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Anonymous
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Neuf ans plus tôt.

Les ruelles d'Ikusa, chamarrées de couleurs. Des boutiques de carpettes, de babouches. Salons de message, bars à chicha, saltimbanques, guerrabas... A l'époque, il n'y avait pas tous ces barbares claironnants de sonnettes, barbouillés de sang de cheval, pour empuantir la capitale. Tout y était plus sain, plus vivable... à moins que l'aversion de Marjhan pour les hommes influençât ses souvenirs ? non, bien sûr que non. Elle se rappelait, en revanche, parfaitement de la chaleur écrasante qui régnait. Plus que les autres jours. Ses ailes semblaient lui peser une tonne, et les passants n'avaient de cesse de grimacer, aux reflets que projetait son armure blanche. Elle chatoyait comme une perle. L'impression qu'elle laissait le plus souvent, derrière elle. Ca, ou celle de la « Chienne de Fer », véritable harpie qui picorait les assassins et les traîtres jusqu'au fin fond du désert.

Le bruit, aussi. Une esclandre avait éclaté, à l'entrée d'un pub. Des recrues, en permission. Elle les reconnaissait, avec leurs petites têtes rasées, leurs yeux pleins d'ambitions et cette façon qu'ils avaient de déambuler, en roulant des mécaniques, comme s'ils étaient les rois du monde. Flanquée de deux gardes, dont les cheveux, graissés de sueur, leur collaient aux tempes, elle s'approcha; replia ses ailes pour ne pas bousculer les spectateurs. (doux souvenir; aujourd'hui, elle leur aurait mis des coups de pommeau) Il y avait un gros type, avec une moustache en forme de peigne. Affolé, il essayait, vaille que vaille, de séparer deux adolescents foutus l'un sur l'autre. Une petiote, qui en bastonnait un autre, plus massif. La violence faisait partie de ce monde. Plus tôt on l'apprenait, mieux cela valait. C'est ce que Kyrian lui avait enseigné, dès qu'elle sut tenir une épée en bois.
Aussi, Marjhan n'intervint pas. Se contentant de croiser les bras.

« Oh lô, on s'calme eh ! régurgita le balourd, mais à peine avait-il saisi l'épaule de la môme que celle-ci le mordit, jusqu'au sang. Aïe ! 't'vas t'la prendre, j'vais t'enrhumer ! »

Il y aurait eu de quoi rire. Surtout à Ikusa, où force et domination étaient les mots d'ordre de la cité. On n'était pas chez ces petits bras de la République : ici, tout se méritait. C'est par le sang versé que l'on devenait quelqu'un. Et ce moutard aux cheveux rouges semblait l'avoir compris. Il y aurait eu de quoi rire... si ça n'avait pas manqué de dégénérer. L'adolescent, - celui qui servait de viande de frappe - roula sur le côté, et saisit un gros caillou. Puis il se redressa, titubant, la tempe ouverte, la lèvre fendue en « v ». Cet énorme colombin, - c'est que pensa Marjhan - mesurait presque un mètre quatre-vingt. Son adversaire lui arrivait tout juste aux mamelles, sans parler des muscles. « C'est Joubard », fit un homme, dans la foule. « L'fils d'un forgeron. Pis, j'peux vous dire qu'y castagne, l'salopard. La gamine est archi morte. » « Quoi, personne va l'arrêter, tu vas m'dire ? »
Il y eut un long silence, pesant. Et la Valkyrie sentit qu'on l'observât.
Son souvenir s'étiolait.
Il y avait les clameurs. La gamine bondit comme une flèche...
... vu ça ? elle l'a couché ! c'est dingue ! … Peux... rapide... solddd... »

Sept ans plus tôt.

Il faisait chaud, mais un peu moins. Les poumons n'étaient pas enflés. Et ce jour-là, elle la revit.

Qu'on soit, ou non, quelqu'un d'intéressé, il était difficile de ne pas se réjouir de ce genre de réactions. Le barman, qui récure le fond de son verre, distraitement... avant d'apercevoir Marjhan passer les portes à double-battants. Il avala sa langue et s'inclina, son front manquant de heurter le zinc du comptoir. Ce patapouf avait une peur bleue, d'elle, et il avait bien raison. Tout le monde se demandait pourquoi sa femme revenait avec des hématomes sur le visage, chaque semaine. Jusqu'à ce qu'on le vit, lui, revenir avec les phalanges enflées.
Mais elle n'était pas venue pour ce pourceau.

Elle approcha d'une des tables, là où se tenait l'adolescente. Elle avait grandi. Ses formes étaient plus prononcées; ses muscles, surtout. Et cette férocité, dans le regard... A mesure qu'elle mangeait la distance, entre elle et sa cible, le barman chiffonnait son godet, nerveusement. Un meurtre !? dans son bar !? C'est ce que disaient ses yeux de mammifère affolé. Il allait devoir nettoyer ça à la spatule... mais... rien. La Valkyrie marqua un silence, avant de dire.

« Alinka, c'est bien ça ? »

De nouveau, les souvenirs s'étiolaient. Combien de fois avait-elle tenté de la recruter ? sept, huit ? Quand des hommes se battaient corps et âme, pour obtenir les ferveurs de la Clémente, celle-ci n'avait d'intérêt que pour la môme. C'eut été mentir que de se dire qu'elle lui rappelait sa jeunesse. Non, elle lui rappelait Kyrian, son mentor et mère adoptive. La seule personne, en ce monde, pour qui Marjhan aurait pu lâcher des larmes.
A chaque fois, cependant : l'échec. Toujours l'échec. La gamine la rabrouait avec une relâche assourdissante. Pourtant, jamais, jamais...
Jamais je ne m'énervais.

Ses cheveux n'avaient jamais blanchi, - signe capillaire distinctif, qui indiquait qu'il allait pleuvoir des molaires. Elle lui parlait de sa famille, de son père, de ses frères. Qu'elle n'avait besoin de rien d'autre. « Pourquoi ne pas l'embrigader de force ? », lui avait demandé un des soldats. Et la Valkyrie avait tiré un affreux rictus. Supposément un sourire. « C'est un lion, que je veux. Pas un chien. » « Sauf votre respect, Madame, les lions ne se domestiquent pas. » « Alors, je ne l'aurai jamais. »

Des années encore s'étaient écoulées. Et puis, il y a eu la guerre. La vraie guerre. Elle l'avait perdue de vue, comme beaucoup d'autres. Elle pensait qu'elle était morte. Pensait que beaucoup de ces recrues, ce jour-là, étaient mortes.

Aujourd'hui.

Pourtant, pas de doute. Devant elle se tenait Alinka Bell. Son regard était bel et bien celui d'un chien. Un corps fibreux, colérique; celui d'un carnivore, sans rien à bouffer. Et cette tignasse rouge, caractéristique.

Marjhan sentit sa mâchoire se décrocher, l'oeil complètement rond, avant de secouer la tête.
Elle s'approcha; il y avait des spectateurs, mais elle les dégagea, sans ambages. Aussitôt, on s'inclina. Se confondit en excuses. Elle ne les écoutait pas, dans ces moments-là, mais imaginait des tartufferies du genre : « D'slé, m'dame, d'exister. » « Promis, pis, j'respirerai pas trop fort, 'veux pas polluer vot' oxygène. » « M'dame, merci, merci encore d'nous faire d'don d'vot' présence. » Un homme, dans la foule, cracha par terre. Il devait faire partie de la deuxième catégorie. De ceux qui la voyaient comme une traîtresse; une vulgaire roulure, au service des barbares.

La guerrière, elle, avait son attention braquée sur l'esclave manifeste. Et si sa répartie avait appris à faire grincer les dents de ses homologues militaires, elle ne parvint qu'à dire, hagarde.

« ... Alinka ? »
Alinka Bell
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Fiche du personnage
Race: Humain
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Citoyen du Reike
Alinka Bell
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Feat.Marjhan

Neuf ans plus tôt.

Ikusa, belle capitale du royaume et toujours des plus animée en journée. C’est au milieu de cette atmosphère bordélique que le ton monte entre ces deux adolescents qui ont passé l’âge de courir comme des mômes dans les rues. Ils sont impatients d’en découdre et la joute verbale n’a pas duré longtemps avant que les poings ne prennent le relais. La foule recule progressivement mais uniquement pour mieux savourer la danse qui commence à leurs pieds. Elle n’est pas déçue du spectacle et y donne même de la voix pour encourager cette folle jeunesse. Du soutien que la jeune fille du boucher n’entend pas, elle est focalisée sur le fils du forgeron qui a osé critiquer haut et fort la barbaque travaillée et vendue par sa famille. Accusation gratuite suite à une constipation qui dure et un mal de ventre conséquent, mais qui n’a strictement rien à voir avec la qualité de la viande avalée quelques jours plus tôt. Alinka le sait très bien et pour cause, elle y goûte chaque jour sans subir le moindre mal. Injustice, calomnie, diffamation, que de bons arguments pour lui sauter à la gorge et lui faire ravaler ses mots.

Sa taille ? Ce n’est pas un problème, elle a l’habitude des grands, sa famille est loin de répondre à la catégorie des petits, les combats avec ses frères et l'entraînement avec son père suffisent à la cadette pour lui ôter toute peur et au contraire tirer profit de sa petite taille. Petite taille qui va de pair avec une agilité et une rapidité conséquentes, esquiver les assauts du géant est aisé, la lecture de ses mouvements également. Mais il est robuste, sa résistance aux nombreux coups subis arrive à la surprendre qu'elle en baisse un court instant sa garde et c’est un coup en pleine mâchoire qui vient faire grimper sa jauge de haine d’un nouveau cran. Elle sait qu’elle possède une force au-dessus de la moyenne et qu’elle doit s’en méfier pour éviter d’ôter la vie à un autre citoyen dans une rixe. Autant là, la colère profonde qui émane de ses pupilles a clairement pris le dessus sur sa raison. Aussi, quand cette main vient la couper dans son élan pour lui attraper l'épaule, c’est une morsure profonde qui l’accueille pour mieux la repousser. Une parenthèse passagère qu’elle a déjà oubliée alors qu’elle s’en retourne vers le grand insolent désormais armée d’une énorme pierre qu’il lève au-dessus de sa tête. Rien à foutre, c’est la pensée qui traverse furtivement son esprit tandis qu’elle bondit dans la gueule de Goliath. La pierre n’a même pas le temps d’être jetée, le poing de la jeune fille a été plus rapide et s’est écrasé contre sa hanche, sans mesure dans sa force cette fois, envoyant le géant et sa pierre loin en arrière avec certainement plusieurs côtes de fêlées.

C’est terminé et la jeune redescend immédiatement en pression, elle prend même le temps de nettoyer sa mâchoire en crachant une petite gerbe de sang au sol avant de tourner les talons. Elle rentre simplement chez elle, sans un regard pour la foule ou les gardes et cachant ses mains encore tremblantes d’adrénaline dans ses poches.





Sept ans plus tôt.

Le service militaire est épuisant et éreintant, aujourd’hui, elle a été renvoyée uniquement pour la journée, motif, insubordination et toute honteuse qu’elle est, elle n’ose clairement pas rentrer chez elle pour subir la colère de son paternel. Vivement la fin de ce service, le travail simple à la boucherie lui manque. Rongeant alors doucement son frein au fond de la taverne, elle remarque bien vite l’arrivée de la Valkyrie qui fond progressivement vers elle. Comment la louper ? Impossible. Son regard clair n’arrive pas à s’en détourner, il l’observe comme s’il s’agissait là d’un phénomène surnaturel ayant pour essence une bienveillance absolue. Elle est éblouie par cette grâce naturelle que l’armure n'entache aucunement et ses lèvres s'entrouvrent légèrement sans pour autant laisser le moindre son y filtrer. Quand elle entend son nom, son museau se redresse lentement vers le visage de Valkyrie et vient naturellement accrocher son regard. Un regard aussi surprenant que le reste, pur, il a ce don de chasser immédiatement les ombres - et accessoirement de rendre muette la jeune femme. Plusieurs secondes, c’est le temps qu’il faut à la rouge pour dissiper l’interrogation muette restée en suspend et retrouver l’usage de la parole. “Heu… Oui ?” Le ton est hésitant et la voix est basse, ce n’est pas monnaie courante chez elle, mettons ça sur le compte de sa première fois avec une Valkyrie aussi lumineuse.

Une première qui se répétera de nombreuses fois avec toujours ce même but, rejoindre l’armée et toujours cette même réponse, un refus. Ses frères soldats lui ont pourtant hurlé dessus à maintes reprises pour qu’elle accepte, conscients de cette opportunité folle qu’on lui présentait là. Cependant, la tatouée ne s’est jamais senti prête à y faire carrière, trop de règles, d’autorité abusive, d’ordre injustifié et surtout, si elle part comme ses deux frères, qui aiderait sa famille à la boucherie ? Assez d’arguments pour refuser encore et toujours cette main tendue et malgré la négation des échanges, la jeune n’a jamais laissé l’agacement la gagner, la présence - même furtive - de la Valkyrie avait ce don pour  être apaisante et agréable à la fois. Douce parenthèse qui se présentait ici et là… puis vient la guerre et tout prend fin… Absolument tout.




Aujourd’hui

C’était censé être un simple transfert de routine de plusieurs Netsach Ebed - le pire rang possible pour un janissaire - vers la caserne pour un entraînement particulier. Aujourd'hui ils devaient servir à chair à canon pour l’élite, ils font d’excellents punching ball et c’est une bonne occasion de travailler leur résistance aux coups par la même occasion. Alors qu’ils traversent la rue soigneusement entourés de gardes, le ton monte et deux janissaires en viennent rapidement aux mains. Les gardes se moquent bien du pourquoi du comment et arrête bien soudainement la marche pour profiter du spectacle, tout comme la foule, citoyens passagers plus que ravie de pouvoir assister gratuitement à un combat entre deux meurtriers. Quant aux deux énervés, ils se feront recadrés et profiteront sans nul doute d’une bonne séance de tabassage une fois arrivés à la caserne. Mais d’abord, place au spectacle ! Bien évidemment, la rouge fait partie des deux énervés et la colère qui la ronge continuellement depuis sa déchéance suffit à lui soutirer toute peur des conséquences. Cette haine est son essence, une fureur muette mais des plus éloquente, un regard suffit pour l’entendre.

Pour l’heure, elle n’a qu’une simple mission, réduire cet enfoiré en pièces et continuer de s’imposer par la force. C’est ainsi que ça marche entre Netsach Ebed, c’est l’esclave qui cognera le premier et surtout le plus fort qui obtiendra un semblant de respect et de paix de la part de ses homologues. Cette règle, elle la connaît très bien et prend aussi un malin plaisir à répondre à la moindre provocation, plus que ravie de pouvoir cogner sur ces assassins et violeurs. Il n’y a pas de soutien particulier entre elle et eux, il n’y en aura jamais, elle se sait différente et à part, le simple fait qu’elle n’est pas tué par plaisir ou par folie suffit à faire la distinction à ses yeux. Pourtant, elle doit vivre avec eux, supporter cette noirceur constance et survivre avec ce sentiment d’insécurité constant.

L’échange des coups ne dure pas bien longtemps, l’encrée sait exactement où taper pour en finir rapidement. Pour ce coup là, son poing a choisi la tempe de l’adversaire et le choc est si conséquent que le cerveau qui se cogne contre sa paroi s’éteint un instant sous la violence de l’impact. C’est terminé, il tombe lourdement au sol mais le poing bandé se lève à nouveau, bien décidé à en remettre une couche malgré l’impossibilité de combattre de son adversaire, mais le poing est finalement coupé en plein élan. C’est une voix familière qui résonne dans son dos et l’interpelle par son prénom. Un prénom qu’elle n’a plus l’habitude d’entendre depuis plusieurs mois, l’identité fait aussi partie des choses que l’on retire aux Netsach Ebed en plus de leurs droits les plus fondamentaux.

Il faudrait alors inventer un nouveau terme pour décrire l’impact de cette voix sur elle, pour décrire cette sensation de sécurité indicible et cette lumière qui même les paupières closes évapore toute peur et incertitude. Quand elle se retourne pour lui faire face, il n’y a que la stupeur de visible sur ses traits malgré tout ce qui se passe en arrière-plan. Doucement, son corps se remet en marche, son regard s’abaisse immédiatement tandis que sa main bandée et abîmée grimpe à son cou pour venir se poser contre la marque boursouflée des esclaves faite au fer rouge. Réflexe idiot, c’est trop tard pour se sentir honteuse et espérer cacher l’évidence même de sa nouvelle condition de vie qui saute aux yeux, mais c’est plus fort qu’elle, elle ne veut pas qu’elle la voit.

Autour d’elles règnent un étrange silence, comme si le monde entier était en pause à cet instant même. Les gardes n’osent plus esquisser le moindre geste en présence de la Valkyrie, le reste des janissaires non plus il n’y a que la foule qui dissipe doucement. Pour la rouge, son museau quitte enfin le sol pour se redresser prudemment vers la femme à la blondeur saisissante. “Marjhan… je...” NeTrouvePasMesMots ? NeSaitPasQuoiDire ? Son ton est hébété, il est clair qu’elle ne ignore ce qu'elle doit rétorquer et préfère s’arrêter là plutôt que de se ridiculiser davantage, à la grande surprise des gardes qui ont pour habitude de l'entendre l'ouvrir un peu trop.



Anonymous
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C'était quelque chose, de voir ces yeux tissés d'or saisis par l’effarement. Une expression qu'on ne connaissait pas, chez la Valkyrie. Elle qui se voulait vindicatrice, impartiale et inflexible. (certainement pas clémente, quoiqu'il en soit) Elle lorgna sur l'esclave, étalé au sol. Il donnait l'impression d'avoir été percuté par un cheval en pleine course. Roulant sa langue au creux de sa joue, elle en revint, peu après, à Alinka.

