Quelle odieuse Vampire. En plus d’être terriblement séduisante, elle bougeait merveilleusement bien ; le genre de personnes qu’il adorait autant qu’il détestait. Elles lui rappelaient tellement ce qu’il incarnait. Alors dans ce cas, comment résister à cette soif intangible de fouiller au plus profond de son âme si elle mettait tout en œuvre pour ouvrir la cage qu’il peinait tant à laisser verrouiller ? Avec une autosuffisance qu’il mua en une joie intense, Damon accepta volontiers le ballet qui s’enchaina sous leurs pas raffermis et décidés qui heurtaient les pavés de la cour. Au moment où elle flancha, elle retourna gracieusement la situation pour prendre l’avantage : un partout. Plus aucun doute ! L’aura de prédatrice qu’elle dégageait suffisait à le faire réaliser qu’elle pouvait le dévorer à tout instant. Fascinant. Au lieu de ressentir une forme de peur quelconque, c’est tout le contraire qui se produisit. S’abandonnant à elle le temps qu’elle fasse son œuvre, ses pupilles prirent une lueur dorée. Habilement, le Drakyn fit alors vibrer tous ses membres supérieurs pour les imprégner de mana. En décuplant sa vitesse, il changea de nouveau la donne pour reprendre la posture de dominant.

– J’ai connu bon nombre de partenaires durant ma courte existence, de ce fait, je peux reconnaitre l’excellence à travers tout ce que vous dégagez.

Il n’essayait nullement de l’amadouer avec une réplique de piètre charmeur prémédité à l’avance. Il pensait réellement ce qu’il affirmait. En tout cas, pour un premier échange. D’un geste limpide, il glissa sa main sous sa nuque tout en penchant son buste dans le même élan pour l’obliger à se cambrer en arrière. Après quoi il planta ses canines dans le cou du succube, ces dernières étant devenues aussi proéminentes que les siennes grâce à la métamorphose qu’il avait appliquée. Il relâcha ensuite son étreinte, et en se redressant subitement, tira brusquement sur son bras pour amener les doigts de la jeune femme à rejoindre les siens dans ce qui s’apparentait à la conclusion d’une chorégraphie entre deux acrobates. Pour la première fois depuis les passes d’armes, ils se trouvaient à bonne distance. Enfin bonne, tout dépendait du point de vue de chacun.

– Mesurer vos talents de bretteuse est encore un peu prématuré, mais je n’ai plus le moindre doute quant à votre efficacité au corps à corps. Cette façon de bouger en dit bien assez long sur vos aptitudes… martiales.

Dit-il avec un large sourire qu’il ne prit même pas la peine de dissimuler tant il assumait pleinement ce sous-entendu. Jugeant la poursuite de leurs duel superflu, Damon se pencha pour récupérer la rapière et la ranger à son emplacement initial. Au même moment, un individu débarqua en toute hâte. Extenué, il posa ses mains sur ses deux genoux, tentant tant bien que mal de reprendre son souffle.  

– Maitre ! Vous… Il est… Il est de retour ! Vous ne devez point trépasser, il veut intenter à votre vie en exhortant un groupuscule d’individus notoires à ses côtés ! Cet enculééééé !

Remuant ses mains de sorte à apaiser l’extravagant personnage, Damon passa sa main dans sa longue crinière mauve en cheminant calmement vers lui.

– Reprends ton calme, Fox. Ce n’est pas la première fois que je repousse cet imbécile. Et puis, je suis plutôt bien accompagné cette fois.

Il jeta un coup d’œil en arrière en direction de la jeune vampire dont il ignorait toujours le nom. Rien ne garantissait qu’elle accepte de lui venir en aide, mais il espérait voir davantage de son jeu de jambes en situation réelle.

– Vous savez mordre, c’est un fait, mais que savez-vous faire de plus concret ? J’aimerais le vérifier de mes propres yeux.

Une manière subtile de l’inviter à danser à ses côtés, mais cette fois-ci en tandem, non pas en qualité d’adversaires. Damon glissa ses doigts autour de la poignée de son épée fétiche. Quelques instants plus tard, un homme accompagné de trois autres subalternes entra dans la caserne.

