En ce jour-même, le Reike présentait une température que certains qualifieraient de chaude, si on était d'un point de vue étranger. Pour les natifs de la région, c’était comme une journée comme les autres, avec ses températures supportables. Et pour supporter cette jolie météo, quoi de mieux que de se prélasser dans les jardins intérieurs du palais.
Pendant l’ouverture des doléances, et jusqu’à ce que ces dernières se terminent, le palais accueillait le peuple reikois. Une quiétude pas si présente, quand on voulait juste faire passer le temps. Crocell n’aimait pas être séparé de son seigneur, lui qui aimait être au centre des enjeux politiques, qu'ils soient importants ou non. Mais bon, il fallait se plier aux règles. Comme d'habitude, son seigneur lui dira ou partiellement ce pour quoi il avait dû faire le déplacement. L’oni ne pouvait pas aller librement au palais, et pourtant, il le désirait ardemment. Pouvoir se déplacer sans vergogne, à travers les nombreux couloirs sans fins en pierre blanche de l’édifice royal, et tomber sur quelques commérages par-ci par-là, que de bonheur pour satisfaire la curiosité du conseiller.
Mais là, c’était avec les feuillages, les fleurs, les petites étendues d’eau, et la petite vie animale qui s’y trouvait qui servait de distraction à l’esprit retors de l’homme. Les enfants, eux, adoraient ce coin. Ils sautillaient, les mains liées à leurs parents, pointant du doigt toute anormalité que leur intelligence infantile ne parvenait pas à comprendre. Puis d’autres regardaient Crocell, habillé de ses vêtements de fonctions, un rouge royal aux finitions dorées, dont le style rappellerait un certain vêtement d’un extrême orient.
D’abord d’un regard mauvais envers cet agacement qui l’atteignait, il adoucissait son visage, avant de caresser les cheveux de quelques enfants. Certains étaient confus, d’autres souriaient. La famille d’autres remerciait le temps accordé à leur attention, lui qui devait être si occupé. Bien entendu, on était si occupé à attendre sur la touche pendant que le seigneur de Kyouji avait la partie la plus intéressante de la journée.
S’étirant de chaque côté, il observa une petite libellule, stationnant puis virevoltant ailleurs, pour enfin se poser sur une plante, soutenant le poids inexistant de l’insecte. Il allait se pencher pour la saisir avec une facilité, usant de sa magie de contrôle des émotions de façon assez subtile, avant que quelqu’un le pousse et le fasse manquer de tomber dans la petite marre.
“Non mais ça ne va pas la tête ! C’est quoi votre souci !”
Un citoyen de bas rang social s'excusa du mieux qu’il pouvait. Crocell, reprenant sa stature et son sérieux, regarda avec mépris l’homme.
"Des excuses ne mèneront pas souvent à un pardon. Mais pour ce jour où mon humeur est… Bonne, alors ainsi, mon jugement le sera.”
“Désolé encore une fois, mais il paraît que la Clémente est ici, dans cette partie du palais intérieur. Vous ne souhaitez pas la rencontrer lui parler ?”
Manifestement, ils avaient oublié pourquoi elle avait ce surnom.
“Nan, j’ai autre chose à faire, vous savez… Attendre sagement que…”
“La voilà, elle vient vers nous !”
L’homme n’eut pas le temps de faire quelques pas vers l'arrivante qu’une personne, manifestement cette dernière, le poussa sur le côté. Sentant que l’individu se trouvait juste derrière lui, il ne daigna même pas tourner le dos. Il sentait bien que l’inconnue, dont il connaissait le nom, attendait bien sagement un mot de sa part. Par un long soupir, il s’adressa avec une nonchalance, mais de façon assez formelle avec son auditrice.
“La Reine n’a pas besoin de votre protection en ce moment, Marjhan ? Vous aussi, on vous a recommandé avec conviction de vous prélasser dans les jardins intérieurs ? À moins que votre présence présage quelque chose d’autre ? Si vous le voulez bien…”
D’un regard, il observa la foule en liesse derrière elle. Ils étaient admiratifs face à la protectrice d’Ayshara, la valkyrie du Reike, la Clémente, Marjhan.
“Un peu de calme, de silence, et de privé serait grandement jouissif. Je n’aime pas étaler mes pensées face à un peuple qui n’est pas à ma charge. Vous le comprenez ?”
Toujours dos à elle, il prit alors une marche lente, pour s'enfoncer un peu plus dans l'espace vert aménage, prenant un sentier terreux dont seul les membres haut placés étaient autorisés à emprunter.
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On aurait voulu la croquer, toute entière, avec le palais. Des hautes structures de marbre blanc, damasquinées d'or et d'argent, jusqu'aux jardins suspendus, qui faisaient la splendeur de l'édifice. La végétation s’épanouissait comme autant de couleurs riches et ténues, criées par l'aurore. L'ossature des bâtiments l'avalait presque, et pourtant, on aurait voulu l'y saisir.
Quatre-vingt années de baroud à-travers le désert avaient enseigné une forme d'humilité, à la Valkyrie. Ou plutôt, chassé toutes formes d'auto-contemplation. Elle vivait à-travers le monde; son apparence n'importait que peu, pourvu qu'elle fut présentable devant la Reine. Mais demeurait chez elle une grâce éternelle. Celles d'ailes énormes et chatoyantes, qui flottaient paisiblement au gré du vent. D'un corps haut et ferme, coulé dans une masse de platine. Et ses cheveux, lâches, pâles. Difficile, pour les conseillers comme les gardes, de ne pas se retourner à son passage. S'interroger sur ce qu'elle pouvait bien faire là, à l'écart du couple royal.
D'autres genres de gens, aussi. Ceux qui l'épiaient, de loin. Des civils, presque hystériques, à la vue de celle que l'on surnommait bien ironiquement « la Clémente ». Ils savaient, pourtant. Savaient quel sort elle réservait aux traîtres et aux terroristes. Savaient avec quelle fermeté, elle arrachait les organes génitaux des violeurs, pour les laisser, béants et inertes, sur le sable du désert. Savaient tout ça, mais pourtant, ne pouvaient s'empêcher de la suivre. Une fascination tout aussi macabre que sincère, pour cette « ange » tombée des nues. Une telle créature, édifice de foi et de chasteté, ne pouvait avoir que des pensées pures, dans sa tête, n'est-il pas ?
Ces hommes qui me suivent... Je vais les pendre par leur petite flûte pénienne, s'ils continuent. Pour quoi me prennent-ils ? une attraction de foire ? On se confondait en cris et en clameurs, à son approche. Et quand, sous l'insistance d'un vent un peu trop vif, - les jardins se situaient hauts, en altitude - une de ses plumes venait à s'échouer sur le sol, tous se jetaient dessus comme... comme bien des choses. Une pièce d'or, dans une ruelle de crèves-la-faim; une vierge, sis un lupanar de la basse-ville. Un morceau de gibier, parmi les loups. Ou... Un trône vacant, chez les hommes. Non, décidément : plus le temps passait, et plus elle les exécrait. La hideur de leurs prétentions, cette manie qu'ils avaient de la talonner, de piétiner son ombre. Il fallait qu'elle s'en débarrasse.
Au-loin, elle voyait les palissades d'un des jardins privés. Flanquée par cette harde de fans hystériques, mieux qu'une Melanie Chisholm au sommet de son art, elle fit fuir une volée de pigeons, par mégarde. La colère la prit comme un tison cuisant. Ses cheveux virèrent au blanc, et d'un geste de la nuque sec, se tourna en direction du troupeau. Tous eurent un soubresaut et reculèrent, méticuleusement. Ils savaient ce que cette anomalie capillaire signifiait. Elle signifiait que d'un instant à l'autre, ils pourraient finir eunuques. Que Karama se chercherait un refuge confortable dans le fond de leurs boyaux. Un silence de plomb remplaça le capharnaüm, et elle finit par s'approcher d'une grande masse cornue, qu'elle avait reconnue.