« Tu n'as pas changé : un vrai sucre d'orge », fit-elle, dans une ironie palpable. Ironie palpable, parce qu'il eut fallu de sacrés manias de puzzle 1000 pièces, pour reconstituer son adversaire. Il y avait même une molaire, qui s'était détachée, trois mètres plus loin. « Je... » Mais de nouveau, les mots lui manquèrent. C'est qu'elle l'avait appréciée, cette môme. Têtue comme une mule, - et au moins aussi tenace que la bête - fière, insolente, elle était la seule, la seule parmi les jeunes recrues, à lui avoir tenu tête. Là où les autres s'étaient découvert une vocation de cireur de pompe.
Elle ignorait comment prendre la chose. Ignorait si elle devait faire rôtir, vivants, les responsables de cette situation, où si une castration à l'opinel suffisait.

Ses cheveux virèrent au blanc, presque immédiatement, et elle harponna l'un des esclavagistes du regard. Celui-ci, se sentant peu ou prou aussi à l'aise qu'un éléphanteau dans une mare à crocodiles, commença à bredouiller. Avant de parvenir à dire.

« 'L'a tué deux soldats, qui tentaient simplement d'la rassurer, M'dame. Froidement. Pis, j'vous jure, leurs têtes, c'était rien que du pamplemousse... »

C'était la différence la plus significative, entre la colère et la haine. L'une était chaude, bombardait et pétait à tout va. L'autre était froide. Pure. Courait le long de votre échine à vous en glacer la racine des cheveux. L'une explosait, l'autre se planifiait, et la Valkyrie se promit, taiseuse, de passer cette affaire au peigne-fin. Elle espérait un vice de procédure, une erreur interne, ou une injustice. Ce qui faciliterait le passage de Karama, dans les intestins de ce prétentieux. Bien que de toute manière...

« J'vais mourir, c'est ça ? », piailla-il, blême comme un spectre.
Il se souvenait de la première fois qu'il avait quitté la ville, pour emprunter un chemin vers Kyouji. S'était étonné du nombre de traîtres, de pillards et de violeurs suspendus comme de la viande froide, le long de la route. Cloués, tous. Certains avaient été châtrés, d'autres non. La réponse qu'on lui avait donné, à cette boucherie ? « La Chienne de Fer. C'est le sort qu'elle réserve, à ceux qui trahissent le pays. Et qui volent. Et qui violent, aussi. Surtout. En fait, tous ceux qui lui reviennent pas... »

Un des soldats qui flanquait la Valkyrie, trouva utile de dire.

« Le plus douloureux, mon gars, c'est l'asphyxie », et il eut un petit sourire, goguenard. « C'est pas les clous qui te tuent : c'est le manque d'air, parce que tes poumons, y sont éprouvés par ton propre poids, tu piges ? » Et à mesure qu'il déliait sa menace, camouflée, il ne put s'empêcher de brandir un vieux couteau, sous le museau de l'esclavagiste. « Oh, bien sûr, tu peux t'appuyer sur les pieds, quand y reposent sur le suppedaneum, mais le corps retombe quand les muscles des jambes s'mettent à fatiguer. Alors, y a les crampes qui viennent. Tu te mets à jongler entre blocage et détente respiratoire, ce qui provoque... une asphyxie. »

Le type lâcha son fouet. Il ne tenait debout que grâce à sa colonne vertébrale, mais déjà, une odeur de pisse se mit à embaumer l'air. « Là, là », le rassura le soldat. « Rassure-toi : on l'appelle pas la Clémente pour rien. Elle t'cassera sans doute les membres avec une barre de fer, puis, comme ça, tu mourras plus rapidement. Tu souffriras moins. Quoi, eh ? si ça c'est pas de la charité, j'y connais rien. J'devrais postuler pour le temple, tiens je suis sûr que--... »

« Ca suffit, Jaspar », intima Marjhan, et l'homme leva les mains, en signe d'assentiment. Jaspar était sans doute l'un des seuls mâles de la ville qui lui était supportable. Le fait qu'il s'agissait d'un eunuque, devait y être pour quelque chose.
Elle en revint à Alinka. Intuitivement, elle tendit sa main en direction de la gorge de l'esclave, pour caresser, à bout de doigts, la marque qui lui avait été faite. « Tu mérites mieux. »

Elle n'avait pas voulu le dire. En fait, si, mais avec plus de répartie. Les mots lui avaient jailli de la bouche, sans qu'elle ne puisse rien y faire. Elle méritait mieux. Sa place n'était pas parmi les traîtres, les chiens et les déserteurs. Et une phrase qu'on lui avait dite autrefois, à son sujet, lui cloua la gorge. Sauf votre respect, Madame, les lions ne se domestiquent pas. « Mais ils ne t'ont pas brisée », constata-t-elle. « Même tondu, un lion reste un lion ».

Ses gestes avaient une certaine retenue, une certaine pudeur. De tous les défauts que l'on pouvait attribuer à la rouge, le manque de fierté n'en faisait pas partie. Et, à force de s'être faite rabrouer par cette dernière, Marjhan commençait à la connaître. Pourtant... ses quatre ailes, grandes et imposantes comme des voiles latines, ne purent s'empêcher de l'encercler, distraitement. Sans même qu'elle ne s'en rende compte. Cette morveuse aux poings d'acier n'aimait pas qu'on la couve ? parfait : déplaire était le plus grand plaisir de la Valkyrie.

Elle se releva, avant de pivoter en direction de l'esclavagiste. « Je l'achète.
- M'dame, oui, mais y faut d'abord que...
- Y l'arrive qu'on brise les jambes des condamnés, afin d'accélérer l'étouffement, fit Jaspar, et le bougre sursauta sur place. Comme ça, le supplicié, y meurt d'asphyxie après une longue et délicieuse période d'auto-torture, à tenter de desserrer le blocage mécanique de la cage thoracique en se soulevant sur ses pieds... Et--...
- Votre prix sera le mien ! » s'étrangla-t-il, et le désert devait être moitié moins chaud que son front englué de sueur.

Marjhan posa, de nouveau, son regard sur Alinka. « A moins que tu veuilles, de nouveau, refuser ? » Ce n'était pas une bête provocation. Ou peut-être que si. Quoiqu'il en fut, son regard pétillait d'impatience. La tignasse peinturlurée de la jeune fille l'avait manquée. Son tempérament l'avait manquée. D'une manière ou d'une autre, elle obtiendrait ce qu'elle voudrait d'elle.
Car déplaire était son plus grand plaisir.
Alinka Bell
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Feat.Marjhan


Sucre d’orge, vraiment ?! La rouge en gonfle ses joue un court instant avant de pousser un soupir à peine audible. Outre la petite pique qui dédramatise clairement la situation, l’esclave ne peut qu’affirmer silencieusement que la Valkyrie se trompe. Elle a changé, énormément changé. Impossible de sortir indemne d'un stage de longue durée de l'autre côté de la barrière. Physiquement, usée par la fatigue, les cernes immenses qui marquent ses traits sont impossible à manquer, difficile de dormir entourés de meurtriers et violeurs. Il ne faudrait pas la jeter dans un lit à cet instant même, elle serait capable de dormir une journée entière. Pour continuer dans les changements, elle n'a pas maigris d'un yota, la chair à canon du Reike est bien nourrie, couplée à des entraînements forcés visant à renforcer la masse musculaire et la voilà devenue armoire à glace de petite taille et aux épaules bien carrées. Épaules qui portent les stigmates du fouet et qui laissent aisément deviner le reste des cicatrices cachées sous ce débardeur qui couvrent son dos. “Tu te…” Trompe mais le mot ne sort pas, il stagne dans sa gorge alors qu’elle observe pour la première fois cette tignasse changer de teinte avec une rapidité stupéfiante. Incroyable. Si elle est fascinée, ce n’est clairement pas le cas de l’esclavagiste qui commence à bredouiller de belles conneries à son sujet. Enfin, presque, les têtes rendues à l’état de pamplemousse, ça, c’est vrai !

Lui qui paraissait toujours si sûr de lui, noyé dans son arrogance avec pour seul réel langage les coups de fouet fait presque de la peine à voir. Sa peur est si grande qu’elle pourrait être palpable et rend muette la petite à grande gueule qui l'observe les bras ballants. C’est donc ça la réelle crainte qu’inspire Marjhan ? Encore une première pour elle, non pas qu’elle ne connaissait pas la réputation de la Valkyrie, bien au contraire, elle savait de quoi celle-ci était capable mais elle était loin d’imaginer la peur qu’elle pouvait produire chez les autres. Avec l'intervention du dénommé Jaspar qui en rajoute une couche, c’est beau à voir, dommage que l’odeur d’urine vienne gâcher un peu la scène.

Difficile de quitter l'esclavagiste ainsi humilié des yeux car finalement, passée la pitié, la scène en devient vraiment agréable à regarder. Il n’y a que ces doigts qui viennent effleurer sa marque boursouflée pour la sortir de sa contemplation et lui voler par la même occasion un sursaut. Elle mérite mieux ? Oui, certainement, c’est ce qu’elle se dit depuis l’accident et l’entendre haut et fort de la part de Valkyrie gonfle aussitôt son cœur d’un soulagement indescriptible. Suivi de l’allégorie du lion tondu, difficile de ne pas en rougir. Sa pudeur n’a d’ailleurs pas terminé d’être secouée avec ces quatre ailes qui viennent brièvement l’encercler comme pour la couver. Muette déclaration d’une possible affection qui dérange pour qui est habitué à la distance et la dureté et ça, Marjhan le sait très bien. “Hey !” Courte protestation presque murmurée, le visage bougon, elle n’a pas besoin d’éluder sur le sujet, la belle blonde taquine sait très bien ce qu’il en est. Ça reste léger comme réaction de sa part, une suite logique de son endoctrinement, elle n’a pas encore récupéré tout son naturel...

Les ailes s'écartent enfin et la suite la laisse à nouveau bouche-bée. L’acheter ? Vraiment ? C’est possible ? Visiblement oui, le rang de sa sauveuse ne laisse place à aucun refus, elle a même le droit d’y mettre le prix qui lui convient. Enfin, à condition que l’encrée accepte cet échange de propriétaire et de maître. Un choix qu’elle ne peut évidemment pas refuser tant cette évolution de perspective tient du rêve. “Humpf !” Souffle-t-elle avec dédain avant de grogner tout bas, c’est qu’elle prend son pied Marjhan en terme de provocation ! "Bien sûr que j’accepte ! La question ne s’pose même pas…” Finalement, la valkyrie aura perdu de nombreuses batailles mais au final, la guerre, c’est bien elle qui la gagne.

Les femmes laissent par la suite Jaspar régler l’échange avec l’esclavagiste et en profite pour s’écarter afin de profiter de ses quelques minutes en tête à tête. En chemin, la tatouée insolente ne manque pas de lever son majeur en direction des autres janissaires tandis que sa sauveuse à le dos tourné (ou pas ?). Sa relation avec eux est terminée. Des affaires à récupérer ? Aucunement, avec sa condition elle n’a absolument aucun bien en sa possession et peut tourner définitivement le dos à l’esclavagiste sans craindre de laisser derrière elle quelque chose de valeur. “Merci.” Faut bien que ça sorte une fois, comme ça, pas besoin de le redire ! Et comme ça rend l’instant un brin gênant, elle enchaîne aussitôt derrière :“Et… dans c’qu’il t’a dit.. y a que le coup du pamplemousse qui est vrai, l’reste, c'est des conneries.” Le ton employé ne laisse aucun doute quant à son honnêteté pour qui la connait un peu. “Bref… on s’en branle.” Conclut la jeune en agitant la main devant elle comme pour repousser le sujet plus loin. Au moins, c’est dit et c’est l’important de jouer franc jeu d’entrée de jeu ! Après, malheureusement, ce qui est fait, est fait et elle est assez pragmatique pour pouvoir le reconnaître, les machines à remonter le temps, ça n'existe pas.

“T’as pas peur pour ton image ? J’veux dire… te coltiner une Netsach Ebed, j’doute que ce soit bien vu là haut.” Du peu qu’elle en sait, elle n’a jamais vu un seul de ses pairs ailleurs qu’au camp ou sur le front et aucunement dans les jupons d’un noble. La question n’est pas innocente ainsi tournée, Marjhan devrait rapidement lui annoncer ce qu’elle attend d’elle pour la suite. La voilà qui trépigne d’impatience maintenant, drôlement hâtive de savoir ce que le destin lui réserve afin de balayer cette lourde et pesante incertitude au loin.



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Même debout, et tandis qu'elles s'éloignaient, les ailes de la Valkyrie ne pouvaient s'empêcher de couver la jeune esclave. Elles ne la touchaient pas, mais avec une langueur maternelle, semblaient comme vouloir la prémunir. De qui, au juste ? « Tu mérites mieux », ces mots n'avaient pas été choisis au hasard. C'était un échec, pour une nation de force, de méritocratie, qu'une prodige de la ratonnade comme Alinka se retrouve à jouer les sacs de frappe, pour des soldats autrement moins féroces.
Elles ne voulaient pas la protéger des autres, mais d'elle-même. Conjurer la colère, destructrice, qui manquait d'éclater en elle.

Marjhan remarqua-t-elle son doigt d'honneur ? difficile à dire. Sans doute que non ? sans doute aussi qu'elle sourit, au même instant, pour autre chose. (s'imaginant un homme bouillir dans un chaudron d'eau de chaux, ou un truc misandre du genre)

« Et… dans c’qu’il t’a dit.. y a que le coup du pamplemousse qui est vrai, l’reste, c'est des conneries. »

La Valkyrie était de la race des méthodiques. L'imagination lui avait toujours fait défaut; toutefois, elle n'eut aucun mal à se projeter la scène. Deux barbares, ivres morts, qui entrent dans la première échoppe venue, en quête de cul, de sang et d'un peu d'adrénaline. Ils la voient, elle, avec sa drôle de tignasse, pas plus haute qu'un autre. Ils auraient dû mieux regarder : les yeux parlent souvent mieux que le corps, chez un combattant.

Le reste avait dû ressembler à un ralenti de film noir. Le poing d'Alinka, heurtant la mâchoire d'un des gus dans un bruit sourd. Son cerveau qui se révulse contre sa boîte crânienne; ses yeux qui s'agitent comme un jeu de flipper. L'autre qui se prend un retour de coude, à en assommer un cheval. Une boucherie, dans une boucherie. Quelle délicieuse ironie... songea-t-elle, et son empathie pour la jeune femme ne diminua pas.

« T’as pas peur pour ton image ? J’veux dire… te coltiner une Netsach Ebed, j’doute que ce soit bien vu là haut. »

Marjhan ne put s'empêcher de sourire. C'était : délicieux, incongru, surprenant, saisissant et, elle devait bien l'admettre, attendrissant. Si on lui avait donné une pièce à chaque fois qu'on la mettait en garde des rumeurs à son encontre, eh bien... sa fortune n'aurait pas changé d'un chouïa. Car personne n'avait jamais eu la maladresse de le lui signifier. Pour plusieurs raisons : son amour du crucifiement, de l'écartèlement. Sa traque, acharnée, contre les rebelles, qui mettaient en péril l'ordre de la nation. Elle n'hésitait pas à châtrer et pendre des types, en guise d'« exemple », quand ce n'était pas carrément Jaspar, qui les fouettait jusqu'au sang.

En vérité, la plupart des hommes devaient la mépriser, eu égard de la formidable collection de surnoms qui lui étaient attribués. A la louche, catin borgne, truie ailée, grognasse de fer, chienne de fer, culleteuse, chèvre, Marie-couche-toi-là, crevure et autres friandises du genre. Les femmes, en revanche, et les enfants, trouvaient refuge au creux de ses ailes sans le moindre soupçon.

Une autre raison, aussi, est qu'elle n'en avait toujours rien eu à faire. Elle n'apprenait pas au cordonnier comment fabriquer ses bottes; elle n'attendait pas, du cordonnier, qu'il lui enseigne comment faire la guerre, et maintenir la paix.
Elle posa une main sur l'épaule de la boxeuse.

« Je me moque bien de ce qui est mal vu, ou non. Ce qu'on attend de moi, c'est de l'efficacité. Je laisse les courbettes et autres ronds de jambe aux conseillers. » Puis, et son sourire s'affina un peu plus. « Tu es bien plus précieuse que tous les ragots du palais royal, Alinka. Je t'ai achetée pour que tu goûtes à la liberté. A la véritable liberté. »

Toujours difficile, de parler de « véritable liberté ». Il s'agissait, souvent, d'un faux-semblant propagandiste, à grands coups de marteau et de faucille, et de drapeau rouge. Mais le sourire que la Valkyrie lui adressa était sincère. Il était sincère, parce que ses yeux souriaient, aussi. Si on avait dit à qui que ce soit, en cet instant précis, que Marjhan était la responsable de la longue route de parjures crucifiés à l'entrée de la ville, personne n'y aurait cru. Tout semblait faire écho à une discussion mère-fille : la différence de taille, éloquente. L'une, portant encore le poids de son esclavage, la férocité sous-jacente d'une chienne en cage; l'autre, droite, promesse de conquête et d'avenir. Et cette manie qu'elle avait de lui expliquer les choses. Une bienveillance presque mièvre.

« Ce monde est gouverné par la force, et par rien d'autre. Ne t'y trompe pas : Shoumei et la République ne sont que des impostures. La force y gouverne, là-bas aussi, mais elle a choisi d'autres synonymes. L'argent, le pouvoir politique... Au Rekai, cependant, seule la puissance d'un combattant importe. Quand j'en aurai terminé avec toi, tu seras plus digne, plus libre que jamais une femme ne le fut. »

Drôles de promesses, pour une « mère ». N'est-elle pas censée parler amour et eau fraîche ? sérénité et bienfaisance ? « Ma fille, on fera les boutiques ensemble. Je te trouverai un merveilleux petit copain, et on sera les meilleures amies du monde, hi-hi ! » Depuis quand est-il question de régner ? d'écraser les côtes flottantes de son prochain à coups de ceste ?
Le discours aurait sans doute été un tantinet différent, si Marjhan n'était pas protectrice de la Reine. Et Alinka, esclave orpheline.

