L'université...

Cela faisait des mois que Rowena n'était pas revenue trainer ses guêtres le long des couloirs interminables aux grandes fenêtres ouvragées. Depuis qu'elle avait reçu son diplôme, elle était passé régulièrement consulter des ouvrages ou simplement profiter des espaces verts pour faire une sieste bien mérité lorsqu'elle passait à Liberty par un bel après-midi ensoleillé.

Elle aimait toujours l'ambiance de cet endroit. L'angoisse des élèves au sujet de leurs cours comme s'ils risquaient littéralement leur vie. Le parfum des cerveaux qui surchauffent. L'odeur de la magie qui flottait dans l'air, déclinée en une infinités d'effluves dès qu'on y prêtait un peu plus attention. Mais surtout, les bâtiments étaient magnifiques et les élèves avaient toujours mille et une idées à la fois grandioses et stupide pour utiliser leurs pouvoirs mal contrôlés de façon complètement imprévisible.

Mais cette fois, elle n'était pas là pour regarder les étudiants du cours de lévitation passer avec la grâce d'un groupe d'oie sauvages murgées au rhum tout en bouquinant dans les jardins. Elle n'était pas non plus là pour se faire inviter à manger par de vieilles connaissances. Son uniforme officiel le criait pour elle. Armure de cuir sombre renforcée de métal sous une veste bleu roi ferrée d'argent. Une semi-cape ondoyait sur son bras gauche et parait son épaule, portant l'emblème des Limiers du Razkaal. A sa ceinture, deux fourreaux mi-longs lui bâtaient les hanches et un rouleau longue corde aussi épaisse était visible juste derrière. Droite, les cheveux tressés et relevés en un impeccable chignon parfaitement règlementaire, le seul détail qui ne faisait pas partie de la panoplie du parfait soldat était la broche d'acier et d'or blanc qu'elle portait sur le revers de sa veste au niveau du cœur. Une broche qui représentait le blason des Ironsoul avec toute la délicatesse que leur permettait leur maîtrise du métal.

Ignorant les regards étonnés - il y avait suffisamment peu de Limier en service pour que même des militaires n'aient jamais vu leur uniforme de service - elle remontait à grand pas le couloir principal. Par chance, elle savait parfaitement qui pourrait lui indiquer le professeur, le chercheur ou la section de la bibliothèque qui répondrait à ses questions.


Trois coups frappèrent la porte qu'on lui avait indiquée. Une bien belle porte d'ailleurs. Très... Comme toutes les autres de cette aile réservée aux ateliers d'alchimie, façons et autres enchantements.

...

Pas de réponse.

Trois nouveaux coups... Et elle poussa un peu la porte qui s'ouvrit sans un grincement, parfaitement entretenue. Ce n'était peut-être pas permis ? Ou pas très correcte... Mais on lui avait dit que l'occupante des lieux était là alors...

- Excusez-moi ? Archimage Noirvitrail ?

Rowena passa la tête par l'embrasure de la porte. Ses yeux d'un bleu à la fois sombre et saturé guettèrent l'intérieur de la pièce, la main toujours sur la poignée.

L'endroit était grand et haut de plafond. Deux grandes fenêtres de verre laissaient entrer à flot la maigre lumière de la fin d'hiver mais un système de manivelles et de volet métalliques permettait de les ouvrir en grand ou de les obscurcir totalement. Les murs de pierre taillée étaient parfaitement lisses et aucune tenture ni tapisserie n'y était visible, mais toutes sortes d'outils étranges y étaient accrochés sous forme de râteliers ou d'étagères.
A droite, un étrange meuble en nid d'abeille couvrait l'intégralité de la surface, du sol au plafond. Chaque alcôve ou presque portait un rouleau de papier, de parchemin ou de... matières diverses aux couleurs aussi peu probables que leurs usages.

Le reste de l'atelier était organisé de façon très pragmatique en plusieurs espaces. Ici, elle reconnaissait une planche à dessin. Là un établi. Ici, une quelques outils d'orfèvrerie. Aucuns de ces outils ne semblaient être fait pour réaliser de grande pièce ou des œuvres particulièrement grande ou complexe, mais un nombre improbable d'artisanats divers étaient représentés.

