Vingt mars de l'an 1:

À nouvelle journée, nouvelle mission ! C’est le proverbe que j’ai créé depuis que le Cœur a compris qu’il pouvait compter sur moi. Je suis en quelque sorte devenu son bras droit. C’est bien simple, à chaque fois qu’une mission délicate se présente, elle est pour ma pomme.

Il faut dire que je souhaite le succéder, mon supérieur partant bientôt à la retraite. Je suis un Reys, quelques-uns de mes plus illustres ancêtres ont occupé ce poste et je compte bien en faire de même. Mais pour cela, je dois me démarquer des autres contrôleurs Royaux. Et c’est pile pour remplir cet objectif que je suis aujourd’hui dans son bureau pour écouter la réunion préparatoire de ma nouvelle mission.

Cette dernière est assez simple, un noble de la famille Ripouri a semble-t-il, fait faillite et je dois aller le voir pour vérifier si c’est exact. D’habitude, on attend que celui-ci se déclare en banqueroute pour intervenir, mais ce dossier est plutôt délicat, il s’agit d’un marchand d’arme et personne ne voudrait que sa marchandise ne se retrouve dans la nature.

J’acquiesce pour montrer mon accord et c’est donc avec un solide dossier que je pars dans la demeure du noble, une grande maison entourée d’un mur haut de trois mètres, des gardes à chaque entrée et sorties, bref, la sécurité est bonne, voire même très bonne. Je me présente à la grille d’entrée et après avoir patienté une bonne heure, on me laisse finalement entrer. Du moins, jusqu’à la porte où je dois à nouveau patienter une heure.

J’ai l’impression que l’on fait tout pour me décourager, mais je suis rompu à l’exercice et je ne me laisse pas démonter, utilisant ma fonction pour qu’enfin, on me laisse passer. C’est lorsqu’un serviteur m’accompagne jusqu’au bureau du maître des lieux, me demandant encore d’attendre, que je lui dis d’une voix forte :

C’est hors de question, j’entre maintenant !

J’ouvre donc la porte d’un air décidé, le domestique restant sur place comme pétrifié par ma témérité.

La porte se referme derrière moi, surement car ce qui va se dire maintenant ne concerne en rien les esclaves de la maisonnée. Je vois immédiatement un homme, un drakyns, plus grand que moi comme tous les représentant de son espèce et sûrement deux fois plus lourd.

Avec ses cornes noires, sa musculature et surtout la cicatrice qui lui parcourt le visage, il est assez impressionnant. D’ailleurs, il m’apostrophe de façon extrêmement dure et sur une autre personne, plus impressionnable que moi, cela aurait pu marcher, mais je suis en position de force et surtout bien énervé, alors je lui réponds sans me démonter :

Comme si vous ne le saviez pas, vous m’avez fait attendre deux heures à l’extérieur et vous vous apprêtiez à faire la même chose encore une fois !

Il m’indique que je suis devant la bonne personne, ce qui est complètement inutile, si le serviteur m’a conduit à cet endroit, c’est bien parce qu’il est le maître de maison, alors je lui indique en soupirant :

Je suis Tagar Reys, contrôleur Royal, vous avez été averti de ma visite il y a maintenant des heures de cela. Je sais bien que ma venue ne vous enchante pas, mais nous devons parler maintenant. Si cela ne vous convient pas, je ferai immédiatement appeler les gardes de la ville et nous discuterons dans mon bureau, au Palais, mais tout le monde connaîtra alors vos difficultés, que choisissez-vous ?

Je le laisse me répondre. Bien sûr, c’est du bluff, le Cœur m’a demandé de régler l’affaire sans l’ébruiter, mais mon interlocuteur, ne le sait pas. En attendant qu’il réfléchisse, je regarde derrière moi et je comprends pourquoi il n’avait pas le temps de me recevoir, une charmante jeune femme est également présente et je lui fais un grand sourire et une légère révérence.

