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Anonymous
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A la recherche du Batman
Feat. Mirari


C'était une nuit bleue, pleine de spectres et de brouillard. Les crevures d'une lune gibbeuse renvoyait à grand-peine la silhouette monstrueuse des chiens. On les voyait se déplacer, comme des maisons en mouvement, dans les ruelles noires du quartier. Tous les soirs, ou presque, depuis plusieurs semaines, ils arrivaient. Et tous les soirs, le bilan des morts augmentait. Au début, ç'avait été les enfants. Ils disparaissaient, en ne laissant derrière eux que des bouts de chemise déchirés. Puis, on avait barricadé les maisons. Alors, ç'avait été les parents, puis les soldats. Peu importe quelle place occupait ces monstres dans les bestiaires d'érudits, certains toisaient, plus hauts que les faîtes des bâtiments. D'autres pesaient lourd comme un cheval, et leurs gueules réduisaient les armures en trognon de fer.

Le pire restait de les voir, silencieux. Trois mètres au garrot, longs comme deux charriotes, mises bout à bout, leurs pas ne faisaient, pourtant, presque aucun bruit. Parce qu'ils étaient des chasseurs, avant tout; et qu'ils avaient trouvé un superbe terrain. Il y avait dans leur posture, dans leur gestuelle, une prédation vieille comme la nuit des temps. Leurs yeux jaunes, déments, se collaient aux fenêtres mortes en quête de proie. Quelquefois, leurs museaux s'essayaient à passer au travers...
C'est dans ces moments que Nick Van Owen les attaquait.

Nick Van Owen avait servi quinze ans dans l'armée, au service des Draknys. Il avait raccroché, quand ses souverains étaient morts, et que leur criminel s'était permis d'usurper le trône. En échange de ses loyaux services, on lui avait offert une petite bicoque, déchaussée, dans la partie sud de la ville. Tout s'était à peu près bien passé, jusqu'à ce que cette meute de cerbères vienne leur rendre visite. Il en avait tué quelques-uns, en tranchant la carotide de leur tête principale. Mais celui-ci était particulièrement gros. Des cuisses larges comme des piliers de clôture, une poitrine en écusson, qui obombrait ceux qui l'approchaient, et trois énormes gueules gluantes de rage. Nick l'avait déjà vu dévorer Teddy, l'un des gardes,  comme un vulgaire en-cas. Son armure avait pété dans un sifflement, un rivet avait volé sur dix mètres, et le reste de la viande avait été chié deux jours plus tard, au pied des remparts. Il paraissait invincible, mais le guerrier savait que s'il visait juste...

Planqué à l'ombre d'une maison, un bruit arracha son attention. Le quartier était grand, et le cerbère n'était pas seul. L'avait-on repéré... ? Son arbalète en main, il s'approcha, précautionneusement, de l'angle où ça avait fuité. Le cerbère, lui, devait être encore en train de plaquer sa truffe contre une des vitres de la piaule. Nick avait encore un peu de temps, pour assurer ses arrières. Il commençait à se chier dessus, mais préférait ne pas entendre son ventre. Ces saloperies avaient un bon flair. Et puis, tout était si silencieux... Il n'avait pas envie qu'on le repère, pour une histoire de flatulence mal dosée.
Il arriva à l'angle de la maison. Arme en poing, il pivota brusquement, à quatre-vingt dix degrés... et rien.
Fausse alerte.

Puis, une goutte lui atterrit sur le nez. Fichu brouillard... Déjà qu'il était difficile d'y voir, - et ce qu'il pouvait faire froid ! - il fallait en plus qu'il se mette à pleuvoir ? Une eau, gluante, lui atterrit sur l'épaule. « Putain de... »
Ce n'était pas de l'eau.
Nick se retourna, vitesse éclair, et éclata comme une pomme de pin. Sa poitrine sauta, et un cri, déchirant, s'étrangla entre les deux mâchoires du monstre. Il avait l'impression qu'on lui ouvre la tronche à longues volées de scie.
Sa vie clignota.
Deux images.
Sa femme, Kathia. Une belle indigène, aux cheveux sombres, bouclés. Morte et violée durant le raid Ryssen. Sa fille, Aïcha, toujours en vie. Quelque part, sans doute, au bras d'un grand guerrier. Il aurait aimé la voir une dern...
Noir complet.

Cet homme avait soufflé des promesses énamourées au creux du cou de son épouse. Il avait porté sa fille sur ses épaules. On l'avait battu, on l'avait chéri; il avait commis des erreurs, mais, somme toute, moins que des choses justes. Avait toujours essayé d'être droit.
Demain, il ne serait plus qu'un tas d'excréments osseux sur le sable.

