Accoudée sur le comptoir d’un bar à ciel ouvert, Rachelle sirotait tranquillement un verre de jus de cactus en laissant son regard voguer au gré des passants. Voilà quelques heures qu’elle était enfin revenue au sein de la glorieuse Ikusa, capitale reikoise qui était devenue depuis quelques mois son milieu de vie. Ses vacances à Kyouji avaient renforcé son envie d’appartenance au Reike et avaient consolidé son besoin de consacrer sa vie à la nation du désert.
Bientôt, la souris devrait déménager à Taisen pour continuer son entraînement et bien qu’elle se voyait attristée de quitter la capitale, elle ne pouvait s’empêcher de crépitement d’impatience à l’idée de découvrir une nouvelle facette du Reike tout en en profitant pour laisser son entraînement de soldat passer à la vitesse supérieure.
Evidemment, pour le moment il n’y avait aucune date concrète mais la souris qui commençait à prendre confiance en elle savait que ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’elle ne soit jetée avec des apprentis soldats adultes. Elle ferait ses premières missions officielles et rejoindrait peut-être même une escouade. Tant de possibilités qui faisaient rêver l’hybride. Peut-être même un jour serait-elle considérée comme une héroïne par le peuple, ce qui était probablement son vœu le plus cher.
Ses compétences en lecture grandissantes de jour en jour, la souris avait pu apprendre bon nombre d’informations importantes quant à la hiérarchie au sein de ce royaume, si cher à ses yeux. Elle ne savait pas jusqu'où sa frêle carcasse pourrait la porter, elle était néanmoins certaine que sa volonté n’aurait de cesse de la pousser à fournir toujours plus d’effort tant qu’il y aura des échelons à gravir.
Alors que Rachelle se retourna pour demander un second verre, un cri retint son attention. Par réflexe, Rachelle se retourna en déposant son verre. La provenance du cri était une villageoise d’un certain âge, probablement une oni à la vue des cornes sur sa tête. Cette dernière pointait un bâtiment conséquent qui surplombait la place du bar à ciel ouvert. Le peuple présent chercha alors ce qui procurait une telle détresse à la pauvre femme avant de rapidement mettre le doigt dessus.
Accroché à une gouttière tordue sur le point de céder, un jeune garçon se balançait au-dessus du vide, battant les pieds de peur face à la chute mortelle qu’il ferait sous peu. Comment et pourquoi s’était il retrouvé ici était de toute évidence une question à remettre à plus tard, les villageois s’organisaient déjà pour tenter de trouver une solution de sauver l’enfant. Certains essayèrent de se placer en dessous au cas où le pire arriverait, d’autres entrèrent dans le bâtiment pour tenter d’atteindre une fenêtre proche.
Mais le temps jouaient en leur défaveur car la gouttière émit alors un funeste grincement, se cassant un peu plus et emportant l’enfant encore plus loin du bâtiment.
Bien que Rachelle resta sans voix devant l’esprit communautaire de ce peuple qu’elle appréciait tant, elle savait au fond d’elle qu’ils n’auraient pas le temps de grimper pour le rejoindre. Elle se leva d’un coup et fit un pas en avant. Malheureusement, sa peur d’échouer lui susurra dans le creux de l’oreille à quel point elle serait ridicule si elle venait à échouer. A quel point ce serait de sa faute si l’enfant lui échappait pour terminer sa course sur le sol.
Une grimace sur le visage, Rachelle n’eut guère le temps d’y penser plus que nécessaire. La gouttière grinça de nouveau et l’enfant pourtant relativement calme, laissa échapper un cri de terreur.
—A l’aide ! s’époumona-t-il.
L’esprit de l’apprentie soldate ne fit qu’un tour. Elle laissa tomber sa lance sur le sol et s’élança aussi vite que ses pattes la portaient. Se déplaçant sur ses quatre pattes pour gagner de la vitesse, elle se faufila au sein de la foule avant de commencer à grimper la gouttière à son tour. Certains criaient que c’était de la folie, que cette dernière allait succomber sous leurs poids combinés. Heureusement pour Rachelle, sa constitution de souris lui donnait une morphologie certes loin des standards de beauté ou de force, mais elle gagnait en retour une légèreté et une corpulence des plus faibles qu’elle s’efforçait de cacher sous sa longue cape rouge.
—Cesse de te débattre ! ordonna-t-elle à l’enfant sous le coup de la pression. Tu vas finir par t’épuiser ou pire, briser la gouttière. Je suis là dans un instant, tiens bon.
Le gamin lui lança un regard terrifié alors qu’il tenta tant bien que mal de calmer ses agitations.
—E-et maintenant ? grogna-t-il à la souris alors qu’elle l’avait presque rejoint. Nous sommes deux à être coincés !
Rachelle lui offrit un sourire bienveillant.
—N’ai crainte jeune homme, je suis une fière soldate au service du Reike. Je ne laisserai pas un si bête accident se produire sous mes yeux.
Le garçon roula un peu des yeux, complètement suspicieux quant à la véracité des dires de l’hybride. Malheureusement pour lui, il n’eut guère le temps de faire la fine bouche car sa partie de la gouttière se fractura nette. Il écarquilla les yeux, ne se rendant pas tout de suite compte qu’il entamait une longue chute vers sa fin.
Rachelle plissa les yeux.
—Flute, laissa-t-elle échapper de mauvaise humeur devant ce coup du sort.