Intriguée, la gardienne qui arborait le visage d'une humaine dans la vingtaine entra de plein pied  pour faire quelques pas entre les différents espaces de travail. Tout était impeccablement rangé. Très varié et en un sens particulièrement original mais précis. Pratique. Scientifique... Soit la personne qui travaillait était une sacrée obsessionnelle soit elle ne voulait vraiment pas mettre la moindre touche trop personnelle à son espace de travail... Ce qui revenait un peu au même de l'avis de la visiteuse.

Plusieurs des outils particulièrement étranges lui étaient familiers. Elle avait du en voir des images ou entendre certains professeurs en parler à un moment où à un autre. Elle faillit laisser courir ses doigts sur une sorte de longue règle portant une impressionnante collection de cristaux de couleurs particulièrement diverses, mais se retint juste à temps. Qui savait comment étaient calibrer ces petites choses... et elle aurait eu horreur qu'un étranger s'approprie ses affaires sans savoir ce qu'il faisait.

- Archimage Athénaïs de Noirvitrail ? " tenta-t-elle une nouvelle fois.

Elle fit deux pas de plus et s'arrêta face à un objet qui lui accrocha l’œil en passant. suspendu au mur, parmi les outils caractéristiques de leur patrie utilisés pour s'occuper du bois, deux lames étaient résolument différentes. C'étaient des outils reikois, utilisés pour graver un type de bois bien précis. On lui avait dit, il y a bien longtemps que c'était à cause d'une différence de nervure ou de dureté. Quelque chose comme ça... Rowena sourit, attendrit par le souvenir et continua son petit tour.

Quelques instants plus tard, une tête apparut dans l’embrasure d’une porte latérale. Une demoiselle au teint cuivré arborant une belle salopette rouge venait de pointer le bout de son nez fin. Son visage était constellé de traces de suie noire, de même que ses mains, couvertes de cicatrices blanches. Elle portait dans ses mains un marteau de forgeron et une scie affutée. Son regard détailla avec attention le limier du Razkaal avant de s’exclamer :

« Oh ! Bonjour. Hum … Désolée, je suis toute sale ! Nicée, tu peux t’occuper de notre invitée ? »

Aussitôt dit, aussitôt fait, une nouvelle tête apparut dans l’embrasure d’une autre porte latérale. La dénommée Nicée portait une salopette cyan et ressemblait trait pour trait à la demoiselle en rouge. Contrairement à sa jumelle Eulalie, elle n’était pas couverte de suie, mais avait noué ses cheveux avec un ruban de soie. Celle-ci sourit timidement à l’adresse de l’invitée et s’avança vers elle.

« B-bonjour madame … bredouilla-t-elle en esquissant une légère révérence. Que … »

Elle n’eut cependant pas le temps de poser sa question que deux nouvelles têtes apparurent des quatre coins de l’atelier de mademoiselle de Noirvitrail. Des femmes, identiques physiquement, mais reconnaissables par la couleur de leur salopette et à quelques détails près, se pressèrent vers l’inconnue à l’uniforme austère. L’une d’entre elles – qui arborait la couleur vert pomme – se plaça dans le dos de la dénommée Nicée et lui tira gentiment les joues. Cette dernière grimaça et émit un petit cri courroucé.

« Veuillez excuser ma sœur, dit la demoiselle en vert pomme, elle est timide de nature et …

- Mes joues … sanglota Nicée.

- Oh, mais arrête donc un peu, la réprimanda sa jumelle avant de l’emmener plus loin. Je m’en occupe Athénaïs.

- Merci Augusta, murmura la demoiselle en salopette bleu clair. Continuez l’archivage s’il vous plait. »

La dénommée Athénaïs – qui était l’originale parmi les copies – tendit la main au limier du Razkaal. En tant qu’ancienne adjointe militaire d’Alleria Greywind et citoyenne républicaine, elle reconnaissait parfaitement leur uniforme, quand bien même elle n’avait jamais eu directement affaire avec eux. Et mieux valait ne jamais avoir de contact direct. Les limiers étaient des êtres de sinistre réputation. Mais la façonneuse savait qu’ils remplissaient des fonctions indispensables dans la République et ne pouvait guère leur jeter la pierre.