La bête lécha ses babines, et décida de battre en retraite. Son ouïe l'avertit qu'une troupe d'hommes se massait, plus à l'est. Elle avait eu de quoi manger : plus de raison de rester. Derrière les fenêtres opaques, on l'observait, certainement. Des enfants, des parents, des mères et des pères tétanisés par ce monstre long comme un camion-benne. Pourtant, elle ne devait certainement pas différer d'eux tous. Elle aussi, on avait essayé de la chasser de son foyer.
On avait réussi, d'ailleurs, si bien qu'elle en était réduite à dévorer des civils à la frontière même d'Ikusa.

Elle aperçut, à l'extérieur des remparts, des lumières clignoter. Les torches des hommes, qui combattaient les siens. D'énormes cadavres grisaillés de poussière se tenaient, amorphes, sur le sol. Leur ventre avait été percé de toutes parts. Un instant, le cerbère sentit une colère poindre en lui. Il avait envie de les dévorer. Tous. Jusqu'au dernier. Parce qu'on l'avait chassé de sa grotte. Parce qu'on les exterminait. Son énorme carcasse se mit en branle, et il courut, en direction de...
Quelque chose approchait.

Il leva ses trois gueules, incongrues, en direction du ciel, et renifla. Il y avait toujours cette brume, sépulcrale, qui tannait le ciel et empêchait d'y voir plus de quelques étoiles. Une de ses têtes vira à droite; l'autre à gauche. Celle du centre continuait de renifler, frénétiquement. Il ne connaissait pas cette odeur, mais elle l'inquiétait. Cinq mille ans d'instinct se mirent à battre sans relâche.
Ca approchait.
Que n'aurait-il pas donné, pour retourner à sa vie d'avant. Quand il n'était guère plus qu'un chiot, lové au creux des mamelles de sa mère. Quand ils vivaient tous, dans cette grotte, avant l'arrivée de ce monstre. Quand il n'avait pas à craindre pour sa vie.

Il était assez invraisemblable de mettre en perspective la vie d'un monstre, d'y accrocher un peu d'humanité. Sauf, bien sûr, au regard d'un monstre, encore plus grand. Le cerbère leva ses trois têtes, silencieux.
Ca tombait.
Il tenta de déguerpir, mais une comète le pulvérisa comme un jeu d'osselets. Une vertèbre sauta avec la vigueur d'un pistolet de départ. Un oeil rond, débile, rebondit sur le sable, et deux tonnes et demi de viande hachée s’éparpillèrent un peu partout.
Marjhan se redressa, le visage grumeleux de sang, et s'essuya d'une main élégante. Elle jeta un regard, un instant, au niveau de son poignet, avant d'observer les environs. Des lumières s'agitaient, au loin. On continuait de les combattre. Sans attendre, elle décolla, laissant derrière elle la ruine de ce qui fut, autrefois, un petit chien mignon.




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A la recherche de BatmanMarjhan

Des semaines que les habitants du quartiers et quelques bonnes âmes se mobilisaient pour protéger les lieux de ces attaques nocturnes. Ca avait commencé avec un gamin, puis d'autres, puis des adultes à mesure que les bêtes se montraient de plus en plus confiantes. On avait mit trop de temps à réagir, on avait eu la bêtise de croire que les quelques gardes seraient suffisant, que les autorités auraient envoyé de quoi faire reculer les canidés jusqu'au désert, auraient clôturé cette brèche Mais rien.

La tatoueuse fulminait, elle y passait ses nuits, avait fait jouer tous ses contacts, des autorités aux hommes et femmes qui pouvaient aider. Certains avaient trouvés la mort en leur portant assistance. Et rien ne semblait se décider au palais. Sa haine envers Tensai avait reprit en vigueur. Le sentiment d'injustice et d'abandon ne pouvait pas être plus grand. Sa fureur trouvait un exutoire quand elle laminait ces pauvres animaux. Car oui, ils restaient des animaux qui se risquaient à chasser ici pour une raison inconnue, quelque chose qui avait poussé leur quête jusqu'à la muraille éventrée, jusqu'à la population, pour se nourrir. Ce n'était pas des conquérants barbares, c'était des animaux affamés contre lesquels ils luttaient avec la même énergie.