– Oh ! La peur t’as fait solliciter la protection d’une donzelle ? Quelle disgrâce. Butez-les tous les deux.

La bataille allait enfin pouvoir provoquer ses vrais instincts.

le vilain méchant:

De dos, le Drakyn dissimula son rictus face aux répliques cinglantes de la Vampire. Elle savait également renvoyer la balle verbalement. Fascinant. Les siècles d’existences aidaient manifestement à se forger un caractère, et non des moindres. Bien qu’il soit trop tôt pour l’affirmer, Damon avait l’impression de se voir dans un miroir sous les traits d’une femme. Peut-être qu’une complicité naitrait au terme de cette confrontation, ou bien qu’ils chercheraient à se bouffer mutuellement, qui sait. L’un comme l’autre lui convenait parfaitement. Il avait hâte de pouvoir mettre un mot sur cette relation. Ce genre d’expérience sociale était toujours bénéfique, il suffisait simplement de le regarder sous un angle bien précis.

– Ne soyez pas ridicule. Vous devriez voir que j’incarne la grandeur sur bien des aspects.

De la gueule oui, mais de la gueule qui croyait fermement à ses inepties. Par principe, elle gagnait toutefois à avoir droit à un témoignage en bonne et due forme de ce qu’il avançait. En attendant de pouvoir creuser un peu plus, l’ennemi les attendait de pied ferme. Escorté de ses fidèles sbires, la donzelle prit la remarque de la montagne de muscles personnellement. Il existait donc encore des fous pour dépriser la dangerosité d’une femme ? Pour sa part, il s’en méfiait plus que n’importe quel poison. Il avait appris à ses dépens ce qu’il en coutait que de les prendre de haut, et c’était d’autant plus vrai quand elles se nourrissaient de sang avec la même ardeur que les Reikois qui s’abreuvaient de bagarre.

– Ayez la décence de m’en garder un bout, je n’aime guère avoir les restes. De plus, ses gars ont l’air terriblement mauvais.

En jetant un coup d’œil à Bryan, le chef de meute, il se ravisa de penser qu’il pouvait perdre. Il avait déjà rabroué cet homme à maintes reprises, mais chaque fois qu’il revenait au front, il devenait de plus en plus chevronné. Surement l’un de ces types qui abusaient des stéroïdes sans aucune considération pour leurs corps. Quoiqu’il en soit, Damon laissa la main à la femme dont il ignorait toujours le nom, claquant ses bottines l’une contre l’autre avant de prendre le chemin le conduisant au groupe de quatre.

– N’hésitez pas à me demander de l’aide au besoin. Je ne répondrais qu’au signal « Aidez-moi Ô grand maitre ! ». Aucune crainte à avoir, nous sommes entre nous.

Son rire légèrement outrancier se répandit dans l’arène, ses doigts se détendant pour lâcher l’arme au sol. Il n’avait pas besoin de recourir aux services d’une arme, et de toute façon, il se battait bien plus efficacement avec ses poings.

– Yo, les gars, vous savez pourquoi on me compare à un lion ? Vous allez vite le comprendre.

Sa jambe droite s’élança plus vite que la seconde, déclenchant aussitôt une impulsion lorsqu’elle entra de nouveau en contact avec le sol. Sa technique n’était pas encore complètement au point, mais Damon essayait de reproduire la vitesse des cafards qui étaient les seuls animaux à sa connaissance à atteindre leurs vitesses maximales dès le départ. Cet élan lui permit de profiter de la surprise générale pour enfoncer son coude dans l’abdomen du plus proche et lui faire recracher ses poumons, après quoi il se cambra en arrière dans une posture insolite afin d’élever son pied et ainsi porter un coup précis dans le menton du second. Il le frôla en réalité à peine, mais c’était bien assez pour causer un choc dans sa boite crânienne. La seconde d’après, les deux hommes s’effondrèrent. Par réflexe, les deux restants reculèrent ; une décision judicieuse, bien qu’inutile. Tordant les muscles de ses obliques de sorte à donner de l’ampleur à ses mouvements, les phalanges de ses poings entrèrent en collision avec un énième menton. Quant au dernier, Damon l’agrippa par le col pour le balancer sans retenue contre le mur, ce dernier s’effritant sous son poids. Il se redressa alors majestueusement – son épaisse chevelure suivant le rythme – puis se frotta les mains.