Difficile de ne pas le distinguer : plus grand qu'elle - ce qui était déjà un exploit en soi - grand à en foutre les jetons aux gosses, en ville. Des cornes haut perchées sur sa tête, et un sourire qu'elle aurait apprécié gommer à coups de ceste dans le tarin, s'il n'était pas un de ses alliés diplomatiques.
« Crocell. Que me vaut la déconvenue ? Vous partiez à la cueillette de foetus morts, pour votre seigneur ? »
Elle inclina brièvement le menton, dans un respect de surface, mais respect quand-même, avant de prendre le pas, à l'intérieur des jardins.
« Vous n'aimez pas étaler vos pensées face à un peuple qui n'est pas à votre charge, et moi, je n'aime pas qu'on coure après mes paires d'ailes comme si je n'étais qu'une fichue perdix. » Elle ne dit rien. Se contenta d'avancer, et bientôt, tous deux furent engloutis dans les murs fleuris du château, à l'ombre de rosiers, de bruyères et de dahlias roses comme des boutons de pucelle. « La Reine, non, n'a pas besoin de mes services pour le moment. J'ose espérer que cela va continuer. Il y a déjà eu... plusieurs tentatives, dernièrement. »
Aussitôt dit, aussitôt regretté : était-ce une bonne idée, de délivrer ce genre d'informations à cette tête de bouquetin ? elle n'avait aucune confiance en lui; mais en lui, davantage qu'en son seigneur. Si Marjhan n'avait jamais prêté grande importance à son apparence, elle pensait, en revanche, qu'une gueule de macchabée, une mâchoire dentue et des yeux de fouine étaient l'indice d'une mauvaise âme. Ca, et le fait d'être un homme. Mais les yeux aussi, quand-même.
« Et vous ? Vous n'espériez pas me séduire en m'invitant à marcher avec vous, j'espère ? », le tout, dans une ironie palpable. De tout ce que l'on pouvait reprocher à cet Oni, l'indiscipline n'en faisait pas partie. Du moins, en apparence. Non, il n'était pas venu pour lui faire du gringue. Sans doute Vaal rôdait quelque part dans le palais, avec sa façade de croque-mitaine.
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Les premières paroles sortantes de la valkyrie firent dessiner un sourire au conseiller de Kyouji. Elle semblait très directe sur l’appréciation qu'elle portait au Seigneur du même lieu de Crocell, à savoir aucune. Cela aurait été un pégu, il aurait subi le pire des tourments pour diffamation sur son maître, mais là, on parlait de la Clémente, une véritable femme de puissance, de volonté, et tout de même, de respect. D’un simple regard, elle avait pu faire taire la foule abrutie de sa personne en un temps record. Mais avec l’intervention du demi, elle fut dispersée assez vite, et aucun bruit de leur part. Car en entrant sur le chemin terreux réservé, un calme sylvestre commença à s’y créer.
La densité de la végétation permettait comme une pause dans l’instant présent, mais par contraire, le début d’une dilatation temporelle. Car quand on se prélassait dans ce jardin, l'écoulement des heures paraissait infinitésimal.
Elle disait vrai dans les propos qu’elle tenait. Le peuple d’Ikusa, ou par extension reikois, avait une fâcheuse habitude d’être fantasque sur des choses dont l’importance ne tenait que de l’éphémérité. Une plume de la valkyrie par exemple, le regard d’une reine posé plus d’une seconde, des petits riens dont on en faisait un tout. Certaines personnes comme Crocell, et par rapprochement Marjhan, appréciaient les choses simples : une ballade fleurie, dont les nuances de rouge et de rose coloraient là où se baladaient leurs yeux.
Ce qui fut dit par la suite marqua un temps de pause dans la marche du mage. On pouvait sentir une pointe de déception dans la fin de sa phrase. Quelque chose qui semblait obscurcir la vision de la femme guerrière, au point d’arquer un sourcil à son guide, et de le faire se retourner, le visage interrogatif, curieux d’en savoir les raisons. Il savait, malgré tout, ce qu’étaient ces fameuses tentatives : le pouvoir royal subissait des ébranlements de plusieurs côtés, et à rythmes désordonnés. Les gardes royaux, l’élite de l'élite, la valkyrie et bien des proches redoutaient un énième renversement des forces dirigeantes, ou un drame second. Certaines choses ne pouvaient pas être si effacées facilement, le peuple s’en souvenait toujours. En ces temps troubles, tout le monde était sur le qui-vive.
Il laissa échapper quelques rires aux derniers mots de la protectrice. C’était arrivé comme un cheveu sur la soupe, que le premier réflexe de Crocell fut de répondre par l’amusement. C’était si voyant que l’ironie était de mise. Si la foule d’avant aurait ouï ces paroles, le conseiller aurait juré que des évanouissements, des râles de jalousies, et d’autres réactions diverses auraient fusés de toute part. Mais bien entendu, venant de la Clémente, c’était tellement peu crédible.
“Voyons ma chère Marjhan, ce n’est pas parce que je vous invite à marcher avec moi que je vous demande de tenir ma main. Trop vite en besogne, laissez le temps au lien de se créer.”
Pareillement, tout était ironique, sarcastique. Le demi-oni n’avait pas considéré une seule seconde une ouverture à une relation avec ce modèle de vertu et de prestige. Cela aurait fait que d'entacher sa réputation, et la sienne.
Montrant un coin pour s’asseoir en toute quiétude, d’un geste courtois, d’une posture droite, et de quelques mouvements, il prit place sur la structure pierreuse au milieu du champ vert, avant de pencher en avant, mains jointes, coudes sur les cuisses, le regard fixé sur son auditrice.
“Avouez que notre situation actuelle peut-être qualifiée de cocasse : les éternels seconds, dont leurs maîtres semblent ’apprécier, mais dont les suivants sont dans un jugement perpétuel de l’autre.” Il tapote la place disponible à côté de lui. “Ne vous faites pas prier, je suis bien différent de ceux que vous méprisez au quotidien, Marjhan. Nous pourrions bien s’entendre, vous et moi. Et quoique vous disiez sur mon seigneur, le lieu seul gardera les secrets prononcés en son sein.” Ramenant sa main sous son menton, le regard toujours tourné vers elle, il afficha un petit sourire en coin. “Sinon, on peut simplement attendre que le temps passe en observant ce qui nous entoure. Cela reste un bon passe-temps, même en ma présence."
Il n'espérait pas vraiment de réponses positives à sa dernière proposition, mais cela l'amusait de pouvoir rester dans un jeu taquin avec l'initiatrice de ledit jeu. Cela promettait d'être vraiment intéressant.
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Le jardinier royal, ce jour-là, avait enfilé ses plus beaux gants vert poubelle. Il tailladait à grands coups de sécateur quelque haie de camélias, quand il crut entendre du bruit, anodin. Un cliquetis métallique, - qui n'était pas celui de son appareil - et des voix. La première, il la reconnut sans grand mal. Celle de la protectrice de la Reine. Une Valkyrie aux ailes spectrales, dont le grain était cassé, suave, comme un roulis de vent chaud sur une dune. Ou une quadra avec vingt-ans ans de cigare dans les amygdales, - au choix. La seconde, en revanche... Il dut plisser les yeux, pour tenter de la discerner. Se tenta même à arrêter sa besogne, pour se hisser sur la pointe des pieds, par-dessus le buisson, et le vit. Un golgoth, grand comme deux hommes, fichu d'une paire de cornes sur le front. Il avala sa langue... et reprit sa tâche, vite, vite.
Marjhan, elle, pivota la tête en direction du jardinier. Observant le treillis sans vraiment le voir, l'air absente. Avant d'en revenir à la discussion.
« Avouez que notre situation actuelle peut-être qualifiée de cocasse : les éternels seconds, dont leurs maîtres semblent s'apprécier, mais dont les suivants sont dans un jugement perpétuel de l’autre. »
Elle resta debout quand il s'assit. Plusieurs raisons théoriques : la Valkyrie est une petite pimbêche misandre, et lui il est agréable de toiser cet individu détenteur de chromosome Y, pourtant d'une tête plus grand qu'elle. Seconde raison théorique : en tant que protectrice, d'une manière ou d'une autre elle doit rester à l'affût; autant d'années à combattre dans le désert, ne l'ont pas aidé à apprécier l'assise d'un banc confortable.