En quelques jours, les groupes s'étaient organisés, les tours de gardes aussi, les portes et les fenêtres renforcées, mais encore une fois, aucune aide n'était venue du palais et la situation perdurait, s'aggravait, à chaque aube, on comptait les disparus, les gardiens du quartiers fatiguaient, en plus de leurs tâches quotidiennes, ils se mobilisaient sans relâche car en dehors d'eux, qui le ferait ? Qui s'en souciait ? Alors elle avait tenté un dernier appel. Une lettre à Marjhan, la protectrice. S'il y avait bien un peu de respect entre elles deux, elle espérait qu'elle réponde à son appel à l'aide, comme une dernière tentative pour ne pas bêtement partir en croisade, guidée par la seule colère et se faire tuer aux portes du palais.

Pour l'heure, elle déployait toutes ses compétences au combat face à ces animaux. Avec plusieurs groupes, ils avaient réussis à en repousser trois hors de la ville. Munis de torches, de lances, ils les faisaient reculer. Dans une sable, une rigole d'huile qui n'attendait que d'être allumée une fois qu'ils seraient au bon endroit. Le plus grand des quadrupèdes semblait ne pas y tenir particulièrement, comme s'il avait sentit le piège. La mage était perchée haut sur la muraille, regardant la progression des hommes. Les faire reculer n'avait pas été une mince affaire, elle était déjà foncièrement fatiguée mais la haine la tenait. Sa faux dans une main, la chaïne à laquelle elle était reliée dans l'autre, elle veillait, accroupie sur le mur, dissimulée dans l'obscurité.

Un pas de côté de la plus massive des bêtes suffit à déclencher l'humaine. Non, il ne prendrait pas les hommes à revers, non, elle ne permettrait pas qu'il s'échappe ou ne tue à nouveau. Sa faux trouvait le front d'une des têtes, pas assez pour qu'elle la stoppe mais suffisamment pour s'y arrimer fermement. Et ce, malgré les coups de têtes frénétiques pour s'en débarrasser, la jeune femme se faisait sciemment emportée par le mouvement, projetée vers l'une des gueules de l'animal par la chaîne qu'elle tenait solidement, un sourire fanatique collé sur le visage. Parfait. Rendue à une enjambée de la gueule béante et furieuse, elle lâchait prise tout autant que la chaîne, usant de la fusion élémentaire pour ne pas être atteinte par les dents de la bête, filant droit dans son gosier, provoquant la stupeur de certains hommes du groupe.

Ce n'est que lorsque le ventre de la bête explosait dans une gerbe de sang, se vidant sur le sol sous les pleurs d'agonie de l'animal qu'ils comprirent. Il était plus simple de les tuer de l'intérieur. Le cerbère finissait par s'effondrer, agonisant en geignant, presque implorant face à la mort quand la brune sortait de ses entrailles, couverte de toute un tas de mucosités et de souillures, elle marchait sereinement jusqu'à la tête où trônait encore son arme. Elle la décrochait d'un geste plein d'habitude et fixait la lueur du regard de l'animal s'éteindre lentement. Il n'y avait plus de sourire sur sa trogne de balafrée. Cette situation était dégueulasse. Il n'y avait rien d'autre que de la survie là où leur nation, et surtout leur chef, aurait du leur assurer une vie correcte...

Son regard passait derrière la carcasse animée des derniers tressaillements avant le néant, fixant les deux autres qui tentaient d'attaquer, paniqués par la mise à mort de leur frère, le plus fort d'entre eux... Mirari tendait la main vers les animaux, les yeux brillants de cette lumière blanche qui bouffait tout, jusqu'à ses iris, trahissant sa magie et ses émotions.
Un instant, il ne semblait rien avoir, pourtant, elle concentrait les courants en un point unique, compressant l'air à son paroxysme. Voilà, sa détonation était prête, continuant de charger alors qu'elle attendait le bon moment. Les hommes et les femmes combattant les monstres commençaient à paniquer, les animaux reprenaient du terrain, les grognements furieux des animaux se mêlaient aux cris. Une lance fit reculer le premier.

La lame de vent partait dans une détonation qui résonna sur des centaines de mètres à la ronde, épaisse de moins d'un centimètre, haute de plusieurs mètres, elle fendait les animaux en deux sans qu'ils n'aient eut le temps de comprendre qu'ils venaient de mourir.

Les mâchoires s'agitèrent encore quelques secondes, sans but, hébétées, dans une vaine tentative d'emporter quelque chose avec elles dans l'au-delà. Sans succès. La tatoueuse baissait la main et laissait sa magie se dissiper alors qu'elle se rapprochait du groupe. S'ils exprimaient leur joie, elle n'en ressentait aucune, à peine un soulagement qu'elle savait de courte durée.