– Hm. Si facile. Comment ça se passe de votre côté.

Prenant le temps de s’accorder une petite pause, l’homme trouva une place en hauteur où s’asseoir. Un grand sourire aux lèvres, il désigna Bryan.

– Faites gaffes, le loustic est en train de nourrir ses veines avec du poison. Ca doit être un peu ragoutant pour un vampire.

Sa musculature s’amplifia subitement ; un secret hérité de son clan. On appelait ça le début des problèmes dans le jargon. Le spectacle promettait enfin de devenir stimulant.

Et fière avec ça. Si elle estimait pouvoir s’en sortir sans l’apport de ses muscles, grand bien lui fasse. La position dans laquelle il se trouvait lui convenait tout aussi bien. Et tandis que les hommes à terre tentaient doucement de se relever, Damon leur asséna quatre nouvelles rafales à l’aide de ses flammes qui fusèrent à toute vitesse sur leur tempe. Pas de quoi les tuer, mais assez puissantes pour les assoupir durant le restant de l’affrontement. Ses yeux de nouveaux rivés sur la scène sur laquelle se déroulait le grand duel, il se permit de lui donner quelques conseils. Rien de plus que pour l’aider, bien entendu.

– Pensez à davantage pivoter vos hanches. Votre positionnement est bon, mais vous n’y mettez pas assez de vigueur. C’est ni fait ni à faire. Oh, et n’hésitez pas à utiliser votre environnement, vous avez l’embarras du choix.

Au-delà de ça, elle se débrouillait mieux que prévu. Non pas qu’il la voyait perdre l’entièreté du match, mais de là à la voir dominer la bête, ça méritait au moins quelques applaudissements. Et c’est ce qu’il fit sans l’once d’une gêne. Le Drakyn frappa dans ses mains en reproduisant l’exacte attitude d’un supporter qui soutenait son équipe. Le bras levé, il hurlait en sa faveur en se prenant pour un commentateur.

– Eeeet le point est accordée à la vampirette au physique pour le moins déroutant. Les spectateurs semblent abasourdis par ce déhanché incroyable. Levez les yeux messieurs, ce n’est pas ici que ça se passe !

Visiblement trop content de pouvoir animer à sa façon, il y mettait tout son cœur, manquant presque de la voir apparaitre à ses côtés. Oh. Il ne la comprenait que trop bien. Difficile de se passer de quelqu’un comme lui. Les femmes et leurs obsessions pour ses côtes, ça ne changerait donc jamais. Du moins, c’est ce qu’il aurait aimé penser avant de se retrouver mystérieusement en contrebas. Tournant subitement son visage vers elle, son visage se crispa.

– Espèce de…

La montagne de muscle dopé d’une quelconque substance ne lui laissa pas l’occasion de rouspéter, son poing s’écrasant avec fermeté contre le sol. De justesse, Damon se métamorphosa en un mignon petit écureuil afin de grimper sur le bras de la brute et de bondir à l’opposé, récupérant sa forme dans le processus.

– Ma foi, je veux bien vous apprendre à danser, Lady, mais j’aurais préféré vous avoir auprès de moi.

Poursuivit-il en lui adressant un clin d’œil. Nul doute que s’il avait pu dégoter une rose dans le coin, il l’aurait calé entre ses dents pour parfaire son jeu. Son seul regret était de ne pas avoir pu l’examiner plus longuement. Pour autant, il ne refusait jamais le rôle d’acteur principal. Adoptant une posture quelques peu invraisemblable qui ne figurait sur aucun manuel, l’animal déchainé décocha ses poings avec la même fulgurance qu’un carreau d’arbalète. Contrairement aux apparences, il ne frappait pas aléatoirement. Aucun mouvement superflu, pas d’ouvertures flagrantes, très peu voir aucun temps mort. Se limitant aux esquives dans un premier temps, il chercha le bon angle d’attaque et le meilleur moment pour piquer.