Troisième raison, sans doute la vraie, mais la moins fantasmée : ses ailes risquaient de se prendre dans les buissons, comme cela était déjà arrivé. La scène avait été, dit-on, plutôt cocasse, et ce jour-là, elle avait bien failli réduire un superbe olivier, pluricentenaire, en morceaux. Puis, elle avait fait jurer le jardinier sur son honneur, - et aussi l'intégrité de son joli cou - de garder le silence.
Ce qu'il avait fait.
L'Oni, - ou le demi-Oni, à ses yeux, il n'y avait pas grande différence - continua le dialogue, avant que la combattante ne finisse par prendre la parole.
« Ne m'en tenez pas rigueur : c'est pour mon sens du « jugement », avant tout, que l'on m'a engagée. Mon discernement. S'il avait fallu à la Reine un simple garde du corps, elle n'aurait eu qu'à piocher dans le troupeau de bufflons hétérocurieux qui flanquent son mari. Mais... toutes ces années m'ont enseignée à moi, plus qu'aux autres, à avoir du flair. »
Elle eut, un instant, ce qui se rapprocha le plus d'un sourire. Ou d'un rictus. Là encore, question de perspective. Ses canines jaillirent de ses lèvres rouges, et ses yeux brillèrent de malice.
« Je sais repérer les hommes des rats. Les individus de parole, aux petites fouines malicieuses qui tendent l'oreille là où elles ne devraient pas. » Et, de nouveau, elle tendit son regard en direction du treillis, derrière lequel, ruisselant de sueur, tremblottait le jardinier. Vite vite, en catimini, dos voûté, il rejoignit un buisson adjacent, et disparut du giron de la Valkyrie.
« Sinon, on peut simplement attendre que le temps passe en observant ce qui nous entoure. Cela reste un bon passe-temps, même en ma présence. »
« J'ai horreur des discussions en dilettante. Dites-moi plutôt, comment se porte la ville de Kyouji ? Les femmes sont-elles traitées avec dignité ? Si vous saviez à quel genre de spectacles macabres j'ai eu droit, en fouillant dans les cases de certaines tribus guerrières... »
De nouveau, ses lèvres se haussèrent, mais pas pour un sourire. Un aficionado des expressions faciales aurait pu déceler : de la colère, de la haine, de la répulsion, de l'aversion, une envie de dépecer des bébés chats, d'écouiller l’intégralité des hommes de la nation, et de procéder à un système d’insémination artificielle.... Et du regret, aussi. Assez pour lui faire baisser les yeux... avant qu'elle n'en revint, vite, à son interlocuteur.
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Encore une fois, elle ne cachait nullement son aversion de la gente masculine. Il était vrai quand elle expliquait le choix pertinent qui a fait d’elle la garde personnelle de la reine Ayshara, se qualifiant d’une personne avec un discernement, un flair, pour reprendre ses mots, plus que la plupart de ceux qui composaient le corps protecteur de la ville. Crocell se disait que ce n’était simplement que de l’esbroufe, du baume qu’elle aimait se passer pour paraître au-dessus du commun. Elle semblait cependant joviale à raconter cela, laissant transparaître un sourire léger, mais naturel et honnête.
C’était un peu plus vrai maintenant qu’il l’observait. Il comprenait mieux pourquoi certains, malgré sa dangerosité, étaient attirés par ce bout de femme aux ailes multiples. Tels des insectes attirés par la lumière d’une torche dans la nuit noire, les plus fous s’osaient à lui demander des faveurs qu’on qualifierait de normal, quand on éprouvait une attirance, mais extrêmement déplacé, dans le fond et la forme, et encore mieux quand Marjhan, l’une dont la misandrie n’était pas secrète, était la cible. Plus d’une fois un cri déchirant venait à poursuivre par la suite, et bien que cela soit aigu, ce n’était pas celui d’une femme.
Puis, dans ses paroles, elle fixa comme un point dans les broussailles. Sans que le conseiller l’ait vu, un homme de fonction travaillant dans l’espace était non loin d’eux. Sûrement par peur, il s’était retiré plus loin de leur présence. Une chance que la valkyrie ait vue ce malandrin, capable de capter toute information compromettante, et réutilisable, comme tentative de chantage par la suite sur l’un des deux. Au moins, cela confirmait ses dires sur sa capacité à percevoir la menace rôdeuse. Et par malandrin, l’homme d’état pensait à espion, et il aurait été moins clément que son accompagnatrice pour châtier le perturbateur.
Elle stoppa le sujet, en soulevant un autre, à savoir la situation des femmes à Kyouji. Cela lui fit perdre le sourire, amenant une discussion assez neutre, et sérieuse. Il sentait un cocktail d’émotions fortes dans l’expression du visage, du regard, et de la gestuelle de la femme guerrière, puis un léger mouvement de regard vers le bas pour y revenir vers le sien. Une pointe de doute ? De regret ? De mélancolie ? C’était là qu’il fallait amener le sujet, et Crocell n’allait pas se faire prier. Pour commencer, il fallait y aller en douceur, et premièrement, répondre à ses questions.
Se redressant, toujours assis, il prit une posture plus droite.
“Kyouji est toujours florissante sur le modèle économique. Les marchandises exportées et importées font la fierté des habitants, et des marchands.” Il marqua une courte pause. “Pour la situation des femmes reikoises au sein de la ville, le respect du code et des règles y est appliqué. Les problèmes de surface sont traités, ceux en profondeur ont du mal à prouver une quelconque corrélation entre violence gratuite ou accident. Je vous avoue que je ne suis pas le chef de garde, mais un simple conseiller auquel on n’adresse que peu de messages concernant cette partie civile.”
Il se releva, pour aller face à la valkyrie. Tous deux, de taille quasi-identique, leurs regards pouvaient se tenir, si bien que le reflet de chacun se voyait dans les yeux de l’autre.
“Par naissance, vous êtes mon aînée, si j’en crois les informations relatives à votre venue au monde. J’ai à penser que vous pourriez être d’une aide qualitative pour Kyouji. Notre corps armé, la garde, est une unité mixte de gens dévoués à la cause. Votre passage, que ça soit bref ou prolongé, galvaniserait nos femmes et hommes de foi. Petit extra, si le cœur vous en dit, de les former à votre façon. Ainsi, vous pourriez commencer à changer la vision qu’à un homme envers sa femme, et la femme envers le reste du monde.” D’un léger sourire, il reprit la suite de ses paroles. “Marjhan, en aucun cas, je vous verserais une somme, ce serait considéré comme du mercenariat, un peu mal vu dans notre pays. Je fais appel seulement à votre côté altruiste et réformateur, rien de plus. Et concernant ce que vous avez vu parmi ces tribus guerrières, que je nommerais barbares pour plus de facilité, ils ont juste besoin juste d’une correction adéquate, à la hauteur des horreurs qu’ils infligent au quotidien. Ceux qui agissent impunément malgré l’influence de Tensai, ne sont pas nos alliés. Libre à vous et à moi de les chasser à notre manière respective.”
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La Valkyrie tint le regard, silencieuse, quand le bâtard se redressa. Elle se demanda de quel côté de la parenté se situait l'Oni. Le mâle ? devait-elle croire à une histoire d'amour saugrenue, entre une créature belzebuthienne et une paysanne un peu audacieuse ? ou à un viol ? A moins qu'il ne s'agisse de la mère... songea-t-elle, et l'idée même qu'une créature de trois-cent livres puisse monter, à califourchon, sur le premier hère venu la fit sourire. (rictus) Ses dents, de nouveau, réapparurent, blanches et scintillantes comme des promesses.
