Le sens des affaires
feat. Damon
« Cher Monsieur Noctis,
Sur les conseils d’un ami à la chevelure enflammée, je me permets de vous écrire pour vous proposer un partenariat, qui, je l’espère, saura vous convenir autant qu’à moi. Il y a quelques semaines, Luxus m’a appris votre amour des bijoux. Passionné par leur confection, j’ai récemment découvert un minerai sur lequel j’aimerais m’exercer, et dont les reflets conviendraient parfaitement à votre teint. J’espère donc pouvoir vous fournir quelques pièces, pour lesquelles vous n’aurez bien sûr pas un centime à débourser, et vous voir les porter à l’occasion. En effet, je souhaite développer mon commerce loin de ma terre natale pour ne me fermer aucune opportunité, et je pense ne pas pouvoir trouver meilleur modèle. Je serais honoré de pouvoir faire de vous ma vitrine. J’ai l’audace de croire que mon travail apportera à votre collection un vent de fraîcheur et d’exotisme, que les joailliers du Reike ne sauraient vous offrir. Vous trouverez avec cette lettre une première ébauche de mon travail. Dans le cas où ma proposition susciterait votre intérêt, sachez que mon cirque donnera une représentation près d’Ikusa d’ici quelques jours, et que vous aurez droit à une visite guidée de mon musée des horreurs. »
L’hybride acheva sa missive par une signature, avant de reposer sa plume. Sans perdre davantage de temps, il la glissa à l’intérieur de l’enveloppe où reposait déjà la pièce maîtresse de sa stratégie. Fruit d’un alliage qu’il tenait secret, la bague enroulerait ses tentacules autour de l’index de l’esclavagiste, et ses yeux pourpres partiraient alors à la conquête d'un monde dont il ignorait tout. Sitôt que le noble plierait les doigts, une pointe métallique s’enfoncerait dans la pulpe, diffusant le venin de sa vésicule. Une dose infime, suffisante pour provoquer une ou deux hallucinations et éveiller la curiosité de sa victime ; il n'était pas suicidaire au point d'en dévoiler le réel potentiel. Pensif, Saül se mordit la lèvre inférieure. Adoptait-il réellement la bonne approche ? Il lui semblait que l'audace plaisait aux inconnus, mais ne risquait-il pas d'être jeté en prison, ou de finir broyé comme un vulgaire insecte sous la poigne du chevelu ? Les barbares appréciaient-ils les cadeaux, fussent-ils empoisonnés ? Son regard se porta sur le bocal à ses côtés, où se déformait une silhouette inhumaine, la chair rabougrie par l’alcool et le temps. En silence, il apposa son cachet sur le papier et souffla sur la bougie. Certaines entreprises valaient de prendre tous les risques.