Lorsqu’il porta son dernier coup, Damon se faufila au travers en laissant son buste choir en avant, après quoi il frappa de toutes ses forces dans le philtrum, l’un des nombreux points vitaux du corps humain. Ses phalanges toujours ancrées dans sa face, l’ogre ne bougea pas d’une semelle. Ses yeux s’écarquillant petit à petit. La réponse fut pour le moins agressive puisque son énorme poing s’enfonça dans son propre visage, l’envoyant bouler à l’autre bout du terrain jusqu’à le faire heurter toutes les armes regroupées dans la remise. Sacré punch. Damon se releva quelques secondes plus tard dans un capharnaüm métallique, un rictus en coin sur lequel coulait du sang qui passa sur sa mâchoire. Mâchoire qu’il remit en place comme le reflétait le son qui suivit.

– Pfiou. Il est bien plus coriace que les dix-sept fois précédentes, j’aime bien. Franchement, vous manquez quelque chose, mais c’est vous qui voyez. A aucun moment je vous forcerais la main, vous savez. En revanche…

D’un geste habile, il projeta un orbe de feu sur la jeune femme. Préparé en amont, il amplifia sa puissance, non pas pour la cibler elle, mais le muret sur lequel elle se reposait, ceci à seule fin de la faire descendre.

– Vous êtes tellement plus séduisante à ma hauteur.

Désormais, il ne serait plus seul à se mouiller.

Amusant de voir qu’elle s’inquiétait pour son joli minois, à moins qu’elle ne fasse elle aussi preuve d’une certaine indifférence envers ses pairs, auquel cas ce n’était rien d’autre que du sarcasme. Son choix s’arrêta sur sa première supposition, par pure préférence. Portant une main sur sa poitrine, il pencha légèrement son buste en avant en fermant les paupières, reproduisant les mêmes mimiques qu’un comédien après à la fin de sa performance.

– N’ayez crainte, ma mie ! J’ai goûté à la défaite plusieurs fois, je connais son odeur. Et je sens qu’on va passer un bon moment.  

Une phrase à double sens, vouée à être interprété comme bon lui semblait. Relevant la tête pour s’attarder sur son principal concurrent, il détailla sa joue contre laquelle il envoya pulser son poing enveloppé d’une robe incandescente. Si la masse informe lutta quelques secondes pour rester fiché où elle se trouvait, son corps céda finalement, soulevant le géant pour le faire atterrir plus loin. Et tandis qu’il s’apprêtait à poursuivre sur la même voie, la silhouette de la Vampire le coupa court dans son élan. Hm. Ainsi, la dame désirait s’amuser un peu en prenant le relais ? Pourquoi pas. Un corps en mouvement avait toujours ce quelque chose de… palpitant. Elle introduisit même une dimension tactique à son duel, ce qui n’était pas pour lui déplaire. Le Drakyn siffla pour montrer son étonnement.

– Assez pour me convaincre de ne jamais vous charger sans prendre de précautions.

Ce serait un coup à s’en brûler les ailes. Inutile de la louanger plus que de raisons, elle finirait par prendre la grosse tête, il en était l’exemple parfait. Au lieu de ça, il observa attentivement la suite, jusqu’au moment où elle réalisa un mouvement peu commun traduisant d’une excellente agilité.

– Belle utilisation de vos cuisses. J’en ai des sueurs froides, surtout quand je pense à ce que vous pourriez faire d’autre avec.