« Désolée, elles sont infernales et beaucoup trop curieuses en ce moment … Façonneuse Athénaïs de Noirvitrail. Comment puis-je vous être utile ? »  

Athénaïs lui sourit, tout en la détaillant de haut en bas. Il y avait dans cette invitée un charme enjôleur, à des lieues de l’image qu’elle s’était faite des membres du Razkaal. Ses longs cheveux blancs étaient de véritables merveilles et malgré un physique tonique et des formes appétissantes remplissant avec emphase sa tenue militaire, elle restait d’une grâce quelque peu … surnaturelle. Dans la lumière des grandes verrières de l’atelier, son uniforme noir capturait les rayons de l’astre solaire avec une intensité qui tranchait avec le caractère immaculé des lieux. Athénaïs souriait, mais restait intérieurement peu rassurée. La présence du Razkaal dans son atelier n’augurait pas grand-chose de bon …

Athénaïs crut bon faire évacuer au plus vite la nouvelle clone vêtue de jaune – Chrysabelle – qui venait de pointer le bout de son nez. Chrysabelle était trop curieuse et elle avait profité de l’occasion pour se faufiler l’air de rien afin de surprendre la conversation entre la Razkaal et Athénaïs. La demoiselle en bleu prit la mouche et la poussa gentiment vers les autres salles, non sans remarquer que Nicée et Augusta observaient discrètement depuis une autre porter de l’atelier. La magicienne se pinça les lèvres et soupira. Ses « sœurs » n’en faisaient qu’à leur tête …

« C’est un cas assez rare pour des clones … D’ordinaire, ils ne sont que des instruments sans volonté qui obéissent aux ordres du même magicien. Mais allez comprendre pourquoi, ces chipies se sont petit à petit émancipées et ont leur propre avis sur tout. »

Athénaïs tint cependant le secret sur un point. Ces clones n’étaient pas de simples copies conformes. Leurs connaissances se transmettaient à Athénaïs dès l’instant où elle annulait leur présence dans ce monde, de même que leurs blessures. S’ils étaient des extensions d’elle-même, les clones avaient la particularité de chacun posséder un trait de caractère d’Athénaïs, généralement exacerbé. Nicée était sa timidité, Chrysabelle sa curiosité, Eulalie sa bravoure, … et ainsi de suite. Si la magicienne n’était pas capable de maintenir plus de cinq clones à la fois, il n’en restait pas moins qu’elles agissaient comme de véritables sœurs jumelles et se soutenaient dans l’effort.

« Enchantée, madame Ironsoul. »

Les clones pouffèrent de rire dans les salles attenantes. C’était un sujet de plaisanterie sans fin qu’une façonneuse se dise … enchantée … de rencontrer quelqu’un. Rapport à l’enchantement d’objets … et toutes ces sortes de choses … Oui, les clones avaient un sens de l’humour douteux. A moins que cela ne soit Athénaïs elle-même.

« Votre requête sort quelque peu de l’ordinaire … Avez-vous une autorisation pour la création d’un objet magique ou venez-vous pour raisons personnelles ? »

La demoiselle était obligée de poser la question. Les restrictions imposées par la République sur la production d’objets magiques étaient draconiennes. Il était interdit au corps des façonneurs de la République de produire des objets magiques sans une autorisation expresse de l’armée ou de l’université elle-même. Le processus administratif était de nature à rebuter le plus aguerri des magistrats car leur production était un secret que la République entendait bien garder. Ainsi, si mademoiselle de Noirvitrail ne disposait pas d’une demande émanant des autorités compétentes, elle ne prendrait nullement le risque de concevoir un objet magique pour un quidam.

En revanche … les restrictions ne s’appliquaient pas aux conseils…

« Disons que ... Cela a ses avantages. répondit-elle dans un souffle. »

Le fait de posséder une telle particularité rendait Athénaïs précieuse aux yeux de la République, mais attirait aussi les jalousies. Elle ne comptait plus le nombre de fois où des mages avaient tenté de s’en prendre discrètement à ses « sœurs » pour lui nuire. Elle était devenue, par la force des choses, prudente … autant qu’une mère-poule avec ses petits. Car les clones, s’ils naissaient pas magie, n’en restaient pas moins des êtres capables de souffrir et d’avoir des émotions. A chaque fois que l’un des clones retournait en elle, Athénaïs récupérait en quelques secondes l’intégralité de ses souvenirs, de ses blessures, de ses joies et de ses peines. Ressentir au plus profond de sa chair et de son âme la souffrance de ses « sœurs » était peut-être la plus atroce des sensations.  