« Ca doit te paraître un peu soudain. Mais cela fait plusieurs années que je tente de te recruter... » Elle égrena sa manucure, distraitement. « Maintenant que je t'ai, je ne te lâcherai pas ». Et elle se pencha, pour presser, d'une main, les joues de la rouge, joueuse. Etait-ce... vraiment Marjhan ? Cette même Marjhan qui faisait se pisser dessus les seigneurs de guerre des clans ennemis ? et qui clouait au maillet les types qui avaient eu l'audace de marcher dans la mauvaise ruelle ? Il y avait une impression réjouissante, et quelque peu écoeurante, comme un Seigneur Sith qui jouerait à la dinette avec sa fille, ou un dragon femelle, couvant, jalousement, la portée de ses adorables petits.
Déplaisir, plaisir : on commençait à saisir le concept. Mais quand-même... !
Alinka Bell
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Fiche du personnage
Race: Humain
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Alinka Bell
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Feat.Marjhan

Avant toute réponse et malgré le fait qu’un seul pas ne les sépare, la valkyrie vient poser la main sur son épaule en un vague geste maternelle. Un geste à première vue anodin, simple et chaleureux, ironiquement, c’est typiquement le genre de geste qu’on ne lui a pas adressé depuis mois et ça fait tout drôle, ça change du contact violent du fouet en cuir auquel elle s’était enfin habituée. Avec ça en plus des ailes qui continuent de la poursuivre, elle a subitement l’impression d’être dans une autre dimension. Tout est trop soudain et un désagréable frisson vient lui secouer l’échine, est-ce un début d’haptophobie ? Possible, ce ne serait pas étonnant avec ce récent passif. Elle va donc devoir se réhabituer à la douceur ? En voilà un amer et triste constat…

Alors comme ça “la Clémente” se moque de l’image qu’elle peut retourner ? C’est logique maintenant qu’on y repense,  c'est une vérité qui lui colle bien à la peau et qui arrache simplement un timide sourire à la jeune tatouée. Ça ne lui déplaît pas comme réponse, au contraire, en l’état, ça l’arrange même. Quant au précieux aspect de sa personne, sa valeur, la concernée émet de nombreux doutes, selon elle, Marjhan ne peut que se tromper sur son cas. Elle n’est rien d’autre qu’une gamine aux poings d’acier dont les seules réelles connaissances se limitent au combat et à la découpe de cadavre animal et possiblement humain également, os, tendon, articulation, finalement, tous se ressemblent, non ?

“La véritable liberté tu dis ? Humpf, je doute pourtant d’pouvoir y re-goûter un jour.” Marmonne-t-elle en posant brièvement sa main contre la marque à son cou. Esclave un jour, esclave toujours. La magie qui s’y trouve est là pour lui rappeler qu’elle restera à jamais enchaînée. Elle est bien loin de se douter qu’un mage de haut niveau peut possiblement la libérer de ce poids. Ce n’est clairement pas le genre de ragot qu’elle a pu entendre ici-bas. Pour le reste de l’idée exprimée, malgré le sourire bienveillant aussi bien dans les prunelles de la blonde que sur ses lèvres, la méfiance gagne tout de même la cadette, fatalement. Qu'entend réellement la chienne de fer par “liberté” ? Comment peut-elle tout bonnement l’acheter pour la libérer par la suite ? Elle qui voulait tant la recruter, ça n’a pas de sens, tout du moins, pas encore. Les explications qui se glissent par la suite ont l’avantage de lever le voile à ce sujet et malgré la fatigue, elle arrive enfin à lier les éléments entre eux. Marjhan veut en faire une combattante digne et puissante dans un monde où seule la force compte. C’est donc ça, sa vision de la liberté et de la dignité ? Il n’y a qu’à voir le froncement de sourcil de la rouge pour comprendre qu’elle n’est pas vraiment convaincue, ça lui semble beaucoup trop simple.

Quant à l’image d’une femme digne, là, elle ne peut s’empêcher de reprendre avec une petite pointe de colère dans son ton : “Ici, les femmes ne sont qu’des sacs à foutre aux yeux des barbares.” Elle manque de recul, clairement, tel un cheval avec ses œillères, elle ne voit là que ses propres pas, sa propre histoire lié à son difficile vécu. “C’pas dans ce royaume qu’elles pourront être dignes, la parole de ces pervers vaudra toujours plus que la leur.” Ses mâchoires se crispent et son regard reste inflexible, c’est de sa propre expérience qu’il s’agit là et il sera dur de la faire changer d’opinion. Quoique, de la part de la castratrice en chef, ça doit pouvoir être dans ses cordes.

Elles progressent dans la capitale et les ruelles sont découvertes sous un nouveau jour, le regard porté à son encontre par les passants n’a déjà rien à voir avec celui que l’on lui adressait quelques minutes plus tôt. “Quand tu en auras terminé avec moi… ? Tu penses à quoi au juste ?” Demande-t-elle en osant reprendre ses mots, à nouveau bien curieuse. Qu'a- t-elle vraiment en tête à ce sujet ? Difficile de le savoir, elle va l’amener dans le désert pour trucider quelques connards ? Lui apprendre l'émasculation ? OU PAS ! Voilà que la scène évolue et les joues de la rouge sont doucement attrapées entre les doigts de la valkyrie qui affirme qu’elle ne sera pas abandonnée maintenant qu’elle est … qu’elle est quoi au juste ? Possédée ? Recrutée ? Emprisonnée dans une cage dorée ? Janissaire de la Haute ? Elle est quoi ? D’un geste soudain du menton, elle se libère immédiatement de cette emprise dans un grognement conséquent. “M’fais pas ça !” Grommelle la jeune tout bas, pas de quoi s’étonner de sa réaction, c’est un peu la honte là et elle ne manque pas de fierté !

Leurs pas les amènent non loin de l’ancienne boucherie familiale, la cadette ne peut s’empêcher d’y jeter un regard en coin et de la ralentir la marche sans même s’en rendre compte. Celle-ci est fermée et vu l’état de l’échoppe, elle est clairement abandonnée, au même titre qu’elle, orpheline. Elle avait entendu des rumeurs au sujet de ses parents, la perte de leur deux fils sur le champ de bataille enchaînée au jugement de leur fille aurait fini de les achever. Ils seraient tout simplement partis pour recommencer une vie ailleurs, là où les spectres de leurs progénitures sacrées ne pourraient plus les hanter en leur rappelant des souvenirs trop difficiles à supporter. Un pointe de tristesse et de mélancolie prennent alors place au creux de ses prunelles et c’est un profond soupir qui les chasse presque immédiatement. Si ils ont décidés d’oublier pour se protéger, alors elle se doit d’en faire autant.

Revenant alors rapidement à même hauteur que la grande blonde, elle s’efforce de vite rebondir sur autre chose pour éviter que ce sujet ne vienne sur le tapis : “Et.. Heu.. On va où au fait ? C'est quoi le programme ?” C’est qu’elle suit bêtement les pas, elle, en bon bipède de compagnie, mais y a toujours un moment où la curiosité est trop titillée. Elle ne fait pas parti des gens qui aiment marcher à l'aveugle et encore moins de ceux qui aime les surprises.



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Le contraste continuait de s'affiner. Il n'y avait pas que l'apparence : la posture, les mimiques, aussi. De la même manière qu'un chien errant, à la gorge cloutée de fer, dont la rage, panique, et l'aboutissement de ses crocs sur ses grosses babines trahiraient une révulsion pour le genre humain, Alinka avait développé une phobie du contact. Et même si Valkyrie en ignorait le nom exact, elle avait déjà constaté ce phénomène sur plusieurs femmes. D'anciennes esclaves, des prisonnières, dont le corps avait été le dépôt d'un passé difficile. Elle se souvenait de leur peau tuméfiée; leur chair mangée par les fouets. Et de ce regard, pur, méfiant. Qu'avait-elle dit ?  « Ici, les femmes ne sont qu’des sacs à foutre aux yeux des barbares. C’pas dans ce royaume qu’elles pourront être dignes, la parole de ces pervers vaudra toujours plus que la leur. »
C'était, en partie, vrai.

Dans un monde de force et de violence, naître en tant que femme n'avait jamais été une solution. Il arrivait que dans certaines yourtes, on crève des mômes pour leur ascendance femelle. Les humaines étaient moins hautes, moins fortes que leurs congénères mâles. Moins de fibre musculaire, aussi. Moins d'agressivité. C'était quelque chose que Marjhan n'avait jamais réussi à mettre en perspective. Les Valkyries, elles, - Kyrian le lui avait suffisamment répété - étaient au pinacle de la génétique. D'authentiques amazones, capables d'éclater des vertèbres dès leur plus jeune âge. Quant à Kyrian elle-même... elle n'avait jamais été tout à fait normale. Elle aurait dû naître chez les Oni. Elles y aurait davantage trouvé sa place... Elle aurait aimé, le plus sincèrement du monde, compatir pour cette souffrance, mais ne le pouvait tout bonnement pas. Ses ailes et son ossature la prémunissaient la moindre injonction virile.

« M’fais pas ça ! »

Quand la jeune femme battit en retraite, sa main resta là, suspendue dans les airs. Tirée de ses pensées, elle recula la tête et planta ses poings, au creux de ses hanches. Oui, aucun doute : ça allait être plus subtil que prévu. Il n'était plus question de déplaire pour la bravade. Alinka devrait réapprendre à vivre. Devait se réconcilier avec sa dignité.

La tâche avait été périlleuse, la concernant, se souvint-elle. Valkyrie ou pas, elle avait connu, à plusieurs reprises, la défaite. Le sable chaud et dur du Reike dans la bouche, les yeux gonflés de larmes, du temps où elle fonçait, tête baissée, contre plus gros que soi. La mort de Kyrian lui avait ôté toute forme de discernement. Elle était même allée jusqu'à se couper les cheveux, à la machette, pour singer son ancien mentor. (aperçu ici) Ce ne fut que dix ans plus tard, que ses premières ailes lui poussèrent. Dans des circonstances qui lui appartenaient exclusivement. La Reine, elle-même, en ignorait les tenants. Tu seras la première à les connaître... songea-t-elle, intérieurement, à l'endroit de l'esclave.

« Les actes font l'homme », lui avait dit une fois un vieux soufi flanqué d'un turban blanc. C'était à la fois vrai, et imparfait. Marjhan était, le plus souvent, les surnoms qu'on réclamait d'elle. Une chienne, une harpie, qui ne lâchait jamais la jambe de sa proie, dut-elle la traquer à-travers tout le désert. Mais elle était aussi une main tendue, une tendresse, qui la surprenait parfois elle-même. Et si ses colères pouvaient être explosives; sa haine, froide et maniaque comme la toile d'enquête d'un tueur en série, sa compassion manquait parfois de lui arracher des larmes. C'était... soudain. Alors, elle enfouit cette faiblesse tout, tout au fond d'elle. Et la verrouilla à double tours. Alinka ne devait pas savoir.
Personne ne devait savoir.

« Et.. Heu.. On va où au fait ? C'est quoi le programme ? »

« Le premier choix cornélien de ta nouvelle vie : fleur de lys, ou vanille. Tu choisis. » Puis, regardant toujours droit devant elle, elle se pencha, pour renifler la mistinguette, théâtralement. « Tu sens le bouquetin, - et attention, un mâle, en pleine saison des amours. Tu as besoin d'un bon bain chaud. Et de repos. Tu peux oublier les lits de paille et le plancher crasseux des écuries. Je vais faire de toi ma garde du corps. Hors de question que tu dormes sur le paillasson. »

Son cynisme lui permit de reprendre ses esprits. Elle était Marjhan la (in)Clémente. Elle devait rester vive, coriace. Un des modes opératoires du parfait ratonneur, - Alinka ne le savait que trop bien - était d'observer un cran d'agressivité supérieur à celui de son adversaire. Et pour la Valkyrie, le monde entier était son adversaire. Si les femmes voyaient en elle un espoir, la plupart des hommes, des rebelles, quand ce n'étaient pas carrément ses homologues militaires, qui jalousaient sa position, souhaitaient la voir tomber. Des ennemis, partout, - et alors ? ne dit-on pas que la haine tuyaute mieux que l'amitié ?

« Tu es assez bonne aux pugilats. » Un vent, tiède, s'engouffra au creux de ses ailes, fit voler ses cheveux blonds, trembler ses rémiges. Il charriait avec lui l'odeur du grand marché, cocktail d'épices, de parfums, de viande et d'urine. Et, presque intuitivement, la Valkyrie braqua une de ces ailes contre la rouge, comme si elle craignait qu'elle ne s'envole. « Mais il faut parfaire ta discipline. Ta garde doit être meilleure. Et il te faut... » ... un but, termina-t-elle, intérieurement. Trop tôt. Il était trop tôt. Tout juste libérée, elle n'allait pas la sermonner avec ses histoires de nation et de soulèvement féminin ? « Ca n'a pas d'importance. »

Elle lorgna sur le palais, au-loin. Difficile de ne pas le remarquer : il avalait, de toute sa taille, les ruelles à l'entour. Ses colonnades, ses coupoles et jardins suspendus, étaient le témoignage d'une maestria architecturale, aujourd'hui perdue. Marjhan jeta un oeil à sa pupille. Elle venait de se battre; venait, peut-être avant, de se faire fouetter. Venait de...
Alors, elle la porta. Comme une princesse. Et du diable si la punk n'était pas d'accord : elle la blottit contre sa poitrine métallique, avant de souffler : « Ne regarde pas en bas ».

Il y aurait eu de quoi avoir le souffle coupé. La panique, de se voir décollé, à cinq mètres du sol, brusquement. Dix mètres, quinze mètres... Un bond si gigantesque qu'il souleva un panache de poussière, et qu'une carriole manqua de voir sa couverture s'arracher. Mais ce bond avait quelque chose d'étrange : depuis qu'un binoclard s'était reçu une pomme sur la tête, on savait, à peu près, que tout ce qui prenait de la hauteur, était voué à atterrir, à l'égard des lois de la gravité. Elle n'avait pas « sauté » : elles volaient. Toutes les deux.
Et voilà que, sans guère de gêne, elle coupa la ville, en direction du palais.
Alinka Bell
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Elle qui s’attendait à être remise en cause sur son opinion au sujet de la place des femmes au sein du royaume du Reike ne l’est pas. Serait-ce un aveu silencieux de la part de la Valkyrie ? Non, elle en doute, cette dernière doit simplement temporiser ou peut-être pas, l’avenir le lui dira. Quoiqu’il en soit, pour sa part, tout est dit et elle est rassurée de ne pas partir immédiatement en débat sur un sujet aussi épineux. Comme elle n’a pas non plus besoin de s'expliquer au sujet de ce rejet instantané au contact, c’est à croire que sa gardienne la ménage finalement, c’est un bon départ.

“Et quel choix cornélien…” Souffle la jeune fille en glissant ses doigts sous son menton dans le but de mimer une - fausse - intense réflexion. Réflexion qui n’a évidemment absolument rien d’intense, vanille ou fleurs de Lys, elle s’en moque royalement du moment qu’elle peut plonger dans un bain qui ne soit pas gorgé de sang, ça lui suffit amplement ! “ L’bouquetin ?! Bah merci !” Lâche-t-elle non sans en rire, c’est vrai que niveau odeur, elle n’est pas gâtée à l’instant T et traîner à côté d’elle doit se révéler être une véritable épreuve. "J'apprécie néanmoins ton sens des priorités.” Elle va renaître avec un bon bain et une bonne nuit journée de sommeil, elle s’y projette déjà et un sourire discret vient aussitôt froisser le coin de ses lèvres rien qu’à cette idée.

L’aile qui vient se coller à son dos lui arrache un nouveau sursaut incontrôlé, elle ne l’a pas vu venir et se reprend aussitôt en s’excusant silencieusement à sa propriétaire d’un geste de la main. Décidement, ce n’est pas enviable tout ça, il va falloir qu’elle se détende et vite. “Aux pugilats ? Ouais, m’faut dire, j’en fait pas mal… les gardes raffolent de ces spectacles-là, ça les fait bander quand on s’fout sur la gueule.” Et elle parle encore au présent, sans même s’en rendre compte, tout est encore trop frais qu’elle a encore l’impression d’y être.

Pour sa garde, elle ne peut pas lutter et la contredire, la blonde a vu juste et c’est bien un des points qu’elle doit encore améliorer. Alinka a bien des défauts mais la mauvaise foi n’en fait pas vraiment partie. “Mouais… C’vrai qu’elle est pas parfaite, ça m’arrive de perdre ma concentration, parfois.” Trop de tortueux songes en tête qui trouvent utile de surgir alors qu’elle est en plein échange de coups, les petits malins...