_ " Brûlez les corps. Qu'ils sentent l'odeur de leur défaite. Les veilleurs avec moi, il en manque un encore, on retourne dans les murs, on a du le manquer. "

Il était hors de question qu'ils rentrent chez eux en se félicitant, misant sur la chance que l'animal ait prit la fuite. Il fallait s'en assurer et l'intransigeance de la jeune femme faisait foi dans le groupe. A la bonne heure. Le brasier prenait vie sous ses yeux alors que les veilleurs reprenaient leurs armes et leurs torches, ils étaient tous fatigués, déçu de n'avoir pu célébrer cette victoire, le moral usé par des nuits de lutte acharnée... Mais il fallait tenir. S'il fallait tuer ces animaux jusqu'aux derniers, ils se devaient de le faire puisque visiblement, ils ne valaient pas la peine d'être protégés par leur propre état....
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Feat. Mirari


Lâchez les cymbales, foutez les violons au placard, rangez les cornes-muses : Marjhan n'était pas une héroïne pour un sou. Au prorata du nombre d'hommes et de femmes, au sein du royaume, elle tenait davantage le rôle d'antagoniste péchu et exubérante, au cynisme grinçant, que de la powergirl blonde survolant le ciel en quête de danger. Pourtant, et tandis qu'elle se laissait atterrir, le vent gonflant ses lourdes ailes valkyriennes, on lui prêta un air bienfaisant. Elle aurait presque pu figurer sur une pancarte de recrutement, si son armure n'était pas intégralement recouverte de sang. Elle ne prêta pas attention aux réactions des hommes présents; s'en fichait, de toute façon, éperdument. Des yeux bleus, purs, sur une jolie façade, sanguinolente. Et elle demanda :

« Il n'y en a pas d'autres ? »

On lui répondit que si. Un gros, qui avait battu en retraite en direction de la ville. Elle se contenta de répondre, économe. « Ce sang n'est pas le mien. » Avant de braquer son regard sur Mirari. La tatoueuse lui paraissait toujours aussi teigneuse; et aussi petite. Un ratel aux dents longues, qui avait manifestement combattu, vu les réminiscences de magie qu'elle sentait flotter dans les airs. Face à elle, un gigantesque feu, qui avalait leurs silhouettes comme à l'aube d'une Walpurgis.

C'était, généralement, le moment où il fallait pleurer les morts. Se taper sur l'épaule, s'accoler. Rentrer, bras par dessus dessous, en aidant les infirmes. Ces citadins avaient combattu de toute leur âme, pour repousser l'assaut des monstres, là où l'armée s'était comportée en incapables manchots des deux mains. Pour les jeunes, ç'avait été le combat de leur vie. Nick avait crevé. Teddy aussi. Rachid. Jark. Boulonga. Et tant d'autres noms, dont la valkyrie ne présoupçonnerait jamais ne fut-ce que l'existence. Ils étaient morts, et personne ne les célébrerait jamais. Ils rejoindraient l'oubli, dans un vertige émotionnel à vous arracher des larmes.
La Chienne de fer, elle, planta son arme sur le sol, avant de soupirer.

« Tout ça pour ça... »

Pour elle, ça n'avait sans doute été qu'un jeudi ordinaire. Non pas tant à cause de sa force, mais parce qu'elle ne goûtait au confort que par touche fugace. Sa vie était déjà toute tracée : elle vivrait, combattrait et crèverait de l'épée. L'adage de tous les guerriers; il n'y avait pas de quoi en faire une scène. Elle avait tourné la page, lorsque la dynastie Draknys s'était effondrée tel un château de cartes. Elle tournerait la page pour ces hommes-là aussi.

« Rentrez. Je m'occupe du reste.
- Ce sont nos femmes et nos enfants, qui sont en danger... tenta de d'alléguer un jardinier grimé en combattant, lance en main. Ils ont besoin de nous.
- Précisément. Et je n'ai pas besoin de vous. Rentrez, et allez les rassurer. »

Elle ébaucha un bref rictus. Grands cieux, ce qu'elle détestait parler comme ça... Aller dans le sens commun, ne pas froisser l'interlocuteur. Rentrez, et allez les rassurer... Une belle façon de dire qu'il n'y avait aucune épopée, sur cette terre. Aucun héroïsme. Les héros, les légendes, - entendu, ceux qui tombaient au combat - étaient ceux qui avaient foncé tête baissée dans un plan foireux. Ou qui avaient baissé leur garde. Que dire alors, de ce peloton de pégus, inapte à tenir une arme dans le bon sens ?