La façonneuse fut cependant tirée de ses réflexions par le rire franc du Limier du Razkaal. La jeune fille pencha la tête sur le côté, interloquée par cette réaction. Avait-elle dit une bêtise ? Elle ne faisait que respecter le protocole pourtant …

« Je ...  

- Rah mais quelle empotée tu fais. Pousse-toi, je gère. »

Eulalie venait d’entrer dans la pièce, toujours couverte de suie sur sa tenue rouge. Visiblement agacée par son empotée de magicienne, elle prit les devants.

« Pas de demande officielle ? Pas grave ! Si c’est pour des questions, on peut y répondre, poulette. La République ne nous collera pas en prison pour ça. déclara-t-elle avec un rire dans la voix.

- Lalie, on doit respecter le protocole …

- Rah mais tais-toi un peu ! Pour une fois qu’on a quelqu’un qui semble vouloir autre chose que des montres qui font de la lumière et des alarmes de carrosse, tu vas quand même pas lui pomper l’air avec tes protocoles ! »

Athénaïs gonfla les joues, courroucée, mais Eulalie avait raison. Les projets intéressants ne se bousculaient pas au portillon actuellement. L’armée était encore en pleine refonte et l’Université était encore paralysée par des débats en interne sur une obscure doctrine à tenir vis-à-vis des magies interdites. Le corps des façonneurs recevait peu de commandes parce que tout le monde attendait de savoir un peu à quelle sauce les universitaires allaient être mangés. L’originale croisa les bras et fit la moue, mais resta attentive à ce qu’allait dire Rowena. S’il y avait bien un trait propre à Athénaïs, c’était sa curiosité. Et savoir que le Razkaal reconnaissait sa compétence était une petite joie en soi.

Eulalie tendit la main à Rowena, avec une lueur pétillante dans les yeux et un sourire éclatant. La demoiselle en rouge aimait les défis et elle était la plus ancienne des clones d’Athénaïs. Elle avait cette personnalité volontaire, caractérielle et flamboyante qui contrastait avec la politesse effacée de sa jumelle.

« Pose tes questions la Razkaal ! Promis, on mord pas. Thé ? Café ? On doit avoir des biscuits qui trainent dans un coin. Par contre, s’ils sont bleus et poilus, on les passera par le feu par mesure de sécurité. »

Ce fut Athénaïs qui servit le thé, en invoquant entre ses mains une théière déjà chaude et quelques tasses en porcelaine.

« Nous faisons aussi des alarmes pour chevaux en effet. Mais de grâce, ne nous demandez pas d’en créer, c’est particulièrement peu intéressant. »

Athénaïs revint s’asseoir avec sa jumelle et Rowena Ironsoul. Le jasmin qui parfumait son eau chaude dégageait une délicieuse odeur. C’était un des avantages de la République par rapport aux autres nations : les biens de luxe étaient présents en quantité … et relativement abordables pour des mages.

« Capturer ou blesser des âmes errantes, tu dis ? Et bien, de mémoire, ce genre de chose est tout à fait possible. Les chasseurs de morts-vivants du Shoumeï connaissent bien mieux ces techniques que nous ceci dit. Si d’ordinaire, une grande partie des morts-vivants sont sensibles à l’argent, les meilleurs outils pour capturer ou détruire une engeance spectrale sont réalisés en phantacier. Je ne crois pas que l’on fasse mieux de nos jours.

- Oui sauf que le phantacier … on ne peut pas dire que cela courre les rues, ajouta Athénaïs.

– C’est clair ! On ne peut en trouver qu’en de très petites quantités sur les squelettes millénaires. Ça ne se trouve pas au cimetière du coin ! C’est pour ça que la plupart du temps, les chasseurs de morts-vivants utilisent des rets d’argent. C’est moins efficace, mais étant donné que les armes en phantacier sont compliquées à fabriquer …

- Et si l’on se rabattait sur de la lumithrite ? osa Athénaïs.

- La lumithrite ? Pourquoi pas ? Un objet en lumithrite pourrait servir à circonscrire une âme errante. Mais je ne pense pas que cela soit le meilleur matériau … Trop agressif. Les enchantements risqueraient de fracasser l’âme plus que la retenir et la capturer. Au mieux, si mon intuition est bonne, on pourrait arriver à … la canaliser dans une sorte de cage … Mais ça reste assez théorique. Dommage que nous n’ayons pas de lumithrite en stock … »

Les deux jeunes femmes se rendirent alors compte qu’elles s’étaient perdues dans leurs propres pensées et avaient complètement mises à l’écart Rowena. Elles relevèrent la tête en même temps et rougirent à l’unisson avant de boire une gorgée de thé.

