Redonner confiance aux républicains
La République entière a été ébranlée hier lorsque les nouvelles d'un attentat d'une envergure sans précédant se sont répandues. Ça avait vite jasé, les mauvaises voyageant rapidement, jusqu'à mon bureau. Une secrétaire agréable dont j'avais oublié le nom m'annonça en offrant des caresses à un des nombreux corpins gambadant autour, tandis que j'ouvrais une lettre. La loupe, fin ouvrage d'un bon artisan m'aide à déchiffrer son contenu sans m'en approcher. Pourtant, confortablement au fond de mon luxueux siège, ce n'est pas les mots écrits qui m'interpellent, mais ceux de la secrétaire.
- « Madame, avez-vous ouï dire des évènements d'hier ? »
Je lève mes yeux du papier inintéressant d'un partenaire commercial. Un air interrogateur qui la somme de déballer son histoire au plus vite. Si je suis en avance sur mes tâches, ce n'est pas pour prendre des moments agréables de papotage avec une secrétaire dont j'apprécie simplement l'attitude polie. Sans plus de cérémonie elle finit par accoucher de son récit, me rendant le journal lui ayant donné les nouvelles. Lors du grand débat dans lequel j'avais perdu intérêt... Tant de morts...? Qu'ont fait les soldats... Nul doute que cela va impacter grandement l'opinion publique sur des sujets variés. Il faudra que j'en fasse part aux autres directeurs, ajuster la tendance de nos produits pourrait être utile. S'assurer que nos lignes de transports sont fiables aussi... Je me frotte les bras du tissu de soie ample qui couvre mes épaules, un courant d'air m'arrachant un frisson. Tout de même... Et les victimes ? Cela doit être terrible à vivre... Tout d'abord le changement soudain dans la panique quand il y a les premiers morts, la terreur qui s'installe, les cris et l'agitation ambiante. Peut-être que certains ont vu des proches mourir. Les romans et légendes n'ont jamais manqué de ces détails guerriers et bruts. C'est... Troublant. Touchant. Sans être directement dans cette situation, savoir que plus d'une bi-centaine de personnes sont mortes dans le centre de cette ville, hier... J'utilise ma magie par habitude pour mélanger le contenu de ma tasse, un thé léger. Le sucre se dissout et je le bois d'une traite. Les corpins, mes "chouchous" comme j'aime à les surnommer, se sont rassemblés autour du siège, à mes pieds, et même un sur mes genoux, qui quémande mes caresses. De pures créatures qui ne veulent que le bien des autres... Ils veulent me rassurer.
Deux semaines plus tard.
La situation s'est calmée, des discours ont été prononcés. Il me semble qu'il y a eu une récompense pour les "braves" qui se sont rendus utiles au combat. Mes pensées aux victimes, des personnes voulant participer à notre belle République, à travers l'occasion qu'était le débat. Puis je suis intriguée. Et enfin, je ne peux m'empêcher de penser que mon don aurait dû servir. De longues études auprès de maîtres excellents dans la magie, tout ça pour être dans mon bureau. Mon esprit se retrouve occupé par ces fleurs piquantes que sont l'inquiétude et la culpabilité. Pas besoin d'utiliser la magie pour comprendre. Le seul moyen de me rassurer est de suivre mon cœur. Deux cent ans de vie m'auront enseigné ça. À ce même bureau auquel je suis habituée, en bois massif, taillé et arborant de fin relief, j'appelle une de mes deux assistantes en poste. Les mots coulent d'une voix qu'on a souvent complimenté.
- «J'ai fini de traiter toutes les tâches urgentes, les réponses aux cadres sont rédigées. Toutes les notes ont été transmises. Les éventuels problèmes que vous pourrez rencontrer sont tous compilés sur ce dossier au coin de mon bureau. J'y ai inscrit tous les points importants et à qui confier ces éventuelles tâches. Tu laisseras monsieur Timmel accéder à mon bureau pour la durée de mon absence. »
Déjà couverte d'une robe noire légère ainsi que d'une veste de soie, je me lève du siège. Prenant le corpin tâcheté qui reposais sur mes genoux dans mes bras. J'enfile un long manteau avec de la fourrure de griffon, récoltée après l'hiver. Sans plus de mots, ce serait inutile, je file en dehors de la pièce. J'ai bien vu récemment l'horreur qu'on peut ressentir lorsqu'on est attaquée dans le lieu sensé être le plus sûr, auprès de ses proches, et qu'on voit la mort. C'est dur. Si c'est arrivé à d'autres... Même s'il s'agit d'autres personnes... Indignes d'attention parfois, je vais tenter d'aider et comprendre. Au moins écouter les indignés, et ceux qui craignent. C'est souvent aux inconnus qu'il est le plus facile de confier ses critiques.
