Elle se retrouve désormais seule lors de ses entraînements. Méthodique et appliquée, elle met en pratique tous les conseils qu’a pu lui prodiguer Rengoku, reproduisant à la perfection les différents enchaînements qu’elle a pu apprendre grâce à elle. Nehla sent déjà que son corps se transforme, rapidement, grâce à cette rigueur qu’elle s’inflige. Elle voit aussi sa vision des choses changer petit à petit, ses objectifs se préciser, et même sa façon de parler. Elle est plus directe, moins timide, moins avenante aussi. Les quelques échanges qu’elle peut avoir avec les autres se limitent au strict minimum et elle évite autant que faire se peut de parler d’elle, de ses proches, de son passé, de son futur. Elle s’est mise toute seule dans une petite bulle, un environnement propice à la concentration et au changement auxquels elle aspire.

Elle travaille la moitié de sa journée dans l’auberge dans laquelle elle a trouvé une chambre et passe le reste de son temps à endurcir son corps, pour rentrer épuisée à l’auberge, se contentant d’avaler rapidement un repas avant d’aller dormir d’un sommeil profond et réparateur. Lorsqu’elle ne brutalise pas son corps, elle se rend près de la mer pour s’exercer à sa magie, moins longtemps et de façon moins acharnée que lorsqu’elle s’exerce plus physiquement. C’est presque reposant, pour elle, d’utiliser sa magie, plus fluide, plus naturel surtout.

C’est au cours d’une de ces journées de repos forcé, puisqu’elle applique à la lettre les recommandations d’une certaine Lumina, qu’elle passe près de la mer que sa vision de la vie va changer.

Elle est postée, droite comme un roc, face à la mer, sur le port d’Ikusa, au bord d’un petit ponton de bois. Ses mains virevoltent à hauteur de son bassin, faisant jaillir des tubes aqueux, des tourbillons électrisés, des sphères denses et autres serpents translucides de la surface bleuté pourtant très calme. Elle teste différentes formes, créer des cages, des murs, des geysers, mêlant parfois un peu de foudre à son eau pour ajouter un effet des plus électriques, pendant quelques heures, elle combine différentes techniques, différentes densités, pressée de pouvoir les tester sur des adversaires. Elle secoue d’ailleurs la tête pour chasser cette pensée qu’elle ne devrait pas avoir.

Alors qu’elle s’apprête à retourner dans la ville, elle prend un moment pour marcher sur le ponton de bois, absorbée par ses pensées, en se remémorant le combat avec Will, les entraînements avec Rengoku, mais aussi l’affrontement avec le triton, avec les loups, avec la Wyvern, à la recherche des failles dans ses techniques de défenses pour l’améliorer, mais aussi pour détecter de quelle manière elle aurait pu réagir pour être plus efficace.

Elle ne regarde pas où elle va. Forcément. Elle percute quelqu’un, ne prend même pas la peine de s’excuser, un simple soupir s’échappe de ses lèvres lorsqu’elle dépasse de quelques centimètres la silhouette. Elle jette tout de même un œil à l’individu, les sourcils froncés, avant de s’arrêter un instant en remarquant la couleur de ses cheveux. Un instant, elle y croit. Mais elle redescend bien vite sur terre, un rictus de colère se dessinant sur son visage, lorsqu’elle se rend compte que non, ce n'est pas Dorgen.

S’apprêtant à reprendre sa route, la tête à moitié tournée à l’opposé de l’homme qu’elle venait de percuter, elle se fige dans son élan en l’entendant l’apostropher. Un sourcil se hausse en même temps qu’un sourire en coin se dessine sur son visage. Les traits de sa colère d’avoir osé confondre son aventurier avec cette personne disparaissent instantanément. Elle se retourne tout à fait, relevant la tête pour observer son interlocuteur. Replaçant sa mèche de cheveux devant son visage pour masquer les traces de son dernier duel, elle hausse les épaules.

Je vous ai pris pour quelqu’un d’autre.

Ses poings se crispent légèrement en remarquant le sourire de l’homme, de même que la couleur de ses yeux qui ne lui disent rien qui vaille. Après avoir côtoyé quelques membres de ce royaume de guerriers, elle a appris à se méfier de ceux qui sourient. Ou bien c’est son expérience qui parle et elle sent quelque chose de fondamentalement mauvais dans ses yeux. Elle plisse d’ailleurs les siens en observant plus en détail le Reikois avant de souffler du nez, accentuant son sourire en coin.