« Par naissance, vous êtes mon aînée, si j’en crois les informations relatives à votre venue au monde. J’ai à penser que vous pourriez être d’une aide qualitative pour Kyouji. Notre corps armé, la garde... »
Quoiqu'il en soit, elle ne savait pas dans quelle catégorie mettre le conseiller. Bien qu'elle l'avait déjà croisé à plusieurs reprises, dans des rendez-vous officiels, elle ne s'était jamais vraiment intéressé à lui. Il paraissait, oui, différent des autres hommes. Probablement parce qu'il les obombrait, tous, de trente centimètres. Et que, malgré ça, se dégageait de lui une sorte d'abnégation. De discipline. A moins qu'il ne joue un rôle... Et elle se mordit la lèvre, songeusement, comme l'avait fait... (Kyrian) cinquante années plus tôt, dans le désert.
« Petit extra, si le cœur vous en dit, de les former à votre façon. Ainsi, vous pourriez commencer à changer la vision qu’à un homme envers sa femme, et la femme envers le reste du monde. »
Il y avait du vrai dans ce qu'il disait. Tenir le rôle de protectrice, fut-ce pour la femme la plus puissante du pays, était une chose; lutter pour la cause des femmes, a fortiori, une autre. Elle n'avait pas posé le pied à Kyouji depuis une éternité. Peut-être que sa présence, oui... « galvaniserait » les soldats. Peut-être aussi qu'ils ne la prendraient pas tout à fait au sérieux. Si sa force faisait l'unanimité sur le champ de bataille, ce n'était guère le cas de ses idées, sur la scène politique. Qui diable se soucie du sort des demoiselles, - avait-elle déjà entendu « pondeuses » - quand la guerre tambourine à vos portes ? quand les hommes massent leurs armées à l'entrée des villes ? « Le fort piétine le faible » : le monde avait toujours fonctionné ainsi, et il faudrait plus qu'une Valkyrie avec des paires d'ailes chatoyantes pour changer cela.
« Je fais appel seulement à votre côté altruiste et réformateur, rien de plus. »
« Ce n'est pas... » Et le monde retint son souffle. Et le jardinier se boucha le nez, pour se faire le plus silencieux possible. Les oiseaux arrêtèrent de gazouiller; une mante-religieuse, les mandibules enfouies dans la cervelle de son mari, interrompit son repas pour observer la Clémente. - Quelque chose de ce genre-là. Une phrase qui commençait par une négation, ne pouvait que mal se terminer. Pourtant... « Ce n'est pas une si mauvaise idée. Ce monde est grand, et en dépit de ce que j'ai pu dire, autrefois, à un autre conseiller, - un peu plus petit, et plus ventru que vous - mes siècles d'existence à venir ne me suffiront pas à faire entendre raison aux hommes du monde entier. La sauvegarde de la Reine Ayshara est la chose la plus précieuse pour laquelle j'ai eu à oeuvrer dans toute ma vie. Mais ce n'est pas assez. Tant que des femmes mourront dans le silence de leur dignité, et que des enfants se feront traîner comme des kilos de viande morte derrière des chevaux de tribus guerrières, ma tâche sera un échec. »
Elle marqua une pause, et elle vit une mésange se poser sur une de ses ailes. Elle fouilla le plumage de la Valkyrie, sans doute à la recherche de quelque bestiole, mais la guerrière n'y prêta pas attention.
« Pour ce qui est des traîtres et des chiens qui usent de violence en dehors de la législation de la Couronne, rassurez-vous. J'en ai toujours fait une affaire très personnelle. »
Ici, il aurait été difficile de faire de l'esprit sur ce genre de scène. Même avec tout le cynisme du monde. Marjhan s'était toujours étonnée de la quantité affolante de sang que pouvait contenir un corps humain. Et de la souplesse extraordinaire d'une colonne vertébrale. De même que, les Reikois, à force de vivre dans un climat inhospitalier, s'accrochaient vaille que vaille à la vie, et elle n'était, en revanche, plus surprise de voir un violeur ramper face contre sable, les parties génitales arrachées, et ce malgré les hémorragies qui lui vidaient le ventre.
Elle abordait ce joli bouquet de souvenirs avec une quiétude terrifiante.
« C'est une proposition qui me plaît. », finit-elle par reprendre.
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L’interruption de la valkyrie eut l’effet d’un arrêt sur image. Une pause si longue, qu’on aurait presque entendue le son de l’air. Tout autour d’eux s’était comme décidé à ne plus agir, à se protéger même. Le pouvoir de sa forme négative d’expression semblait comme faire attendre dans une certaine forme de stupeur, la réponse fatidique. Et pourtant, quelle réponse !
Tout penchait en faveur du demi-oni. La protectrice était prête à accepter l’offre du conseiller, à savoir servir de formatrice à titre exceptionnel, le temps étant non-décidé pour le moment. Mais rien qu’une journée ou deux suffiraient à faire comprendre aux gardes de Kyouji, ce que le mot “dévotion” pouvait signifier. Elle semblait sentir que son simple rôle, de protéger la reine Ayshara, ne pourrait pas combler ce qui semblait être comme son véritable objectif de vie, ce qui la poussait à aller de l’avant, malgré tous les obstacles et barrières, qu'elles soient visibles ou non. Elle était bien de l’essence même des valkyries : de preuses combattantes avec chacune un idéal, et une bonne dose de misandrie.
La reprise de ses paroles s’effectua en même instant que la vie reprenait son cours. L’arrêt de l’instant était presque semblable, trop semblable à une étape que Crocell, ayant éprouvé maintes fois, n’aimait pas que tout attrait à la mort vienne gâcher ses purs moments de plaisir vivants qu’il expérimentait chaque fois, faute de sa maladie sanguine.
Elle semblait comme rassurer les derniers propos de l’homme, se disant déjà sur le coup depuis bien longtemps. Néanmoins, cet état d’esprit continuait à vivre, et perpétuait parmi les coins reculés du Reike, ou même sous le nez de beaucoup de monde. Le loup se trouvait très souvent dans la bergerie, bien avant qu’on se rend compte que le troupeau avait déjà été décimé. C’était le cas d’un abuseur, qui pouvait aller jusqu’à briser l’esprit de son esclave, de son jouet, pour le rendre malléable et le manipuler à sa guise pour de fantasques déviances.
Rien que ses pensées ramenaient le mage à une époque un peu sombre de sa vie au Reike. Quelques picotements se faisaient ressentir, au point qu’il attrapa une partie de son vêtement, pour se serrer légèrement le coin du cœur vestimentaire. L’endroit même où il fut marqué d’appartenance, n’étant plus d’actualité après avoir effacé lui-même leurs malfaiteurs.
Rattrapant le cours de la réalité, la phrase finale de la femme ailée ravissait le conseiller de Kyouji. Il n’allait pas faire l’erreur de lui attraper quoique ce soit, ou même lui tendre la main. Qui sait, elle pourrait très mal le prendre, et ses jours seraient écourtés à vitesse lumière.
“Parfait. Vous m’en voyez fort ravi. J’aurais juste à toucher deux mots à Monseigneur, et je serais celui qui vous fournira tous les documents nécessaires pour votre séjour à Kyouji. Vous serez nourri, logé, blanchi… Enfin, dans votre respect, je pense que vous maintiendrez votre indépendance vis-à-vis de nous. Vous aurez la possibilité de pouvoir toujours exercer votre fonction. Je n’aurais aucun regard quant à votre vie privée, que cela soit des missives ou autres. Je tiens à rester en vie le plus longtemps possible, et faire cela écourterait mon séjour sur Sekai.”
Au plus profond de lui, Crocell n’avait pas peur de la mort. Ce concept là lui était à présent si anodin, par le fait de découvrir ses multiples vies, toutes terminées par des morts abruptes, et non de causes naturelles.
Regardant les alentours, il observait la petite faune du coin : insectes et oiseaux étaient présents. Quant au temps, cela ne faisait que seulement des minutes depuis leur échange. Mais comme il l’avait dit, cela pourrait faire plusieurs heures depuis leur enfoncement sur ce sentier. Il regarda autour de lui une seconde fois, pour y trouver une fleur à l’allure symbolique : de l’aubépine rouge. Il allait pouvoir rebondir sur quelque chose, mais ce sujet risquait… D’en faire réagir plus d’un.
À voix basse, assez audible, pour que la valkyrie puisse l’entendre, il pointa l’aubépine à cette dernière.