Elle dégagea quelques grumeaux sanglants de son armure. Les hommes rentrèrent, pleurant les morts, se tapant sur l'épaule, s'accolant, et... bras par dessus dessous, pour les infirmes. C'était donc pour eux, qu'elle combattait ? la « dignité des faibles » ? Non, Marjhan n'était définitivement pas une héroïne. Le héros était le couillon à qui on avait vendu un monde sans guerre, sans douleur, sans maladie. Sans esclavage, - bonjour le tollé économique - et qui courait après une sorte d'esthétisme moral suranné. En vérité, il n'existait que le monde. Le monde, et ses compromis. Marjhan ne protégeait pas les femmes pour le salut de son âme. Elle les protégeait parce que cela signifiait, invariablement, retirer un peu de laideur à ce monde.
Et elle tuait les hommes, car elle les haïssait.

Tous étaient partis. Tous, sauf une. Car le ratel continuait de la dévisager. Il faisait sombre, et saisir son regard était assez improbable. Mais elle y devina de la rage, de la colère. De la rancoeur, aussi, - mais pas à son endroit.

« Ne me regarde pas comme ça. Tu pensais réellement qu'un pays tenu par un cortège de bufflons en peau de bête s'intéresserait au sort de ces citadins ? »

Pourtant, elle était là. Marjhan n'était pas une héroïne, - elle se le répétait suffisamment. Elle était moins un symbole de paix et de bienveillance, qu'une sociopathe en quête de vertu humaine. Quatre-vingt quatre ans, peut-être, elle s'était égarée comme n'importe quel humain dans sa quête d'identité. Sans sa discipline militaire, et ses exigences à l'égard de la Couronne, voilà longtemps qu'elle se serait effondrée comme une ruine.
Sans Alinka, aussi.

Mais elle était là. Et comme pour appréhender la question de la tatoueuse, elle répondit, tout de go : « J'ai toujours eu horreur des canins. Il fallait que j'ai le coeur net, sur cette histoire. » Ca sonnait avec la contradiction morale d'un chef de parti nazi, en plein flagrant délit de bon action. Et peut-être bien, qu'en fait, elle n'était pas si inhumaine que ça. Mais il n'appartenait pas à Mirari d'y fouiller. Elle ajouta ensuite, revêche : « Je n'ai pas été très attentive aux cours d'éthologie, durant ma jeunesse. Mais il me semblait que les cerbères étaient sédentaires. Toi, moi, nous savons que ces gros empaffés ne sont pas ici par hasard. Tu aurais une idée, peut-être ? »

Elle mangea la distance entre elle et son interlocutrice. La première fois, elle l'avait rencontrée dans une ruelle parfumée d'urine. Aujourd'hui, son armure était empoissée de viscères, et son visage d'ange, rose de sang. Le destin était joueur : il voulait systématiquement que les deux femmes les plus désaxées du royaume, se rencontrent à la faveur de leur hubris.

Quelle belle entrée en scène... railla Marjhan, intérieurement.




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A la recherche de BatmanMarjhan

La valkyrie, elle avait sentit sa bourrasque alors qu'elle se posait avant même de la voir. Elle arrivait après la bataille ou pour compter les morts ? Ah... Alors qu'elle se tournait vers elle, la rage au bide, elle réalisait que l'animal qu'ils allaient chercher était sans doute déjà mort sous les coups de la blonde... Ce serait ça de moins à faire.

L'autorité, car malgré tout le respect et la crainte que l'on portait à la tatoueuse, la valkyrie était et serait toujours bien plus considérée qu'elle, donc l'autorité ordonnait. Avec un peu plus de 'compassion' qu'elle ne lui connaissait. Elle cherchait vraiment à les apaiser ? Pour qu'ils ne posent pas de questions ou de problèmes sans doute... Un petit rire ironique lui échappait. Elle ne la quittait pas du regard, agitant sa lame d'un coup sec pour la débarrasser des débris de chair et de sang avant de la ranger dans son harnais. Quand le regard du jardinier cherchait le sien, elle le croisa, assombrit encore de tout son ressentiment mais confirmait l'ordre d'un signe de tête. Marjhan était la plus à même de l'aider à régler cette histoire une bonne fois pour toute.