Pour ce qui est d’avoir peur… J’en sais rien, vous pensez avoir fait quelque chose qui mérite une correction ?

Elle croise les bras sur sa poitrine, défiant sans aucune gêne cet inconnu qu’elle a percuté. Elle sait pourtant pertinemment, comme a pu lui expliquer à plusieurs reprises Rengoku, que le Reike regorge de malfrats et autres esclavagistes qui n’ont que peu de scrupules. Si elle sait qu’elle a gagné en force physique et en aptitudes magiques, elle sait aussi qu’elle ne fait pas encore le poids quand il s’agit de se battre contre quelqu’un d’une telle corpulence. Mais depuis qu’elle a mis les pieds à Ikusa, elle n’a de cesse de vouloir se confronter à n’importe qui, persuadée que le meilleur moyen d’apprendre, c’est de recevoir une bonne raclée pour mieux se battre lors du prochain combat.

*Theldj, calmes-toi, tu vas crever là, sur ce ponton, si tu continues*

Elle ne se préoccupe pas de son instinct ni de son bon sens, plus depuis qu’elle est arrivée ici, plus déterminée que jamais à faire de cette ville son terrain d’entraînement. Elle cherche, depuis quelques jours, une occasion de voir ses progrès. Elle avance d’un pas vers l’homme aux cheveux de feu, les yeux toujours légèrement plissés.

Je ne m’explique pas la confusion, vous n’avez vraiment rien à voir avec lui. Vous ne lui arrivez même pas à la cheville à vrai dire.

*Tais-toi !*

Elle lui tourne finalement le dos, les mâchoires serrées, par la peur ou l’excitation d’une potentielle réaction virulente de sa part, s’apprêtant, à nouveau, à reprendre sa route sur ce ponton de bois. Elle coule un regard vers l’eau qui glisse lentement entre les piliers du pont, rassurée de disposer d’une quantité impressionnante de cet élément au cas où elle en aurait besoin. Son regard est happé par des bulles qui crèvent à la surface bleutée, détectant déjà que, comme souvent, son élément réagit à son corps, de plus en plus rapidement.

Un frisson électrique parcourt l’intégralité de son corps alors qu’elle sent déjà ses réserves aqueuses s’activer, réponse fusionnelle de son élément de prédiction au danger que son corps ressent. La main posée sur son épaule et le souffle dans son cou la font se crisper, elle serre les mâchoires en sentant la pression s’accentuer. La voix dans son oreille, calme mais puissante dans son esprit, fait naître un nouveau sourire en coin sur ses lèvres. Les mots prononcés par ce potentiel adversaire qui vient d’en devenir définitivement un, résonnent dans sa tête, et, déjà, son réflexe de survie lui dit de tout faire pour s’enfuir à toutes jambes. Mais elle reste là, immobile, pendant quelques secondes, avant de légèrement tourner la tête vers cet homme aux cheveux de feu qui s’est penché vers elle.

Je n’ai aucun problème, pas encore, j’ai juste annoncé un fait. Mais si vous ne retirez pas immédiatement votre main, je vais probablement être obligée d’user de violence, en effet.

Sentant à nouveau la pression augmenter, elle souffle du nez, bien que la situation dans laquelle elle s’est mise toute seule n’a rien d’amusant. En réponse à la force exercée sur son épaule, du bout de ses doigts, un serpent aqueux se forme pour venir s’enrouler sur son bras jusqu’au poignet de l’homme, l’enserrant en tournant plusieurs fois autour avant de se redresser, à quelques centimètres de son visage, se balançant légèrement de gauche à droite, comme dans une danse hypnotisant, mais surtout pleine de défi.

Les poings de la jeune femme se serrent, et alors que dans sa main droite une sphère aqueuse se forme déjà, elle sent le picotement au bout des doigts de sa main gauche, léger crépitement incandescent, de la foudre qui ne demande qu’à s’extirper de là.

Bien que rien ne soit encore joué, la tension dans l’atmosphère, pendant ces quelques secondes de flottement, se fait plus présente, jouant avec les nerfs de la mage, probablement en la faveur de l’homme posté derrière elle. Pourtant patiente, depuis son arrivée sur les terres Reikoises, elle devient de plus en plus rapidement fébrile quand un danger la guette, incapable de maîtriser ses sentiments correctement, en témoignent les traces encore bien présentes de son dernier combat avec Rengoku.