“Vous voyez cette plante-ci ? Là, avec ces pétales rouges et ses petits fruits qui peuvent se consommer pour guérir diverses choses. Je le sais par un intermédiaire connaisseur du domaine. Cependant…” Un léger sourire se dessinait de nouveau sur son visage. “Comme vous le constatez, elle entoure d’une barrière naturelle d’épines, protégeant ce qui l’essentiel de cette merveille.” Il s’approcha tout en continuant de parler, vers l’aubépine rouge. “En soit, et ne vous vexez pas, je vous en prie, une légère représentation de vous.” Il tendait la main, prêt à cueillir le fruit. “Protéger derrière ces défenses, ces murailles, ces épines qui blessent ceux qui voudraient s'approcher de vous, pour seulement attraper un peu de votre attention à leur égard. Mais vous… Vous savez ce qu’ils valent vraiment. Leur véritable nature animale et primitive. Ils vous dévorent du regard, et aimeraient vous dévorer tout court. Nonobstant…”
Avec délicatesse, précision, calme et sérénité, il put y arracher un morceau du précieux résultat floral, avant de se retirer avec lenteur, pour se mettre en sécurité. La moindre blessure que subirait le demi-oni ne pourrait être, dans un premier temps, pas aperçue par sa propre personne, et secondement, un véritable calvaire pour arrêter le saignement.
“Personne n’a essayé l’approche douce, compréhensive, patiente, et libre. Or, regardez notre situation : n’ai-je pas utilisé la même méthode pour que vous et moi puissions échanger notre avis sur différents sujets. Et voyez le résultat, nous sommes d’accord sur plusieurs points, nous partageons presque les mêmes valeurs, des traits communs au possible, mais ce qui est sûr : même si nos maîtres sont deux opposés, nous, leurs seconds, souhaitons un Reike plus vivant, et plus vrai que jamais. Ai-je tort, Marjhan ? Si oui, je vous écouterai attentivement. Chaque phrase, chaque mot, chaque syllabe me seront entendu, répété, et imprimé dans mon esprit, pour que je puisse avoir une vision nouvelle du monde, et de vous. Ou…” Un nouveau sourire narquois, mais plus dans l’objectif de toiser cette dernière. "... De toi ?”
Il avait volontairement utilisé le tutoiement, pour voir si la valkyrie allait soudainement fondre sur lui, prêt à le briser comme une brindille sèche. Si oui, il aurait gagné son pari personnel : avoir raison sur la violence. Si cette dernière serait restée sur place, à exposer son contre-argument, il aurait aussi gagné une chose plus grande encore : survivre à une discussion avec la Clémente… Enfin, par son véritable prénom : Marjhan.
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Elle le suivit du regard, tout le long de son monologue. Ce regard, dont seules les femmes sont dépositaires. Des intentions, partant dans plusieurs à la fois. Crocell disait-il vrai ? était-elle à l'image de cette fleur, enrubannée d'épines ? n'était-elle tombée que sur des brutes écervelées, qui avaient tenté, par tous les moyens, de la posséder ? C'était difficile à estimer. Quoiqu'il en soit, elle demeura calme, et la mante-religieuse put reprendre la dégustation du bulbe rachidien de son plan cul. Si la queue d'un chat, ou l'activité de ses oreilles, pouvaient être l'indice de quelque sentiment, ce n'était pas le cas de ses ailes. Elles continuaient de flotter, paisiblement.
« Personne n’a essayé l’approche douce, compréhensive, patiente, et libre. Or, regardez notre situation : n’ai-je pas utilisé cette méthode pour que vous et moi puissions échanger notre avis sur différents sujets. Et voyez le résultat, nous sommes d’accord sur plusieurs points, nous partageons presque les mêmes valeurs, des traits comm... »
Où voulait-il en venir, à la fin ? il n'essayait pas, d'une façon ou d'une autre, de s'assimiler à elle, quand-même... ? Ce n'était pas la première fois qu'un homme tentait ce genre de manoeuvre. Et ça avait systématiquement échoué, pour une bonne raison : les actes ne faisaient pas les causes. On pouvait agir par intérêt, par convoitise, par cupidité, tout en conservant, en surface, l'étiquette d'un homme modèle. Elle pouvait pardonner au conseiller son ascendance bâtarde, et les deux cornes qu'il avait sur le front. L'habit ne fait pas le moine; ses propres ailes ne l'avaient pas empêchée de torturer des réfractaires de la Couronne.
Mais Vaal était un autre genre de morceau. Les rumeurs qui couraient à propos du seigneur de Kyouji auraient fait passer n'importe quel barbos assoiffé de tripaille du désert, pour un enfant de choeur. Crocell aurait pu le vendre avec la ferveur d'un démarcheur de machines à laver, qu'elle s'en méfierait.
« ... Ai-je tort, Marjhan ? Si oui, je vous écouterai attentivement. Chaque phrase, chaque mot, chaque syllabe me seront entendu, répété, et imprimé dans mon esprit, pour que je puisse avoir une vision nouvelle du monde, et de vous. Ou… »
Son sourire lui donna envie de l'émasculer au casse-noix.
« ... De toi ? »
« Je suppose que ce genre de tartufferie fonctionne avec ton maître Azathoth ? - Navrée, je voulais dire Vaal. » Elle poussa un long soupir. « Les hommes et leur amour des analogies étranges. Je ne suis ni une fleur, ni une héroïne, ni un ange tombé des cieux, - ces polisseurs de Titans peuvent bien aller se faire voir - ni quoi que ce soit de similaire. Je ne suis que... moi. Je ne me projette pas dans l'hubris, la démesure des individus de pouvoir. Si je suis ici, c'est pour la dignité des faibles. (Sa phrase, fétiche, la ragaillardit un peu plus.) Je me bats pour eux, et pour « elles » en particulier. »
Elle marque une pause, observant le pavé, songeusement. Avant de reprendre.
« Mais je vous comprends. Vous tous. Je tue, je séquestre, je torture, et je parle de protéger mon prochain. Je cloue des bandits sur des croix, et je prétends être un bouclier, pour des gens qui craignent ce que j'incarne pourtant : une brute. C'est assez paradoxal... Je suppose que certains doivent y voir une misandrie déguisée en principes, ou l'hystérie d'une femme, incapable de vivre en cohérence avec le monde qui l'entoure. » De nouveau, un silence, et le visage amoché de Kyrian lui revint en tête. Elle aurait donné ses deux paires d'ailes, pour l'avoir à ses côtés. « Et ils ont raison. Ils ont absolument raison. Si tu savais avec quel cynisme, on considère l'ambition d'un homme qui apparaît sur cette terre, tue, viole, puis disparaît, le temps d'un battement de cil, quand on est voué à vivre des siècles. Tous ces guerriers peinturlurés de merde de chameau, qui croient embrasser quelque éternité en beuglant plus fort que leur prochain. En saccageant des terres. En menottant des poignets de môme. Je les hais. Tous. »
La tête de son fabuleux mari entièrement dévorée, la mante-religieuse repartit dans son buisson.
« J'aurais aimé dire que je fais tout cela à contrecoeur. Que je tue, parce qu'il faut le faire; que je n'y prends aucun plaisir. Mais c'est faux. Je ne ressens pas de joie plus grande, que quand j'enfonce Karama dans les boyaux d'un saleté de mâle dévoré par l'ambition. Quand je l'entends hurler. Il me supplie; m'agrippe le bras, parfois. Alors, je continue. Il ne souffrira jamais autant que le dépôt de ruine et de sang qu'il a laissé sur cette terre. »
Elle cracha ces mots au-travers de ses jolies dents. Une fleur, oui : assez facile de l'y confondre. Une gueule de poupée, et des cheveux blonds, dont les racines, cependant, commençaient à virer au blanc, sous la colère. Venimeuse à souhait, elle braqua son regard sur le demi-Oni.
