Les Limiers avaient été avertis par les moyens les plus rapides pour prendre en charge le vampire survivant et le ramener au Razkaal. Le déplacement avait été rapide et organisé. Un petit contingent était resté sur place pour aider les officiers locaux à mettre en place le couvre feu et faciliter le travail de l'armée. Dans les froides nuits d'hiver quel habitant un tant soit peu sain d'esprit aurait pris le risque de se retrouver nez à nez avec les masques terrifiants des gardiens de la forteresse noire ?

Parmi ces ombres, une cape sombre doublée de fourrure de loup avait été affectée aux quartiers centraux. Contrairement à nombre de ses confrères aux méthodes brutales, sa réputation en matière d'arrestations en douceur l'avait placée en haut de la liste pour ouvrir l’œil dans la haute ville. C'était là qu'elle avait passé la journée et la nuit suivant le massacre... Du moins c'est ce que diraient les rapports officiels et la caserne avec laquelle elle travaillait, admettant que les manières peu orthodoxes des Limiers la dispensait de se conformer aux règles.

Elle s'était présenté au lieu et à l'heure dite, ça c'était vrai. Elle avait passé la nuit à battre le pavé, ça aussi c'était vrai. Mais la lettre de sa famille avait changée son objectif premier. Elle avait bien plus important à faire que jouer les fantômes masqués pour faire peur à des citoyens moyennement malhonnêtes sur fond de nuit grisâtre. Au vu des relations qu'elle entretenait avec ce cher Odéon, qu'il fasse appelle à elle n'était pas anodin. Seule une crainte sincère des retombés pour leur réputation et pour la sécurité de ses proches avait pu le mener à mettre leurs griefs de côté. Le fait était que Rowena ne l'appréciait pas en tant que personne, mais elle n'aurait jamais remis sa loyauté en cause, surtout pas en temps de crise.

Elle avait donc commencé à flairer les pistes éventuelles en mettant le nez dans les demeures locales des Ironsouls, les contacts de la famille et leurs affaires à Liberty. Elle avait rencontré plus d'un visage vaguement connu cette nuit là, sous couvert de vérifier que tout le monde allait bien et qu'aucun retard ne serait à déplorer. Étant donné l'impitoyable sens des affaires de la matriarche familiale doublé de sa propension à protéger ceux qui lui jurait allégeance, ce geste était plutôt attendu de toute façon. Chacun avait eu le droit à quelques mots d'encouragement, une note sur ce dont il aurait besoin et une entré dans le journal personnelle de la jeune femme qui n'aurait pu retenir tous les noms en une fois. Bien sûr, elle ferait remonter les informations commerciales à qui de droit, mais ses visites avaient surtout un but bien moins avouable.

En buvant beaucoup trop de thé tout au long de la  nuit, elle n'avait pas seulement des visage et des noms, elle avait échangé quelques mots avec les serviteurs au moment de partir, sous un prétexte ou un autre. Et surtout, elle avait goûté de ses sens les êtres magiques de cette petite foule, prenant des notes pour pouvoir les différencier plus tard, au cas où sa mémoire lui jouerait des tours... et à supposer que ses descriptions ne lui en joueraient pas. Elle avait observé les couleurs indicibles des auras et humé les parfums colorés si caractéristique de chaque personne, comme elle avait observé l'aura blême et sanglante du Vampire remmené par ses collègues.

Cela avait duré jusqu'au midi suivant, et ce n'est qu'après un détour par l'hôpital pour parler de l'attaque avec l'un de ses illustres protagonistes qu'elle avait pris du repos. En plus de traquer les traitres de sa famille, la façon dont l'évènement arrivait à bénéficier à la présidente en place et à sa politique militariste lui laissait un goût de mauvais pressentiment pas franchement digeste. Le soir même, les choses sérieuses commençaient donc : Cette fois c'est directement sur la place qu'elle irait renifler de l'indice.

Les nuages bas s'étaient changés en couverture épaisse et pelucheuse, masquant toute trace des étoiles et de la lune. Des trombes d'eau étouffaient le moindre son alentour et gênaient la vue, clapotant en bruit blanc sur le sol pavé. Dans le froid hivernal, chaque goutte glacée cinglait les mains de Rowena, seules partie de son anatomie à être exposée aux éléments. De longues coulures d'eau alourdissaient son épaisse cape de voyage. Le gris sombres du vêtement et ses teintes non homogènes offraient un camouflage nocturne des plus efficaces pour celle qui se déplaçait sans la moindre source de lumière. Sous la capuche, ses yeux entièrement noirs donnaient l'impression d'absorber toute lumière derrière le masque d'acier et d'argent dépoli.