Le goût était aussi exquis que l'odeur !

Athénaïs de noirvitrail venait de monter dans l'estime de sa visiteuse au moment même ou le jasmin avait caresser ses papilles. Un thé chaud dans le froid mordant d'un printemps timide était déjà une belle chose en soi. Mais ce n'était pas n'importe quel thé et le parfum faisait monter le sourire aux lèvres de la jeune femme. Ravie de ce plaisir simple, elle y réchauffait ses mains et son âme tout en écoutant avec attention la façonneuse discuter avec... elle-même ? En un sens c'était bien ça et ce simple fait était aussi fascinant que ce qu'elles racontaient.

Argent. Phantacier. Lumithrite... nota-t-elle mentalement en organisant les questions qu'elle poserait lorsqu'elle en aurait l'occasion. L'idée d'interrompre ne lui traversa même pas l'idée tant la scène était intéressante dans l'intégralité de ses aspects. Aussi, lorsque les deux jeunes mages en face d'elle se tournèrent de concert, elle fut particulièrement étonnée de les voir rougir, avant de se rendre compte du malaise qu'elles pouvaient imaginé... Mais il lui fallut encore quelques instants supplémentaires pour s'arracher à la symétrie parfaite de leur mouvement. C'était comme regardait un ballet parfaitement rythmé.

- C'est fascinant. " sourit la gardienne avec un sourire franc, juste avant que la pile de questions soigneusement gardées ne jaillisse avec enthousiasme. " Je pensais que l'argent n'avait d'effet que sur les résultats physiques de la nécromancie ou les zombis, pas du tout que cela pouvait influer sur les âmes. Quelles sont les caractéristiques du phantacier ? Elle tranche et enferme les créatures immatérielles ou elle les rend tangibles par contact ? Et la Lumithrite permettrait également de blesser des créatures comme les spectres et les fantômes ? Ou servir de bouclier répulsif ? J'y pense... La lumithrite permettrait-elle de contrer les effets de pierres ombrales également ?  Pourrait-on combiner plusieurs des caractéristiques de ces matériaux ? Leur utilisation représente-t-elle un danger pour l'âme des vivants alentours ?

Elle profita d'une respiration pour prendre une petite gorgée de thé. Tant de sujets intéressants et de possibilités qui se bousculaient. Il était possible de faire de nombreux outils et de nombreuses protections au final, du moment qu'ils trouvent les bons matériaux. Elle avait conscience que le prix serait certain mais le Razkaal pourrait beaucoup en profiter. Des lumières capable de repousser l'effet des pierres ombrales. Des objets qui repousseraient les créatures damnées. Des armes qui les blesseraient à coup sûr et non quand on avait la chance de tomber sur une partie ou un moment où ils étaient encore à peu près tangibles. Des cages dans lesquels ils pourraient enfermer des cobayes pour de nouvelles expériences. Elzéar prendrait peut-être un peu moins de risque... Non. Rectification, il irait bien plus loin dans les entrailles de la forteresse. Mais cela leur permettrait peut-être de découvrir des choses importantes.

Si la curiosité d’Athénaïs et son envie d’aider n’avaient pas supplanté sa méfiance, elle se serait demandée ce que le Limier du Razkaal cherchait à circonscrire exactement et dans quel but. Après tout, les chasseurs de morts-vivants ne courraient pas les rues. Leur métier était particulièrement dangereux et les outils dont ils disposaient étaient particulièrement précieux et rares. S’y intéresser était rarement de bon augure. Mais la demande sortait tellement de l’ordinaire que la façonneuse ne pouvait que plonger la tête la première dans ce type d’investigation.

« Sous certaines conditions, l’argent a un effet sur les spectres et les créatures immatérielles. Mais l’argent est utile contre les créatures magiques « en général » donc on peut difficilement parler d’une spécificité propre aux morts-vivants.

– N’empêche que de nos jours, il vaut mieux compter sur de l’argent que d’espérer trouver une dague en phantacier, poursuivit Eulalie.