Ne pouvant se laisser aller dans de longues réflexions sur comment procéder, l’hybride laissa son instinct agir. Elle se jeta dans les airs pour attraper le garçon dans sa chute. Une excellente chose, certes. Mais elle remarqua bien vite qu’elle tombait à présent avec lui, heureusement, il lui restait une infime chance de s’en sortir. Un ultime coup de poker. Rachelle pivota sur elle-même pour être certaine qu’elle heurte le sol la première dans le cas où son plan de dernière minute se terminerait avec perte et fracas en tendit un bras alors qu’elle gardait l’enfant contre elle de son autre bras.
Elle pu sentir dans le creux de sa main une corde. Une des cordes qu’utilisaient les rekois du bâtiment pour faire sécher leurs linges sales. Cette corde reliait les deux bâtiments séparés par la grande rue principale.
Son point d’accroche cassa sous la force de l’impact et la souris se sentit se balancer à toute vitesse en direction de l’autre bâtiment. Serrant de toutes ses forces la corde qui lui brûlait les doigts, elle s'enveloppa autour de l’enfant pour minimiser au maximum le choc qu’il recevrait. Et finalement, la souris ferma les paupières, se préparant à l’impact.
Ce dernier ne se fit pas prier et apparût bien plus rapidement qu’escompté. La souris laissa échapper un couinement alors que son dos cogna contre le mur du bâtiment. Elle lâcha la corde sous la force de l’impact et glissa jusqu’au sol avant de s’effondrer sur le côté. Gardant le jeune garçon contre elle.
Son dos endoloris lui criait de rester au sol et elle sentait son bras gauche pleurer de douleur. Lentement, elle releva la tête pour fixer l’enfant dont le cœur battait à tout rompre. Remarquant qu’il ne semblait pas blessé, Rachelle laissa tomber sa tête en soufflant de soulagement.
—M-mais ça va pas dans ta tête ! lui reprocha tout d’abord le petit. Et si tu m’avais pas attrapé ? Ou s’il n’y avait pas eu de corde à linge ?
La souris fît un léger sourire.
—Avec des si, nous pouvons refaire le monde, répondit la jeune femme en se redressant non sans une grimace. Ce qui est important c’est que tu ailles bien. Maintenant, tu vas m’expliquer pourquoi tu t’amusais à grimper sur les toits.
Le jeune garçon évita son regard quelques instants avec une moue apparente sur le visage. Finalement il mit un pied devant l’autre pour tenter de prendre la fuite. Rachelle qui avait prévu cette réponse le retint par le bras. Elle n’était pas très forte, mais pouvait tout de même retenir un enfant.
—Lâche moi ! se plaigna-t-il en tentant de dégager son bras.
—Je ne pense pas, répondit Rachelle en fronçant les sourcils. Je te trouve bien impoli de vouloir prendre la fuite. Tu ne serais pas un petit voleur à tout hasard ? Si c’est le cas, dis moi où sont tes parents que je te ramène à eux et qu’ils te mettent la correction que tu mérites.
—J’ai pas de parents ! cria-t-il alors que la foule approchait, curieuse. Ils ont tous étés tués par des barbares ! On ne peut pas faire confiance aux soldats !
L’hybride baissa la tête un instant. Elle ne pouvait se permettre de dire qu’elle avait compris de quoi retournait le problème, toutefois elle s’estimait pouvoir dresser une ébauche de ce qu’il en était. Au bord de la crise de nerf, l’enfant continuait de se débattre. La souris se releva lentement avant de le prendre sous le bras en grimaçant sous son poids et de se retourner vers la foule en montrant son insigne d’apprentie garde sur sa tenue.
—Je me charge de le ramener chez ses tuteurs légaux, déclara-t-elle avant de prendre de la distance avec la foule. N’ayez crainte pour la gouttière, je donnerais de ma personne pour aider à sa réparation.
Après quelques pas, l’enfant se calma enfin et Rachelle le déposa devant elle. Il continua de fixer ses pieds un long moment avant de demander.
—Pourquoi tu ne leur à pas dit que j’étais un voleur ? lui demanda-t-il en se frottant les yeux. Ou même m’avoir puni pour mes propos ?
Rachelle hésita un instant avant de mettre un genou au sol pour se retrouver à sa taille. Elle lui releva le menton pour qu’il la fixe dans les yeux. Elle soutint son regard quelques instants avant de lui mettre une pichenette sur le bout du nez.
—Aïe ! Mais ça va pas ?! se plaignit le petit en se frottant le nez.
—Bafouer les règles de notre nation est certes quelque chose que je ne peux pas laisser passer, répondit finalement Rachelle. Néanmoins, j’estime que la jeunesse a le droit à une marge d’erreur. A quoi bon laisser les villageois te huer et t’humilier publiquement ? Tu as fait quelque chose de mal, mais j’imagine que tu peux t’en sortir avec une simple remontrance. Est-ce que tu as déjà volé quelque chose avant mon arrivée et qui sont ceux qui ont la garde sur toi ?
Le garçon soupira de mauvaise humeur avant de répondre.
—Fais pas genre de parler comme une sage, tu dois pas être bien plus vieille. Et puis, non j’ai pas eu le temps de prendre quoi que ce soit et puis je ne suis pas un voleur !. Il y a un riche marchand qui habite tout en haut, il m’a arnaqué il y a quelques jours, profitant du fait que je n’y connaisse rien pour me vendre une fleur qui était sois disant super rare et finalement ce n’était qu’une bête fleur qu’on peut trouver un peu partout en cherchant bien. Je voulais juste récupérer mon dû. Les autres enfants se sont bien payé ma tête. (Il ajouta d’une plus petite voix.) Et puis j’habite un peu en périphérie de la ville si c’est la question. Il y a un orphelinat là bas.