« La seule chose que je souhaite à ce pays, c'est de voir ses hommes brûler dans un grand feu de joie, et que la Reine puisse offrir une aube nouvelle, à toutes ces âmes, tous ces enfants qui ont payé le supplice d'une paire de couilles testostéronées en guise de dirigeants. Je ne suis pas une fleur, Crocell. Ni même ses épines. Je suis un brasier, qu'Ayshara conjure. »
Elle s'approcha, et ses ailes, gigantesques, enténébrèrent les haies. Elle saisit les joues du conseiller, - si tant est qu'elle la laissa faire - douce, mais ferme, et leurs lèvres se rapprochèrent. « Je suis persuadée que tes hommes vont m'adorer. »
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Crocell n’avait fait que de constater son environnement, et la vue de l’aubépine rouge était une aubaine à ne pas manquer. Voilà pourquoi il en avait fait toute une tirade. Par chance, la valkyrie n’avait pas la connaissance très atypique, celle du langage des fleurs. Par malheur, si elle l’avait, le demi-oni venait juste de faire une glissade complète. Enfin, il pouvait se rattraper. Il n’avait qu’à dire que c’était lié avec sa vocation.
Le tutoiement eut l’effet de faire réagir Marjhan dans l’instant même de sa fin de phrase. Et ainsi, elle aussi s’était mise à le tutoyer. Avait-elle aussi voulu paraître sarcastique ? Cela semblait être le cas quand elle comparaît à nouveau Vaal avec une sorte d’entité cosmique du fin fond des âges. Elle continua, ressassant plus ou moins la même chose.
*La dignité des faibles… Que de noblesse dans cette valkyrie.*
Elle enchaîna sur une introspection orale d'elle-même, du monde qui l’observait et ne faisait que transmettre l’image qu’elle affichait. Tout était vérité dans ses explications. Beaucoup la voyaient plus comme une nouvelle tortionnaire à qui on avait donné protection, motifs, et pouvoir. Étrangement, cela ne paraissait pas étranger au conseiller. Il faut dire que lui aussi sa place lui permettait quelques écarts, sans que trop de monde le sache pour autant. Le reikois savait très bien brouiller les pistes, et réduire au silence toute fuite d’informations.
*Si vous saviez… Dans une autre vie, je vous aurais adulé…*
Puis, son avis tourna en incluant le mage. Elle parlait d’elle, non, des valkyries en général, semblait-il. La misandrie était comme une chose courante parmi les porteuses ailées férues de combat. Elle parlait de la présence humaine masculine, ses déviances le poussant aux vices ultimes, et la fragilité de vie qu’ils avaient, tandis qu’elles vivaient plusieurs siècles, devant tous ces crimes, dont la majeure partie restait impunie, laissant des familles, des femmes, des filles scarifiées pour le restant de leur vie, leurs esprits brisés en mille morceaux, pour les retrouver comme enchaînés et attachés à des maîtres leur faisant mille et une horreur… Crocell aurait juré entendre Hiran se délecter de ces pensées impures.
Mais pour le ressenti qu’il avait en écoutant la valkyrie, il sentait comme de la frustration, de la colère qui montait, tel une tempête qui, doucement, s’annonçait aux nuages qui s’obscurciraient à mesure du temps.
Or, c’était l’inverse pour la protectrice. Ses cheveux commençaient à prendre une teinte blanche, synonyme d’une imminente prise d’action violente, une colère qui allait exploser en très peu de temps. La plupart d’Ikusa se seraient vite rué hors de portée pour ne pas subir son courroux. Mais le conseiller, lui, restait tout bonnement là, le fruit de la plante à la main, respectant à la lettre ses dires : il l’écoutait, la comprenait, et voyait plus clair dans sa façon de faire. Par contre, la description de son désir, de son plaisir ultime avec le procédé qui lui procurait ce tel sentiment, était en totale contradiction avec l’idée d’une guerrière pure, dévouée et retenue. Là, on aurait presque entendu une psychopathe aliénée par la vengeance et le but d’éradiquer tout porteur de chromosome Y.
Son regard doré, intense, s’était fixé sur l’homme. Dans un nouveau tutoiement, elle se considérait plus comme un feu ardent, somme d’une mission divine et mystique par la reine Ayshara, d’où sa présence et sa raison d’être. Le feu, à la fois créateur et destructeur, voilà l’analogisme de la valkyrie. Cet élément pouvait être divin, comme démoniaque. Crocell se retint de dire que lui-même le feu était une attirance chez lui, car là n’était pas le bon moment pour réagir à son phrasé.
La patience fut encore une bonne solution, mais ce fut de courte durée : de ses quatre ailes déployées, créant une ombre couvrant à la fois la végétation, mais aussi les deux. Un éclat lumineux, celui du reflet solaire sur les yeux, rendait l’instant mystique. Soudainement, la surprise fut au rendez-vous.
*Mais… elle me fait quoi là ?*
S’étant saisi des joues de ce dernier, elle était seulement qu’à quelques centimètres de son visage, les lèvres de plus en plus proches, avant que ses paroles ne ressemblaient qu’à un murmure, traitant du marché passé avec elle.
*Elle m’a tout bonnement surpris. Je l’accorde, elle est fortiche cette protectrice. Par contre, j’espère que le jardinier est loin, sinon, je mets fin à sa carrière.*
La situation était très… Tout le monde aurait retenu son souffle, pour diverses raisons. Crocell, lui, restait là, pris dans les mains de la femme guerrière, leurs visages se décrivant à la distance d’un nez, l’un regardant vers le haut, l’autre vers le bas. Essayant de sourire, contractant au mieux pour ne pas avoir une expression faciale distordue. Il murmura, pour ne pas alerter un quelconque intrus potentiel.
“Je n’en doute pas, Marjhan. J’espère juste que le jardinier ne se fait pas d’idées saugrenues à notre posture commune. Tu dois être amusée de me tenir entre tes mains, comme si tu tenais ma vie. C’est pourquoi je ne m'amuserais pas de te faire l’identique, au risque de n’avoir que cette image gravée dans ma mémoire, à emporter dans ma tombe.” Laissant retomber l’air jovial, il s’exprima de nouveau. “Sinon, je ne pense pas réellement de vous comme l’idée sordide que vous vous faites de vous-même. Chacun à ses démons. On les embrasse, ou on les chasse. Cela reste une partie de nous, et quand bien même le monde nous montre du doigt, cela nous définit, comme eux. Mise à part ceux qui le méritent vraiment, et là, je te rejoins dans ta quête perpétuelle vindicative. N’as-tu donc pas rencontré encore la personne qui te fait remettre en question toute ta thèse basée sur l’expérience intemporelle de tes consœurs ? Car saches-le : même si ton règne sur cette vie t’a montré la vérité depuis longtemps immuable, le mien n’est qu’une goutte d’eau qui pourrait faire déborder le si beau vase de ton voile mensonger qui obscurcit ton jugement.” Ravalant légèrement sa salive, il continua son monologue. “Pour toi, nous naissons mauvais. Je ne le nie pas. Une part d’ombre règne sur tout individu, mais certains se battent pour y échapper. Vainqueurs ou perdants, seuls les plus forts d’esprit et de corps peuvent s’élever et aider à leur tour ceux qui sont perdus. Que cela soit homme, ou même femme, tous ont le droit à une seconde chance, sauf…”
Des pensées mélancoliques à nouveau. Celle d’une vie d’enfant, ayant subi un châtiment qui n’aurait pas dû aboutir à sa survie. Tous ces gens, qui le regardaient, sourire aux lèvres, le corps du père non loin, une partie de la mère de l’autre, et tous, l'observaient avec l’air satisfait. Un air…
“... Sauf ceux qui recyclent avec leurs poumons viciés l’air pur de la vie. Ceux-là, mérite simplement d’être effacés du monde, pour y être oubliés à jamais.”
C’était sur un ton de haine, de frustration perpétuelle, de vengeance jusqu’à là encore inassouvie, que les paroles se terminaient pour le conseiller. Retrouvant un peu le sens de la réalité, il croisa à nouveau le regard de Marjhan.
“Pardonne-moi cet égarement. Nous disions ? Que comptes-tu faire en me tenant de la sorte ?”