Vis à vis du bout de phrase manquant, elle n’insiste pas et vient plutôt chercher sa réponse dans le bleu des de son aînée, mais n’y parvient pas, la Valkyrie est déjà tournée vers le palais. La seconde suivante, elle se retrouve dans ces bras, qu’elle le veuille ou non et avouons-le, avec la tension et les nerfs qui retombent, sa fatigue est si conséquente qu’elle n’est pas vraiment d’humeur à lutter. Par contre, elle a clairement encore la force de se cramponner TRÈS TRÈS FORT !  Son cœur tambourine follement dans sa poitrine et il n’est plus question de conserver sa fierté à cet instant. Les bras autour du cou de la Valkyrie tremblent alors qu’elles s’élèvent encore plus dans les airs et bien sûr, elle a regardé en bas malgré la mise en garde… Tout elle ça. “Mais ?!” Mais mais mais ! Putain ! Elle quitte alors rapidement le sol qui s’éloigne des yeux pour regarder autour d’elle et profiter de ce panorama inédit qui s’offre à elle. Splendeur conséquente qui la calme aussitôt, contradiction pure, ici, aussi haut, elle le sent, rien ne peut l’atteindre, absolument rien. Finalement, n’est-ce pas simplement ça la liberté ? Etre hors d’atteinte d’absolument tout ? Attention, elle y prend déjà goût. Son regard passe alors de la panique à la curiosité, à la contemplation et elle vient détailler en détail toutes les parcelles de la ville, mais aussi celles de sa vie. Ce petit point là, c’était l’endroit de sa première bagarre, celui-ci sa première fois avec une femme et celui-là était autrefois sa maison…

“Et on va… où du coup ?” Se détournant des scènes en contrebas, ses yeux bleu-gris s'arrêtent sur le palais qui se rapproche à grand pas coups d’ailes. “Là-bas ?! Sérieusement ?” Encore un bon dans les émotions, la colère revient à la charge et ses poings ainsi que ses mâchoires se crispent en écho avec sa pensée. L’unique fois où elle a mis les pieds là-bas n’était autre que pour son procès où elle avait gouté à la diffamation puis à sa déchéance, où personne n’avait voulu la croire, où tout le monde l’avait jugé, à tort. “M’dis pas que tu vis là-bas… ?” La question tout juste posée que la réponse lui vient immédiatement tout seule à la gueule, ÉVIDEMMENT qu’elle vit là-bas, comment pourrait-elle faire son travail en restant éloigné du palais ? Et merde… Là encore il va falloir faire des efforts… des gros…. “Évidemment qu'tu vis là bas... Question con... D'solée, j'suis fatiguée.” Reprend-t-elle sans même lui laisser le temps de répondre, prenant sur elle pour refouler cette colère naissance, ce n'est clairement pas le moment de jouer à l'enfant pourri gâté.



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Marjhan avait toujours laissé aux philosophes et autres maigrelets adeptes de régimes granivores les longs débats de sémantique. Mais en voyant la réaction d'Alinka, ses grands yeux ronds, ébahis, se perdre dans l'immensité de la ville... elle ne put s'empêcher de sourire. Qu'est-ce que la liberté ? La réponse la plus évidente fut : Le fait de n'avoir aucune chaîne. Là-haut, personne ne pouvait vous contrôler. Ni les rois, ni les monstres, ni même la démesure des hommes. Rien, absolument rien d'autre que le vent, qui s'engouffre dans vos cheveux.

Le soleil chauffait le dos de ses ailes, elle le sentait. Un contact délicieux, qui la faisait se sentir en vie. « Ne tombe pas. Tu as beau avoir la tête dure, à cette hauteur... » ... c'est à la brosse à dents qu'on récoltera tes restes. Pourquoi avait-elle pensé à une chose pareille ? Kyrian lui avait toujours dit que l'on imaginait le pire, pour celles et ceux, - mais surtout celles - que l'on aimait. Loin de l'insouciance qu'elle accusait, lors de ses vols de plusieurs heures, à-travers le désert, la Valkyrie se sentit inquiète. L'idée que la jeune femme puisse lui échapper, d'une manière ou d'une autre, la révulsa; l'arracha de son instant de quiétude. Et elle la serra, un peu plus, contre elle.

« Évidemment qu'tu vis là bas... Question con... D'solée, j'suis fatiguée. »

Un long silence. On n'entendit que la fuite du sirocco, et le battement, sourd, de ses ailes.

« Je trouverai quelqu'un. Pour ta marque. Ayshara est capable de prodige, avec sa magie. Je l'ai vue faire. Ce n'est pas cette égratignure qui nous résistera. » Elle levait la voix, pour se faire entendre. « Dans le pire des cas, je tirerai les vers du nez de cet esclavagiste ». Par « tirer les vers du nez », elle devait entendre : le faire passer sur le chevalet, lui arracher les ongles, brûler ses parties génitales... Un deux poids deux mesures, entre Alinka, qu'elle tient au creux de sa poitrine comme un trésor, et tous ces hommes, tous ces barbares, desquels elle a été la dernière vision.

Elle jeta un regard en bas. La rouge n'était pas la seule, chez qui la capitale faisait office de fresque. Cependant, Marjhan avait eu droit à d'autres genres de premières fois. Elle se souvenait de la guerre. Du siège. Des cavaliers qui s'engouffraient dans les ruelles, pour pourchasser les réfugiés. Des viols, à l'ombre des demeures. Ce monde n'avait-il été qu'une douleur, pour elle ? avait-elle seulement partagé un seul moment de quiétude, dans sa vie ? Je vis à-travers le monde... ne cessa-t-elle de se répéter. Le bonheur ne m'appartient plus. Pas tant qu'elles souffriront.

Puis, d'autres mots lui vinrent. Ceux d'Orthas, près de l'oasis. « Tu n'es pas une idée, tu es une personne. » Elle se trouva hideuse d'y penser. Comment pouvait-elle vivre, quand d'autres mouraient sous les coups des hommes, finissaient vendues, battues, brûlées ? Comment pouvait-elle espérer la moindre quiétude, quand son équilibre mental jouait les funambules sur une corde trop mince ? C'est ce qui avait fait sa force, durant toutes ces années. Son épée était le fer de ses convictions. « Karama », c'était le diminutif d'un personnage symbolique. Karamazov. L'expiation des péchés dans la souffrance, l'absolue nécessité d'une force morale au sein d'un univers irrationnel et incompréhensible, la lutte éternelle entre le bien et le mal...

Autant de concepts qui semblaient partir en poussière, quand elle observa Alinka. C'était... autre chose. De plus ténu. Non, d'ingénu. Pour la première fois depuis que ses ailes lui avaient poussé, Marjhan s'oublia.

« Ce doit être à cause de l'odeur. Tu sens le chameau », railla-t-elle, dans un sourire complet. Les lèvres, comme les yeux.

Elles finirent par approcher le palais. Deux choix : soit Marjhan avait quelques soucis de direction, soit elles fonçaient droit vers un mur.
Dix mètres, et le mur s'agrandissait, encore, et encore.
Cinq mètres. Stupéfiant, la vitesse que pouvait atteindre la Valkyrie.
Deux m--...
Elles gravirent, d'un seul à-coup, la façade d'airain et atterrirent dans un jardin. Il suffisait de jeter un regard en contrebas pour se rendre compte de la hauteur. Un corps qui trébucherait malencontreusement à une telle hauteur finirait en viande hachée une fois en bas.
Demandez donc aux ennemis politiques de la reine.

« Navrée, je n'ai pas pu résister... », et elle déploya ses grandes ailes, ses poings vissés contre ses hanches, goguenarde. Tout autour, la beauté vertigineuse des architectes d'autrefois. Tout était grand, des colonnades de bronze damassées d'or, jusqu'aux statues, figées dans leur suggestion pluricentenaire. Des fontaines dont les rigoles d'eau partaient en amont, pour se perdre dans un étang, creusé dans le marbre. L'esplanade était si vaste que l'on aurait pu y faire marcher une vingtaine de cavaliers, rangés côte à côte.

« Et encore, tu n'as pas vu Valeryon. Ce fichu dragon est tellement gigantesque qu'il masque le palais entier, quand il s'envole. Viens. »

De nouveau, une de ses ailes se pressa au creux du dos de la demoiselle, pour la guider. A l'intérieur, si les nobles s'inclinèrent en bonne et due forme à l'aperçu de la Valkyrie, certains eurent un haussement de sourcil, un tic, nerveux, au pourtour de l'oeil. Une lèvre rongée, pour Alinka. Avant de s'en détourner. « Ignore-les. Ils ne sont rien. » Et l'emmena dans sa chambre. (Visuel)

Une grande pièce en hexagone, plus modeste qu'on ne l'eut cru. Le faste n'avait jamais été bien accueilli, à Ikusa, mais le lit, lui, devait bien faire trois fois celui d'un citadin ordinaire. Des colonnes de marbre donnaient sur des portes, et il y avait de grosses plantes feuillues, oubliables, enfouies dans des pots. Sans lui laisser le temps d'admirer les lieux, elle la guida vers les escaliers, dont les murs renvoyaient des reflets chatoyants, aqueux. (Visuel) En face, une grande bassine creusée dans la pierre. La végétation y avait davantage sa place : des palmiers, des pavots, roses, des célosies, cosmos, orchidées et autres boutons chamarrées de couleurs se languissaient au bord de l'eau.

« Tu trouveras de quoi te savonner là-bas », dit-elle, en désignant une petite cassette. « Et pour l'amour d'Ayshara, frotte bien. Je ne veux pas qu'on croie que j'héberge ma monture dans le palais, vu ? » Et comme si cela n'était pas suffisamment agaçant, elle pressa ses deux mains sur ses joues, et rapprocha, dos à elle, son museau du sien. Le « vu ? » était moins qu'un souffle. (haleine de menthe) Quelle chieuse, cette géante ailée !
Alinka Bell
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Feat.Marjhan

Nul besoin de lui faire remarquer que la chute serait terrible, elle en est déjà bien consciente, en témoigne son attache ferme autour du cou de la Valkyrie qu’elle n’est pas prête de lâcher. Pour le coup, il n’y a plus la moindre haptophobie qui entre en vigueur à cet instant, pas quand il est question de survie. Encore moins quand son ange gardien vient raffermir son étreinte pour mieux la maintenir contre sa poitrine de métal. Un geste qui lui vole de nouveau quelques rougeurs, au moins ça à le mérite de lui redonner des couleurs, elle en a grand besoin la palotte ! Le soleil lui a clairement manqué ces derniers mois, mais ce n’est rien, en quelques semaines, elle devrait aisément retrouver son teint légèrement bronzé.

Pour sa marque, c’est un sujet assez gros pour qu’elle se détourne de la scène avec une lueur d’espoir au creux de ses pupilles bleues pâles. “Vraiment ?!” Ce serait VRAIMENT pas plus mal que la reine s’en charge, ce serait bien la moindre des choses à faire pour corriger les erreurs de son gouvernement. “Ce serait… vraiment cool… si elle pouvait m’virer ça… M’car bon, m’faut pas trop compter sur l’esclavagiste pour se faire, c’est d’la magie, ça l’dépasse ce con là.” Enfin, ça dépasse surtout tous ceux qui sont éloignés de la magie à savoir, un grand nombre de personnes.  

Et une nouvelle pique sur son odeur, une ! Ses yeux roulent dans leurs orbites en guise de réponse muette. De quoi la rendre encore plus hâtive à l’idée de vite se laver pour ne plus subir ses taquineries. C’est une fois à proximité du palais que la peur la gagne à nouveau avec ce maudit mur vers lequel elles foncent à pleine vitesse et sans même ralentir. “Heu… LE MUR ! Mar…” Ses paupières se ferment face à l’inévitable… qui est finalement évité ! Quand elle ouvre à nouveau les yeux, c'est un énorme jardin qui l'entoure et elle retrouve bien vite ses marques au sol. “Bien sûr que t’as pas pu résister ! Et j’suis sûre que t’as pris ton pied en prime !” Marmonne-t-elle en posant sa main sur son cœur qui bat bien trop vite qu’il ne le devrait. Son humeur bougonne s’envole aussitôt qu’elle était arrivée alors que son regard se tourne vers l’immense jardin en question. Beauté architecturale conséquente, du luxe comme on a pas l’occasion d’en voir quand on vient d’en bas. Ça respire la richesse ici, elle n’est clairement pas à son aise dans ce milieu et fait office de vilaine tâche dans le décor avec sa dégaine.

“Je l’avais oublié ce dragon ! T’crois que je pourrai l’approcher un jour ?!” Son timbre est enjoué, tel celui d’un enfant devant son sapin de noël qui demande s'il peut ouvrir ses cadeaux en avance. Pour cause, approcher un dragon, c’est un rêve qu’elle a depuis son plus jeune âge et elle jalouse grandement la reine d’en posséder un !

Direction l’intérieur, l’ancienne esclave progresse en silence et ne soulève aucunement le regard du personnel. “T’en fais pas, j’suis habituée à ces regards.” Répond-t-elle tac o tac à sa sauveuse en fourrant ses mains dans ses poches. L’aile à nouveau dans son dos continue à guider la marche et détourne même la rouge du lit géant vers lequel elle avançait par instinct dans le but de se jeter dedans. “Humpf !” Grommelle tout bas alors que les plumes la ramènent dans le droit chemin, vers les bains ! Et quel bain, sa mâchoire manque de se décrocher alors détaille chaque coin et recoin de ce petit coin de paradis coloré. Introspection coupée par une nouvelle taquinerie mais qui lui arrache cette fois un sourire, le coup de la monture, c’était pas mal. Quant à l’haleine menthe, elle est de bienvenue, la proximité, elle, lui arrache à nouveau de légère rougeur alors qu’elle s’en détache en vitesse pour foncer vers la précieuse caissette et s’en saisir. “Ouais ouais ! C’est comme si c’était fait !” Elle ne va pas se faire prier pour se délester de toute cette grasse et profiter de ce bain qui fera office de renaissance !

Il n’y a plus qu’à aller pourrir le bain maintenant ! Avec hâte, elle se rend au bord de la bassine géante pour retirer les bandelettes maculées de sang seché à ses avants-bras et se déshabiller à grande vitesse, sans la moindre once de pudeur. Un nouvel angle à découvrir pour la Valkyrie si celle-ci s’aventure à jeter un coup d'œil, un dos marqué par les coups de fouet, des bras tatoués de haut en bas, quelques hématomes éparpillés ici et là, rien de bien enviable à l’horizon en somme. S’engouffrant rapidement dans l’eau, ses bras partent vite en quête de la cagette pour vite y attraper le nécessaire afin de se laver convenablement. “C’est génial ici ! C’est tes quartiers et ton bain perso ?” Beugle-t-elle depuis son spot, un sourire plus que radieux aux lèvres et une énergie nouvelle, cette trempette est plus que revigorante finalement.

Alors qu’elle se shampouine, elle s’aventure à jeter un œil vers ses vieux vêtements abîmés, plein de poussière et de sueur, de quoi étirer une belle grimace à l’idée de les enfiler quand sa toilette sera terminée. “Dis… tu aurais pas des fringues propres qui trainent dans l’coin, à tout hasard ?” Y a quand même un petit poil de gêne là dedans, pour cause, elle n’est plus vraiment habituée à réclamer quelque chose…



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« Si elle pourrait approcher Valeryon » ? l'idée même que la jeune femme se retrouve face à cette créature pharaonique lui noua l'estomac. Non, il n'en était pas question. Elle considéra la situation avec une répugnance de maman poule. Et s'il lui venait l'envie de la boulotter ? et si, par mégarde, il se mettait à cracher du feu par ses narines ? ou qu'il l'écrasait, sans s'en rendre compte ? Les écailles de cette bête doivent être aussi épaisses qu'une rangée de boucliers. Il me faudrait une meilleure arme, pour accéder à son ventre, et--... A peine eut-elle temps de s'angoisser, de plus belle, - son regard était songeur, et il n'y avait bien que ses ailes pour manoeuvrer sa pupille - qu'elles arrivèrent aux bains.

Il n'y avait plus grand chose à craindre : elle était en sécurité, maintenant. Que pouvait-il bien lui arriver ? mais un instant, un souvenir lui revint. Un vieux soufi, Zafov, qui avait eu le malheur d'offrir l'hospitalité à des rebelles, qui trempaient dans des affaires de viol et de terrorisme. Elle l'avait jeté dans le bassin d'un oasis, « pour l'exemple », sans savoir que les muscles atrophiés du vieillard l'empêchaient de nager. Et il était mort, noyé. Elle l'avait pleuré pendant de nombreux jo--...
Non, bien sûr que non. S'était contentée de hausser une épaule, avant de tapoter celle d'un des bédouins. « Voyez : la pratique prévaut toujours sur la théorie ». Le règne du doyen s'était terminé dans un florilège de bulles.
Retour à la réalité, et tandis qu'elle sent sa protégée s'arracher de sa poigne, elle tend une main, hésitante.

« Attends, est-ce que tu sais nag... »

Bien sûr qu'elle savait nager. Elle réduisait en limon le crâne de types deux fois plus gros qu'elle. On n'apprenait pas à un lion le crawl. Elle serra le poing, avant de le rétracter jusqu'à elle.

C'était étrange. Comme si toute la haine, toute la colère, les sursauts vengeurs qu'elle avait adressés à l'endroit des hommes, durant toutes ces années, se muaient, progressivement, en un instinct autre. Une intuition maternelle, ou...
Je suis donc si instable que ça ? Evidemment. On ne pouvait pas vivre de la guerre, crucifier des individus à longueur de journée, traquer, châtrer des hommes comme on l'eut fait de bêtes, côtoyer les langueurs arides du désert, sans être essentiellement sociopathe. C'était ce qui avait son efficacité, au fil de sa carrière. Une tare, qu'elle métamorphosait en force.

C'était sans doute pour cela qu'elle détestait les fainéants, les bienheureux. De la même manière qu'Alinka abhorrait le contact physique, d'une vie de chien au museau cru, tous ces ramassis de branleurs lui renvoyaient ce qu'elle ne serait jamais. Une personne ordinaire. La petite rouge était, à ses yeux, un refuge.
Arrachée de ses pensées, elle entendit dire :

« C’est génial ici ! C’est tes quartiers et ton bain perso ? »

« C'est ma chambre, en effet. Mais il arrive que d'autres nobles viennent se laver ici. Rassure-toi, ils ne sont pas très nombreux. »

Elle l'observait faire, en silence. Constatait l'ensemble des cicatrices avec un prosaïsme glaçant. Dans un monde alternatif, sans doute que cela aurait été inhabituel, de voir une demoiselle de son âge aussi féroce, aussi marquée. Mais ce monde alternatif n'existait pas. Il n'y avait que le Sekai, et ses innombrables conflits. Elle-même avait sa propre fresque. On pouvait presque retracer l'entièreté de sa vie martiale rien qu'à scruter sa peau, - pourvu que l'on soit discret. Des lardures, des impacts de sortilège. Ici, la chair avait rosi. Là, elle affectait la réception douloureuse d'une chute.