- C’est surtout que l’argent a la particularité de perturber quelque peu les créatures magiques … un peu comme une allergie, précisa Athénaïs. Cela va largement affaiblir un mort-vivant et faciliter la séparation de l’âme et du corps … mais d’un côté, couper la tête à un mort-vivant fait tout aussi bien l’affaire. Le brûler serait aussi efficace, mais là …

– On s’éloigne en effet du sujet, soeurette … La Razkaal ne cherche pas à détruire des créatures visiblement, mais à capturer des âmes. L’argent ne fera qu’accorder la mort terminale. »

Athénaïs resta pensive quelques instants avant de reprendre.

« Mettons l’argent de côté. Le matériau n’est pas assez fiable pour ce que vous semblez chercher à faire. Supposons que l’on veuille capturer ou blesser une âme, le phantacier resterait le meilleur matériau disponible … mais encore une fois … »

Eulalie s’était levée et s’était dirigée vers une étagère remplie de vieux grimoires. Elle ne mit pas longtemps à trouver celui qu’il lui fallait et à le feuilleter compulsivement.

« Ah ah ! Trouvé ! Les dernières armes en phantacier que nous avons pu répertorier dans l’inventaire républicain ont au moins une centaine d’années. Aucun façonneur n’a mis la main sur une quantité suffisante de ce matériau depuis des lustres. Si l’on voulait façonner une arme digne de ce nom, il faudrait à minima fondre la moitié du stock d’objets magiques en phantacier des réserves de Liberty. déclara la demoiselle en rouge. Le phantacier a la particularité d’être lié au Voile, à l’Outremonde … bref, à la mort. Il se créé suite à la décomposition des corps, sur des siècles. Le gros avantage de ce minerai, c’est que, bien manié et avec les enchantements adéquats, il serait capable de retenir ou de blesser une âme … mais ne la rendrait pas tangible pour autant. Pour faire simple, disons que le phantacier est situé dans deux réalités, une physique et une immatérielle. Avec vos mains, vous pouvez toucher le phantacier, mais pas une âme. Mais le phantacier, lui, étant donné qu’il est à la fois … matériel et immatériel … peut affecter une âme sans problème. Avec des enchantements corrects et quelques essais, il est théoriquement possible de capturer une âme.

- En revanche, ça pose de sacrés problèmes d’éthiques avança Athénaïs. A moins d’avoir une autorisation spéciale d’un quorum de magistrats, les expériences sur les âmes restent interdites.

- Ce qui nous amène à la Lumithrite. La République refuse que l’on touche aux âmes. Par contre, il n’y a rien dans le corpus des lois qui empêche les mages de se protéger des engeances de l’au-delà. Du moment qu’il n’est pas prouvé qu’il y a tentative d’asservissement et de manipulation d’une âme, l’utilisation de la Lumithrite pourrait être acceptable. »

Les deux jeunes femmes se retournèrent à nouveau vers Rowena.

”Ce que veut dire ma soeur ...

- C’est que l’utilisation du phantacier, à supposer que l’on en trouve, nécessiterait une bardée d’autorisations bien reloues, car il faudrait prouver que l’on ne cherche pas à manipuler l’essence-même d’une âme … et autres considérations éthiques ! En revanche, la Lumithrite, elle, peut être utilisée sans problème. La Lumithrite a la particularité de repousser les ombres et peut contrer les pierres ombrales. Si les âmes ne sont pas à proprement parler des créatures des ombres, elles sont suffisamment liées au Voile pour qu’intuitivement, on puisse se dire qu’une cage de Lumithrite pourrait … potentiellement … contenir une âme ou à minima, la repousser. Le truc, c’est que pour l’instant, on reste sur de la théorie … et nous n’avons pas de Lumithrite sous la main.

- Par contre, je confirme votre intuition, Limière ... il est possible de combiner les effets de deux matériaux. Mais les matériaux ne sont que des supports d’enchantements. Sans des enchantements particulièrement bien dessinés et pensés, ces matériaux restent bruts et ne peuvent être utilisés tels quels. Quant à savoir si une telle opération est sans danger … j’avoue que pour tout ce qui touche aux âmes, je ne peux pas garantir que cela soit sûr à 100%. Déjà, nous sommes largement parties sur le terrain de la théorie. L’Université a depuis longtemps brûlé toutes les archives traitant des recherches sur les âmes afin d’empêcher les apprentis sorciers de jouer avec le feu. »

Athénaïs reprit une gorgée de thé. Il était vrai qu’au-delà des matériaux, l’enchantement et les équations magiques à enchâsser dans la structure même de l’objet se devaient d’être particulièrement bien ciselés. Ce n’était pas un travail pour des amateurs et dans l’histoire de la République, les études sur les âmes étaient interdites, à juste titre. On ne jouait pas avec le Voile sans avoir l’accord express des plus hautes instances de la République.