Dans un recoin, elle avait pris le temps de sentir, d'étudier, de différencier les flux et les signatures résiduelles. Il y avait eu tant de magie ici et d'une telle puissance que les fragments restant de cette bataille l'aveuglaient comme un phare. Elle tenta bien de se mettre au diapason du lieu, comme ses professeurs avaient essayé de lui enseigner, mais ce fut une fois de plus peine perdue. Il ne lui restait principalement que son expérience et ses yeux. Heureusement, les deux lui faisaient de moins en moins défaut à chaque jours qui passait et les nuits plus encore.

En tout cas cette nuit là, elle n'était pas la seule à fouiner malgré l'armée et les officiers. Là, une forme sombre avait attirée son attention. Elle l'avait suivi, de loin, jouant de ses artifices et de ses habitudes de Limiers, prêtant attention à ses sens magiques. Par chance, la pluie indiquait facilement dans quel sens était le vent, lui permettant d'éviter au maximum de laisser porter sons ou odeur vers la proie du jour... Jusqu'à ce qu'elle le reconnaisse.

Ce n'était pas la première fois qu'elle voyait cette silhouette. Cela remontait à quelques années et ils n'avaient échangé que deux phrases, mais la rencontre était suffisamment improbable pour qu'elle s'en souvienne. Un sourire appréciateur s'étira sous le masque. Comme ils se retrouvaient... Et que faisait l'un des héros à fureté la nuit ? Sa réputation le précédait mais avec le couvre feu, il risquait de ne pas trouver n'importe quelle chaussure à son pied ce soir. Avait-il un lien ? Une piste ?

Un flash de lumière. Le grondement du tonnerre. Il s'était arrêté devant une maison sans âme dans une rue tristement laide. Toute sa concentration sur la scène qui avait lieu sous ses yeux, elle l'inspecta magiquement dans l'espoir de repérer quelque chose de moins commun que ce que ses yeux percevaient en temps normal. Puis, profitant de cet arrêt, Rowena tenta de se rapprocher aussi discrètement que possible. Si Sagittarius savait quelque chose, il était hors de question de perdre cette piste.

La voix battue par le vent ne fait pas descendre le Limier de son perchoir. Les yeux entièrement noirs derrière son masque de métal constitué de lames mouvantes gommant un quelconque trait, sont fixés sur la demeure. Rien. Pas de Lumière. Pas de mouvement. Pas de magie. Pas plus que dans la rue. A côté, Sagittarius brille d'une lueur neutre et constante, les sens aux aguets et la magie coulant à flot autour de lui. L'aura qu'il propageait n'allant pas encore tout à fait jusqu'à elle, mais il cherchait activement. Les fenêtres de la bicoques sont, elles, tout à fait obscure, volets ou non. Abandonnée ?

La flèche qui se fiche dans le faîte du toit derrière lequel elle était accroupis ramène celle que les gardes surnommaient la Banshee, au moment présent. Il n'est pas patient, et ce n'est pas anormal étant donné la situation. Avant de se lever et de risquer une flèche dans le genou, la voix étrangement mélodieuse au rythme fluide comme l'eau claire s'élève à travers la pluie. Douce et paisible, elle n'en est pas moins parfaitement audible à travers le gros temps, semblant sauter de goute en goute plutôt que d'être écrasée par leur nombre.

- Je doute que vous vous souveniez de moi, Sagittarius, mais si le héros que vous êtes devenu n'a rien à voir avec le massacre d'hier, vous n'avez rien à craindre.

Puis elle se redressa, passant le faîte doigts écartés, prête à utiliser la pluie autour d'elle pour se défendre. La balle était dans son camp. Allait-il tout de même tirer ?  Derrière son masque imprégné d'une magie protectrice, son visage était neutre et attentif. Basse sur ses appuis, elles approchait du bord du toit. S'il ne lui trouait pas la peau de suite, elle pourrait redescendre dans la rue en trouvant des prises sur le mur, aidées par sa maîtrise de l'eau qui lui permettait d'adhérer plus facilement à la pierre et au bois. Sautant du dernier mètre, ses deux pieds sur le pavé boueux, elle observait le masque sous la capuche, les mains toujours vide d'armes.

