comment soigner la liche. Devaient-ils utiliser des sorts de soin classique ? Oui, mais dans ce cas, de quelle magie ? Lumière à nouveau au risque de la blesser encore plus ? Du feu ? Pourquoi pas de la glace ? Peut-être de l’ombre ? Mais qui possède une magie de soin de l’ombre ? Trop de questions, alors en attendant de trouver des réponses, la régente se faisait soigner sans magie.

Le silence s’était installé dans la pièce dès le début des soins, mais la tension n’avait jamais été aussi grande. La jeune infirmière n’osait plus rien faire et la liche la fixait dans le reflet du miroir. Ce n’était pas la première fois que l’ancienne valkyrie se faisait soigner de cette manière et ce n’était pas la première fois qu’elle souffrait pendant une opération du genre. C’était une réaction normale, mais visiblement celle-ci faisait perdre tous ses moyens à l’infirmière. Un monstre.
Oui, Gunnhildr était un monstre. Un monstre de puissance. Un monstre de terreur. Et c’était cette terreur qui paralysait la jeune humaine. Elle pâlissait à mesure que les secondes s’écoulaient. Malgré la fraîcheur de la pièce, elle commençait à suer. Elle se mettait même à suffoquer alors que les fenêtres étaient ouvertes.

- Vous devriez partir.

Ordonna Gunnhildr avant que l’humaine ne s’effondre derrière elle. Prise de panique, elle quitta la pièce en oubliant les gestes basiques de l’étiquette. La morte-vivante s’observa dans le miroir pendant quelques instants. Très bien, je vais le faire moi-même.
Puis, elle se saisit des quelques outils qui étaient là pour commencer à se soigner elle-même, commençant par l'arrière de l'épaule. Ce n’était pas évident à faire, seule, mais elle y arriverait.

Petite musique ?:

Evidemment que ce n’était pas évident toute seule. C’est pour ça qu’il y avait une infirmière. C’est pour ça que c’était quelqu’un d’autre qui s’occupait de faire les soins. Un peu plus à droite, un peu plus à gauche. Non, elle a raté le bout de peau avec la pince. Est-ce que c’est coupé assez ? Elle ne voyait rien, ou presque. Il lui faudrait une paire d’yeux en plus dans le dos pour y arriver toute seule.
Gunnhildr était finalement surprise par des mains de porcelaine. Elle jeta alors un regard dans le miroir et observa la personne qui se trouvait dans son dos. Sa première réaction, n’était pas d’apprécier cette aide, mais au contraire de la repousser.

- Je...peux...le faire seule…

Disait-elle tout en essayant de faire ses propres soins. Mais pouvait-elle réellement le faire seule ? Vu l’allure que ça prenait : non. Voyant que la personne ne bougeait toujours pas, elle reprit ses propos.

- Je ne vous en tiendrais pas rigueur...si vous partiez maintenant.

Si elle n’en tiendrait pas rigueur, pourquoi ne pas lui dire de partir clairement ? Même un œil non averti pouvait voir que ce que faisait la régente était ni fait, ni à faire. Les soins qu’elle se prodiguait, étaient à l’image de ceux que se faisaient les soldats sur les champs de bataille. Tout était fait dans la précipitation, le but n’était pas de soigner, mais de faire survivre la personne suffisamment longtemps jusqu’à ce que le soigneur compétent n’arrive.
Mais pouvait-on en attendre plus de Gunnhildr ? C’était déjà quelque peu honorable qu’elle sache faire les soins basiques. Ce n’était pas le cas de tout le monde, surtout dans un monde où la magie facilitait bien des choses. L’ancienne valkyrie n’était pas comme tout le monde, justement.
Elle, qui avait vécu tant de missions. Elle, qui avait dû compter que sur elle-même pendant des jours. Elle, qui avait tant combattu. Bordel. Finalement, elle s'avoua vaincue sur ce terrain.

- Très bien. Terminez les soins.

La régente reposa les quelques outils qu’elle avait empruntés sur le plateau en métal qui se trouvait non loin d’elles. Puis, elle observa celle qui était encore là et qui n’avait encore prononcé un seul mot. Du tissu. Un voile. Qui êtes-vous ?
Pas de visage. Pas de voix. Pouvait-elle seulement penser ? Qui était-elle ? Magiquement ? Gunnhildr ne ressentait presque rien qui émanait de cette personne. Et, à bien y réfléchir, elle n’avait pas remarqué sa présence jusqu’à ce qu’elle ne la touche. Pas de visage, pas de voix, pas de présence. Personne. Elle n'était personne.

- Vous devez retirer les peaux mortes, avant de mettre un bandage.