La souris hocha du chef avant de lui demander :
—Quelle était cette fleur dont il te parlait ?
—Une fleur bleue au coeur jaune. Capable de briller la nuit et qui aurait le pouvoir de revoir les gens qui nous ont quitté.
Rachelle ne pu s’empêcher de se sentir mal pour l’enfant. Le marchand en question était loin d’être un homme bon si les dires du petit étaient vrais. Toutefois, elle ne pouvait pas faire grand chose pour aider le petit en question.
—C’est regrettable, admit-elle. Tu t’es fait avoir par un être mauvais. (Il s’apprêta à répondre de colère mais la souris ne lui en laissa pas le luxe.) C’est un enseignement que tu vas devoir apprendre. Toutefois, si le produit qu’il t’a vendu est défectueux, alors je te promets de faire en sorte qu’il te rembourse. Je refuse qu’un charlatan s’amuse à vendre n’importe quoi au sein du Reike. Encore plus au milieu de la capitale.
Le garçon resta sans voix quelques instants.
—Mais, reprit-il finalement. Tu es une soldate, j’ai vu ton insigne !
—Effectivement, déclara Rachelle non sans un sourire. Et c’est pour cela que je dois faire ce qu’il faut pour protéger le peuple. Que ce soit de chute mortelle, ou de charlatans comme le marchand dont tu m’as parlé. Écoute, je ne vais pas dire que je sais ce que tu ressens vis à vis de notre nation. Mais la tragédie du passé ne doit pas t’empêcher de te tourner vers l’avenir. Premièrement, tous les soldats ne sont pas forcément ceux qui ont pris la vie de tes parents lors de la prise de pouvoir. Ensuite, sache que même si une partie de l’armée a effectivement lutté contre l’ancien pouvoir en place, notre rôle aujourd’hui n’est pas de faire couler le sang reikois. La prochaine fois qu’une telle chose arrive, n’hésite pas à en parler aux gardes de la ville. Je crois sincèrement qu’ils viendront à ton secours. Du moins, c’est ce que je compte faire, je crois sincèrement en la voie que j’ai choisie. Avec les responsabilités qui en incombent.
L’enfant baissa la tête avec un léger grommellement. Cachant les larmes qui couvraient ses yeux.
—Papa et maman ne sont plus là… ça reste à cause de ces sales types… J’espère que Tensai et tous ses généraux s’étoufferont dans le vin qu’ils doivent consommer pour fêter leur victoire.
La souris lui mit alors une petite tape derrière la tête.
—Je ne peux pas te laisser insulter notre roi, lui expliqua-t-elle d’une voix douce. Tu as le droit de lui en vouloir, de le haïr pour la souffrance qu’il t’a causé. Mais tu ne peux pas lui manquer de respect devant un représentant de la loi.
L’enfant reste surpris quelques instants avant de lui offrir un regard de défi.
—Et si je disais que j’allais préparer un plan pour lui ôter la vie ?
La souris lui remit une tape derrière la tête en soupirant.
—Alors nous serons ennemis, répondit-t-elle d’une voix bien plus sérieuse. Et si la seule solution pour protéger le Reike et ses valeurs de ton fameux plan est d’ôter ta vie, je le ferais sans y penser une seconde fois.
Voyant que la soldate était sincère, l’enfant ne put s’empêcher de faire un pas en arrière. Légèrement effrayée par celle qui semblait quelques secondes plus tôt si gentille. Heureusement, Rachelle lui offrit de nouveau son sourire avant de se tourner en tapotant ses épaules.
—Grimpe, je te raccompagne jusqu’à l’orphelinat. J’ai vu que tu avais du mal à tenir debout. Sans doute une légère foulure à cause de notre chute commune.
L’enfant hésita quelques instants avant de grimper sur les épaules de la souris qui se releva non sans mal. Décidément, elle n’était pas très douée pour porter des charges. Ce que le petit releva bien vite.
—Je peux marcher sinon hein.
—Je m’en sors parfaitement bien ! mentit Rachelle entre ses dents alors qu’elle s’efforçait de mettre un pas devant l’autre.
—Mouais… on dirait pas.
—Dis ! Tu peux arrêter de te plaindre un instant ? Tu aimerais que je passe mon temps à râler tout le long du chemin ? Non ! Alors dis moi plutôt un truc intéressant. Qui étaient tes parents ?
—Mes parents ? commença le petit surpris. En quoi ça t'intéresserait ?
—Contente toi juste de répondre.
Le garçon croisa les bras ne voulant tout d’abord pas répondre puis devant le silence de la souris, il narra finalement alors que Rachelle entama sa marche vers l’orphelinat :
—Papa était soldat pour l’ancien roi. Même qu’il était le plus fort ! Enfin… je suis sûr qu’il a été pris en traître par les lâches qui lui ont pris la vie ! Sinon impossible qu’il puisse perdre un combat !
La souris le laissa continuer, le portant sur ses épaules en quittant le centre de la ville peu à peu. L’enfant racontait l’histoire de ses parents avec tant de vigueur teintée d’une pointe de joie. L’espace d’un instant, il oublia même leur perte. C’était comme si ces derniers étaient revenus l’espace d’un soupire, pour partager ce moment avec leur fils et l’hybride. Rachelle, qui comprenait le bien fou que cela faisait au garçon d’en parler et ainsi se libérer d’un poids qui semblait le nuire de jour en jour, resta silencieuse. Se contentant d’écouter l’histoire de son protégé avec toute l’attention dont elle pouvait faire preuve. Lorsqu’il eut fini, il lui demanda :
—Madame souris ? Pourquoi tu m’as demandé de te parler de mes parents ?