D'autant plus visible qu'elle retira son armure. La chaleur commençait à lui peser, et les nuages de vapeur venaient embuer le métal. Elle formait, à sa surface, une sorte de patine, graisseuse. Flanquée d'un gilet de cuir bouilli, elle répondit.

« Ca risque d'être compliqué : tu es un chouïa plus petite que moi ». Un chouïa, pour ne pas dire qu'elle lui prenait deux bonnes têtes, et que ses paires d'ailes obligeaient les tailleurs à tisser des ouvertures, dans le dos de ses vêtements. « Reste ici. » Elle fit volte face et disparut. Avant de revenir, quelques minutes plus tard, avec une paire de vêtements cossus en main. « Regarde ce que j'ai trouvé ! », et elle ne put réprimer un grand sourire, goguenard. « Ils t'iront à merveille ».

Et elle s'approcha, pour les déposer près des fleurs. L'esclave avait peut-être connu le fouet, les coups dans les côtes, les écrasements de tête et les attaques à l'opinel. Lui restait la douleur la plus difficile à supporter : celle de l'humiliation, aimante, - mais humiliation quand-même - d'une Valkyrie un peu gâteuse. Un gilet en brocart, sans dentelles, heureusement, mais dont les coutures formaient une sorte de damas honteux. Des petites roses, des ronces, bref, du baroque complètement cheap, de quoi faire rougir une butor comme Alinka jusqu'aux oreilles.
Fallait-il s'attendre à autre chose, d'une femme dont les moments de détente se composaient de pêche et de dégustation de thé glacé ?

Elle s'approcha de la demoiselle et pressa ses mains sur ses deux épaules dénudées.

« Tu vas faire fureur ». Elle ne se reconnaissait pas. Elle, la chienne de fer, harpie dont le regard ne se pose que sur ses proies. Prodige de l'épée et arracheuse de vertèbres notoire. Ca ne lui ressemblait pas, ce contact, cette relâche, mais elle s'en fichait. « Navrée, mais il faut au moins soigner les apparences, dans le palais. De toute manière... » Et la pression sur ses deux épaules se raffermit. Toucher Alinka, c'était toucher un tas de nerfs, de muscles revêches. Une véritable arme sur pattes. C'est pour ça qu'elle l'avait choisie. « Tu as besoin de repos. D'un véritable repos, j'entends. Un sommeil, régénérateur. Ne t'en fais pas, tu auras mon lit. Je veillerai à ce que mes ailes ne t'encombrent pas trop ».

Ses ailes, parlons-en : superbes, illustres, sur une affiche de propagande. Mais dans la vie quotidienne... cela signifiait ne pas pouvoir dormir sur le dos, ou difficilement. Oublier les magasins de poterie et d'objets fragiles, - comme par exemple les réunions d'état de la République - sans parler des plumes, qui même si elles repoussaient aussitôt qu'elles tombaient, forçaient la femme de chambre à se pencher plus d'une fois, pour laver le parquet.

Ses mains toujours vissées au creux de son cou, elle aurait pu rester ainsi, des heures, rien qu'à voir le visage de sa pupille rougir comme une tomate. Un véritable délice !
Alinka Bell
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Ce bain est commun ? Voilà qui devient intéressant, de quoi motiver la rouge à l’idée de croiser quelques nobles pour leur montrer à quel point leur royaume peut être cruel et destructeur. Un seul regard sur son dos suffira à cette classe noyée dans le luxe et la sérénité pour se faire un réel avis. Elle hausse donc simplement les épaules pour répondre à sa nouvelle propriétaire, lui démontrant par la même occasion qu’elle n’a pas besoin d’être rassurée sur le sujet, qu’elle s’en moque pleinement.

Et l’ailée disparaît à la recherche d’habits propres, accordant alors quelques minutes de solitudes à sa cadette qui en profite pour se frotter énergiquement avant de se prélasser dans l’eau chaude. Coude contre le bord du bassin, sa poitrine se soulève et s’abaisse dans un long souffle salvateur, début d’une quiétude exotique au combien revigorante pour son mental abimé. Paupières désormais closes, elle savoure ce silence bercée par le clapissement de l’eau jusqu’au retour de la Valkyrie qui la fait aussitôt sortir de son bain. Attrapant une serviette, elle recouvre son corps dont son abdomen finalement musclé et sa poitrine en venant enrouler l’épais et long tissu à hauteur de ses aisselles. Repoussant ses cheveux rouge trempée en arrière d’une main, son regard clair s’abaisse rapidement sur les vêtements rapportés et un sourcil s’arque aussitôt. Mon dieu… Il fallait s’y attendre, il ne faut pas choquer les culs pincés du secteur avec des habits du bas peuple ici.

Enfin, elle n’a pas vraiment le temps de les enfiler puisqu’elle est immédiatement coupée dans son élan par les mains de sa sauveuse qui se posent sur ses épaules, des mains extrêmement douces à cet instant même. Est-ce une simple impression ? “Fureur… Là-dedans ?” Joignant son geste à la parole, elle vient pointer d’un index inquisiteur les vêtements cheap au sol. “J’en doute !” Fais chier… Ce n’est toujours pas le moment de jouer à l’enfant gâtée, malheureusement. “Ça n’existe pas du noir, gris ou blanc uni ici ? Ou juste du cuir… j’sais pas…” AutreChoseQuoi ! Pourquoi faut-il décorer les fringues ? Qui a envie de ressembler à une toile où à un morceau de jardin avec des roses et des ronces… ? Quel enfer…

La pression sur ses épaules se raffermit, elle qui faisait l’effort d’ignorer ce geste ne le peut désormais plus et gagne grandement en rougeur, davantage quand il est question d’occuper SON lit. Que, quoi ? “Hein ?” Parce qu’elle compte vraiment sacrifier une partie de son matelas pour la janissaire et fille de l’ancien boucher ? C’est inconcevable pour la rouge de pouvoir bénéficier d’une attention pareille, mal à l’aise, la gêne revient à tout allure pour grimper un nouvel échelon. “M’non, c’est ton lit, ta piole, ton univers, j’ai rien à foutre là-dedans moi !” Un placard avec un tout petit matelas fera amplement l’affaire ! Mais la blonde ne semble pas du même avis et elle garde toujours ses mains vissées contre sa peau dénudée, histoire d’en remettre une couche dans la gêne, possiblement.

Sa main se hisse en hauteur et ses doigts calleux vienne délicatement se poser contre le poignet de la dame de fer.  C'est la première fois qu'elle la touche, non ? Sans doute que le geste est là pour adoucir les mots qui vont suivre : “Redescends Marjhan, j’mérite pas tout ça. Cette estime que tu m’portes là… Elle est bien plus élevée qu’elle ne le devrait. ” Ses mâchoires se crispent légèrement tandis que son regard ne cille pas, il reste inflexible comme pour apporter plus de poids à ses mots. “J’ai pas b’soin d’être gâtée comme ça…” Ajoute-t-elle plus bas, dans un ton plus doux, presque dans un murmure. En faire une femme digne, une vraie guerrière, ça, elle l’a bien entendu oui, mais d’un coup, elle a clairement l’impression d’être trop privilégiée dans cette démarche, de manquer quelque chose. Peut-être est-ce juste sa parano qui s’inquiète là où il n’y a pas de raison de l’être ? Elle devrait vite le savoir. Malgré son teint couleur écrevisse, elle ne se détache toujours pas de l’azur de Valkyrie, il parait que les yeux offrent le meilleur reflet de l’âme et elle compte bien essayer d’y lire ce qu’elle pourrait éventuellement manquer.



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Elle écoutait les complaintes de sa pupille, sans vraiment y prêter attention. Elle s'attendait à ce genre de réactions. C'est ce qui arrive, quand du chien, on passe à l'homme. Quand on passe du fouet, des écuries et des sévices morales infligées aux esclaves du Reike, à un lit quatre places et des thermes d'eau bouillante. Une révulsion, instantanée. Le corps des humains était fainéant. Il fallait le battre pour l'endurcir. Lui infliger des hypertrophies jusqu'à un stade traumatique, pour en faire une arme. Mais une fois cela fait, il était difficile de l'assoupir, de lui faire goûter le repos.

Son regard ? il était... ordinaire. Pourtant, du gavroche moyen jusqu'au noble soigneusement apprêté, tous avaient la même conviction à propos des fichus yeux de la Valkyrie. Ils étaient terribles, inhumains. Et dorés. Ici, cependant... rien que du bleu. Des yeux, comme Alinka en a pu voir, chez sa mère, chez ses amies, - ses amantes ? - d'autrefois. Si elle cherchait refuge en leur sein, il y avait de quoi être déçu.

« Redescends Marjhan, j’mérite pas tout ça. Cette estime que tu m’portes là… Elle est bien plus élevée qu’elle ne le devrait. »

Mais, cette fois-ci, elle lui sourit. Et ses yeux lui sourirent aussi. Une pointe d'amusement, sincère, y brillait, dont elle ne pouvait décidément pas se départir, quand il s'agissait de sa protégée.

« J’ai pas b’soin d’être gâtée comme ça…
- Cesse. »

Elle avait fini par l'étreindre, pressant son dos contre sa poitrine. Marjhan, tueuse. Marjhan, misandre. Marjhan, tortionnaire. Et maintenant, Marjhan, aimante. Une antinomie qui se creusait, progressivement, à mesure qu'elle sentit la peau humide de la mistinguette sur son torse.

« Je t'ai achetée, tu te souviens ? » Sa voix était grave. Un contralto suave et puissant, qui évoquait la danse éternelle du sirocco dans le désert. « Ce dont tu as besoin, c'est à moi de le décider, désormais. » Et elle la fit pivoter, face à elle. Cueillant son menton à bout de doigts; enchâssant ses yeux dans les siens. « Leçon numéro une : le meilleur ami du combattant est le sommeil. Et une diète, efficace. Je me fiche bien que tu dormes dans mon lit. Je n'ai que toi, et il y a suffisamment de place pour deux. »

C'était presque saisissant, comme toile. L'esclave rasée court, criblée de tatouages, encore trempée de son bain. Et la Valkyrie dont les ailes n'avaient de cesse de la couver. C'était intuitif : les mots pouvaient mentir, pas le corps. Ce qu'elle allait dire à qui que ce soit, qui irait lui demander des comptes ? « Elle sera une arme utile pour la nation », - ce qui était juste. Mais ce que ses attentions, disaient, elles...

« Pour l'heure, je veux que tu te reposes. Et c'est un ordre. (Elle pressa son fameux regard sur la jeune femme. Mais, malgré elle, ce n'était pas celui de la chienne de fer. Plutôt celle d'une mamoune effarée de voir sa fille levée à une heure du matin.) Je superviserai tes entraînements. Si tu crains que je te materne, ne t'en fais pas : ils seront là pour te rappeler que non. Ton corps est sec, musclé... » et elle tapa, sans force aucune, les abdos de la demoiselle, du plat de ses phalanges. « Mais il n'est pas encore assez aigu. L'excellence a un coût, Alinka. Crois-moi, tu ne verras plus jamais une badine de la même façon. »

Ses propres entraînements, elle s'en souvenait. Kyrian, qui la frappait avec un sac rempli de craies, pour raffermir ses muscles. Kyrian, qui lui infligeait des gainages jusqu'à vomir. Kyrian, qui lui faisait combattre les créatures du désert. « Rien d'mieux que la pratique », ne cessait-elle de dire. « Quand on risque sa vie, c'est l'cerveau reptilien qu'agit. Une force, qu'on soupçonnait même pas jusque-là. C'est pour ça que l'guerrier, le vrai, y surpassera toujours le jouvenceau de la haute. T'peux démarcher tous les maîtres escrimeurs de la nation, ça s'ra jamais mieux que la pratique ».

Alinka serait-elle capable d'endurer ça ? elle ne l'avait pas vue à l'oeuvre depuis trop longtemps. Son regard était farouche, inflexible, - enfin, un peu moins depuis qu'elle la pressait, à demi nue, contre elle... Avec un peu de chance, et beaucoup de volonté, elle lui survivrait. Et alors, la véritable liberté lui serait acquise.

Elle l'emmena jusqu'à sa chambre, toujours flanquée de sa serviette de bain. « Ne t'inquiète pas : le lit sera à toi, pour cette nuit. Il faut que je trouve un mage, pour ta marque. Evite simplement de tout casser. Si tu savais le prix que coûte un de ces fichus miroirs... », râla-elle, en secouant la tête. Puis, elle approcha... et ne fit rien. Ignorait ce qu'elle devait faire, à vrai dire. La boxeuse était suffisamment embarrassée comme ça. Bien sûr, elle aurait aimé l'enquiquiner davantage, mais elle ne voulait pas la bloquer. Lui laisser le temps... C'est le mieux à faire.
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”Cesse”. Cesse. Un mot, un seul et pourtant quelle puissance, d’une efficacité immédiate possiblement déconcertante pour tout lambda étrangé à ce type de rapport. La rouge rentre immédiatement la tête dans ses épaules, résultat évident d’un endoctrinement conséquent sur une longue année d’esclavage. Le ton employé par la blonde suffit à la renvoyer à son état initial, celui de dompté. ” Je t'ai achetée, tu te souviens ? “ Bien sûr qu’elle s’en souvient mais la piqûre de rappel n’en reste pas moins de bienvenue. ” Ce dont tu as besoin, c'est à moi de le décider, désormais“ Celui-là, en revanche, il va de paire avec le précédent rappel et ne fait que renforcer la gêne dans laquelle elle baigne déjà. Heureusement que la Valkyrie pivote face à elle pour lui saisir le menton et force par la même occasion son regard - rendu à hauteur de ses pieds nus - à se redresser. Deux azurs qui s'entremêlent, l’un qui manque cruellement de teinte, pâle et froid, qui fait face au second d’un bleu bienveillant, pur et au combien réconfortant. Étrange mélange, mais qui a son effet.  ” Je n'ai que toi, “ La réciproque est si vraie qu’elle en vient à frapper la rouge de plein fouet. Finalement, ce sont les mêmes. Encore un crescendo dans les émotions qu’elle n’a pas vu venir, un autre électrochoc parmi la dizaine qu’elle a déjà subi depuis sa nouvelle rencontre avec Marjhan. “Je… Ok…” Elle en perd ses mots, perd son insolence, perd ses moyens qui pourtant la définissent tant.

L’ordre du repos est donné et là aussi, elle ne trouve rien de mieux à ajouter qu’un nouveau “Ok…” Que Marjhan en profite, cette soumission ne durera sans doute pas, quoique ? La bienvaillance de la Valkyrie fait dans tous les cas son effet et ne laisse pas insensible la jeune femme qui n’a à l’instant plus qu’à désir : la satisfaire. Est-ce ce rapport maître à esclave où une simple reconnaissance plus que justifiée en l’état ? Ou encore autre chose ? Elle même l’ignore.

La dame de fer comme entraîneur personnel, vraiment ? Combien de personnes peuvent se vanter d'avoir vécu cette situation avec un tel mentor ? Elle n'en a pas la moindre idée. Connaissant sa réputation plus que conséquente, en toute franchise, elle ne peut qu'en être des plus flattées. Elle qui se croyait née sous une mauvaise lune se découvre plutôt être née sous une bonne étoile. Une réflexion coupée par ce petit coup dans son abdomen qui l'extirpe immédiatement de ses songes. Elle n’est pas assez aiguë qu'elle dit ? La fille du boucher à du mal à y croire, elle n’a jamais eu un physique pareil et pourtant, ce n’est pas encore assez.

“D'accord...” Marmonne-t-elle du bout des lèvres, plus que consciente que l'expertise de la Valkyrie vaut mille fois plus que la sienne, c’est elle la spécialiste de la guerre, la spécialiste, la chienne de fer, l’idole de ces femmes torturées, la toute puissante Marjhan. Toute puissance qui continue de l’étreindre, une enlaçade qu’elle ne mérite pas, toujours peu convaincue de son illégitimité à la chose, toujours persuadée que l’ailée se leurre à son sujet, qu’elle ne la voit toujours plus grande qu’elle ne l’est vraiment. Persuadée qu’un jour, elle la décevra.

La direction de la chambre est finalement prise, vêtements propres sous le bras, l'esclave suit le mouvement, toujours guidée par ces ailes qu'elle rêve de toucher sans pour autant oser. Son museau se redresse subitement quand il est question de sa marque, une révélation qui lui plait mais qui fait aussi aisément contraste avec les dires précédents. Si Marjhan la libère, il ne sera plus question d'autorité, de soumission ou encore d'achat... À t-elle pensé à ça ? Certainement, la belle blonde n'a rien d'une idiote, jusqu’à preuve du contaire, tous ces actes sont mûrement réfléchis sans quoi, elle ne se serait jamais élevé à cette échelle. “Comme tu veux… sache juste que… humpf… j’veux pas te chasser d’ton propre lit...” Le ton est différent, plus d’affirmation, rien d’imposé, juste une opportunité à saisir où non.