Laissant un soupir s’échapper de ses lèvres, la conclusion dépassa ses attentes. Cette violence, cette cruauté presque barbare et cette absence totale de compassion envers un ennemi… la donzelle amassait les points à la louche. Et dire que certains médisaient encore les femmes sur leurs aptitudes au combat. Une once de bonté intervint toutefois dans un coin de sa tête afin de lui offrir une porte de sortie. Beau geste en plus de se défaire d’un crime qui irait à l’encontre des lois Reikoises… Mais qui se confortait dans de telles lois abusives ? Certainement pas lui. Approchant lentement du camé qui se vidait de son sang sans savoir comment réagir, Damon attendit de se trouver à bonne hauteur pour lui dégoter un ultime coup de pied dans la mâchoire ; le résultat n’était pas très beau à voir. Il ordonna ensuite à ses hommes restants présents dans une pièce annexe de se débarrasser du corps. Autant anticiper la visite d’un garde un peu trop curieux. Il retourna ensuite après de son invitée surprise.

– J’ai pour réputation d’être assez exigeant, et pourtant je ne peux que reconnaitre votre talent. J’imagine que vous l’avez parfait avec les siècles d’existence qui sont les vôtres, mais le travail seul ne suffit pas pour un tel résultat. Quel est votre nom, Miss Foppam’ferchié ?

Après la victoire, les compliments, le meilleur d’entre tous demeurant l’intérêt vis-à-vis de son nom. La plupart du temps, il s’en fichait au point de ne faire aucun effort pour les retenir. Après cette courte, mais intense bagarre, Damon tendit sa main à Lilith.

– Après l’effort, place à la fusion des corps. Enfin, pas encore. Laissez-moi simplement vous faire visiter mon palais des armes. Je passe beaucoup de temps sur mon lieu de travail, il y a tout ce qu’il faut. Y compris de quoi vous désaltérer. Par ici !

Avec l’attitude d’un prince charmant qui contrastait fort avec celui du guerrier, l’homme la conduisit dans une immense salle où reposaient plusieurs futs. Du vin de qualité qui ne plairait sans doute pas à madame. La salle faisait également office de salle de jeux pour ceux qui étaient à son service et comportait même un bar avec le tenancier qui allait avec. L’invitant à s’asseoir, il demanda à l’un des serveurs présents de lui rapporter un cru spécial. Son attention se reporta sur elle.

– Ma curiosité a besoin d’être satisfaite. Qui êtes-vous, Lilith ?

Le regard plongé dans ses yeux, il ne les quitta pas d’une semelle.  

Trop occupé à s’empiffrer des amuse-gueules disposés soigneusement sur la table, l'homme manqua de s’étouffer en avalant de travers après l'une de ses remarques. Ce n’est pas tant la nature de son commentaire qui le déstabilisa que le culot dont elle faisait preuve. Allait-elle enfin cesser de le surprendre dans le bon sens au cours de leurs échanges ? Il espérait que non. Penchant la tête sur le côté, il lui partagea son plus beau sourire.

— Peut-être serez-vous amené à le découvrir. Enfin, si vous survivez jusque là. J’ai pour réputation d’aller un peu trop en profondeur.

Sans parler nécessairement de mort imminente ou d’accidents fâcheux, encore fallait-il qu’elle le supporte assez longtemps pour découvrir d’autres facettes de lui. Fatalement, il quitta ses yeux au profit de ses lèvres. Juste une seconde. Pas mal. Pas mal du tout. Amusé de la voir aussi tactile en touchant à l’une de ses mèches, elle ignorait sans doute l’honneur qu’il lui faisait de la laisser faire ainsi. Certains avaient fâcheusement dû se séparer de leurs mains pour moins que ça.

— C’est drôle, je vous imaginais jouer autrement avec vos doigts. Cela étant, si je peux vous satisfaire avec si peu, j'en suis le premier comblé.

Ses pupilles ne dévièrent à aucun moment, prenant un malin plaisir à la défier du regard. Une tentative, sans doute vaine de sa part, de voir si elle détournerait les siens à un moment. Pas facile d’intimider une femme ayant vécu des siècles durant, de surcroît une prédatrice. Une prédatrice sexuelle, manifestement.

— D’aucuns diraient que vos marchandises ont de la chance. Là encore, je m’attendais à des activités, disons le, un peu plus déjantés. Pour ne pas dire funestes.