Rachelle lui offrit en retour un sourire sincère.
—Tes parents sont morts en se battant pour ce en quoi ils croyaient, répondit-elle. Ne faire comme si ces derniers n’avaient jamais existé, même s’ils sont ennemis au régime que je défends aujourd’hui serait une insulte des plus grave que je me refuse de commettre. Je me refuse à cracher sur les morts qui ont suivi leurs convictions jusqu’au bout, fussent-ils mes ennemis. Cela n’engage que moi, mais le passé du Reike est important. C’est bien de se concentrer sur le présent, mais si tu as besoin de compagnie pour pleurer les morts d’hier, alors je t’accompagnerai sans hésiter.
—Et si… et s' ils revenaient à la vie pour devenir des rebelles, les affronterais-tu ?
—Je prendrai même leurs vies si nécessaire, répondit la souris sans sourciller. Je protégerais cette nation jusqu’à mon dernier souffle. Quels qu’en soient les ennemis.
—Mais tu as dit que tu les pleurerais avec moi.
—Oui, et je n’ai pas menti.
Le garçon resta longuement silencieux.
—T’es bizarre madame souris. Mais je crois que je t’aime bien.
Rachelle le déposa devant l’entrée de l’orphelinat.
—Tu as la langue bien pendue, et tu es pénible quand tu t’y mets. Mais je t’apprécie également. Compte tu venger tes parents du pouvoir mis en place ?
—Eh bien… hésita l’enfant. J’y ai déjà beaucoup pensé. Il y a ces rebelles qui veulent s’attaquer au roi. Mais… tu vas m’enfermer si je disais oui ?
La souris secoua doucement de la tête.
—Non. Du moins pas tout de suite. Lorsque ce sera un fait avéré, alors oui. Mais je veux que tu sois maître de ton destin, que tu choisisses la route que tu désire en ton âme et conscience. Si par l’avenir nous devions être ennemis, je n’aurai aucune pitié car moi aussi j’ai des convictions que je compte respecter. Encore plus après ce qu’ont fait les rebelles au colisée.
—Oui j’en ai entendu parler. Et… je crois que je te comprends un peu. Je… je vais y réfléchir.
Il se mua d’un long silence en fixant ses pieds et la soldate lui frotta les cheveux de sa main velue.
—Réfléchis-y bien. Et pourquoi ne pas me donner une réponse plus détaillée lorsque j’aurai récupéré l’argent que le marchand te dois ?
—Tu penses encore à faire ça ? C’étaient pas des paroles en l’air ?
Rachelle pouffa légèrement avant de froncer les sourcils.
—Non. Il doit bien y avoir une loi contre le charlatanisme. Et puis même sans, ce qu’il a fait est immorale des valeurs d’honneur du Reike. Je refuse de le laisser s’en sortir ainsi.
L’enfant la fixa avec un mélange d’incompréhension et de respect.
—Merci madame souris. (Il se tût quelques instants.) Une dernière chose. Est-ce que… ce ne serait pas trahir mes parents que de me plier au gouvernement tel qu’il est aujourd’hui ?
La femme en rouge prit quelques secondes pour y méditer.
—Je crois, commença-t-elle hésitante. Que seul toi est capable de trouver la réponse à ce questionnement. Qu’auraient voulu tes parents pour toi et plus important, que veux tu pour toi ?
L’enfant finit par lui offrir un sourire.
—Je vais réfléchir à tout ça madame souris, dit-il en commençant à entrer dans l’orphelinat. Vous n'avez pas intérêt à oublier votre promesse concernant le marchand et mon argent !
—Je ne l’oublierai pas, tu as ma promesse. Cela pourra prendre quelques jours, mais tu auras ton dû. Et cesse de m’appeler madame souris ! J’ai un nom tu sais ! Toi aussi d’ailleurs, comment t’appelles-tu ?
L’enfant lui tira la langue avec un air espiègle.
—On s’échangera nos noms quand vous aurez accompli votre promesse madame souris. Encore merci pour la promenade.
Il s’éclipsa bien vite avant que Rachelle n’eut le temps de l’invectiver d’avantage.
Après un long soupir, la souris éclata d’un léger rire. Elle ne pouvait mentir, les yeux reconnaissants de l’enfant lui avaient fait un bien fou. Elle avait l’impression de faire le juste choix. De vivre la vie qu’elle souhaitait.
—Mince, remarqua-t-elle finalement. J’ai oublié ma lance sur la place. J’espère que le barman me l’a gardé dans un coin. Sinon je vais vraiment me faire taper sur les doigts par mes instructeurs…
Son sourire devint vite une grimace alors qu’elle s’imaginait le regard sévère de son instructeur principal. Elle savait déjà que la réprimande qu’elle allait subir serait sévère.
Elle nota ainsi dans un coin de son esprit de penser à récupérer sa lance avant d’aller voir le fameux marchand et se mit en route pour s’arrêter seulement quelques mètres plus loin. Un bruit sourd retint son attention et elle en chercha rapidement la provenance. N’ayant pas à enquêter bien longtemps, elle remarqua un bâtiment de tatouage faisant face à l’orphelinat. Ce dernier semblait en pleine rénovation, d'où les coups incessants qui provenaient de l’intérieur. Du moins c’est ce que supposait la souris mais elle ne pouvait se permettre de ne pas vérifier. Les bruits étaient bien trop incessants et dissonants pour n’être que des travaux des rénovations. Ce n’est que lorsqu’elle entendit une voix de femme proférer ce qui lui sembla être un juron qu’elle passa la tête par la porte avant de demander d’une voix timide.