Direction l'hôpital. C'est le premier endroit où je pourrais me rendre utile, ma maîtrise de l'eau et les capacités de soin pour lesquelles j'ai tant travaillé peuvent servir. Accéder aux chambres pour faire mon possible ne devrait pas être compliqué, il suffira de démontrer mes capacités, ou de mentir un peu.
Une fois arrivée, je vais à l'accueil. Je le sais, le double du nombre de mort sont des blessés. Pourtant, la surprise reste intacte lorsque je me rend compte de la situation réelle. Rien qu'à l'entrée de l'hôpital, c'est agité, certains veulent voir leurs proches, d'autres repartent déjà, offrant à ma vue des embrassades. Je me faufile tandis que le personnel est occupé, observant les chambres au passage. Divers blessés. On voit que deux semaines ont passé, la panique a dû prendre ces couloirs lors de l'arrivée des blessés. Ont-ils tous été traités avec des premiers soins avant d'être amenés ? Leurs concitoyens ont-ils prêté main forte ? C'est bien la République que je connais...? La nation la plus riche, rassemblant des connaissances magiques faisant sa renommée internationale ? L'accueil est bien assuré, certes. Le bâtiment est assez grand. En revanche... Les blessés... Je détourne le regard en passant devant un homme qui demande de l'aide. Ses supplications autant que son visage... C'est une douche froide, glaçante. On le laisse ici...? La dernière fois que j'ai vu quelque chose d'aussi choquant, c'était il y a plus d'un siècle, après que deux élèves magiciens se soient battus à l'aide de leurs éléments. Les deux avaient fini exclus, en plus de porter les marques de leur bêtise. Seulement l'inconnu n'a rien demandé... Il s'agissait peut-être même d'un innocent patriote venu assister à un évènement important pour son pays. Je souffle en observant le sol. Non, je ne peux pas l'ignorer. Reprends toi Yuria ! Tu vas être utile aux autres, en tant que citoyenne de la République, de la nation que tu aimes ! Hésitations s'envolent et je me tourne vers lui, un gentil sourire forcé aux lèvres tandis que je pose mon corpin à mes pieds.
- «Vous êtes sérieusement blessé... On vous a nettoyé je suppose ? Allongez vous, je vais aider. »
Je retire mes gants et m'approche tandis que j'écoute. Sa vie n'est pas en jeu, mais la blessure n'est vraiment pas jolie. En fait, on l'a sûrement laissé pour s'occuper d'autres cas. C'est horrible... Le bandage enroulé est imbibé d'un liquide jaunâtre, manquant de me faire grimacer. La chair cependant montre des signes d'une mauvaise situation. Il n'y a pas besoin d'être médecin pour savoir qu'il faut changer ses bandages. En fait, c'est déjà prêt non loin du lit. Je défais le bandage, pas le moins du monde concernée par la nudité de l'individu, mais plus choquée par la chair suintante qui se découvre. La blessure semble être très désagréable, le visage en face de moi parle sans mots. Peut-être que le contact de l'air ou le moindre courant intensifie la douleur ? Je n'ai jamais ressenti ça... Mais on me l'a raconté. Je fais léviter l'eau du seau à côté des bandages propres pour l'apposer sur son torse et dos, brûlés.
- « Je n'ai entendu que des nouvelles du journal, comment c'était ? »
La question est peut-être indélicate. Mais sans savoir, je ne peux pas aider l'humain d'une quarantaine d'années. Plutôt que de m'occuper de mon apparence qui me démarque clairement du reste, et qui risquerait de me valoir des questions ou de l'attention non voulue, je me concentre sur la situation du pauvre homme.
Quelques temps après avoir déposé l'eau, celle-ci prend un léger éclat. Et la chair se referme. J'observe le phénomène, remarquant comme sur les différentes créatures que j'ai pu aider ou sauver, la reconstitution des tissus. La masse rougeâtre, bien en dessous de la surface cutanée, se recrée et les nombreuses cavités minuscules se ferment. La peau sombre vient ensuite tout doucement recouvrir la surface rose. le contraste est choquant, une peau nouvelle, douce, vierge des coups du soleil et de l'usure des tâches, attachée, tirée, à une peau qui subit déjà quelques effets des années, avec des tâches, rides occasionnelles. La grande tâche plus claire forme un ensemble surprenant. Ce qu'on nomme une cicatrice. Il vaut mieux ça que la chair menaçant de s'infecter à tout moment. Je fixe le liquide que j'ai manié à nouveau jusqu'au seau. Le soin à l'aide de l'eau. C'est une magie que j'ai initialement appris pour soigner mes animaux...
La chambre est spacieuse, plusieurs personnes sont à l'intérieur, la porte est ouverte et on entend les passages à l'extérieur.