Quand bien même il jouait au jeu de la crédulité, il n’était pas né de la dernière pluie. Il savait, et elle savait probablement en retour qu’il savait. Et inversement. Pour autant, avaient-ils besoin de le verbaliser ? Pas le moins du monde. En tout cas pour sa part. S’assurant de réduire la distance entre eux en penchant son buste en avant, Damon déposa délicatement ses doigts autour de ceux de Lilith qui tenait fermement le pied du verre, approchant ensuite la coupe  de ses lèvres pour y déguster une petite gorgée. S'abreuvant du liquide écarlate, il lécha le pourtour de ses lèvres afin d’en récupérer les restes.

— Mes connaissances sont moindres par rapport aux vôtres, mais ce n’est pas si mal. Je me suis déjà délecté du sang à plusieurs reprises. Le sang de la guerre n’est pas le même que celui des femmes. J’ai goûté aux menstruations une fois, par mégarde. Ce n’est pas aussi écœurant qu’on le raconte.

Le genre d’anecdotes qu’on racontait aisément dans ce genre de lieu qui s’y prêtait et qui ne ressortait jamais d’ici. Touché par le compliment vis-à-vis de son établissement, la fierté se lisait sur son visage.

— Merci.

Répondit il simplement sans préciser qu’elle n’avait accès qu’à la face émergé de l'iceberg. Le reste devait subsister aussi secret que celui de sa coiffure. Du moins, pour l’instant.

— Ma foi, c’est à vous de me le dire. Certains vous diraient que je suis trop humble pour l’affirmer. Et ils mentiraient.

Un rire vint accompagner sa réplique. Il ne savait que trop se lancer des fleurs, mais comme tout à chacun, il préférait les compliments sincères d’une inconnue à ses propres louanges. Quant au sujet de l’histoire de cette caserne, à quoi bon lui cacher ?

— Officiellement, j’ai hérité ça de mon père, une raclure comme on en fait peu. Un homme admirable donc. Officieusement, j’ai dû trahir des frères d’armes pour disposer d'un rang, de l’argent et des ressources nécessaires. Je suppose que vous êtes bien placé pour savoir que rien ne se bâti sans verser du sang et le sacrifice d’autrui, quand bien même vous êtes à la fois la plus douce et la plus sauvage des Vampires que j’ai rencontré.

Un mélange explosif, il ne le savait que trop bien. Derrière ses petits airs de plaisante séductrice, il l’imaginait sans peine dévorer une proie aussi grosse que lui en un instant, à condition de la laisser faire. Et tandis que Damon fit signe aux musiciens de changer d’ambiance au profit de quelque chose de plus endiablé, le Drakyn se leva pour lui proposer sa main.

— Votre jeu de jambes sur la piste est-il à la hauteur de tout le reste ? J’exige une démonstration.

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Après avoir croisé le fer, combattu un homme et échangé un verre, place à l’amusement.

Quelle douce saveur que d’avoir le sentiment de partager quelque chose de commun avec quelqu’un d’autre. Ils se défièrent mutuellement sans se formaliser à propos de règles obsolètes. Ils profitèrent simplement l’un de l’autre pour se divertir respectivement, et ce de façon très spontanée. N’était-ce pas ce que l’on nommait la complicité ? Damon n’en savait que trop rien. Il connaissait le sens de ce mot pour l’avoir lu dans différents ouvrages, mais il ne l’avait jamais expérimenté personnellement. Lilith. Il tâcherait de ne pas oublier ce nom de sitôt. Cette femme incarnait peut-être la femme qui apparaissait dans certains de ses rêves pseudo prémonitoires. En tout cas, il ferait en sorte de pouvoir apporter une réponse claire à cette interrogation avant l'heure de la séparation. En attendant, il répondit à certaines de ses remarques par des sourires ou par des quelconques signes qui exprimèrent son amusement.  

– Vous a-t-on déjà dis que vous étiez folle à lier ?

Un compliment venant de sa bouche. Et pas des moindres. Ce n’était pas loin d’être une déclaration d’amour en bonne et due forme. Un soupçon de romantisme de sa part aurait suffi à réclamer des fleurs pour la dame. Mais ce serait d’un tel ennui.