—Bonjour ! Est-ce que tout va bien ?
Elle entra finalement pour s’en assurer.
Bientôt, la souris devrait déménager à Taisen pour continuer son entraînement et bien qu’elle se voyait attristée de quitter la capitale, elle ne pouvait s’empêcher de crépitement d’impatience à l’idée de découvrir une nouvelle facette du Reike tout en en profitant pour laisser son entraînement de soldat passer à la vitesse supérieure.
Evidemment, pour le moment il n’y avait aucune date concrète mais la souris qui commençait à prendre confiance en elle savait que ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’elle ne soit jetée avec des apprentis soldats adultes. Elle ferait ses premières missions officielles et rejoindrait peut-être même une escouade. Tant de possibilités qui faisaient rêver l’hybride. Peut-être même un jour serait-elle considérée comme une héroïne par le peuple, ce qui était probablement son vœu le plus cher.
Ses compétences en lecture grandissantes de jour en jour, la souris avait pu apprendre bon nombre d’informations importantes quant à la hiérarchie au sein de ce royaume, si cher à ses yeux. Elle ne savait pas jusqu'où sa frêle carcasse pourrait la porter, elle était néanmoins certaine que sa volonté n’aurait de cesse de la pousser à fournir toujours plus d’effort tant qu’il y aura des échelons à gravir.
Alors que Rachelle se retourna pour demander un second verre, un cri retint son attention. Par réflexe, Rachelle se retourna en déposant son verre. La provenance du cri était une villageoise d’un certain âge, probablement une oni à la vue des cornes sur sa tête. Cette dernière pointait un bâtiment conséquent qui surplombait la place du bar à ciel ouvert. Le peuple présent chercha alors ce qui procurait une telle détresse à la pauvre femme avant de rapidement mettre le doigt dessus.
Accroché à une gouttière tordue sur le point de céder, un jeune garçon se balançait au-dessus du vide, battant les pieds de peur face à la chute mortelle qu’il ferait sous peu. Comment et pourquoi s’était il retrouvé ici était de toute évidence une question à remettre à plus tard, les villageois s’organisaient déjà pour tenter de trouver une solution de sauver l’enfant. Certains essayèrent de se placer en dessous au cas où le pire arriverait, d’autres entrèrent dans le bâtiment pour tenter d’atteindre une fenêtre proche.
Mais le temps jouaient en leur défaveur car la gouttière émit alors un funeste grincement, se cassant un peu plus et emportant l’enfant encore plus loin du bâtiment.
Bien que Rachelle resta sans voix devant l’esprit communautaire de ce peuple qu’elle appréciait tant, elle savait au fond d’elle qu’ils n’auraient pas le temps de grimper pour le rejoindre. Elle se leva d’un coup et fit un pas en avant. Malheureusement, sa peur d’échouer lui susurra dans le creux de l’oreille à quel point elle serait ridicule si elle venait à échouer. A quel point ce serait de sa faute si l’enfant lui échappait pour terminer sa course sur le sol.
Une grimace sur le visage, Rachelle n’eut guère le temps d’y penser plus que nécessaire. La gouttière grinça de nouveau et l’enfant pourtant relativement calme, laissa échapper un cri de terreur.
—A l’aide ! s’époumona-t-il.
L’esprit de l’apprentie soldate ne fit qu’un tour. Elle laissa tomber sa lance sur le sol et s’élança aussi vite que ses pattes la portaient. Se déplaçant sur ses quatre pattes pour gagner de la vitesse, elle se faufila au sein de la foule avant de commencer à grimper la gouttière à son tour. Certains criaient que c’était de la folie, que cette dernière allait succomber sous leurs poids combinés. Heureusement pour Rachelle, sa constitution de souris lui donnait une morphologie certes loin des standards de beauté ou de force, mais elle gagnait en retour une légèreté et une corpulence des plus faibles qu’elle s’efforçait de cacher sous sa longue cape rouge.
—Cesse de te débattre ! ordonna-t-elle à l’enfant sous le coup de la pression. Tu vas finir par t’épuiser ou pire, briser la gouttière. Je suis là dans un instant, tiens bon.
Le gamin lui lança un regard terrifié alors qu’il tenta tant bien que mal de calmer ses agitations.
—E-et maintenant ? grogna-t-il à la souris alors qu’elle l’avait presque rejoint. Nous sommes deux à être coincés !
Rachelle lui offrit un sourire bienveillant.
—N’ai crainte jeune homme, je suis une fière soldate au service du Reike. Je ne laisserai pas un si bête accident se produire sous mes yeux.
Le garçon roula un peu des yeux, complètement suspicieux quant à la véracité des dires de l’hybride. Malheureusement pour lui, il n’eut guère le temps de faire la fine bouche car sa partie de la gouttière se fractura nette. Il écarquilla les yeux, ne se rendant pas tout de suite compte qu’il entamait une longue chute vers sa fin.
Rachelle plissa les yeux.
—Flute, laissa-t-elle échapper de mauvaise humeur devant ce coup du sort.
Ne pouvant se laisser aller dans de longues réflexions sur comment procéder, l’hybride laissa son instinct agir. Elle se jeta dans les airs pour attraper le garçon dans sa chute. Une excellente chose, certes. Mais elle remarqua bien vite qu’elle tombait à présent avec lui, heureusement, il lui restait une infime chance de s’en sortir. Un ultime coup de poker. Rachelle pivota sur elle-même pour être certaine qu’elle heurte le sol la première dans le cas où son plan de dernière minute se terminerait avec perte et fracas en tendit un bras alors qu’elle gardait l’enfant contre elle de son autre bras.