Sans un mot de plus, elle pose les vêtements sur un coin du lit pour enfiler un dessous et un simple haut, le minimum pour dormir dans un lit étranger. Ses iris se perdent sur ce lit si attirant que la fatigue la gagne aussi, il a l’air si confortable... Secouant doucement la tête, elle fait volte face pour revenir à hauteur de sa sauveuse. “Merci...” Pour tout. Le mot sort tout seul, subtilité brutale et douce à la fois, mais elle a ce mérite d’en lire long. La seconde suivante ses bras viennent immédiatement entourer la taille de la Valkyrie tandis que son visage se love contre sa poitrine. Sa faàon à elle de rompre tout distance pour de bon, petit plaisir coupable dont elle profite quelques secondes, langueur dont elle s’extirpe à contre cœur pour rejoindre docilement les draps qui l’appellent depuis son arrivée…



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Elle lui rend l'étreinte, sans un mot. Pas de mot d'esprit, pas de fatuité, ni de sourire moqueur. Rien que des bras, vigoureux, qui viennent enlacer les épaules de la jeune femme. Un instant, elle perd ses lèvres dans sa chevelure rougeoyante, et ferme les yeux. Elle s'y accrochait comme à une bouée, vérité étant que Marjhan avait autant besoin d'elle, qu'elle de Marjhan.

Kyrian l'avait prévenue. Qu'un jour, elle ne serait plus la seule personne de sa vie. Qu'on ne pouvait pas vivre avec soi, éternellement. Combien d'années aurait-elle pu encore endurer, avant de sombrer dans son propre abîme ? Une vie à porter le combat d'une reine, de milliers d'autres femmes, à traquer et pourchasser les rebelles jusqu'à l'autre bout du pays. Marjhan n'était pas seulement sociopathe : elle devenait, progressivement, le monstre contre lequel elle luttait.

Cette fois-ci, ce n'était pas un vieux soufi flanqué d'un turban que le lui avait dit, mais Kyrian. Son mentor aux dents éclatées serinait que le combat d'une vie, était celui que l'on menait contre soi. « Oui, je connais ce genre de proverbes », lui avait répondu l'épéiste, insolemment. « Qui vole un oeuf vole un boeuf, ne pas pousser mémé dans les orties, et ceci, et cela... Rien que des faux-fuyants, face à la loi du plus fort ». Et tandis qu'elle assura son étreinte, autour des hanches d'Alinka, elle comprit. Il n'existait pas de sagesse sans souffrance; pas de souffrance sans erreur.
L'erreur avait été de faire route seule, tout ce temps.

« Merci...
- C'est moi qui te remercie, tête de mule. »

Elle passe la paume de ses mains sur ses joues, lui relève la tête. Avant de poser, délicatement, ses lèvres sur son front. Etreindre la boxeuse, c'était comme étreindre un garçon, ou presque. Elle n'était pas bien grande, mais avait une musculature de petit fauve. C'était comme s'étreindre soi. Elle préférait cent fois cela, qu'aux hanches étroites des pouliches de la cour. Leur parfum vous empuantissait les narines, leurs mains étaient froides, sans vie; et malheur si vous eûtes l'audace d'avoir leur joue posée sur votre torse. Ca ne partait pas au lavage. (fichu maquillage)

Alinka, elle, était pure. Rageuse, mais pure. Et tandis que sa pupille faisait volte face pour rejoindre le lit, elle sourit.

« Si tu insistes tant, je peux toujours te raconter une histoire. Mais je te préviens, celles que j'ai en stock ne sont pas très... réjouissantes ». Et elle entortilla une de ses mèches autour de son doigt, quand elle le dit. Voyons voir, par quoi pourrait-elle commencer ? celle du marin fou amoureux de la fille de son capitaine et qui, pour la séduire, tente de tuer un kraken, - et finit invariablement dans son estomac ? ou bien celle du type avec la jambe en ivoire, qui chasse une drôle de baleine, dans les mers de l'ouest ? ou encore celle du temple abyssal ? Toutes en rapports avec la mer.
Sans doute parce que cela l'avait toujours fascinée. L'herbe était plus verte ailleurs; et dans le désert, les « grandes étendues d'eau » étaient une Atlantide.

Elle traîna une chaise près du lit. Oui, elle allait vraiment le faire. Elle aurait aussi pu s'abstenir et, dans le prosaïsme qu'on lui connaît, délaisser ce moment de tendresse pour quelque chose de plus important. Mais il lui vint un sentiment qu'elle avait fui et répudié pendant de nombreuses années. L'égoïsme. Qu'avait-elle dit à Morwën ? à Orthas ? Je vis à-travers le monde. Il n'y a pas de "Je" qui tienne. Menteuse ! menteuse ! menteuse... ! Elle allait rester, et tant pis pour les tâches qu'elle avait à faire.

Une fois Alinka enfouie dans les draps, elle sourit. Encore une fois. Bêtement, d'ailleurs, et s'avachit en avant, posant ses coudes sur genoux, mains contre joues. « Alors, princesse ? quelle histoire te ferait envie ? Tu dois bien avoir des questions à me poser, non ? »

Il y avait des scènes délirantes, au Reike. Celle d'un marchand ambulant, courant après son propre dromadaire qu'on lui a dérobé. Celle d'une hybride aveugle, faisant le service animaux à Luxuriance. Ou d'un barde, se bastonnant avec une ermite dans le désert. Mais Marjhan dite « la Clémente », prête à se livrer à une ancienne gavroche sur ses expériences personnelles ? Non, décidément... si cela devait faire la Une d'un journal, - journal fictif, bien entendu, le royaume n'étant pas connu pour son ambition diplomatique - il y aurait de quoi rafler des sommes à six chiffres.
Ses ailes étaient à l'image de leur maîtresse. Un peu fatiguées, un peu avachies. Les rémiges touchaient le sol, mais les yeux de la Valkyrie, eux, étaient braqués sur sa protégée.
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Feat.Marjhan

La rouge cède à la tentation et profite de cette étreinte réconfortante qu’elle a elle-même initiée - ce qui change un brin la donne. Jusqu’au baiser sur son front qui vient la décontenancer, celui-là, elle ne l'a pas vu venir et défait alors maladroitement cette soudaine proximité pour s’écarter à petits pas vers les draps qui l’appellent tant. Tête de mule… Ouais, c’est tout elle ça !

Sa petite tête rouge s’embrume déjà alors qu’elle rencontre le confort du matelas et se tourne sur le côté en position foetal. Position familière et apaisante, la seule qui - par la force des choses - lui convient pour s’endormir.

Quant à sa nouvelle propriétaire, celle-ci est bien décidée à lui compter une histoire. Fronçant légèrement les sourcils, elle redresse son museau percé vers elle tandis qu’elle s’installe sur une chaise, juste à ses côtés. “M’pas ce que je voulais dire, m’juste que ça… me gêne de squatter ton lit.” Peut-être qu’à terme, elle touchera un salaire et pourra gagner un peu en indépendance pour pouvoir rendre ce lit à sa propriétaire ? Ou peut-être n’en aurait-elle pas envie à ce moment-là ? Qui sait…

“J’ai passé l’âge des histoire.” S’aventure à rétorquer la rouge alors qu’elle installe confortablement son visage sur le grand oreiller. En revanche, elle n’a rien contre le fait de laisser la Valkyrie lui compter son passé, ce point l’intéresse même grandement, une belle occasion d’en apprendre davantage sur elle, une occasion qu’elle ne compte pas manquer.

“Par pitié… pas ‘princesse’, s’il te plait.” C’est gênant ça aussi ! Sans compter qu’Alinka se trouve plutôt être l'archétype de l’anti-princesse dans cette histoire. Mais ça, Marjhan le sait très bien, c’est sans doute plus fort qu’elle, il faut toujours qu’elle taquine.

“Raconte-moi plutôt ta vie dans le désert.” Ça, ça s’annonce être une bonne histoire. Avec un peu de chance, la tatouée pourra même gratter quelques informations sur les entraînements de la blonde et parallèlement, se faire une idée de ce qu’il l’attend comme nouvelle séance de torture une fois qu’elle sera pleinement reposée.

Elle écoutera, un petit temps et finira par ne plus réussir à lutter pour s'abandonner à un réconfortant sommeil au combien réparateur, celui dont elle a grand besoin. S'endormir dans une telle quiétude où elle peut enfin s’y abandonner entièrement, c’est rare, cela va être difficile de la réveiller pour les prochaines heures.




Point trop n’en faut, un bruit dans la pièce l’extirpe de son sommeil salvateur et de la pénombre qu’offrait ses paupières. Merde. Ça fait combien de temps ? Grimaçant tout en se redressant brutalement dans le lit, ses récents souvenirs remontent rapidement à la surface pour la détendre immédiatement, tout va bien, elle n’est plus là bas .

Se tournant mollement vers la responsable de son réveil, elle se racle la gorge avant de se tenter à prendre la parole. “... J’ai dormi longtemps ?” Baragouine-t-elle de sa voix encore un peu rauque et un brin ensommeillée.



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« Raconte-moi plutôt ta vie dans le désert. »

D'aussi loin qu'elle se souvienne, le soleil lui avait toujours tanné la peau. Mais sa peau était demeurée inta... C'était curieux, cette manie qu'elle avait de se projeter dans le passé. Toujours la chaleur, qui lui venait en premier. Les ondulations fiévreuses du désert, ses mirages. Les silhouettes ténues d'un groupe de bédouins, au-loin.

« Ce serait un peu long à résumer... »

Par quoi pouvait-elle commencer ? (Kyrian) Il y avait cette fois, où elle avait affronté un groupe de bandits, dans la Gorge des Morts, et qu'elle s'en était tirée de justesse. (Kyrian) Ou quand elle s'était faite poursuivre par un ver des sables, qui avait bien failli l'engloutir (Kyrian) Ou alors... (Kyrian, Kyrian)

« Je pense que je vais te parler de Kyrian », fit-elle, contre toute attente. « La seule personne qui n'a jamais été chère à mes yeux. »

La Valkyrie était déçue. Prononcer son nom lui serrait toujours le coeur. On lui avait pourtant dit et répété qu'aucune souffrance ne survivait au temps. Ce que l'adage oubliait de préciser, c'est qu'il fallait, d'abord, faire le deuil de cette souffrance, et que la guerrière n'en avait jamais été capable, faute d'avoir pu remplacer son ancienne (mère) mentor, durant tout ce temps. Cinquante années plus tard, elle se rappelait toujours, au grain de beauté près, de son visage. Une beauté ferme, farouche. Autrefois, ses traits étaient réjouissants, et il n'y avait pas une fille de joie, à Ikusa, qui n'avait eu grâce de ses services. Mais un coup de masse lui avait arraché la moitié de ses dents; depuis, elle bouffait ses mots.

Elle avait cette manie de se peinturlurer de charbon, pour se protéger des rayons de soleil. Marjhan le faisait aussi; mais Kyrian, elle, recouvrait l'intégralité de son visage. « Pour m'donner un côté guerrier », qu'elle disait.

« Je l'ai rencontrée enfant. Mais je ne me souviens pas exactement de quand. Elle est celle... qui a fait ce que je suis aujourd'hui. Ca ne devait être qu'un maître d'armes, au début, mais elle est devenue bien plus... Une... (et l'aveu lui coûta) ... mère. » Elle haussa les épaules, sans conviction, comme si cela lui permettait de se décharger d'un peu de souffrance. La Valkyrie ne paraissait jamais aussi jeune, que quand elle parlait de son mentor. « Autrefois, c'était une guerrière redoutable. J'ignore jusqu'à quel point, elle n'a jamais voulu m'en parler, mais je la soupçonnais d'être une ancienne haut-gradée de la dynastie Draknys. Avant sa désertion. D'ailleurs, elle évitait toujours scrupuleusement les grandes villes. »

La désertion était un acte veule, de traîtrise absolue. Marjhan, - la vraie Marjhan, celle que les gens craignaient, et pas la femme aimante, attentive de ce soir-là - la punissait de mort. Fuir le champ de bataille, au-delà du litige moral que cela impliquait, c'était mettre en péril l'ensemble de la formation. Il fallait donner l'exemple, et plus d'une fois, Karama avait dû s'enfoncer dans les boyaux traîtres de quelque fuyard. L'aurait-elle fait avec Kyrian ? le ferait-elle avec... (et son regard se porta sur Alinka)

« Elle n'était pas franchement... tendre, avec moi. Je me souviens de mes entraînements, où elle me battait avec des sacs remplis de craie. Pour raffermir ma chair. Ou qu'elle me faisait porter de l'eau, d'un village à un autre, sans rien pour me déshydrater que ma propre sueur. Elle aimait profiter du fait que j'étais une Valkyrie, je crois. Elle savait... que j'endurerais. »

Et elle eut un sourire distrait. Une drôle de pédagogie, en l'espèce. Elle l'avait haïe, autant qu'elle l'avait aimée. Sans elle, la Valkyrie serait probablement morte, ou pire. Elle aurait fait partie de ces apatrides, qui sèment la terreur dans le désert. Elle raconta à Alinka diverses anecdotes, au sujet de Kyrian. Comme cette fois où elle l'avait surprise avec trois filles de joie, et qu'elle l'avait dû la traîner par la jambe, hors du lit, pour qu'elle l'entraîne. (Kyrian, avec les filles de joie; pas Marjhan, naturellement) Ou qu'elle avait remporté, haut-la-main, un concours de boisson, et que toutes deux étaient reparties une coquette somme, qu'elles avaient dépensé, le soir même, dans un pub. Ou leur concours de bras de fer. Ou quand elle lui a enseigné à lire, avec des bouquins érotiques. Cette scène, aussi poignante qu'hilarante, quand la Valkyrie lui demanda : « C'est quoi, au juste, la « Catapulte Reikoise » ? et pourquoi l'auteur cite autant de légumes ovoïdes, dans ses expériences ? »

« Et puis un jour, elle est morte », dit-elle, sans ambages. « Des hommes nous sont tombés dessus. Ca aurait dû être une formalité, mais un mage nous a surpris. Il m'a assommée, avec un sortilège, avant de la brûler vive. » Etonnamment, évoquer sa mort lui était plus léger que parler de sa vie. Qui vit de l'épée meurt de l'épée. Elle savait que cela se terminerait ainsi.
Ce dont elle ne s'attendait pas, c'est qu'elle finisse par l'aimer.

Une haine sourde, pure, s'empara d'elle, cependant, quand elle repensa au mage. Ses cheveux se mirent à blanchir, presque immédiatement, et elle perdit son regard dans le néant. « Ce mage, je l'ai traqué, durant toutes ces années. Je ne me suis entraînée que dans ce but. Je tuais, bandit après bandit, traquais, enquêtais. Le temps me paraissait... ténu. Je ne sais pas combien d'années j'ai engouffrées de la sorte, mais, un jour, je l'ai retrouvé. Je l'ai retrouvé, et...
- ZzzzZzZzz... »

Elle haussa les sourcils, et secoua la tête. Ses cheveux revinrent, presque aussitôt, à la normale, et elle observa sa jeune protégée, assoupie.

« Pourquoi est-ce que je l'embête avec ça ? » Elle passa une main tendre et distraite dans ses cheveux rouges. Et s'en alla, sans plus de cérémonie. Il lui fallait enquêter sur sa marque.


*
*   *


« ... J’ai dormi longtemps ? »

Elle s'était endormie à six heures de l'après-midi. Pour se réveiller à huit heures du matin. C'était ça, un sommeil régénérateur. Pas d'esclavagiste pour la réveiller à coups de pompe. Pas d'ordres, pas de hurlements. Rien que... elle-même. Il suffira à la jeune femme de tourner la tête, pour apercevoir la Valkyrie, les joues rondes, en train de prendre son petit-déjeuner, sur la table. Du pain au beurre et au miel, des crêpes, des galettes poêlées. Des oeufs frits. Beaucoup d'oeufs frits. Marjhan en avait fait du khlii, un plat traditionnel composé d'oeufs, de boeuf séché, de tomates et d'ails.
Le tout accompagné de thé à la menthe, et d'un pichet de jus d'orange.

« Une vraie marmotte », finit-elle par dire. « Tu ne m'as même pas remarquée, quand je me suis couchée ». Et elle ne put s'empêcher d'ourler un grand sourire. Oui, elles avaient dormi, fatalement, toutes les deux. Et sauf, peut-être, le contact plumeux d'une de ses ailes, difficile pour la jeune rouge d'avoir remarqué quoi que ce soit.

« Viens manger. Le petit-déjeuner est le repas le plus important. C'est le carburant principal de ta journée. J'ai horreur des sucreries Reikoises. Bien trop sucrées, bien trop grasses. Et trop peu de protéines. Alors que ça... » et elle poussa une assiette de khlii au bord de la table. « Puis, on règlera cette histoire de marque. »



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Cette odeur qui vient lui chatouiller les narines, c’est un réel délice. Dans la catégorie des meilleurs réveils de l’année, celui-là l’emporte haut la main. Même sur ces dernières années finalement, pas que la dernière. C’est donc ça de vivre dans la haute société ? Attention, elle risque fort d’y prendre goût. Non, elle y prend déjà gout… “Ah ? Tu t’es couchée ?” Vraiment ? Elle n’a absolument rien remarqué, pas plus mal en un sens, ça si ça peut lui éviter une certaine gêne, ça se prend, surtout qu’elle connait son sommeil agité, elle n’est pas du genre à rester stable sur son bout de matelas une fois endormie. Au contraire, une vraie petite puce.

“J’arrive, j’arrive.” Frottant frénétiquement ses paupières pour accélérer son réveil, son sourire gagne en dimension avant qu’elle ne s’extirpe des draps pour enfiler un pantalon et vite gagner la chaise vide de la petite table. Tendant l’oreille aux instructions données, elle dévore les plats des yeux et n’arrive pas à s’en détacher. Son ventre s’exprime par ailleurs en premier sur le sujet, c’est un énorme gargouilli surprise vient ponctuer la phrase de sa nouvelle propriétaire. “Oups...” Souffle la jeune du bout des lèvres tout en posant une main sur le braillard dans le but de le faire taire.