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« Pour toi, nous naissons mauvais. Je ne le nie pas. Une part d’ombre règne sur tout individu, mais certains se battent pour y échapper. Vainqueurs ou perdants, seuls les plus forts d’esprit et de corps peuvent s’élever et aider à leur tour ceux qui sont perdus... »
La mâchoire du demi-Oni toujours vissée entre ses doigts, elle ne put qu'acquiescer. Intérieurement, du moins, - il était hors de question de lui céder la moindre parcelle de terrain. Pour vaincre les malheurs de la force, il fallait, soi-même, l'embrasser jusqu'à sa dernière fibre. Et triompher de tous ses détenteurs. Mais il fallait aussi ruser. Il n'y avait que dans ces bouquins à vingt cuivres, que le héros parvenait à ses fins simplement à coups de volonté. La vraie vie, elle, exigeait de la patience. De la méthode. Un sacrifice de soi que tous n'étaient pas prêts à accomplir
Sans doute la raison pour laquelle des dynasties guerrières pouvaient régner durant des millénaires, sans que personne n'y trouve à redire. Les mortels, dans leur instinct grégaire, dans cette soumission, passive, qui leur fut implantée dès la création, préféraient tendre le cou, plutôt que de lutter contre des lois qui leur paraissaient fondamentales. Celle du plus fort, notamment.
Mais plus le temps passait, et plus Marjhan prenait conscience que les choses étaient un peu plus subtiles que cela. Il n'existait qu'une chose, en vérité : la victoire. Par la force venait la paix, et la paix accouchait de faibles. Qui diable voudrait être fort, pour garantir la sécurité des faibles ? il avait fallu, à la Valkyrie, une éducation particulière, un long travail d'empathie, et des larmes, des hurlements dans l'immensité du désert, pour enfin comprendre. Elle vivait à-travers le monde. Sa force appartenait aux femmes.
Là où des juggernaut comme Tensei se contentaient de prendre, de boire, et de ne laisser, à leur mort, qu'une terre brûlée.
Un combat de forts... songea-t-elle. Et l'Histoire, comme à son habitude, ne retiendra que les vainqueurs.
« Pardonne-moi cet égarement. Nous disions ? Que comptes-tu faire en me tenant de la sorte ? »
« Humph... » Elle souffla du nez, dans l'arrogance qu'on lui connaissait. Avant de relâcher, finalement, les mandibules du colosse. Ses ailes se replièrent, et elle recula, comme si de rien n'était. Un amoureux de dessins suggestifs aurait certainement eu l'esprit - et les hormones - en ébullition, devant une scène pareille. Qu'est-ce qui a pu diable se passer derrière ces lourds membres plumeux ? s... se seraient-ils embrassés ? chuchotés quelque aveu, fiévreusement ?
Mais il n'y avait que le jardinier. Qui faisait mine de tailler une haie, le souffle coupé. Sa couverture aurait pu être efficace, s'il n'avait pas creusé un véritable trou dans le buisson, tout occupé qu'il était à écouter.
« Ce que tu dis est juste. En partie. » Mais elle était dans une sorte de cynisme enjoué. Haussant mains et épaules. « Peut-être que mon opinion est biaisée. Nous ne vivons qu'à-travers nos expériences, après tout. Et il se peut que je mésestime les hommes, dans leurs aptitudes à faire le bien. Il m'est même arrivée d'en croiser, qui n'étaient pas tout à fait maléfiques. Certains ont donné leur vie pour défendre leur famille, durant le siège de Tensei. » Elle marqua une pause. « Mais je suis une incorrigible butor. Tout comme le bandit n'interroge pas sa conscience, quand il égorge et viole une femme, je ne vais pas interroger mes propres convictions, au rythme des coups de maillet, lorsque je cloue un de tes homologues péniens sur une croix. Je laisse ça à d'autres. »
Ca n'avait rien de vraiment étonnant. Un individu capable de prendre conscience de l'importance de la force, et du pouvoir politique, dans ce monde, avait forcément le recul pour saisir certaines subtilités du spectre humain. Non, les hommes n'étaient pas tous des bâtards arrogants, tout juste bons à mener l'humanité au naufrage. Il y en avait des « corrects ». Mais aux yeux de la Valkyrie... tous étaient en perdition. Elle avait suffisamment guerroyé pour le comprendre. Mettez une épée entre les mains d'un père de famille, fut-il le plus exemplaire des mammifères, après deux ans de siège... et il n'hésiterait pas à prendre le ventre de la première femme venue, pour assouvir ses pulsions.
Tout n'était qu'une question de moment.
« Tu es quelqu'un de lucide. Un peu trop pour que je ne m'en méfie pas. Certainement que ton seigneur, Vaal, ne s'en méfie pas, lui, - à moins que... ? Lui comme toi, n'avez rien à voir avec ce qu'on trouve sur le marché standard. Je pense que cette visite à Kyouji sera plus intéressante que prévu. »
Elle le déshabilla.
Du regard.
Avant de reprendre.
« On ne vit qu'à travers notre expérience », se cita-t-elle, à ça de parler d'elle à la troisième personne du singulier. Arracheuse d'organes génitaux, peut-être, elle était d'une exubérance surprenante. « J'ai les miennes. Tu as les tiennes. » Et elle appuya son regard. La haine du bâtard, elle l'avait clairement ressentie. Sa colère, sa frustration. Un instant, elle avait failli s'y perdre, fascinée. Ce bougre d'âne n'avait pas été catapulté au sommet de la scène politique pour rien : lui aussi avait ses ambitions. Qui différaient sans doute de celles de Shub'niggurath, - de son seigneur.
Ce serait un levier intéressant, pour la suite des événements.
Puis, elle soupira, roulant du poignet. « Non, vraiment, il faudrait s'occuper de ce jardinier. Je le trouve un peu trop curieux. »
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Elle avait lâché prise, la sensation éreintante, l’odeur qu’elle dégageait, le visuel de sa personne un peu trop envahissante dans son espace vital, tout cela prit fin sur les pas arrières de la femme guerrière, ses ailes rangées, prenant une position de repos. Crocell avait bien remarqué le défaut dans la haie voisine : un trou d'à peu près 10 centimètres de rayon, assez pour laisser un visage apercevoir toute chose qui se tramait sur l’endroit voisin, à savoir, là où se trouvait Marjhan et le conseiller.
Cette dernière semblait aussi débattre sur les dires de l’oni, acquiesçant sur certains points, réfutant d’autres dans la foulée. Elle-même se caractérisait d'incorrigible butor, un mot qui fit esquisser un sourire fantomatique. La valkyrie ne présentait aucune once d’hésitation. C’était une marque, une preuve, que tout n’était pas une répétition générale, une question et une réponse, des débats déjà établis, faits, joués sur plusieurs années. Ou alors, elle s’était convaincue que sa justice, aussi sanguinolente que cruel, n’était qu’une seule façon de punir et ramener à l’ordre, et garantir un avenir pour le Reike. Voyait-elle au plus loin, pour toutes les femmes de Sekai ? Possiblement, mais une revendication à la fois suffisait.
Avec un éloge pareil, le mage ne pouvait que sentir son ego gonfler. Même si Vaal était inséré de façon ironique, le demi, lui, n’allait pas relever à nouveau ce petit moment d’irrespect envers son maître. Après tout, parler politique revenait à cracher sur le dos des autres, que ça soit de face ou de derrière, à jouer les bons samaritains, défenseurs du peuple, et autres qualificatifs amélioratifs, alors qu’en réalité, chacun voulait une part de la galette qu’était le pouvoir, et encore plus si la royauté était dans le gain. Elle termina de dire à nouveau son appréciation à pouvoir aller à Kyouji, voir qu’elle semblait même démontrer une sorte de curiosité impatiente à cet événement.
Le conseiller remercia le compliment d’une légère révérence.