- Je vais faire un pari et avancer que vous êtes passé sur la place pour chercher des pistes à côté desquelles les autorité sont passées. C'est aussi mon cas

Inutile de se présenter. Soit il se souvenait de la Banshee qu'il avait rencontrée en pleine traque, soit il lui poserait la question le moment venu. La silhouette mouvante aux cheveux blancs s'approcha prudemment. Elle ne faisait pas confiance à un homme qui se plaisait à agir en dehors des lois. Il était bien trop facile de déraper et de passer de justicier à meurtrier... Si ce n'était pas déjà le cas loin des yeux de la foule. Mais pour l'heure, elle aurait été prête à s'associer avec le plus louche des assassins professionnels si ça avait pu faire avancer son enquête.

- Je ne laisserai pas tomber cette piste. La seule question que j'ai à vous poser est donc très simple. Est-ce que nous faisons cause commune ?

Elle garde le silence lorsque l'homme masqué cherche à imposer son contrôle sur la situation. Ce n'est pas le moment ni l'endroit pour les guerres d'égos et les mots du garçon n'engagent que lui. Elle ne lui a proposé qu'un cessé le feu mais elle ne se laissera pas gêner, gardant un œil sur lui tandis qu'ils pénètrent dans la première pièce juste après avoir enrouler sa corde de soie gorgée d'eau autour de son avant bras gauche, prête à l'emploi.

La porte vibre de magie. Une magie puissante à l'odeur répugnante... Mais il n'y a pas que la magie qui embaume l'air de relents âcres une fois le seuil passé. Le chant de la pluie redevient un murmure qui frissonne sur les murs et se rappelle plus franchement par le battant ouvert, mais l’abri de la bicoque est bienvenu. Le plancher proteste un peu lorsque la jeune femme suit le mur du bout des doigts, dos en direction de la paroi pour inspecter la pièce. Sa paume contre le crépis cherche l'étrange présence potentielle d'une fusion élémentaire.

Rowena baisse immédiatement sa capuche, libérant une tresse de cheveux blancs sous le masque complet conçu pour limiter le moins possible ses sens. Suspicieuse, elle tend l'oreille et étire ses perceptions éthérées pour s'assurer qu'aucune créature vivante n'est à proximité. Rompue à ce genre de traque, elle note par réflexe les points d'accès : fenêtres, portes, escaliers, morceaux du sol pouvant abriter une trappe.

A l'ombre du métal qui lui couver le visage, les deux billes noires qui lui servent d'yeux parcourent l'endroit comme en plein jour. La teinte bleue qui sature sa vision appauvrie les couleurs dévoilées par le soleil tout en en dévoilant d'autres aux reflets opalins et lunaires indescriptible dans la langue commune. Il n'y a rien de notable d'abord. Un peu de poussière. Et là, une patate gisant pitoyablement sur le sol, seule témoin des hideuses préparations qui s'étaient peut-être déroulées ici.

Puis, elle se trouve attirée par une forme avachie contre le mur du fond. Une silhouette. Une personne.

- Un cadavre. " prévient-elle de façon laconique, laissant son camarade se débrouiller pour éviter de glisser sur la pauvre pomme de terre abandonnée. Après tout, il porte un masque plein et n'avait aucune source de lumière pour faire ses acrobaties dehors, alors il doit bien avoir une façon de voir ce qui l'entoure.

En quelques enjambées, Rowena s'approche de la dépouille. A présent elle peut en être sûre, l’atmosphère répugnante n'était pas uniquement due à une magie de mort, mais à la Mort elle-même. Dégainant un kukri d'acier veiné d'argent, elle se préparait à se défendre si jamais cette carcasse n'était pas si inerte que ça. N'hésitant pas à toucher la chaire morte, si aucune rage mortifère ne se déversait sur elle, elle confirait son dos au vigilant encapuchonné pour inspecter le pauvre erre laissé là cherchant les causes de sa mort et d'éventuelles traces de signature magie, aussi bien qu'une identité.

Une épée surgie juste au-dessus de l'épaule de la jeune femme pour s'enfoncer dans la bouche ouverte de la créature. L'éclat du métal et sa froideur frôlent sa joue avec une précision d’orfèvre. Le kukri qu'elle tient se lève avec une fraction de retard. Au moment ou Sagittarius le repousse d'un coup sec, libérant sa lame, celle de la Limier s'abat en un mouvement ample, finissant de couper net la nuque déjà largement fendue. Les soubresauts s'arrêtent, tout comme les grognements. Rowena a bougé rapidement, s'écartant d'un pas pour garder le justicier et le zombi en visuel, basse sur ses appuis et en position de garde, lame dans une main, corde dans l'autre.