L’arrêta-t-elle en voyant qu’elle s’apprêtait à simplement changer un bandage un peu trop vieux. Parler de peaux mortes était-il ironique avec une liche ? Non, bien sûr que non. D’un certain point de vue, la peau de Gunnhildr était toujours vivante, car il y avait toujours de la magie qui s’y trouvait. Cette magie qui parcourait son corps aux travers des nombreuses veines plus ou moins bleutées par endroit.
Plus elle observait cette personne et plus Gunnhildr détestait les religieux. C’était eux qui l'avaient rendue ainsi. C’était eux qui l’emprisonnaient sous tout ce tissu. C’était eux qui la réifiaient jusqu’au plus profond de son être. C’était vous.
Et cette personne était si intrigante aux yeux de la liche. Entre deux grognements, elle interrogea :

- Qui êtes-vous ?

Une simple question qui n’attendait pas une simple réponse.

Petite musique ?:

- N'essayez même pas.

Avait-elle répondu avec véhémence dans l'instant où la none avait terminé sa phrase. Pour la première fois également, Gunnhildr n'utilisait pas le miroir pour regarder celle qui la soignait, elle s'était partiellement retournée pour la fixer du regard. Malgré la présence du voile d'Amren et des ombres ambiantes, la liche donnait la pression de croiser son regard sans aucun problème. Elle avait ce regard perçant et malsain.
L'ambiance était devenue extrêmement pesante en quelques instants. La régente finit par reprendre sa position, faisant légèrement redescendre la pression, bien qu'il semblait qu'un nouveau départ de feu était tout à fait possible à n'importe quel moment.

Seul le bruit des outils qu'utilisait Amren et sa respiration rythmèrent les soins pendant de longues minutes. Et puis, Gunnhildr reprit la parole :

- De la poussière. Tout a le gout de poussière désormais. Je n'ai pas besoin de respirer, de manger, boire ou dormir. Aimer. Détester. Et tous les autres sentiments, ils ne sont que des réactions chimiques. Contrairement à ce que beaucoup pensent, je les comprends parfaitement, bien que je ne les ressente pas...

La régente s'était subitement arrêtée de parler. L'infirmière de fortune s'était attaquée à un épais morceau de peau et la douleur était vive. Elle se contenta de serrer la mâchoire et ainsi que les draps à l'aide d'une main. Lorsque la découpe fut terminée, elle reprit :

- La douleur. C'est tout ce qu'il me reste pour me sentir vivante. Elle leva à nouveau les yeux à travers le miroir pour la regarder Pour autant, je ne suis pas en quête de celle-ci. Je ne la nie tout simplement pas.

Pourquoi lui expliqua-t-elle tout cela ? Probablement parce qu'à part son nom, elle ne savait rien d'elle et ne voyait rien d'elle non plus. En dehors de ses gestes, c'était comme si la jeune none n'était pas présente. Alors pour Gunnhildr, c'était comme si elle était seule et elle avait presque le sentiment de parler à elle-même, à voix haute.

- Mais je doute que cela fasse sens pour vous, n'est-ce pas ?

Cela faisait des millénaires que l'ancienne valkyrie s'était habituée à cette vie. Si au début, le changement était difficile et elle espérait plus que tout pouvoir mourir réellement, au fil des millénaires elle trouvait que cette magie plus une bénédiction qu'autre chose.
D'abord, parce qu'un jour elle pourrait lui permettre de se venger de ce qu'elle avait subit. C'était une première chose et si c'était la plus importante au début, très vite elle fut reléguer au second plan. La réalité, c'était que l'absence de ce qui faisait d'un être, un être vivant, permettait à Gunnhildr de prendre des décisions dans la plus froide logique, sans aucune considération. Par exemple, Seagan ne pourrait jamais comprendre cela ca il n'était jamais mort et qu'il n'avait jamais expérimenté l'absence de tout ce qui était significatif dans la vie. Mais Amren, le comprendrait-elle ? Elle qui était emprisonnée sous ce voile par décision d'autrui.

Petite musique ?:

Les mots de la nonne résonnèrent dans la chambre de la Régente. A sa question, il n’y eut pendant un temps que le silence pour seule réponse. Quel était l’intérêt de vivre une telle vie ? Gunnhildr se l’était posée à une lointaine époque, cette question. Et pendant ce silence, l’on était en droit de se demander si Amren avait réellement prononcé ces quelques mots ou si elle avait simplement pensé trop fort.
Depuis ce moment-là, il y a une dizaine de millénaires, la liche ne faisait plus référence à son passé comme à sa vie, mais plutôt à son existence. Car à bien y réfléchir, sa vie n’était pas la partie la plus captivante de son existence.

- Tout le monde aurait une réponse différente à votre question.