Puis, il remarqua les mouvements de regards de son invitée. En voilà des manières d’observer son prochain ! Crocell n’était pas homme à secrets - c’était ce qu’il s'auto persuadait - donc il s’était senti comme jugé, présenté sans vergogne à elle, dénudé devant sa justice visuelle. Jusqu’à là, il suivait attentivement les réponses de la femme ailée, mais son moment de dissipation fut remarqué par celle-ci. Le mage pouvait le savoir : son étonnement n’était pas caché derrière son expression, mais elle semblait comme plus alerte, non pas pour réagir avec une violence véhémente, mais plus… Pour voir si ce relâchement aller engendrer un incident. Par chance, il s’était ressaisi assez vite. Qui sait si sa pensée avait continué à dépasser les mots.
Dans un souffle d'exaspération, elle traita du sujet fâcheux : l’intrus, le fauteur de troubles, le rat écoutant aux portes - enfin, aux haies - le jardinier. Il était temps de s’occuper de lui, en effet.
“Permettez.”
Se tournant vers le lieu suspect, Crocell s’avança doucement, une posture droite, qui ne déviait pas de sa trajectoire. Les bras le long du corps, se balançant légèrement à chaque pas qu'effectuait le protagoniste, c’était aux abords de quelques mètres qu’il s’arrêta, fixant du regard le trou.
“Allons bon, décidez-vous : prenez un pas en avant, et subissez son courroux. Restez ici à épier, vous en subirez les deux. Partez, et la chance vous sourira sûrement. Mais sachez une chose…” Il se pencha en avant, et prit un air plus malsain, plus autoritaire. “Un mot de cette rencontre, et vous finirez comme ce que vous pensez. Votre vie, votre choix.”
Et dans un mea-culpa à profusion, quelques secondes suffirent à faire dégager l’humain. L’idiot s’était même montré à eux deux, donc si rumeur encourait, son physique atypique allait pouvoir permettre de le cibler très vite, de façon directe ou indirecte. À aucun moment, il allait user de sa magie : c'était une chose qui pourrait lui servir, tant que cela restait hors d'atteinte.
Revenant sur ses pas, pour ne pas être trop loin de son auditrice, Crocell prit la position suivante ; debout, le bras dessous l’autre, le soutenant, ainsi que sa main tenant son menton. Le visage tourné vers la valkyrie, mais le corps toujours face au souci longtemps évaporé, il s’adressa.
“Problème résolu. Je pense qu’il n’ira pas raconter grand-chose, si ce grand-chose est un rien. S’il venait à compromettre cette confidentialité entre nous, je soutiendrais ta cause pour qu’il soit occis de toutes les façons. Par ailleurs, lors de ton séjour à Kyouji, j’aimerais bien échanger sur ta vision actuelle des choses, en profondeur. M’est d’avis que ta venue, effectivement, sera vraiment l’une des choses marquantes qui restera à jamais gravé en ma mémoire, Marjhan.”
Il se déplaça vers, ne se trouvant seulement qu’à ses côtés, faisant bien attention de ni la toucher, ni la frôler, elle et ses ailes absolument grandioses et magnifiques.
“Si tu as encore des questions nouvelles me concernant, moi, mon avis, je suis toujours enclin à répondre. Mais, plus le temps passe, plus je sens que l’esprit lubrique de certains va s’alimenter de plus belle. D’une part, de notre absence. D’autre part, du seul personnage ayant réchappé à la rencontre de deux individus aussi uniques que ressemblants.”
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Djibril Mouba Parker crut s'évanouir lorsqu'il vit le démon s'approcher. Le démon, oui, car il ne put s'agir d'autre chose, cette gigantesque masse cornue, à côté duquel même la Chienne de Fer, paraissait normale. Il lâcha son sécateur et tomba sur ses fesses grasses, témoignages de son amour pour les délicieuses pâtisseries de sa femme, et sentit son visage fondre. Pourquoi avait-il choisi ce job, déjà ?
« 'tain, t'as vraiment d'la chance, Parker ! », qu'on lui avait dit. « Tu vas pouvoir espionner les nobliaux, ouais ! pis, p't être que certaines d'entre elles te f'ront des faveurs... » Il avait souri, fier comme un paon, avant de répondre, plaquant son poing contre sa poitrine. « Ecoutez-moi bien, les gars. J'vais vous faire honneur. Et si jamais j'croise cette crevure de Tensei, j'peux vous dire que j'lui toucherai deux-trois mots ». Tensei ? il l'avait croisé. Par un beau ciel d'été. Il avait cru à une éclipse, quand le géant passa à côté de lui. C'était curieux : il n'avait rien bu, et pourtant, il était quand-même parvenu à se pisser dessus. Ses bras étaient larges comme ses propres hanches; et maintenant, c'était au tour de ce « Crocell » de le terrifier.
« Allons bon, décidez-vous : prenez un pas en avant, et subissez son courroux. Restez ici... »
Il allait mourir. Pris au piège. La Clémente le regardait. Il était sa proie, désormais. Que pouvait-il faire ? rien, absolument rien. Il savait pertinemment que s'il venait à l'un d'entre eux l'ennui de lui ouvrir le ventre, personne ne pourrait lui venir en aide.
« Un mot de cette rencontre, et vous finirez comme ce que vous pensez. Votre vie, votre choix. »
« P-P-Promis, Monsieur... ! », jappa-t-il, dans un hurlement contenu. Avant de détaler, - et tant pis pour son job. Il allait faire comme les copains : éleveur de dromadaires, et ce serait très bien ainsi. Il quitta les jardins, bifurqua dans un couloir... avant d'atterrir face à un soldat. Qui, aussitôt, se mit à lui... sourire ? et passa un bras autour de ses épaules.
« Ben alors, Parker ? Tu me connais, non ? c'est moi qui m'occupe d'amener les planches, pour les crucifiements de Marjhan. On m'a dit que... »
Mais il n'eut guère le temps de terminer sa phrase, que le gus se dressa, comme monté sur ressorts, avant de détaler à toute vitesse jusqu'à l'extérieur du palais. Laissant, derrière lui, le soldat, hilare.*
« Aussi uniques que ressemblants, tu dis ? »
Bras croisés, la Valkyrie tourna sa tête en direction du conseiller. Elle n'avait eu qu'un bref intérêt pour le jardinier. Il allait sans doute cauchemarder du demi-Oni pour le restant de ses jours; et s'il essayait de parler, alors Jaspar, - l'eunuque qui la flanquait, dans ses sorties en ville - s'assurerait de lui faire cunnilinguer les pissenlits par la racine.
Elle fut néanmoins étonnée par l'aisance avec laquelle Crocell l'avait rabroué. Etonnée qu'il n'aie pas préféré lui arracher la tête. Voir une masse pareille jouer de sourire et de sous-entendus lugubres, non, décidément, il n'avait rien à voir avec les barbares d'Ikusa.
« Tu es plus patient que je ne le suis. Ce doit être pour ça, que tu es dans les petits papiers de Vaal... » Quelque chose l'agaçait, chez lui. Le fait qu'elle ne puisse pas le lire, clairement.
Des années passées à parcourir le désert l'avaient confrontée à toutes sortes d'individus. Les sages, paresseux et édulcorés. Les guerriers, teigneux, prévisibles et austères. Les mignons, et cette manie qu'ils avaient de lui donner du « Madame » pour un rien. Mais Crocell ? une impression de loup cravaté. Comme si on avait enfoui l'esprit d'un soufi dans la carcasse d'un engin de siège. Elle claqua sa langue, et finit par détourner la tête.
« Je viendrai sans doute avec ma pupille. Ca lui fera du bien, de respirer un nouvel air. Elle montrera à tes hommes comment se passent mes entraînements. » Ecraser les nerfs au rouleau, pour amoindrir la douleur. Puis battre les os, jusqu'à ce qu'ils deviennent aussi rigides que de la roche. Pousser le cerveau reptilien à ses derniers retranchements. Mais rien ne vaut la pratique... songea-t-elle. Elle se demanda s'il n'était pas plus judicieux de les confronter à une menace réelle.
Elle se dirigea vers la sortie, l'enjoignant à la suivre. L'entretien entre la Reine et le Seigneur de Kouji semblait toucher à sa fin. « D'ici-là, veille à ne pas mourir », fit-elle, dans une salutation qui lui parut tout à fait ordinaire. Pas avant que ta haine n'aie été étanchée, jeune ami. Ce serait du gâchis...