Les expériences sur les âmes restaient interdite... Mais bien sûre. Elle était sûrement dans l'une des organisations qui avaient le plus de liberté dans ses recherches magiques en République et elle ne doutait pas qu'un projet d'asservissement des fantômes et des spectres seraient approuvés des deux pouces par au moins deux des prévôts... Rowena acquiesça pourtant avec conviction. Le seul façonneur qu'ils avaient n'était pas un chercheur innovant mais un héritier de la tradition. Pour lui faire faire autre chose que son boulot et obtenir des résultats concluants, elle pouvait se lever tôt. Non, pour ce genre de projet ils devraient sans doute passer par des extérieur, comme celle qu'elle avait sous les yeux. Il faudrait donc limiter ses possibilités de façon à ne pas attirer l'attention sur le Razkaal plus qu'elle ne l'avait déjà fait. Bof ! Elle pouvait toujours monter une moitié de mensonge en disant qu'une cible particulièrement résistante avait trouvé refuge dans des ruines ou peu importe quel cimetière antique grouillant d'âmes errantes.

En attendant, elle avait tiré de sa ceinture un petit carnet de pages épaisses et inégales reliées par de la corde et un stylet de plomb pour prendre quelques notes sur les trois matériaux, les possibilités et restriction que voyaient la façonneuse ainsi que les nécessités légale de chacune d'elle. Asservissement et manipulation, non. Répulsion et destruction, oui. ... Et danger potentiel pour celui qui manie l'objet.

- Je comprends. C'est un sujet dangereux... Mais mes missions m'amènent à devoir arpenter des endroits dangereux pour capturer des personnes dangereuses. Des personnes qui usent d'une magie noire particulièrement puissante et qui tente justement de corrompre des forces qui les dépassent. Le Voile ne fait pas exception. Et ces personnes n'hésitent pas à utiliser leurs pouvoirs entourés d'innocents. " ajouta-t-elle, parfaitement sincère. Il lui était déjà arrivé de capturer une cible sans pouvoir éviter tous les dégâts collatéraux. Pas souvent... Mais c'était arrivé. Et elle était persuadé que cela contribuait à la réputation des membres de son Ordre.

Elle prit le temps d'une gorgée de plus avant de relire quelques passages de ses notes. Il y avait déjà de quoi faire avancer ses réflexions. Elle devrait en parler à ses collègues et chercher dans la bibliothèque du Razkaal lors de sa prochaine garde.

- Merci, vraiment. Vos conseils sont très précieux. Je vois un peu mieux ou les problématiques d'une création dans cette direction... Et si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je vais déjà réfléchir posément à tout ça de mon côté. Le coût, même en risque pour l'utilisateur, semble élevé. Si vous avez un ouvrage à me conseiller, pas sur les âmes à proprement parlé mais peut-être sur la façon de combattre les aberrations immatérielles créées par magie noire...

Un mage averti en vaut deux. Et encore... Deux ne suffisait pas toujours dans le métier. Mais lorsqu'elle eut sa réponse, il y avait encore une question qui lui brûlait la langue... Parce que cette femme était proprement fascinante et sa magie était d'une finesse rare. Passant de la femme en rouge à la femme en bleu, elle hésita un instant sur qui était l'original avant de s'y retrouver sans erreur.

- Je suis un peu prise par le temps pour l'instant, mais j'aimerai vous offrir un verre à l'occasion pour vous remercier de votre temps. Verriez-vous un problème à ce que je vous recontacte ?

La magicienne but sa dernière gorgée de thé en écoutant attentivement le Limier du Razkaal. Quelles que puissent être ses raisons, la jeune fille était heureuse de pouvoir l’aider. Malgré le fait que ses demandes sortaient quelque peu de l’ordinaire et s’aventuraient sur un terrain dangereux, elle ne risquait rien à répondre à de telles questions, non ? Athénaïs mit cependant quelques temps à remarquer les détails du visage de la Razkaal … Il y avait quelque chose de surnaturel chez elle, mais la magicienne n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Ce détail avait aussi été relevé par Eulalie, mais un bref regard à son clone lui fit comprendre de se taire sur ce sujet. Chaque chose en son temps.  