QUOI ? Son petit nez quitte immédiatement la table et se redresse d’un coup pour venir chercher celui de la belle blonde. “Vraiment ?! On va régler ça aujourd’hui ?! Tu… tu as trouvé un mage hier soir ?!” C’est qu’elle est des plus enchantée d’un coup d’un seul, ce réveil n’a décidément rien d’ordinaire avec tout ceux qu’elle a pu vivre jusqu’à maintenant. Il les écrase tous et haut la main. De quoi douter de son éveil finalement, n’est-elle pas simplement encore en train de rêver ? Non pas possible, cette première bouchée de khlii est bien trop savoureuse et pétillante pour tenir de l’imaginaire ! Tout ceci est bien réel !

“M’ch’est hyper m’bon !” Se sent-elle obligée de commenter la bouche encore pleine avant de vite se rendre compte que ce n’est certainement pas très approprié comme attitude. Finissant alors cette fois sa bouchée, elle reprend donc aussitôt : “M’pardon. Ahem… C’est bon ! M’puis en vrai, ça m’arrange à fond, j’suis pas accro du tout au sucré non plus.” CayPourLesPrincessesLeSucré ! Rien de bien étonnant de la part de la fille du boucher habituée à la viande à tous ses repas, petit déjeuner y compris. Un apport en énergie conséquent pour les dures journées qui l’attendait dans l’atelier à l’époque.

“Oh ! Et du coup…” Ah mince, elle en a encore plein la gueule et arrête donc vite sa phrase pour la laisser en suspens et vite mâcher tout ça. C’est qu’elle se précipite en bon l’affamée qu’elle est, comme si elle craignait que la table entière ne disparaisse sous peu et d’un coup d’un seul. “... tu avais r’trouvé le connard de mage ? J’sais plus… ? J’ai décroché sur la fin… j’crois. Désolée” Elle a beau essayer de se souvenir de la vieille, elle n’a plus aucun souvenir de la fin de l’histoire et du potentiel sort du mage, enfin, si Valkyrie a bien mis la main dessus ! Tout ce dont elle se souvient, c’est la dimension triste et poignante de son passif, une vie spéciale et avec ses bons moments, mais, dans l’ensemble, pas des plus faciles.

Dans l’attente d’une réponse, elle repart immédiatement à l’assaut de son assiette, picorant également ici et là et alternant avec le thé qu’elle s’enfile comme s’il s’agissait de petit lait. Il y a plus qu’à espérer que Marjhan a déjà mangé, sans quoi, elle n’aurait plus rien à se mettre sous la dent à ce rythme là, la gloutonne est lancée !



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« J'aimerais te dire que c'est moi qui ai préparé tout cela, mais ce n'est pas le cas », trouva-t-elle utile de dire. « Quoique je ne suis pas une mauvaise cuisinière. »

Elle s'étira. Marjhan était sur la relâche. Sans armure, la Valkyrie paraissait presque ordinaire, - presque, si elle n'avait pas ses deux paires d'ailes, dans le dos, et qu'elle n'était pas aussi grande. Elle dégusta son thé, à bout de lèvres, avant d'observer sa pupille. Le contraste était saisissant : entre celle, petite, farouche, se bâfrant comme un ogre, et la grande bringue distinguée, qui ne mangeait jamais sans couverts, quitte à paraître anachronique, dans ce pays de brutes. Rien n'avait presque plus compté pour l'épéiste que la propreté, et on l'avait déjà vue flanquer de joyeux crochets à des types qui eussent la mauvaise idée de mastiquer à côté d'elle, la bouche ouverte.
Depuis, ils ingéraient leurs aliments avec une paille.

« ... tu avais r’trouvé le connard de mage ? J’sais plus… ? J’ai décroché sur la fin… j’crois. Désolée. »

Le mage ? Elle hausse les sourcils, un instant. Ah, oui, ce mage. Celui dont la voix avait hanté ses nuits, de nombreuses années. Duquel elle avait retrouvé la piste, combat après combat, aveu après aveu. Si la mort de Kyrian était quelque chose d'inévitable, la Valkyrie s'était persuadée que son ancien mentor méritait mieux. Elle n'avait pas été qu'un bête guerrier assoiffé de sang; l'éducation qu'elle lui avait donnée le réprouvait. Encore que... ? Elle ne m'a jamais vraiment parlé de son passé. Est-ce que je la connaissais réellement ? Devrait-elle, aussi, mentir à Alinka ? lui cacher la vérité ? Pour l'heure, la jeune femme n'avait pas besoin de connaître les détails de cette histoire.

« Oui, je l'ai retrouvé. Mais ne commençons pas la journée avec quelque chose d'aussi lugubre, tu veux ? Termine ton repas. »

Elle se leva de table, pour se diriger vers la fenêtre. L'immensité du palais écrasait tous les bâtiments à l'entour. Les ruelles, les marchés, les places... Tout paraissait superflu, lorsque l'on était perché à plus d'une centaine de mètres de hauteur. La femme de ménage avait pris l'habitude que Marjhan disparaisse tout bonnement, une fois entrée dans sa chambre. D'ordinaire, elle aurait franchi la fenêtre pour s'envoler au diable vauvert, à la recherche de quelque malfrat. Mais cette fois-ci, elle avait une tâche plus importante, - plus important que de garantir la sécurité d'Ayshara ?

Elle pivota pour observer la cicatrice sur le cou blême de la boxeuse. Tant qu'elle porterait le stigmate, elle serait affiliée à elle, et la jeune rouge ne pourrait rien y faire. Une fois enlevée, en théorie, sa liberté serait acquise, bien que l'on n'échappait pas aussi facilement à la chienne de fer. Les déserts ne sont rien d'autre que de grandes étendues planes. Y voler revient à avoir une vue d'ensemble de la chose.

« Dis-moi plutôt, Alinka... Est-ce que tu as encore de la famille ? à l'époque, tu me parlais souvent de tes frères, de ton père. De la boucherie dans laquelle vous logiez. Je sais à quel point la guerre peut être ingrate, mais je dois quand-même te poser la question. »

Elle connaissait déjà la réponse, - du moins croyait-elle. Morts, tous. Archi morts. Ils avaient dû perdre la vie durant l'invasion de Tensei. Luttant corps et âme pour la pérennité du royaume... Tout ça pour que l'on finisse par vivre sous sa coupe, décréta la Valkyrie, avait une ironie grinçante. Les gens du peuple, pour la plupart, ne comprenaient pas pourquoi elle combattait la Rébellion. Ne comprenaient pas grand chose, tout court. Ils la considéraient comme une traîtresse, elle qui a prononcé ses voeux devant l'ancien roi Draknys, pour servir de molosse à son régicide.
D'autant plus « traîtresse » qu'elle ne s'en était jamais justifiée. Et ne le ferait sans doute jamais, car Marjhan était Marjhan, et que les enjeux étaient trop importants pour se perdre en circonvolutions.

« Ne t'en fais pas, dans tous les cas, je te garderai près de moi. A condition... » A condition que tu t'entraînes durement ? que tu ne me déçois pas ? que tu serves la nation fidèlement ? Quoi ? quoi ? qu'allait-elle dire ? (sourire narquois) « ... que tu ne ramènes pas de fille dans mon lit. Je sais que certaines nobles du palais sont d'une beauté étourdissante... », railla-t-elle. Un lieu commun qui ne lui appartenait pas. Si on avait donné une pièce à la Clémente, à chaque fois qu'elle traîna une fille de la haute dans ses couches... eh bien sa fortune n'aurait pas bougé d'un kopeck. « Mais il faudra que tu te tiennes ».





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Qu’importe qui a préparé ce plat, qu’il s’agisse de sa sauveuse ou non, finalement, la jeune gloutonne s’en manque à l’instant T, l’important c’est le goût qu’il a ! Par contre, le sort du sort du mage est vite éloigné et n’accompagnera pas sa dégustation, une autre fois, peut-être ? Elle n’insiste pas plus qu’il n’en faut et hausse simplement une épaule avant de s’en retourner à son assiette qui ne tardera pas à se vider à la vitesse où elle avale tout ça.

Sa famille ? Heureusement qu’elle arrive à la fin de son plat car l’appétit s’envole bien soudainement, le sujet ne l’enchante pas vraiment, il est même encore un peu douloureux. Une première grimace prend alors place sur ses lèvres alors qu’elle repose son couvert. “Mes frères sont morts au front.” Enfin, tout du moins, déclarés morts, l’un d’eux était méconnaissable après avoir croisé la route d’un élémentaire de type ardent sur le champ de bataille.Peut-être qu’il ne s’agissait même pas de lui, l’armée en avait cependant l’air convaincue, une plaque d’identification en métal retrouvé sur le corps carbonisé attestait de son identité.

“Mes parents… j’sais pas trop. M’paraît qu’ils ont quitté la ville juste après ma condamnation. Ils devaient avoir envie d’recommencer une nouvelle vie ailleurs, m’fin, j’imagine.” Sans un mot à son attention, rien, de quoi leur en vouloir finalement. Est-ce qu’elle a envie de les revoir après ça ? Pas vraiment non, c’est encore bien trop tôt pour l’envisager. “Et ça m’va très bien comme ça.” Se sent-elle obligée de rajouter comme pour rassurer son interlocutrice, elle le vit “bien”, tout du moins, en apparence. Derrière le masque, c'est une colère sourde qui gronde contre ses géniteurs, colère qu'elle compte bien maitriser et qui elle l'espère, s'étouffera avec le temps.

Quittant enfin la table, elle retourne auprès du lit pour finir de s’habiller, l’oreille toujours tendue aux instructions de Marjhan. “Hein ? Que je ramene d’la fille ici ?” Elle a encore du mal à croire ce qu’elle vient d’entendre, elle ne l’a clairement pas vu venir celle-ci, elle s’attendait vraiment à autre chose. “M’nan m’nan j’suis pas folle, m’puis ça ne m’intéresse pas vraiment les relations…” Elle quitte à peine des chaînes et ce n’est pas pour en retrouver si tôt, elle a bien mieux à faire ! Quant à l’affaire d’un soir, ça, c’est clair que c’est toujours jouable et que la Valkyrie, ce ne sera jamais dans ce palais, au grand jamais.

“M’puis en toute franchise, j’vois mal une noble s’intéresser à moi. !” Et elle ne peut s’empêcher d’en rire rien qu’à l’idée. Une personne de la haute ne pourrait lui adresser qui grimace avec sa dégaine, sa posture, ses cicatrices et son visage abîmé, rien d’autre. “Bref, ce sera pas dur d’me retenir.” Conclue-t-elle en passant le plat de sa main dans ses épais cheveux en bataille pour tenter de les discipliner un peu. “C’est quoi le programme alors ?” Ouais, autant changer de sujet, ça ne l’enchante pas vraiment de parler de demoiselles à l’instant même, ce n'est pas une priorité, plutôt une parenthèse qui ne l'intéresse pas encore. En premier lieu, sa marque doit sauter et elle se doit de retrouver un semblant d'indépendance par la suite, et de mettre au point ce nouveau quotidien qui l'attend avec Marjhan, cette nouvelle vie qui s'annonce musclée.



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Elle l'écoute, attentivement. L'écoute, tandis que l'ancienne janissaire lui délie son histoire. Sa lippe supérieure se rétracte, pleine de morgue, de répugnance, quand elle lui parle de ses parents. Si Marjhan avait de l'empathie pour les femmes de ce monde, que dire de celles qui étaient abandonnées dans leur jeunesse ? ce genre de comportements devrait être l'endroit d'un châtiment exemplaire, et ce peu, importe les raisons. Kyrian ne l'avait jamais abandonnée. Jusqu'à la toute fin, elle était morte, pour elle. Ce que lui inspirèrent les géniteurs d'Alinka ne furent rien d'autre que deux viandes froides, bonnes à la potence. Y compris la mère.
Le sort des frères, en revanche, ne l'étonna pas.

« Ca n'a plus d'importance, de toute manière. Je te l'ai dit, tu m'appartiens. » Puis, elle pivota, de nouveau, en direction de la fenêtre, avant de laisser échapper un long soupir. Il était temps qu'elle l'informe. Tant pis s'il était trop tôt, si Alinka avait encore besoin de latitude, - ce qui était certainement faux, mais l'idée d'étrangler sa protégée de quelque façon que ce soit l'écoeurait. « Alinka, je ne t'ai pas choisie que pour tes beaux cheveux rouges, et bien qu'ils m'inspirent toute la ferveur du monde... je pense que tu as un but. Que chaque personne, sur cette terre, a un but. Mais le tien prévaut sur celui des autres. »

Elle fit volte face avant de la dévisager, longuement. Ses yeux bleus semblèrent la sonder, la regarder sans vraiment la voir, tels s'ils voyaient au-travers. Avant de reprendre.

« Je pourrais t'expliquer le pourquoi du comment de : « Pourquoi les rebelles se trompent au sujet de la liberté ? » et pourquoi, en vérité, ils la mettent en péril. Mais tu trouverais ça redondant. Il te faudrait des exemples. » (Elle marqua une pause.) « La liberté n'est pas dans l'égoïsme. Ce n'est pas un désir, ni une fulgurance, mais de l'abnégation. » Elle s'approcha, pour poser une main sur son épaule. Ses ailes, intuitivement, la couvèrent. « C'est parce que des chefs de guerre et des conseillers n'avaient aucune forme d'abnégation, que la dynastie est tombée. Que des femmes et des enfants ont été mis en esclavage. Ils n'ont pas oeuvré pour le bien-commun : ils ont oeuvré pour leur hubris, leur démesure. Qu'arriverait-il, selon toi, si Tensei devait, à son tour, tomber ? - car il tombera. Le chaos. L'anarchie. Les forts qui piétinent les faibles, comme d'ordinaire. Une nation blessée, meurtrie. Il faut, à ce pays, un symbole, qui leur inspire autant de crainte que d'admiration. »

Les Draknys étaient tombés. C'est ainsi... On pouvait soit les pleurer, tenter de venger des ruines fumantes, comme le faisaient les rebelles, soit, on faisait preuve d'abnégation. Marjhan répugnait Tensei; mais elle préférait le servir, lui, plutôt que de rejoindre ses réfractaires. Car le servir lui, c'était servir la nation. Et que la nation était, jusqu'à preuve du contraire, le bouclier des faibles. Dans un monde d'anarchie, dans un monde sans symbole, sans dieu, il n'y aurait que la loi du plus fort. Et ceux qui parjuraient Tensei, hier, le regretteraient demain.

« Ton but est d'oeuvrer à mes côtés. Ton but est de défendre la nation. La nation qui tombe, et c'est la fin de l'homme, - au sens large. Le retour à la bestialité, aux guerres claniques, aux viols, aux pillages. Je ne te demande pas d'aimer le roi; je te demande de croire en ce qu'il incarne. » Elle leva les yeux, pour les perdre dans l'éternité. « Je pense qu'Ayshara est la dirigeante que nous attendions depuis des siècles. Elle est jeune, mais capable, et le jour où elle régnera, sans partage, sur le pays... alors, les faibles auront droit à leur liberté. »

Elle aurait pu aussi bien aider la manoeuvre rebelle, et couper la tête du roi. Mais tout n'était pas si simple. Comme elle aimait se le dire, il n'y avait que dans les fictions d'écrivailleurs ratés que le héros triomphait à coups de volonté. La réalité était jeu de patience, de stratégie et de savoir-faire. Tensei était un guerrier brillant, et avait plusieurs milliers d'hommes sous son commandement. La reine l'aimait. - détail qui avait son importance. Elle l'aimait, et ne pardonnerait pas sa mort au peuple Reikois.
L'abnégation prenait tout son sens.

Marjhan finit par cueillir les joues blanches de sa protégée, braquant son regard dans le sien, avant de prononcer : « Tu es pure. Teigneuse, râleuse, bagarreuse, mais pure. Ce que tu as enduré, aucune femme ne devrait l'endurer. Pour l'heure... c'est un crime qui restera impuni. Mais le moment venu, Alinka, je t'en fais la promesse : ils payeront. Ces bureaucrates, ces conseillers véreux, ces chefs de guerre, qui ont fait de l'asservissement une gloriole. Ils payeront. Et toi, tu seras plus forte, plus digne que jamais ils ne l'ont été. »

Qu'aurait-elle pu dire d'autre ? On voulait, face à l'injustice, hurler, sévir, combattre. Mourir pour la bravoure, - et ensuite ? tuer le roi ! le tuer ! Planter sa tête sur une pique, et l'afficher à la vue de tous ! - et ensuite ? et ensuite ? Les faibles se fichent bien du jeu des puissants, pourvu qu'on les laisse en paix, - mais on ne les y laisse jamais. Il fallait la nation. Seule la nation comptait. Marjhan était prête à clouer tous les rebelles du pays, fussent des femmes, des enfants, des animaux. Tous, pour la pérennité de l'espèce. Pour assurer une ère prospère, où la reine pourrait enfin gouverner.

Alinka était encore jeune, malléable. Elle allait la faire sienne; refusait, catégoriquement, que qui que ce soit d'autre y touche. Toutes deux inspireraient la crainte et la terreur au sein du pays. On les craindrait; on craindrait Ayshara. On craindrait Valeryon.
Et pour cela, on les chérirait.

« Habille-toi, et suis-moi. »

*

Elles quittèrent la chambre pour rejoindre les jardins, là où elles avaient atterri, l'autre soir. « Surveille ton langage. Parle seulement si elle te le demande. Pas de geste brusque, ni d'hésitation. Tête haute, digne, - mais pas trop non plus. Il ne s'agit pas de la provoquer. Et n'oublie pas de t'agen... (Elle marqua une pause.) Tu sais quoi ? fais comme je fais, et ça devrait bien se passer. »

De qui voulait-elle parler ? une noble, sans doute. Il n'y avait que pour les nobles, que l'on faisait preuve de retenue. Cependant... Marjhan avait toujours eu un franc mépris pour ces derniers. Le jour où la Valkyrie s'agenouillera devant un sang bleu, il neigera au Reike.