Ils partaient, lentement, débarrassant les morts et les blessés avec eux alors que le brasier continuait d'inondait la nuit de sa lueur. Putain de vulgarité des sens. L'odorat et la vue étaient outragés par le spectacle et l'odeur des deux femmes qui se toisaient en chiens de faïence alors que la cohorte d'éclopés finissait de s'éloigner vers les remparts de la ville.

_ " Il ne faut pas s'étonner que d'anciens chiens de guerre qui crèvent la dalle ne viennent garnir les croix de ta marche des suppliciés... "


Elle poussait un soupire et rabattait ses cheveux en arrière, une légère grimace sur la gueule à cause de la viscosité qui recouvrait tout son corps. Bon, Marjhan n'était guère mieux, au moins. La tatoueuse jetait un dernier regard à la ville.

_ " Je vais pas me priver de ta présence pour tirer cette histoire au clair effectivement... Tu ne te trompe pas. Les cerbères établissent une tanière et y vivent jusqu'à ce que quelque chose de plus fort ne viennent les déloger, cataclysme naturel, animal particulièrement énervé ou manque de proie. J'ai compté sept adultes et quelques juvéniles depuis que ça a commencé, mais le plus inquiétant c'est la femelle gestante. Elles ne chassent pas... Donc ils crèvent réellement la faim. "

Mirari fixait les yeux trop clairs qui la surplombaient et un discret sourire s'esquissa sur ses lèvres. Cette femme éveillait chez elle le jeu, ce sentiment piégeux de flirter sur la limite et pourtant avec la certitude que leur duo était bien plus efficace et viable qu'un bataillon entier.

_ "Je pense qu'un truc monstrueux les a chassés de leur territoire. Si on veut qu'ils quittent le notre, il faut chasser ce monstre, tout simplement... T'en es ? Surtout qu'avec notre odeur actuelle, nous serons un appât idéal pour cette grosse bête... "

Le sourire se faisait taquin, enjôleur et plein de défi, comme toujours quand elle était dans les parages. La tatoueuse était certaine de l'efficacité de la blonde, de son envie de régler le soucis maintenant qu'elle avait fait le déplacement, peut être même de sortir un peu de son quotidien... Elle se détachait de son regard hypnotique pour fixer le désert, rassemblant ses souvenirs. Avec ses voyages réguliers avec Vahern pour transporter des corps jusqu'à Kyouji, ils avaient repéré, et mit en fuite, des cerbères et leur tanière, à peine perceptible, bien plus au sud. A pied, une bonne heure et demi les attendaient.

_ " Au moins, je pense pouvoir te dire où se trouve ce monstre s'il s'est bien attaqué à leur tanière, mais on en a pour un moment de marche à moins que.... "


A nouveau ce sourire insolent s'affichait sur sa gueule défigurée alors qu'elle fixait les ailes surplombant Marjhan avant de revenir à ses yeux. Derrière l'audace du sourire, derrière les iris émeraudes, le monstre toquait à la porte de sa conscience, faisait entendre ses griffes sur les veinures du bois, évoquant sa présence sans réellement la révéler, il la laissait deviner. Les prunelles étaient habitées d'une rage sourde, de celles qui s'agitent, qui se contiennent à grand peine, trouvent des exutoires annexes, par défaut, parce que sinon, elles s'exprimeraient pleinement, sans considération pour les responsabilités, les conséquences ou les risques... Alors elles trouvaient ces défouloirs où elles pouvaient. N'est ce pas l'emplumée ?

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Feat. Mirari


Marjhan soupesa le petit ratel, un long moment, le regard scrutateur et les lèvres taiseuses. Elle avait l'habitude de le faire, quand il s'agissait de déceler le mal dans le ventre d'un violeur ou d'une fouine, - entendu, un espion. Ce qui se passait dans son esprit n'appartenait qu'à elle. Autrefois, on aurait pensé que la valkyrie serait au courant des exactions de la tatoueuse, à l'endroit de la rébellion, qu'elle chercherait à lui tirer les vers du nez... Aujourd'hui, et puisque Mirari repose encore sur ses deux petites pattes, on pense que non. Sinon, quel intérêt aurait-elle à l'aider d'aussi près ?
Ca ne faisait pas sens.