Elle esquisse un geste pour dégager son épaule mais se retrouve bloquée par une nouvelle pression sur son corps, lui faisant froncer un sourcil. Elle lève les yeux vers le jeune homme, plongeant son regard dans le sien, sentant la colère commencer à monter en elle. Dans son esprit, une vague pensée fait irruption, lui disant qu’elle n’a peut-être pas choisi la bonne personne à défier aujourd’hui, et qu’il lui faut encore de l’entraînement et de nouvelles connaissances pour mieux juger des capacités des autres. Elle soupire en levant les yeux au ciel, faisant disparaître le serpent du poignet de son adversaire, sans pour autant l’aspirer totalement, le laissant se glisser sur son propre corps.

Vous permettez ?

Son regard se porte sur la main qui la maintient encore sur place avant de remonter vers celui à qui appartient cette main. Elle hausse légèrement les sourcils, les mâchoires toujours serrées, prête à lancer une attaque au moindre signe de début d’affrontement.

Un de ses sourcils se fronce. Ce n’était pas la première fois qu’on lui disait que l’utilisation qu’elle faisait de sa magie élémentaire n’était pas assez efficace en combat. Elle avait de nouvelles capacités, de nouvelles techniques, mais il était hors de question de les utiliser pour le moment. Après tout, ils jouaient pour l’instant à un jeu d’enfant, les mots fusaient, et la petite provocation magique de Nehla n’était là que pour appuyer ses propos, pour montrer à son opposant qu’elle disposait d’une ressource qu’il ne soupçonnait peut-être pas.

Cependant, sa remarque la fait plus tiquer que de raison. Venant d’un inconnu qui l’agace déjà, ce genre de propos ne fait qu’exacerber ce qu’elle pense déjà d’elle. Ses mâchoires se serrent à plusieurs reprises avant de finalement rester complètement verrouillées.

Elle s’apprête à soupirer lorsqu’elle sent la pression sur son épaule se relâcher, sa sphère aqueuse et sa boule de foudre perdant en intensité, mais elle se retrouve rapidement au sol sans vraiment comprendre pourquoi. Un frisson parcourt son dos, le coup n’était pas puissant, mais il l’a prise par surprise. La précision de l’attaque lui a presque coupé le souffle, lui faisant instantanément perdre l’équilibre. Elle se redresse à moitié sur ses bras, grimaçant sous la légère douleur dans sa nuque, avant de se mettre à genou, cherchant à comprendre ce qui a pu se passer. Elle jette un œil vers l’homme aux cheveux rouges, immobile, comme si rien ne s’était passé.

*Il est rapide. Trop rapide.*

Elle se relève finalement complètement, faisant face à son adversaire, les sourcils froncés.

Pas très réglo, ce coup en traître. Mais efficace, il faut l’admettre. Merci pour la leçon, Monsieur… ?

Alors qu’elle lui adresse quelques mots, elle fait le point sur les réserves qui lui restent. Si elle avait su, elle n’aurait pas passé des heures à manipuler l’eau autour d’elle. Nehla sait déjà qu’elle ne tiendra pas longtemps si elle doit anticiper le moindre coup à venir, surtout si elle ne voit rien arriver. À première vue, la rapidité de son adversaire est son principal atout, reste à voir s’il a d’autres cartes à jouer contre lesquelles elle pourra rivaliser.

Les poings de la jeune femme se resserrent, jusqu’à ce que ses jointures blanchissent sous la pression qu’elle y appliquer. Sans aller voir par elle-même, elle ne saura pas de quoi il est capable, alors autant préparer une répartie plus musclée que verbale. Concentrant toute sa force dans son poing, et espérant qu’il n’esquivera pas le coup, en appliquant les conseils de Rengoku, elle vise son sternum. Autant voir de suite s’il peut encaisser les coups.

Il se contente de rire. De ce rire provocant, un brin hautain, sans même répondre à sa question. Cet homme en face d’elle semble très imbu de lui-même, ce qui n’a pour effet que de faire grincer des dents la jeune mage. Elle sait pertinemment qu’avoir confiance en soi est une bonne chose, mais un excès de cette même confiance peut mettre rapidement un terme à tout. C’est peut-être ce qu’elle est venue chercher aujourd’hui. Une raison d’avoir un peu moins froid aux yeux, pour arrêter de se confronter à plus fort qu’elle, bien que Nehal doute tout de même que sa leçon du jour mette un terme à ses envies de combats. Et il semblerait que son adversaire l’aient bien compris. Elle écoute, les mâchoires serrées, son petit discours digne d’un préambule parfait à une leçon bien enseignée, comme pouvait le faire son maître autrefois. Mais aujourd’hui, il ne s’agit pas de rester plantée dans un ruisseau à attendre que l’eau fasse son œuvre. Aujourd’hui, elle doit agir sur la matière.