Elle pu sentir dans le creux de sa main une corde. Une des cordes qu’utilisaient les rekois du bâtiment pour faire sécher leurs linges sales. Cette corde reliait les deux bâtiments séparés par la grande rue principale.
Son point d’accroche cassa sous la force de l’impact et la souris se sentit se balancer à toute vitesse en direction de l’autre bâtiment. Serrant de toutes ses forces la corde qui lui brûlait les doigts, elle s'enveloppa autour de l’enfant pour minimiser au maximum le choc qu’il recevrait. Et finalement, la souris ferma les paupières, se préparant à l’impact.
Ce dernier ne se fit pas prier et apparût bien plus rapidement qu’escompté. La souris laissa échapper un couinement alors que son dos cogna contre le mur du bâtiment. Elle lâcha la corde sous la force de l’impact et glissa jusqu’au sol avant de s’effondrer sur le côté. Gardant le jeune garçon contre elle.
Son dos endoloris lui criait de rester au sol et elle sentait son bras gauche pleurer de douleur. Lentement, elle releva la tête pour fixer l’enfant dont le cœur battait à tout rompre. Remarquant qu’il ne semblait pas blessé, Rachelle laissa tomber sa tête en soufflant de soulagement.
—M-mais ça va pas dans ta tête ! lui reprocha tout d’abord le petit. Et si tu m’avais pas attrapé ? Ou s’il n’y avait pas eu de corde à linge ?
La souris fît un léger sourire.
—Avec des si, nous pouvons refaire le monde, répondit la jeune femme en se redressant non sans une grimace. Ce qui est important c’est que tu ailles bien. Maintenant, tu vas m’expliquer pourquoi tu t’amusais à grimper sur les toits.
Le jeune garçon évita son regard quelques instants avec une moue apparente sur le visage. Finalement il mit un pied devant l’autre pour tenter de prendre la fuite. Rachelle qui avait prévu cette réponse le retint par le bras. Elle n’était pas très forte, mais pouvait tout de même retenir un enfant.
—Lâche moi ! se plaigna-t-il en tentant de dégager son bras.
—Je ne pense pas, répondit Rachelle en fronçant les sourcils. Je te trouve bien impoli de vouloir prendre la fuite. Tu ne serais pas un petit voleur à tout hasard ? Si c’est le cas, dis moi où sont tes parents que je te ramène à eux et qu’ils te mettent la correction que tu mérites.
—J’ai pas de parents ! cria-t-il alors que la foule approchait, curieuse. Ils ont tous étés tués par des barbares ! On ne peut pas faire confiance aux soldats !
L’hybride baissa la tête un instant. Elle ne pouvait se permettre de dire qu’elle avait compris de quoi retournait le problème, toutefois elle s’estimait pouvoir dresser une ébauche de ce qu’il en était. Au bord de la crise de nerf, l’enfant continuait de se débattre. La souris se releva lentement avant de le prendre sous le bras en grimaçant sous son poids et de se retourner vers la foule en montrant son insigne d’apprentie garde sur sa tenue.
—Je me charge de le ramener chez ses tuteurs légaux, déclara-t-elle avant de prendre de la distance avec la foule. N’ayez crainte pour la gouttière, je donnerais de ma personne pour aider à sa réparation.
Après quelques pas, l’enfant se calma enfin et Rachelle le déposa devant elle. Il continua de fixer ses pieds un long moment avant de demander.
—Pourquoi tu ne leur à pas dit que j’étais un voleur ? lui demanda-t-il en se frottant les yeux. Ou même m’avoir puni pour mes propos ?
Rachelle hésita un instant avant de mettre un genou au sol pour se retrouver à sa taille. Elle lui releva le menton pour qu’il la fixe dans les yeux. Elle soutint son regard quelques instants avant de lui mettre une pichenette sur le bout du nez.
—Aïe ! Mais ça va pas ?! se plaignit le petit en se frottant le nez.
—Bafouer les règles de notre nation est certes quelque chose que je ne peux pas laisser passer, répondit finalement Rachelle. Néanmoins, j’estime que la jeunesse a le droit à une marge d’erreur. A quoi bon laisser les villageois te huer et t’humilier publiquement ? Tu as fait quelque chose de mal, mais j’imagine que tu peux t’en sortir avec une simple remontrance. Est-ce que tu as déjà volé quelque chose avant mon arrivée et qui sont ceux qui ont la garde sur toi ?
Le garçon soupira de mauvaise humeur avant de répondre.
—Fais pas genre de parler comme une sage, tu dois pas être bien plus vieille. Et puis, non j’ai pas eu le temps de prendre quoi que ce soit et puis je ne suis pas un voleur !. Il y a un riche marchand qui habite tout en haut, il m’a arnaqué il y a quelques jours, profitant du fait que je n’y connaisse rien pour me vendre une fleur qui était sois disant super rare et finalement ce n’était qu’une bête fleur qu’on peut trouver un peu partout en cherchant bien. Je voulais juste récupérer mon dû. Les autres enfants se sont bien payé ma tête. (Il ajouta d’une plus petite voix.) Et puis j’habite un peu en périphérie de la ville si c’est la question. Il y a un orphelinat là bas.
La souris hocha du chef avant de lui demander :
—Quelle était cette fleur dont il te parlait ?
—Une fleur bleue au coeur jaune. Capable de briller la nuit et qui aurait le pouvoir de revoir les gens qui nous ont quitté.