Après un moment de silence, elle finit par lever le regard en direction d'un des aplombs rocheux, à l'horizon. Leur ancienne tanière, suggérée. Ils avaient traversé plusieurs trentaines de kilomètres, sous le cagnard, avaient subi la soif, la famine, perdu plusieurs de leurs membres, simplement à cause de ce qui résidait à l'intérieur. Ce ne serait quand-même pas...
Cette calamité de Valeryon, qui, sous le coup de la colère, pouvait embraser des oasis et réduire des troupeaux de berger à néant. Si l'idée lui était venu de démouler sa pêche à l'intérieur de ce canyon, aucun cerbère n'aurait eu son mot à y dire. Si tel est le cas...
Elle plissa les yeux.
Si tel était le cas, même elle ne pouvait rien y faire. Peut-être espérer lui faire mal, par le biais de la conduction osseuse. Le renvoyer à Ikusa... Mais cette énorme brute pourrait aussi bien vitrifier la moitié du pays sous l'énervement.

« Quelle gageure... J'espère pour toi que tu n'as pas le vertige. »

Elle toisa Mirari, s'approchant davantage. Tendant ses mains dans sa direction, elle l'empoigna, sans ambages; saisie comme une princesse, la tatoueuse fut maintenue au creux du plastron métallique de la Protectrice... avant de décoller. La poussée fut brutale. Dix mètres furent consommés, le temps d'un bond. Marjhan aurait pu tout aussi bien la lâcher, et voir la rebelle s'éparpiller en une multitude de petites grincheuses, sur le sol. Au lieu de quoi, elle continua à prendre de l'altitude, jusqu'à ce que l'air se mit à se rafraîchir. S'engouffrant dans les crinières des drôles de dames, et qu'enfin, la valkyrie prenne le départ.

Les dunes filaient sous leurs yeux à une vitesse réjouissante. C'était aussi exquis que de se laisser porter à cheval, la sensation de la selle, dure, en moins. Marjhan maintenait la demoiselle au creux de ses bras, sans le moindre effort. Sans grande vigilance non plus, - à moins que... ? Elle portait, près de son cou, un gorgerin. Et si les célibataires, amoureux de la procrastination verbale aimaient à dire que la Valkyrie sentait perpétuellement bon, - elle la Nymphe de sang, la Reine des vents - seule une odeur ferreuse, d'acier et de sang, se dégageait d'elle. L'escrimeuse puait la guerre, comme elle l'avait toujours pué.
C'était dans les enceintes de la ville, que vous aviez une chance de la trouver aimable.

« La plupart du temps, Valeryon réside au palais, dans les jardins. Mais il arrive qu'il parte en chasse, sans qu'on ne sache vraiment où. C'est peut-être lui, qui a bouté cette meute de cerbères hors de leur territoire. »

Elle le disait avec une solennité de militaire. Ce n'était plus un dialogue, mais un plan. S'il fallait faire en sorte de dégager le dragon de cette grotte, mieux valait se préparer. L'idée qu'elles puissent, l'une comme l'autre, finir carbonisées jusqu'à l'os, ne sembla pas l'émouvoir outre mesure. De la même façon qu'elle ne faisait pas grand cas de la mort des citoyens d'Ikusa, elle avait, elle-même, appris à mourir il y a bien longtemps. C'était ça, la guerre : un monde froid, dur, et peu savoureux. On pouvait le mystifier dans les livres, pas dans la réalité.

Un monde froid, dur... C'est à ce moment précis, sans qu'on ne sache exactement pourquoi, que la Valkyrie lâcha subitement la tatoueuse, à quarante mètres d'altitude. La petite bonne femme dut sentir le monde se dérober sous son dos, et sa poitrine trembler d'adrénaline. C'est ce qui arrivait, généralement, pendant une chute mortelle, raison pour laquelle elles se résolvaient toutes d'un « Aaaaaaaahh... ! » étranglé. Elle la laisse chuter, un trop long moment, avant de plonger avec une vigueur de faucon, et de la récupérer, comme si de rien n'était. Sur sa face de poupée de plomb, grimée de sang, se lisait un sourire. Ce sourire, Kyrian avait dû l'affronter de nombreuses fois. Elle n'avait jamais paru aussi jeune que maintenant.

« Tu ne m'en veux pas trop ? Je te sentais un peu molle, il fallait que je te réveille. »

C'était peut-être pour ça. Mirari sortait d'un long combat, mais le trajet, aérien, aurait pu la faire somnoler. Aurait pu détendre ses muscles, tromper son corps et son instinct. Elle la voulait aux aguets, vigilante. Quoiqu'y puisse se trouver dans cette grotte, elles n'en ressortiraient que plus salies.
Ca, ou bien la situation l'amusait.
Une scène qui aurait pu être tendre, si la valkyrie, - et a fortiori, les aigles des rocheuses - n'avaient pas la réputation de larguer leurs proies en haute altitude, pour les faire s'écraser sur le sol, et déguster leurs tripes, tranquillement. Certains rebelles avaient eu le malheur d'ambitionner la mort du roi, s'étaient senti pousser des ailes. Ce châtiment était là pour leur rappeler que le pouvoir demeurait, en toutes instances, le pouvoir.
Et les ailes, les ailes.