La lame de l'homme masqué est passé bien trop près de sa gorge à son goût et il lui faut quelques secondes pour que la raison reprenne le pas sur les instincts. La respiration maîtrisée, elle se redresse et hoche la tête en signe de remerciement. Le coup n'était pas pour elle...

- Une puissante aura de mort s'est imprégnée ici. La création de cette créature n'est peut-être pas intentionnelle. Parfois il suffit d'un environnement propice.

Ce n'était pas nécessairement plus rassurant parce que cela voulait dire que toute créature morte alentour pouvait se révéler très agressif et s'il s'agissait de bestioles comme des rats, ils pouvaient aussi bien se trouver à l'épicentre du début d'une épidémie... Liberty n'avait pas besoin de ça. Attentive à la magie qu'elle peut peut-être encore ressentir dans le cadavre, la jeune femme range cette fois sa machette sinueuse pour s'agenouiller précautionneusement à côté des restes et les examiner avec attention, prête à utiliser sa corde pour l'immobiliser si cela devenait nécessaire pour le fouiller et tenter de découvrir la moindre babiole personnelle, la moindre marque sur sa peau qui leur donnerait une indication sur son identité et son rôle à jouer dans tout ça. Des marques de dents, des dés, une tâche de naissance, une signature magique, un reste d'aura, n'importe quoi... Même si elle suspectait fortement qu'il n'était que le propriétaire malchanceux de cette maison.

Une fois la fouille scrupuleusement effectuée sans qu'elle ne montre le moindre dégoût envers ce cadavre vieux de plusieurs jours et sauvagement mutilé, elle se dirige vers un accès qui ne semble pas couvert par Sagittatirus.

- Vu le hurlement du zombi, rester silencieux ne sert plus a rien. Communiquez au moins avant de franchir chaque porte et si vous trouvez quelque chose d'inattendu. Restons à porté de voix.

Avec un respect surprenant compte tenu de la violence qui venait de se déchainer ici, la femme masquée avait posé un genou en terre près du cadavre en deux morceaux. D'une main, elle avait fait sauter le bouchon de l'outre qui pendait à sa ceinture pour se mouiller les doigts, quelques goutes roulant juste qu'à tomber sur le plancher. Du bout de son doigt, elle traça sur la lèvre supérieure de la têtes tranchée un étrange symbole circulaire, le recommandant à l'Absolue Lumière du Soleil en quelques murmures d'une langue inconnue aux rythmes syncopés, étrangement chantant.

Peu importe ce qu'il avait fait de son vivant, personne ne méritait d'être traité avec indignité dans la mort, surtout après avoir subit une épreuve aussi terrible que la nécromancie. Le geste n'avait pris qu'un instant pendant que Sagittarius se concentrait sur les environs.

- Part tranquille, ami. " souffla-t-elle tout bas tout en commençant à le dévêtir, glissant ses mains contre la peau flasque et froide dans laquelle la rigidité particulière de la mort était à peine perceptible. Pas bien gros, la seule chose que la jeune femme trouva fut un épais carnet couvert de notes compactes... Et elle n'avait pas le temps de le parcourir intégralement. Se contentant de chercher un titre ou un vague sujet pour estimer s'il s'agissait plus d'un journal, d'un grimoire ou d'un livre de compte, elle le glissa sous son plastron, sentant les arrêtes de l'ouvrage contre sa peau à travers sa chemise de corps.

Car, trop de fois, Rowena s'était retrouvée prise à revers par un danger mal identifier. Lorsque le vengeur s'était précipité en haut des escaliers, elle avait préféré sauté vers la porte de l'autre salle au rez-de-chaussée pour prévenir toute arrivée intempestive d'un ennemis dans leur dos. Regarder l'intérieur de la pièce ne pris qu'un instant. Une cuisine banale et obscure sans la moindre trace de chaleur ou de parfum agréable dans cette atmosphère macabre. Elle n'en franchit même pas le seuil, notant qu'ils pourraient y revenir plus en détail, et sauta à son tour vers l'escalier, quelques secondes après son comparse.

Il était déjà au premier lorsqu'une marche plia dangereusement sous le pas de la jeune femme, manquant de la faire trébucher, mais l'espiègle tint finalement bon. Sa machette en croissant de lune toujours à la main, la Banshee déboula à son tour sur le palier, prête à prêter main forte, que ce soit de la main ou de la magie, pour sauver ou tuer.