Elle suit le mouvement de l’homme qui se penche, le regard toujours planté dans le sien. Elle ne lâche ses yeux qu’une fraction de seconde pour observer le mouvement de sa main. Les muscles de sa cuisse se contractent légèrement, la lanière qui retient sa dague se resserre autour du fin tissu de son pantalon, elle sent la pointe du fourreau en cuir se presser contre elle, dans un contact rassurant. La jeune femme pourra elle aussi se servir du tranchant d’une lame au besoin. Mais pour le moment, il lui faut voir de quoi cet homme est fait.

Sans trop de surprise, il encaisse son coup frontal presque sans broncher. C’est la suite des évènements qui la laissent quelque peu hébétée. Un cri de douleur s’échappe de ses lèvres, mais elle reste comme tétanisée face à la rapidité d’exécution dont il a pu faire preuve. Ses doigts plantés sur son crâne, son arme plantée dans sa jambe. Elle n’a rien vu venir, rien pu esquiver. Visiblement coutumier des combats au corps à corps, il a probablement déjà pu voir qu’elle est bien plus que novice en la matière.

Elle reste ainsi quelques instants, à la merci de cet homme, sans prendre encore conscience du sang qui coule le long de son mollet. Elle peine à respirer, le souffle encore court par le choc qu’il vient de provoquer en elle. La mage serre toujours les mâchoires, pestant en silence contre elle-même, rassemblant difficilement ses esprits pour trouver un moyen de se sortir de là à peu près en un seul morceau.

Fuir ou combattre. Ces seules options lui semblent toutes deux délicates à mettre en œuvre dans cette situation déplaisante. Des images floues et des sons trop lointains lui reviennent en mémoire. Elle n’a vécu aucun moment similaire de toute sa vie, impossible donc pour elle de chercher dans ses expériences un moyen de se tirer de là. Les pages des livres qu’elle a pu compulser pendant de longues heures apparaissent devant ses yeux clos, mais là non plus, elle ne trouvera rien. Les romans fantastiques et autres traités de magie ne lui donneront pas la solution.

Il faut qu’elle improvise. Qu’elle se laisse guider par son instinct. Qu’elle désapprenne ce qu’elle a appris. Des murs d’eau apparaissent soudainement autour d’elle, ils tombent aussitôt érigés, détrempant le ponton de bois sur lequel elle se tient. C’est là sa chance. Le seul moyen de mettre de la distance entre elle et lui. Elle frappe de sa jambe encore saine sur les planches de bois. Un petit clapotis se fait entendre. Rien d’alarmant à première vue, quelques gouttes tombées sur les planches. Son seul avantage, c’est ce port. Toute cette eau autour d’elle. Le clapotis s’intensifie légèrement, l’eau salée semble s’agacer contre les colonnes qui maintiennent la promenade à flot. Un battement de cil plus tard, une vague aussi haute qu’elle apparait pour s’écraser contre les deux combattants alors que d’autres se préparent à suivre la première.

Elle n’est pas puissante, presque insignifiante, pas de quoi déstabiliser ne serait-ce qu’un enfant. Mais c’est suffisant pour elle. La mage plaque rapidement les paumes de ses mains l’une contre l’autre, et, dans un grognement mêlant douleur et colère, tente la fusion avec son élément. La prise de l’homme sur sa tête lui semble soudainement un peu plus ferme, et elle espère pouvoir s’échapper complètement. Elle l’a déjà fait, elle en est capable. Fronçant les sourcils, elle profite des vagues qui se succèdent sur eux pour créer plusieurs serpents aqueux qui viennent s’enrouler autour du poignet de l’homme dans le but de lui faire lâcher prise. Elle augmente la densité autant qu’elle le peut, et, s’il résiste, elle pourra au moins créer une tension suffisante dans son bras pour qu’il relâche sa tête.

Nehla, déterminée, les yeux plissés et les sourcils froncés, se concentre sur plusieurs fronts. Ses serpents pour faire lâcher prise à l’homme (P1), les vagues qui vont et viennent sur elle pour l’emporter (P1) et sa fusion élémentaire (P1). S’il le faut, elle mettra un peu plus de puissance dans ses vagues, quitte à jouer le tout pour le tout et tenter de s’échapper de l’emprise de son adversaire.