Le temps pour Alinka de s'enfouir dans les jardins étourdissants du palais, d'écouter les clapotas, diffus, des rivières, de passer à l'ombre de statues majestueuses, et elle la vit. Un bout de femme aux cheveux argentés. Ca aurait pu être une noble, oui. Ou une diplomate, - son apparence était chimérique. Une peau claire, laiteuse. Ses cheveux avaient la pâleur de l'aurore, et elle n'aurait certainement pas remarqué la présence de la Valkyrie, si celle-ci ne s'était pas agenouillée derrière elle. (enjoignant, fortement, Alinka à en faire de même)

« Ma Reine. Je suis navrée de vous déranger pendant votre promenade diurne. » Il n'y avait pas le moindre atome de cynisme, dans sa voix. A la lire, pourtant, ç'aurait tout aussi bien pu être une de ces piques, cinglantes, qu'elle envoie au museau de ces aristocrates enfarinés. Mais sa voix, sa posture étaient sans équivoque. « Voici Alinka. Une janissaire, que j'ai achetée à un esclavagiste, qui n'avait manifestement rien de plus productif à faire que de sacrifier les espoirs de la nation dans des tâches ingrates. C'est une combattante redoutable, et une personne fiable. Mais cette marque, sur le cou, l'avilit. »

Naturellement, on n'assénait pas une reine d'injonctions. Elle l'aura laissée parler si besoin est, - tout en gardant un oeil scrupuleux sur sa protégée.

Marjhan se souvenait d'une Ayshara qui jouait encore avec ses poupées. Dont les deux mains ne parvenaient pas à faire le tour de son index. Elle l'aimait, sincèrement. Et espérait avoir été l'égide qu'elle méritait, durant toutes ces années. Des empoisonneurs jusqu'aux archers, jusqu'aux terroristes : tous pendus, crucifiés. Quiconque avait ne fut-ce qu'un début de rébellion dans le fond des yeux, était traîné sans ambages devant la Clémente, qui se chargeait d'en faire un exemple.
En somme, elle était le poing, ingrat, de Sa Majesté.

« Je vous ai déjà vue à l'oeuvre. Vous êtes une mage de talent, - et vous savez à quel point j'ai horreur des tartufferies. Je vous le demande, en tant que protectrice : Pouvez-vous remédier à cela ? »

L'étiquette, elle la respectait. Sans doute un chouïa trop ? (oui) Mais elle voulait montrer le bon exemple à Alinka. Il fallait être le changement que l'on voulait voir autour de soi. Ayshara était une reine : il fallait s'adresser à elle en tant que telle. Et gare à celui qui sortirait du rang...



Ayshara Ryssen
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Fiche du personnage
Race: Vosdraak
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Reine du Reike
Ayshara Ryssen
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Cette promenade matinale au sein du royal jardin ne ressemblait en rien à une véritable balade. Avec tous ces gardes installés partout, la reine ne possédait définitivement aucune intimité. Des dizaines de paires d'yeux surveillaient le moindre de ses faits et gestes. Ce renforcement de sécurité était même encore pire depuis l'annonce officielle de sa grossesse lors du Grand Tournoi... Parfois, elle ne se sentait pas mieux qu'une esclave, prisonnière d'une cage dorée qui l'empêchait de voir et d'explorer le si vaste Sekai... Contrainte d'exercer l'éprouvant métier de souveraine par devoir et obligation divine. Comme tout le monde en ces lieux, elle n'avait pas choisi sa naissance. Certes, la sienne s'avérait être plus confortable que celle d'autrui, mais il ne fallait clairement pas se laisser berner par ce mode de vie luxueux et plein d'abondance. Le matériel n'apportait jamais le vrai bonheur.

L'endroit ne ressemblait nullement au terrible désert reikois. Sa luxuriance ainsi que son aménagement paysager n'avaient pas réellement d'équivalent parmi le royaume. Plantes exotiques, petits animaux inoffensifs, mini-rivières et œuvres d'art de réputation internationale coexistaient en toute sérénité au sein de ce havre de paix.
Flocon de neige, le lapin domestique de la régente avait même élu domicile ici. Il s'agissait d'un véritable ami et compagnon pour elle, appréciant sa gentillesse et sa simplicité. Il lui tenait compagnie sans jamais la juger.

Alors qu'elle était assise sur l'herbe fraîche à caresser doucement les longues oreilles du sympathique mammifère au pelage noir et blanc, Ayshara ne put retenir un sursaut quand elle sentit une présence particulièrement familière s'approcher de sa position. Elle qui venait à peine de réussir à se plonger dans un état profond de songes et de réflexions diverses. Et bah. Il fallait croire que son repos ne serait pas total en cette matinée. Elle qui souhaitait seulement décompresser un peu avant d'aller régler une tonne de dossiers administratifs.
Mais fort heureusement, la vosdraak y reconnut assez vite l'aura de sa très chère et fidèle protectrice. Oui, la guerrière exceptionnelle qui veillait sur sa fragile personne depuis ses premiers jours. Aux yeux de la reine, cette femme représentait presque un idéal. Elle admirait sa vaillance, sa sagesse ainsi que sa combativité. Aysha lui devait beaucoup.

Lentement, la demoiselle se leva, le beau Flocon de neige demeurant toujours à ses pieds et suivant le moindre de ses pas. Ses améthystes fixèrent la valkyrie agenouillée et... une mystérieuse dame à la chevelure de feu. Était-ce une nouvelle amie de Marjhan ?

- Oh ! Vous m'avez presque fait peur ! J'étais en train de rêvasser, je crois bien. Un sourire quelque peu timide se fit voir sur ses lèvres finement ouvragées. Décidément, elle n'arrivait pas à s'habituer à tous ces gens courbant l'échine devant sa délicate enveloppe charnelle. Vous pouvez vous relever. Vous savez que ce n'est pas nécessaire lorsque nous sommes seulement entre nous, haha ! Son regard curieux focalisa ensuite son attention vers la Rouge. Qui est-ce ?

Puis, la dragonne d'argent écouta consciencieusement la suite des explications de sa courageuse protectrice. Pendant quelques secondes, elle resta bouche bée, ne sachant pas trop quoi répondre dans l'immédiat. Évidemment, la jeune femme n'appréciait guère l'esclavage et souhaitait ardemment réformer cette pratique archaïque et inhumaine, mais les janissaires étaient tout de même des esclaves très particuliers, la plupart ayant enduré un « lavage de cerveau ». Ne connaissant point sa condition ni son passé, la liberté d'Alinka constituait peut-être un danger pour la population reikoise. Prudence.

Cependant, l'épouse de Tensai comprenait les nobles motivations de sa Marjhan.

- Enchantée, Alinka. Je me nomme Ayshara Ryssen. Je pense être capable de vous aider. Elle préférait se présenter, histoire d'éviter les situations embarrassantes comme un oubli de nom. Je suis vraiment désolée pour ce que vous avez vécu. Je n'ai jamais été d'accord avec ce genre de pratique barbare. L'héritière des Draknys s'approcha calmement de la concernée et tendit son bras droit vers elle. Une aura de flammes sacrées commença à se manifester. Il est temps de vous affranchir pour de bon, ne croyez-vous pas ?

Dès que les doigts de la reine se posèrent sur le cou de l'ancienne esclave, la maudite marque se dissipa aussitôt. Il n'en restait plus aucune trace, comme s'il ne s'agissait que d'un horrible cauchemar à oublier...
Offrant son plus beau sourire, la maîtresse de Valeryon plongea ses prunelles dans celles de la Libérée, tout en retirant délicatement sa main.

Alinka Bell
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Ça n’a plus d’importance qu’elle dit ? Elle lui appartient ?Là-dessus, il n’y a pas grand chose à contredire et la demoiselle vient doucement hausser les épaules. Pourquoi pas après tout, les mots de la blonde à ce sujet lui suffisent amplement, un bel échappatoire que de présenter la chose ainsi, comme une fatalité qu’elle n’a qu’à subir. Pour ce qui touche au “but”, par contre, elle esquisse une petite grimace, pas vraiment convaincue d’avoir un destin particulier où un but qui prévaut sur celui des autres. Elle n’est que la fille du boucher aux poings d’acier, rien de plus pour le moment. Le reste, l’avenir que la Valkyrie lui promet, ça, elle demande à le voir pour le croire. “S’tu le dis…” Son insolence ne la pousse pas encore à la contredire directement, ça viendra, en temps et en heure.

Du reste, elle écoute attentivement les paroles de sa nouvelle propriétaire, non sans plusieurs froncement de sourcils ici et là. Difficile pour elle de concevoir que son ancien royaume a désormais besoin de barbare à sa tête pour prospérer. L’argument contre est simple : avant, on faisait sans, et ça se passait très bien. Mais là encore, elle préfère le mutisme, son récent endoctrinement lui a malheureusement enseigné un peu trop souvent à taire ses propres opinions et à simplement subir. Mais le mal n’est pas que là, la blonde joue son rôle de sauveuse que la jeune femme ne veut pas décevoir, aussi, elle écoute, sagement et opine à l’occasion quand elle est du même avis.

L’ordre de s’habiller avec rapidement donné, la rouge termine donc son entreprise avant de rejoindre la Valkyrie pour quitter les lieux vers… vers où ? Sa question est restée sans réponse.  

*

Direction les jardins. Mains dans les poches, elle écoute à nouveau avec attention les revendications de Marjhan avant de rouler ses yeux dans leurs orbitres, elle sait bien se tenir, pour de vrai ! Enfin, pas vraiment, elle manque encore grandement d’éducation à ce sujet mais ça, elle ne l'a simplement pas encore assimilé. “Ouais ouais…” Baragouine-t-elle en se redressant doucement tout en dégageant ses mains abimées de ses poches.

Le duo progresse à petits pas dans les jardins et le regard clair et gris de la jeune femme ne manque pas de se perdre à chaque tournant, il faut dire qu’il y a tellement à voir, tellement qu’elle ne repère pas immédiatement la silhouette aux cheveux d’argents face à elle. Il faut que l’aile de Marjhan l’arrête nette dans sa marche pour qu’elle ne repose son museau face à elle. MA REINE ? Instinctivement, elle tourne des talons puis fuir le plus loin possible et sans un mot, mais c’est à nouveau une aile de Marjhan qui vient l’empêcher de fuir pour la remettre sur le droit chemin, ou tout du moins, dans la bonne direction, celle qu’on attend d’elle. Merde, c’est une première pour elle et celle-ci doit lutter pour ne pas laisser la panique la gagner. Heureusement, la Valkyrie prend immédiatement la parole et ne laisse pas l’occasion à la rouge de bafouiller et chercher ses mots, cette dernière peut rester dans son mutisme et c’est parfait ainsi !

Une janissaire qu’elle dit ? Le sourcil de la tatouée se dressent immédiatement, Marjhan semble oublier le triste titre qui va avec, celui de Netsach Ebed qui a aussi son rôle à jouer dans l’histoire. Va t-elle la corriger ? Non, surtout pas, elle garde le complément volontairement oublié - ou pas - pour elle et enfonce sagement sa petite tête dans ses épaules. La dragonne argentée reprend aussitôt la parole pour entamer les présentations, fait surprenant pour l’esclave qui ne s’attendait clairement pas à tant d’attention et de douceur. Elle s’était imaginé une reine à l’image de leur nouveau bourreau, son mari. Il était plus simple de la détester ainsi et de la porter responsable de son malheur au même titre que toute la clique de ce palais. Autant là, la réalité à ce don de la surprendre et elle se lit aisément sur ses traits. QUOI ? ELLE S’EXCUSE !!!! De surprise en surprise, c’est un rêve qui tient désormais de la réalité, avec cette simple phrase, la loyauté de la jeune esclave lui est immédiatement acquise.

Alors que la reine s’avance vers elle tout en tendant une main dans sa direction, la jeune a ce réflexe inconscient de reculer d’un pas et se confronte alors à nouveau à l’aile de sa propriétaire qu’elle sent contre son dos. Décidément, il faudra qu’elle les range de temps en temps ces ailes ! Tout va bien se passer, tout va bien se passer… C’est les nouveaux mots qu’elle se répète en boucle alors qu’elle se tend et vient redresser le menton pour laisser la voie libre à la reine. Difficile de lutter contre cette haptophobie, cette peur conséquente du toucher suite à son année difficile et tortueuse avec les Netsach Ebed…. Avec le temps, ça devrait partir, tout du moins, elle l’espère.

Un picotement, rien de plus, c’est absolument tout ce qu’elle ressent alors qu’elle retrouve enfin sa liberté. L’acte est rapide et c’est une fois la main retirée que la sienne vient se poser à son cou pour constater qu’il n’y a plus de reliefs, plus de cicatrice, plus de magie, sa peau est redevenue ce qu’elle était avant l’étape le fer rouge. “Je… ” N’yCroisPas ? NeTrouvePasMesMots ? NeSaitPasCommentVousRemercier ? Quelque chose dans cet ordre là et c’est à nouveau un coup d’aile de Marjhan qui la sort de cet état d’ébahissement. “Ahem.. Pardon… Je voulais dire… Merci beaucoup. ” Énonce t-elle avec une timide déconcertant pour qui la connait un peu... Aaaah ça fait quand du bien quand ça sort ! Son museau retrouve rapidement ses pieds avant qu’elle ne jette un regard en coin à la grande blonde ailée. Il est temps de partir non ? Ça devient très gênant ! Elle ne sait clairement pas où se mettre et n’ose même pas regarder la dame aux cheveux d’argent tant son malaise est grand.



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Quoi de plus ordinaire, comme scène, que la reine du Reike, descendante directe des premiers rois, affranchissant une esclave dont la douleur lui tord encore la bouche ? Marjhan garde sa protégée du coin de l'oeil. Elle la voit reculer, - alors, elle la fait avancer. La sent anxieuse, alors, une de ses ailes la choie, tentant de l'apaiser. Tu n'as rien à craindre... pensa-t-elle, mais les mots ne franchirent pas ses lèvres. Ce n'était pas la peine : Ayshara n'était pas Tensai. Elle était un refuge, un espoir, pour de nombreux rebelles, de nombreux janissaires. Et si son mari était sujet à de nombreuses controverses, - au hasard, comment faire passer un gâteau à l'aconit au sein du palais, quelle trajectoire devrait prendre une flèche pour atterrir dans son coeur, etc. -  la Vosdraak, elle, était le réjouissement prochain du pays.

Elle posa une main tendre, mais ferme, sur la nuque d'Alinka, l'invitant à s'incliner. Elle fit de même, dans une abnégation intacte. Oui, la reine était mal à l'aise de voir sa protectrice jouer d'autant de cérémonie, la vouvoyer, peut-être, et poser genou au sol, quand toutes deux sont seules dans le jardin. L'étiquette. L'étiquette primait. Et en dépit du profond attachement qu'elle avait pour elle, elles ne seraient, sans doute, jamais rien d'autre que des complices.

Cependant, ce n'étant ni la Clémente, ni une militaire, qui lui sourit, juste après s'être redressée. C'était une amie. Les yeux souriaient aussi, et ils étaient humides. « Merci, Ayshara. » Puis, elle fit volte face, une de ses larges ailes guidant l'ancienne janissaire à sa suite.

Une fois à l'écart, et tandis qu'elles marchaient dans les couloirs, elle lui dit :

« Tu étais plus rouge qu'un maquereau. La groseille maquereau, mh ? pas le proxénète. Encore que, eux aussi sont rouges, une fois que j'en ai terminé avec leur cadavre. » Une analogie à base de fruit, quoi de mieux pour amener la deuxième passion de la Valkyrie, après le crucifiement ?

C'est ce qu'elle répétait à Jaspar : Toujours faire chauffer la lame, avant de procéder à l'écorchement. Sinon, la victime meurt de maladie. Des types dénudés de peau, il y en avait, aussi, sur le Sentier des Suppliciés. Ceux qui trempent dans des réseaux de prostitution illégaux ne méritaient aucune pitié, et elle tenta de s'imaginer la tête du prochain barbeau qui croiserait sa route. Un homme, bien sûr, - et certainement pas une femme. Cheveux noirs, - non pas cheveux blancs. Incapable de se battre, faible, veule, - rien à voir avec une épéiste prodige, capable de fendre l'air à Mach 2. (et puis quoi, encore ? vampire ? ha-ha)

« Je t'emmènerai chasser le salopard, ma grande », fit-elle à Alinka. « Tu verras, c'est réjouissant, surtout vers la fin, quand ils boitent. Oh, et attends que je te montre ma collection de sachets de thé. » (puis, devant la grimace que tira la jeune femme) « C'est plus fascinant que ça en a l'air. Par contre, pour ce qui est de la pêche... »

A mesure qu'elles avançaient, leurs voix diminuaient, mais l'écho de son excitation résonnait encore dans le palais. Pour la première fois de sa vie, la Valkyrie se souvint d'une phrase que lui avait prononcée un soufi, dont la barbe couvrait le nombril, et elle s'en réjouie. Toute sa jolie denture jaune et noire exhibée avec triomphe, il avait dit : « Le corps n'est pas libre tant que l'esprit ne l'est pas. Quant à l'esprit, il faut de l'amour. » Comme à son habitude, elle avait roulé du poignet, et s'était demandée combien de porcs il aurait fallu, pour faire disparaître entièrement le corps du vieillard.

Mais maintenant, et tandis qu'elles rejoignaient l'extérieur, que leurs silhouettes étaient englouties dans le petit matin, elle comprit. Voler n'était pas liberté. Combattre n'était pas liberté. Non : vivre, vivre était le vrai symbole de la liberté, et tandis qu'elle regarda sa pupille, elle se prit à sourire.

Fichu vioque, tu avais raison.





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