« C’est avec plaisir que nous vous aidons. Vos questions nous permettent de tromper l’ennui l’espace d’un instant.

– Surtout que nous devons déménager une partie de nos affaires suite au départ de la magistrate Greywind acheva la clone en rouge. »

Depuis quelques semaines, Athénaïs avait été réaffectée à l’université. Le départ d’Alleria Greywind, la magistrate militaire, avait considérablement modifié la structure du bureau de l’administration militaire. Athénaïs et ses sœurs avaient été réaffectées à l’université dans les ateliers des façonneurs en attendant une nouvelle affectation. La jeune femme ne pouvait qu’espérer que sa prochaine affectation se révèlerait aussi intéressante que la précédente … mais aussi moins stressante.

La Razkaal proposa cependant un verre à la magicienne. Cette dernière fut quelque peu interloquée par tant de familiarité, mais Eulalie ne perdit pas le nord et accepta immédiatement.

« Ça serait avec plaisir ! Pas la peine de rougir toi. Dis-lui aussi que ça te fait plaisir. C’est la moindre des choses que de prendre un verre avec elle !

- Oui … bon … c’est d’accord. Ne bougez pas … »

Athénaïs se leva et s’avança vers le Limier et lui prit les mains avec douceur. Elle se concentra quelques instants et marqua magiquement la demoiselle. Le lien télépathique se noua instantanément entre elle et la femme. Avec cela …

« Je pourrai vous contacter par télépathie si vous êtes à Liberty. Vous entendrez ma voix dans votre tête. Ne paniquez pas, ce n’est pas douloureux et je ne suis pas du genre intrusive. Si vous voulez me chasser de vos pensées, vous n’aurez qu’à le … penser. Sinon, je suppose que vous saurez me retrouver quand vous le souhaitez, avec vos talents de Limier, non ? »

Elle lui sourit avec douceur. La télépathie était toujours quelque peu déstabilisante dans les premiers temps, mais on s’y faisait rapidement. Il était impossible d’envahir les pensées de quelqu’un avec ça, mais cela permettait de garder le contact, pour peu que l’on connaisse la personne et qu’elle soit marquée par le télépathe.

La timidité de la façonneuse fit sourire sa visiteuse. Si les clones avaient développer leur propre personnalité, ils semblaient même bien loin de l'originale. Elle failli même répéter que ce n'était qu'une proposition, mais son accord lui évita d'avoir à se rétracter. Elle la laissa prendre ses mains, étonnée et toute son attention sur les flux de magies qui les entouraient. La confiance n'excluait pas la prudence... Mais il n'y avait rien à craindre. Elle se permis de nouveau de bouger en reconnaissant les sensations typiques de la télépathie. Si elle ne la maîtrisait pas elle-même, elle rentrait dans son domaine de compétence et elle en connaissait long sur ses tenant et aboutissants théoriques.

- Je ne m'en fait pas. Je ne la pratique pas mais la télépathie ne m'est pas étrangère... Et je pensais surtout vous envoyer un message ici mais merci beaucoup pour l'attention !

Mais c'était aussi vrai qu'elle pouvait lui mettre la main dessus si vraiment elle le voulait maintenant qu'elle connaissait sa signature magique. Elle avait vraiment une aura très particulière... Et qui faisait un peu mal aux yeux quand elle se tenait près de son clone. Rowena secoua légèrement la tête en laissant les sensations magiques retourner quelque part hors de ses perceptions quotidiennes. Puis, avec courtoisie, elle termina la dernière gorgée de sa tasse de thé et se leva.

- Et bien je vais vous rendre à vos cartons. J'espère que le départ de la magistrate Greywing et les discussions politiques concernant la magie ne vous impacteront pas trop. Encore merci pour vos conseils. Si vous voulez me joindre, envoyez la missive au Légat du Razkaal, à la Cour Suprême de Justice. Il saura me la faire parvenir au plus vite. Les gardes peuvent être assez longues.

Sur une respectueuse courbette digne d'une matrone à cheval sur l'étiquette, Rowena prit congé... En faisant bien attention de ne pas proposer son aide pour le déménagement. Déjà, elle avait une mission à poursuivre, et en suite... Qui pouvait bien avoir envie d'aider lors d'un déménagement ?