Finalement, la jeune infirmière improvisée avait réellement posé sa question. Demandait-elle réellement une réponse de la part de l’ancienne valkyrie ? Difficile de deviner quelles couleurs pouvaient bien se cacher sous ce voile.
La Régente des Ombres, poursuivie la réflexion à haute voix :

- Je suppose que ceux de mon genre diraient que la vie n’a pas de sens et que c’est dans la mort que nous sommes vraiment mis à l’épreuve. Pour autant, voulez-vous mourir Amren Belfor ? J’en doute fort.
L’amoureux transi vous dira qu’aimer est ce qu’il y a de plus beau. Là où la veuve esseulée vous dirait qu’elle aurait préféré ne jamais aimer.
Quant au désespoir et à l’espoir ? Les deux vont toujours de pair. L’espoir apporte irrémédiablement le désespoir et inversement. C’est comme une roue qui tourne sans cesse et dont l’ivresse entraîne bien souvent la folie dans son sillage.

Gunnhildr manipula les ombres pour épaissir son reflet dans le miroir. Quelques instants plus tard, il ne restait plus que celui de la jeune croyante dans la glace, celui de la Régente avait complètement disparu ou presque, l'on pouvait toujours apercevoir parfois le bleu livide de ses yeux. Tel des saphirs, ils arrivaient à percer les ombres. Le montre qu'elle était, continuait d'observer depuis les ténèbres.

- La vie n’a d’intérêt que celui qu’on lui donne. Certains se satisfont du nécessaire, là où d’autres en veulent toujours plus. Plus de richesses. Plus de connaissances. Plus de conquêtes. Plus de contrôles.

Elle manipula à nouveau les ombres pour relever le visage de la nonne et qu’elle se regarde dans la glace et elle interrogea dans une voix qui semblait lointaine, comme si elle avait quitté la pièce :

- Mais vous, Amren Belfor, what is it you truly desire ?

Gunnhildr sentait que sous cet accoutrement immaculé se cachait une noirceur. Elle entendait bien, sous couvert de quelques artifices, faire en sorte que la jeune nonne libère sa parole. Qu’avait-elle à y gagner ? Probablement rien, si ce n’est la satisfaction de pousser le premier domino, du moins pour l'instant.

Je ne sais juste pas par où commencer.

La régente écouta religieusement la nonne s’exprimer. Plus les soins duraient, plus elles échangeaient et plus elle voyait dans cette jeune femme un potentiel. Ce qui se voulait n'être seulement qu'un passe-temps quelques instants plus tôt, semblait se transformer en intérêt.
Elle était discrète. Elle était hésitante pour l’instant, mais elle avait tout pour devenir force de caractère. Elle avait du sang sur les mains et elle n’en avait pas peur. Gunnhildr découvrait un diamant brut qu’elle comptait bien travailler afin d’en faire une magnifique pierre précieuse.

La liche entendit ce soupir. Elle comptait bien y répondre. Mais comment ne pas effrayer ce petit oiseau ? Il fallait continuer avec précaution et avant que le silence ne s’installa de trop, elle répondit à cette lamentation :

- Vous êtes bien plus forte que ce vous pensez, très chère.

L’ancienne valkyrie continuait de la fixer du regard dans le miroir. Le sang que la nonne avait laissé sur la glace, celui de Gunnhildr, donnait cette impression qu’il était directement sur le visage de la religieuse, tant il était bien placé sur le reflet.
Etrangement, il ne gâchait en rien l’image de l’infirmière de fortune, il semblait au contraire la sublimer. Était-ce un aperçu de ce qu’elle deviendrait plus tard si elle empruntait le chemin sur lequel Gunnhildr semblait la placer ? L’avenir nous le dira, mais pour l’heure, elle était toujours immaculée de blanc.

Les soins continuèrent encore pendant quelques minutes et arrivèrent enfin à leurs termes. Les deux femmes ne dirent plus un mot, mais la régente savait que c’était enfin terminé. Elle manipula à nouveau les ombres ambiantes, cette fois ce n’était pas pour épaissir son reflet. La pièce s’illumina petit à petit, alors que le haut de la tenue de de Gunnhildr se formait à nouveau. Elle quitta son lit et fit un signe de tête à Amren pour la remercier de son travail en ce jour.
Néanmoins, alors que la jeune nonne était sur le point d’ouvrir la porte et de quitter la pièce, elle fut interpellée par la morte-vivante qui s’approcha d’elle. Elle lui saisit les mains et déposa un objet métallique dans celles-ci. Une paire de ciseau, encore tachetée de son sang. Et de plus, Gunnhildr baissait légèrement la tête pour croiser son regard, quelque chose d'assez rare pour être mentionné.

- Commencez par briser vos chaines et ma porte vous sera grande ouverte.

Par où elle devait commencer avait-elle demandé ? Gunnhildr venait de lui répondre.