Finalement, l’homme qui me fait face semble avoir mis de l’eau dans son vin, car il m’invite à travailler dans son bureau. Je suis soulagé de son changement d’humeur, même si je ne comprends pas son commentaire sur la fraîcheur. Mais il faut dire que je supporte bien la chaleur, ce qui n’est peut-être pas le cas du maître des lieux.

Il me parle ensuite de la femme, qui a refermé la porte derrière moi. Elle est jolie, vraiment très jolie, plus je la vois, plus je trouve la demoiselle charmante. Il semble qu’elle ai de multiples qualités et je lui dit, rougissant légèrement :

Enchanté de vous connaître, j’aurais plaisir à vous retrouver dans un cadre moins officiel.

Bien sûr, je n’ai pas le temps pour la bagatelle, étant en mission, mais je suis célibataire et il n’y a rien de mal à faire de nouvelles connaissances. Il fait ensuite avancer une chaise et je souris une nouvelle fois à la jeune femme avant de la bouger légèrement, pour maintenir le bureau entre le Drakyns et moi. Je lui donne également ma veste noire brodée d’argent pour être plus à l’aise et j’entre dans le vif du sujet :

Je suis présent à la demande du Cœur, car un de mes collègues nous a informé que vous avez fait faillite. J’ai donc besoin du livre de comptes que vous avez sur votre bureau.

Je lui montre le lourd bouquin qui se trouve à sa gauche, lui précisant :

Je sais qu’il ne s’agit pas d’une situation agréable. Personne n’aime être en banqueroute et devenir esclave pour rembourser ses dettes. Toutefois, vous êtes marchand d’arme et aucun être sain d’esprit ne voudraient que vos marchandises ne soit dispersé dans la nature, ce serait le Chaos. C’est pourquoi je suis là, pour vérifier l’état de vos finances et que l’on puisse, ensemble, trouver une solution qui soit la moins dommageable, à la fois pour vous et pour le Royaume.

Mon interlocuteur me parle de prendre des risques, mais je doute qu’il comprenne dans quel pétrin il s’est fourré. Je ne réponds pas pour ne pas envenimer la situation. Je reçois de la secrétaire, qui elle semble bien plus au courant du côté finance des choses, le livre de compte et je commence à le compulser rapidement, tout en écoutant ce que me dit le maître des lieux.

J’apprends ainsi qu’il a trouvé des acheteurs pour sa marchandise, ce qui est une bonne chose. Toutefois, plus je lis, plus mes sourcils se froncent, car il est trop optimiste, beaucoup trop optimiste. C’est pourquoi je lui dis tout à fait sérieusement :

Désolé, mais c’est trop tard. Même si je suis soulagé que vous ayez trouvé des clients, vous n’avez plus les fonds nécessaires pour rembourser toutes vos dettes. Toutefois, à condition de vendre une bonne partie de vos biens, vous devriez garder un petit capital et surtout votre liberté.

Je lui montre les différents points dans le livre de compte, pour étayer ce que je viens de dire. C’est malheureusement pour lui, la sinistre vérité. Il a pris trop de risque et contracté trop de dettes. Je peux donc lui annoncer :

Je ferais venir demain un liquidateur judiciaire demain pour mettre les choses en ordre. Je me permets de vous prodiguer un simple conseil, ne le faites pas attendre autant que moi, il risque de très mal le prendre.

Je le regarde ensuite droit dans les yeux et lui indique :

Nous sommes au Reike et le Royaume passe toujours avant les affaires, surtout lorsqu’il s’agit d’arme. Mais je ne doute pas que vous allez retomber sur vos pieds.

Je souris ensuite à la jeune femme, puis je tourne vers le Drakyns :

Vous avez de la chance d’avoir des gens compétents.