Rachelle ne pu s’empêcher de se sentir mal pour l’enfant. Le marchand en question était loin d’être un homme bon si les dires du petit étaient vrais. Toutefois, elle ne pouvait pas faire grand chose pour aider le petit en question.
—C’est regrettable, admit-elle. Tu t’es fait avoir par un être mauvais. (Il s’apprêta à répondre de colère mais la souris ne lui en laissa pas le luxe.) C’est un enseignement que tu vas devoir apprendre. Toutefois, si le produit qu’il t’a vendu est défectueux, alors je te promets de faire en sorte qu’il te rembourse. Je refuse qu’un charlatan s’amuse à vendre n’importe quoi au sein du Reike. Encore plus au milieu de la capitale.
Le garçon resta sans voix quelques instants.
—Mais, reprit-il finalement. Tu es une soldate, j’ai vu ton insigne !
—Effectivement, déclara Rachelle non sans un sourire. Et c’est pour cela que je dois faire ce qu’il faut pour protéger le peuple. Que ce soit de chute mortelle, ou de charlatans comme le marchand dont tu m’as parlé. Écoute, je ne vais pas dire que je sais ce que tu ressens vis à vis de notre nation. Mais la tragédie du passé ne doit pas t’empêcher de te tourner vers l’avenir. Premièrement, tous les soldats ne sont pas forcément ceux qui ont pris la vie de tes parents lors de la prise de pouvoir. Ensuite, sache que même si une partie de l’armée a effectivement lutté contre l’ancien pouvoir en place, notre rôle aujourd’hui n’est pas de faire couler le sang reikois. La prochaine fois qu’une telle chose arrive, n’hésite pas à en parler aux gardes de la ville. Je crois sincèrement qu’ils viendront à ton secours. Du moins, c’est ce que je compte faire, je crois sincèrement en la voie que j’ai choisie. Avec les responsabilités qui en incombent.
L’enfant baissa la tête avec un léger grommellement. Cachant les larmes qui couvraient ses yeux.
—Papa et maman ne sont plus là… ça reste à cause de ces sales types… J’espère que Tensai et tous ses généraux s’étoufferont dans le vin qu’ils doivent consommer pour fêter leur victoire.
La souris lui mit alors une petite tape derrière la tête.
—Je ne peux pas te laisser insulter notre roi, lui expliqua-t-elle d’une voix douce. Tu as le droit de lui en vouloir, de le haïr pour la souffrance qu’il t’a causé. Mais tu ne peux pas lui manquer de respect devant un représentant de la loi.
L’enfant reste surpris quelques instants avant de lui offrir un regard de défi.
—Et si je disais que j’allais préparer un plan pour lui ôter la vie ?
La souris lui remit une tape derrière la tête en soupirant.
—Alors nous serons ennemis, répondit-t-elle d’une voix bien plus sérieuse. Et si la seule solution pour protéger le Reike et ses valeurs de ton fameux plan est d’ôter ta vie, je le ferais sans y penser une seconde fois.
Voyant que la soldate était sincère, l’enfant ne put s’empêcher de faire un pas en arrière. Légèrement effrayée par celle qui semblait quelques secondes plus tôt si gentille. Heureusement, Rachelle lui offrit de nouveau son sourire avant de se tourner en tapotant ses épaules.
—Grimpe, je te raccompagne jusqu’à l’orphelinat. J’ai vu que tu avais du mal à tenir debout. Sans doute une légère foulure à cause de notre chute commune.
L’enfant hésita quelques instants avant de grimper sur les épaules de la souris qui se releva non sans mal. Décidément, elle n’était pas très douée pour porter des charges. Ce que le petit releva bien vite.
—Je peux marcher sinon hein.
—Je m’en sors parfaitement bien ! mentit Rachelle entre ses dents alors qu’elle s’efforçait de mettre un pas devant l’autre.
—Mouais… on dirait pas.
—Dis ! Tu peux arrêter de te plaindre un instant ? Tu aimerais que je passe mon temps à râler tout le long du chemin ? Non ! Alors dis moi plutôt un truc intéressant. Qui étaient tes parents ?
—Mes parents ? commença le petit surpris. En quoi ça t'intéresserait ?
—Contente toi juste de répondre.
Le garçon croisa les bras ne voulant tout d’abord pas répondre puis devant le silence de la souris, il narra finalement alors que Rachelle entama sa marche vers l’orphelinat :
—Papa était soldat pour l’ancien roi. Même qu’il était le plus fort ! Enfin… je suis sûr qu’il a été pris en traître par les lâches qui lui ont pris la vie ! Sinon impossible qu’il puisse perdre un combat !
La souris le laissa continuer, le portant sur ses épaules en quittant le centre de la ville peu à peu. L’enfant racontait l’histoire de ses parents avec tant de vigueur teintée d’une pointe de joie. L’espace d’un instant, il oublia même leur perte. C’était comme si ces derniers étaient revenus l’espace d’un soupire, pour partager ce moment avec leur fils et l’hybride. Rachelle, qui comprenait le bien fou que cela faisait au garçon d’en parler et ainsi se libérer d’un poids qui semblait le nuire de jour en jour, resta silencieuse. Se contentant d’écouter l’histoire de son protégé avec toute l’attention dont elle pouvait faire preuve. Lorsqu’il eut fini, il lui demanda :
—Madame souris ? Pourquoi tu m’as demandé de te parler de mes parents ?
Rachelle lui offrit en retour un sourire sincère.