– Je pense que vous avez saisi combien j’étais quelqu’un de modeste. Avec cette information en tête, je peux vous assurer que c'est bien de ma langue dont je suis le plus fier.

Un double sens, encore. Toute interprétation était bonne à prendre. Damon jouissait effectivement d’une langue remarquable, en tant que négociateur, que beau-parleur, que séducteur, qu’orateur… et bien davantage. Oui. Il glorifiait son éloquence plus que n’importe quelle autre maitrise, y compris celle des arts martiaux dont c’était son métier. S’il semblait peu probable qu’ils aient vécu les mêmes choses en passant par les joies et les souffrances de tout être ici-bas, il avait l’étrange sentiment de pouvoir la comprendre, éprouvant de la réciprocité en cela.

– Vous auriez tort de vous arrêter à ça. Ma conception de la douceur n’est pas la même que le commun des mortels. Moi-même, il m’arrive d’être aussi doux qu’un agneau.

Pour tromper l’adversaire certes, mais ça comptait comme une qualité éphémère, non ? Vint ensuite le moment où il lui proposa une petite danse. Son rictus s’étendit du côté droit de sa mâchoire lorsqu’elle prétendit ne pas être très douée pour ça.

– Depuis quand a-t-on besoin d’exceller quelque part pour prendre son pied ? Je suis un piètre charmeur, et pourtant, constatez par vous-même, je prends plaisir à essayer. Le résultat n’a que très peu d’importance.

Difficile de concevoir s’il pensait réellement ce qu’il avançait. Un détail insignifiant en l’occurrence tant il avait choisi le premier exemple lui passant par la tête. Une fois une possession de sa main, il tira dans sa direction pour à saisir par les hanches à bras-le-corps.

– Suivez le rythme, laissez vous aller et tout devrait bien se passer. Vous pourriez même prétendre d’une maladresse pour m’écraser le pied, n’est-ce pas alléchant ?

A défaut de pouvoir lui vendre l’activité avec de meilleurs arguments, elle devrait se contenter de ça. De toute façon, elle se réjouirait de cette invitation avant le retentissement de la dernière note. Il ferait tout pour. Par contre, la menace associée à la proximité fit courir un frisson le long de son échine, de quoi le stimuler en conséquence.

– Vous en doutez ? Bien. Dans ce cas, envolez vous avec moi.

D’un coup sec et contrôlé à la fois, il colla son bassin au sien et joignit ses paumes contre ses consœurs pour amorcer le départ. A partir de là, il ne s’agissait pas de bien faire, mais juste de faire. En tendant l’oreille pour distinguer le tempo de la musique, le Drakyn lui montra la voie en la menant sur la piste où d’autres se lancèrent, exaltés par leur conduite. Le dos bien droit, le torse bombé et le menton légèrement redressé, il guida la jeune femme lors des premières notes, relâchant parfois sa prise pour mieux l’agripper de nouveau, mélangeant divers styles et diverses techniques en réponse à son assurance progressive.

– La danse n’est pas si différente de la bagarre sous bien des aspects. Tout est question de respiration, de rythme, de passion, et parfois… de sensualité.

Profitant de sa grande taille et de sa force en conséquence, il cambra le haut de son corps de sorte à la faire basculer en arrière, ne manquant pas de la réceptionner en bon gentleman en plaçant ses mains stratégiquement : l’une au niveau de son dos et l’autre qu'il glissa sous sa jambe. Durant l'opération, son visage approcha dangereusement de celui de la cendrée, sa longue chevelure les dissimulant à la vue de tous. Ils restèrent ainsi suspendus durant une poignée de secondes à se regarder dans le blanc des yeux avant que l’homme ne daigne la relever pour la ramener auprès de lui.

– Alors, suis-je un tant sois peu à la hauteur de vos exigences, Miss langue bien pendue ? Ne dites rien ! Montrez moi.

Elle était libre d’écourter la danse, de la prolonger, ou même de l’amener sur un autre terrain. Il ne demandait qu’à se laisser porter à son tour.