Le Drakyns me parle de la vente de ses biens comme si ce n’était pas grand-chose. La plupart des gens ont du mal à se séparer des choses que leurs familles ont accumulés pendant des siècles, mais mon interlocuteur ne semble guère faire preuve de sentimentalisme, je lui réponds donc en souriant :

C’est un très bon état d’esprit. Vous avez quelques propriétés qui pourraient éponger vos dettes. Votre bâtisse actuelle en fait partie, mais vous disposez d’une autre maison, plus modeste dans la capitale.

Il me demande ensuite quand le liquidateur judiciaire va venir et je lui indique :

Je n’en sais absolument rien, il ne fait pas partie de mes agents.

Alors que je pensais le noble satisfait, il commence à dire des bêtises plus grosses que lui sur le Roi, et même si je suis secrètement d’accord avec lui, je ne peux pas laisser passer cela. Alors que j’allais lui répondre d’une manière plus que virulente, la jolie secrétaire met la main sur mon épaule, ce qui me calme, pas complètement, mais un peu. Je me contente donc de répondre au jeune homme :

Faîtes attention à vos paroles, insulter le Roi en prétendant qu’il ne protège pas sa population est extrêmement dangereux.

Il est quand même bien dans le brun et il continu à s’enfoncer. Il va finir submergé avant d’avoir pu réagir. Quand il me demande si j’ai un autre sujet à lui dire, je lui indique simplement, d’un ton froid :

Oui, gardez votre livre de compte sur votre bureau, vous allez en avoir besoin. Et je vous conseille de garder cette jeune femme près de vous, elle semble savoir ce qu’il faut dire, entre gens civilisé.

Clairement, il ne mérite pas une beauté pareille. Elle est superbe, intelligente, calme et elle a un petit côté inaccessible qui n’est pas pour me déplaire, d’ailleurs, je lui souris à nouveau.

Mon interlocuteur ne semble par avoir saisi la dangerosité de ses paroles. Elles sont vraiment dangereuses et risque de lui porter beaucoup de tort. Surtout qu’il parle à mots couverts d’assassinat du Roi. C’est une option que j’avais déjà envisagé, mais qui risque de tourner à une nouvelle guerre civile. Je pense que celle-ci, le Royaume pourrait la gagner, mais nous serons alors une proie facile pour le Shoumei ou la République.

Bref, ce n’est pas aussi simple que le pense le Drakyns et je ne lui réponds. L’abîme entre nous est trop grand et vu comment il se confie au premier venu, je ne peux rien lui dire sur la Rebellion, dont je fais partie.

Je suis sorti de mes pensées par des paroles particulièrement violentes envers sa secrétaire, qui s’est pourtant comporté de manière exemplaire jusque-là. Cette dernière, les larmes aux yeux, continue portant son rôle d’employé et me tend ma veste. Je la récupère en lui souriant, sincèrement peiné pour elle et il me vient une idée, je demande donc au noble :

Etes-vous sérieux ? Si vous en n’avez plus l’utilité, je suis prêt à vous racheter votre employé. Si elle est une esclave, je prendrai son contrat à ma charge. Si c’est une femme libre, les indemnités du contrat.

Après tout, j’ai toujours besoin de personnel compétent pour mon travail. Je commence petit à petit à faire recruter par le Palais des agents qui sont à ma botte pour pouvoir briguer le poste du Cœur et ce sera une pièce supplémentaire sur mon échiquier.

J’attend donc, toujours assis, ma veste dans mes mains, la réponse de l’homme qui me fais face, espérant qu’elle sera positive. Si c’est le cas, je reviendrais dans la journée avec l’argent nécessaire et nous pourrons ainsi signer les différents documents, car autant battre le fer, tant qu’il est chaud.

Après avoir de nouveau insulter son employée, ou plutôt sa future ex-employée, il me confirme qu’il s’en sépare. Cette dernière m’en ai bien sûre reconnaissante et m’indique qu’elle est prête à partir le plus vite possible. Comme tout le monde semble être d’accord, je leur indique :

C’est parfait, je reviendrais demain avec le liquidateur judiciaire, nous serons accompagnés d’un mage pour la vérification habituelle des tatouages.