—Tes parents sont morts en se battant pour ce en quoi ils croyaient, répondit-elle. Ne faire comme si ces derniers n’avaient jamais existé, même s’ils sont ennemis au régime que je défends aujourd’hui serait une insulte des plus grave que je me refuse de commettre. Je me refuse à cracher sur les morts qui ont suivi leurs convictions jusqu’au bout, fussent-ils mes ennemis. Cela n’engage que moi, mais le passé du Reike est important. C’est bien de se concentrer sur le présent, mais si tu as besoin de compagnie pour pleurer les morts d’hier, alors je t’accompagnerai sans hésiter.
—Et si… et s' ils revenaient à la vie pour devenir des rebelles, les affronterais-tu ?
—Je prendrai même leurs vies si nécessaire, répondit la souris sans sourciller. Je protégerais cette nation jusqu’à mon dernier souffle. Quels qu’en soient les ennemis.
—Mais tu as dit que tu les pleurerais avec moi.
—Oui, et je n’ai pas menti.
Le garçon resta longuement silencieux.
—T’es bizarre madame souris. Mais je crois que je t’aime bien.
Rachelle le déposa devant l’entrée de l’orphelinat.
—Tu as la langue bien pendue, et tu es pénible quand tu t’y mets. Mais je t’apprécie également. Compte tu venger tes parents du pouvoir mis en place ?
—Eh bien… hésita l’enfant. J’y ai déjà beaucoup pensé. Il y a ces rebelles qui veulent s’attaquer au roi. Mais… tu vas m’enfermer si je disais oui ?
La souris secoua doucement de la tête.
—Non. Du moins pas tout de suite. Lorsque ce sera un fait avéré, alors oui. Mais je veux que tu sois maître de ton destin, que tu choisisses la route que tu désire en ton âme et conscience. Si par l’avenir nous devions être ennemis, je n’aurai aucune pitié car moi aussi j’ai des convictions que je compte respecter. Encore plus après ce qu’ont fait les rebelles au colisée.
—Oui j’en ai entendu parler. Et… je crois que je te comprends un peu. Je… je vais y réfléchir.
Il se mua d’un long silence en fixant ses pieds et la soldate lui frotta les cheveux de sa main velue.
—Réfléchis-y bien. Et pourquoi ne pas me donner une réponse plus détaillée lorsque j’aurai récupéré l’argent que le marchand te dois ?
—Tu penses encore à faire ça ? C’étaient pas des paroles en l’air ?
Rachelle pouffa légèrement avant de froncer les sourcils.
—Non. Il doit bien y avoir une loi contre le charlatanisme. Et puis même sans, ce qu’il a fait est immorale des valeurs d’honneur du Reike. Je refuse de le laisser s’en sortir ainsi.
L’enfant la fixa avec un mélange d’incompréhension et de respect.
—Merci madame souris. (Il se tût quelques instants.) Une dernière chose. Est-ce que… ce ne serait pas trahir mes parents que de me plier au gouvernement tel qu’il est aujourd’hui ?
La femme en rouge prit quelques secondes pour y méditer.
—Je crois, commença-t-elle hésitante. Que seul toi est capable de trouver la réponse à ce questionnement. Qu’auraient voulu tes parents pour toi et plus important, que veux tu pour toi ?
L’enfant finit par lui offrir un sourire.
—Je vais réfléchir à tout ça madame souris, dit-il en commençant à entrer dans l’orphelinat. Vous n'avez pas intérêt à oublier votre promesse concernant le marchand et mon argent !
—Je ne l’oublierai pas, tu as ma promesse. Cela pourra prendre quelques jours, mais tu auras ton dû. Et cesse de m’appeler madame souris ! J’ai un nom tu sais ! Toi aussi d’ailleurs, comment t’appelles-tu ?
L’enfant lui tira la langue avec un air espiègle.
—On s’échangera nos noms quand vous aurez accompli votre promesse madame souris. Encore merci pour la promenade.
Il s’éclipsa bien vite avant que Rachelle n’eut le temps de l’invectiver d’avantage.
Après un long soupir, la souris éclata d’un léger rire. Elle ne pouvait mentir, les yeux reconnaissants de l’enfant lui avaient fait un bien fou. Elle avait l’impression de faire le juste choix. De vivre la vie qu’elle souhaitait.
—Mince, remarqua-t-elle finalement. J’ai oublié ma lance sur la place. J’espère que le barman me l’a gardé dans un coin. Sinon je vais vraiment me faire taper sur les doigts par mes instructeurs…
Son sourire devint vite une grimace alors qu’elle s’imaginait le regard sévère de son instructeur principal. Elle savait déjà que la réprimande qu’elle allait subir serait sévère.
Elle nota ainsi dans un coin de son esprit de penser à récupérer sa lance avant d’aller voir le fameux marchand et se mit en route pour s’arrêter seulement quelques mètres plus loin. Un bruit sourd retint son attention et elle en chercha rapidement la provenance. N’ayant pas à enquêter bien longtemps, elle remarqua un bâtiment de tatouage faisant face à l’orphelinat. Ce dernier semblait en pleine rénovation, d'où les coups incessants qui provenaient de l’intérieur. Du moins c’est ce que supposait la souris mais elle ne pouvait se permettre de ne pas vérifier. Les bruits étaient bien trop incessants et dissonants pour n’être que des travaux des rénovations. Ce n’est que lorsqu’elle entendit une voix de femme proférer ce qui lui sembla être un juron qu’elle passa la tête par la porte avant de demander d’une voix timide.
—Bonjour ! Est-ce que tout va bien ?
Elle entra finalement pour s’en assurer.