Je m’adresse ensuite à la jeune femme :

Une fois, ceci fait, nous pourrons passer chez le tatoueur, puis au Palais. Après vérification de vos antécédents, je vous trouverais une place au service du Cœur pour que vous puissiez continuer à vivre votre vie.

Voilà, je pense avoir tout dit et je suis très content d’avoir une nouvelle personne dans mon équipe. Après ce qu’il vient de se passer, je ne doute pas qu’elle me sera extrêmement loyale. Je me tourne ensuite vers le maître des lieux pour lui dire :

Comme je vous l’ai déjà dit, vous aurez besoin de votre livre de compte. Il nous faudra également la preuve de la vente de vos armes.

Je vois qu’il n’a pas son sceau à son doigt et je l’informe :

Votre sceau servira également pour certains documents, vous devrez l’avoir sur vous.

Ce serait quand même ballot que tout soit annulé à cause d’un objet aussi petit. Je me lève, remets ma veste et je dis au Drakyns :

Je pense que nous en avons fini, si vous avez d’autres questions, nous pourrons en discuter demain, mais je crois que nous en avons fait le tour.

J’avoue que ce personnage, que je trouvais plutôt sympathique au début, commence à taper sur le système. Il n’arrête pas d’insulter cette pauvre jeune femme qui est, selon toute vraisemblance, complètement traumatisé. Comme quoi, il ne faut pas se fier à sa première impression.

Je quitte donc les lieux et je rentre au Palais, faire mon rapport et prévenir le liquidateur judiciaire. Celui-ci n’est disponible que, demain après-midi, et je continue à travailler d’arrache-pied, pour préparer tous les documents, qui seront à signer par le noble de la famille Ripouri. Je suis assez content de moi, j’ai réussi à lui faire entendre raison et tout devrait bien se passer.

Je m’endors donc avec la satisfaction du travail bien fait et je me lève tôt. J’arrive donc à mon bureau tôt et à quatorze heures, tout est prêt. Nous partons ensemble, accompagnées de deux soldats, qui seront chargés d’arrêter le débiteur si celui-ci a changé d’avis, mais je suis sûr que c’est une précaution superflue.

J’arrive donc devant la demeure et cette fois-ci, je suis reçu immédiatement comme je l’avais demandé. Les serviteurs m’indiquent que cela fait longtemps qu’ils n’ont pas vu leur maître et que celui-ci est toujours dans la pièce où il m’a reçu la veille, ce qui est bien étrange. Je rentre donc dans la pièce, accompagné d’un serviteur et je vois immédiatement un cadavre, sauvagement assassiné !

Le domestique m’indique alors qu’il s’agit bien du maître des lieux, mais celui-ci ne ressemble en rien au Drakyn d’hier, j’ai été abusé ! C’est incroyable, on ne peut faire confiance à personne de nos jours. Charlotte est toujours là et je comprends qu’elle a été trompée également par ce vil personnage. Tout cela est vraiment navrant, mais nous avons une mission à accomplir et après avoir prévenu la milice, nous mettons tout en place pour faire le transfert des différents bien et des armes.

C’est donc après une journée chargé que je conduis la jeune femme au Plais ou son tatouage est vérifié et l’enquête de moralité est rondement mené. Elle s'appelle vraiment Charlotte Leviathan, elle est la fille d'une professeure et d'un marchand, elle a un frère porté disparu depuis des années, et elle n'a jamais commis aucun crime (des petits larcins de pickpocket parfois, mais rien de très grave en somme) et elle traîne avec des gens bien vus dans le Royaume.

Je lui offre un travail de secrétaire dans mon service, car cela fait du bien de pouvoir compter sur des gens qui sont exactement ce qu’ils sont censés être.