« On arrive. »

Elles atterrirent à proximité de la grotte. Il faisait encore nuit, et la roche, brune, renvoyait sous l'éclat de la lune une lueur spectrale. Le visage de la valkyrie rayonnait, pur et fier. Elle dégaina Karama, avant de jeter un regard en biais à Mirari. « Tiens-toi prête. Je n'ai pas envie d'avoir à couvrir tes arrières en permanence. Tant qu'on ne sait pas à quoi s'attendre, je veux que tu considères qu'il peut s'agir de notre dernier combat. »




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A la recherche de BatmanMarjhan

La tatoueuse attendait la réaction de la valkyrie avec l'envie des gourmands devant un énorme gâteau recouvert de crème épaisse, de cette envie naissait un sourire qui aurait pu éclairer tous les environs quand elle répondait, à sa manière, favorablement. Marjhan était ce genre de guerrier qui aurait fait chavirer les coeurs de bien des demoiselles si elle était née homme, et à défaut, elle faisait trembler les frocs des puceaux. Putain, ce qu'elle était forte. Comme si elle ne pesait rien, la tatoueuse se retrouvait soulevée entre ses bras et de terre. Elle sentait la pression de l'air dans la prise d'altitude, ça pesait lourd sur son corps, la force des ailes de la valkyrie les arrachaient littéralement au sol, faisant ressentir toutes leurs puissances à la tatoueuse qui s'attardait sur les mouvements d'airs autour d'elles, analysant et comprenant, se fascinant pour les tourbillons que chaque battement provoquait. C'était beau. Une agitation symétrique et violente. Comme une libération, elles atteignaient un seuil de portance, les soulageant du poids de la montée, cet instant où la pesanteur n'avait plus court avant que la valkyrie ne prenne la direction qu'elle lui avait indiqué plus tôt. Mirari trouvait une immense satisfaction à ce moment. Bien plus qu'un vol à dos de griffon...

Si la valkyrie était équipée pour parer à toute éventualité, l'humaine s'était faite légère en dehors de ses armes, parce qu'elle n'avait pas la force de Majhan, parce qu'elle n'avait pas sa rapidité. Elle l'enviait, éprouvait un peu de cette admiration respectueuse qu'elle n'aurait pas consentit à avouer au péril de sa vie. Mais le vol effréné effaçait ses pensées, soignait les tourbillons macabres de son esprit, apaisant jusqu'au monstre en le gorgeant de vitesse et de l'incroyable vue sur le désert. Même l'évocation du dragon ne faisait pas taire l'enthousiasme de gosse qui s'était éveillé dans sa poitrine, remplaçant furtivement la haine, juste pour quelques temps.

_ " Je suis sûre qu'on peut lui faire comprendre gentiment... Ou pas. "

Elle pouvait paraître insouciante, inconsciente même mais ce n'était pas le cas. Mourir en servant son pays, longtemps ça avait été son unique but, en bonne militaire, et puis cette notion avait évoluée. S'il fallait mourir de la main de Marjhan elle-même pour rappeler aux reikois ce qu'ils étaient, à ce roi que conquérir ne suffisait pas, aux connards qui se prenaient pour des seigneurs que tout ne leur appartenait pas... Alors elle n'avait aucun mal à y consentir. Se confronter à la menace pour préserver ce qu'ils avaient battit, même si la menace était Valeryon lui-même ne l'effrayait pas. Il y avait eu bien des raisons pour que la peur quitte son être. Bien des raisons pour lesquelles flirter avec la protectrice trouvait un sens, parce que plus rien ne valait la peine s'il n'y avait pas l'enjeu de sa vie sur le tapis. Le seul moyen qu'elle avait trouvé pour continuer de vivre.

Alors quand elle sentit la prise des bras de la blonde se desserrer, elle sourit. Fermant une seconde les yeux pour profiter de la chute. Peut être que la valkyrie avait tout découvert ? Peut être n'avait-elle simplement pas aimer sa manière de s'adresser à elle ? Qu'importait, elle avait choisit de jouer avec la limite, de ne prendre aucune précaution avec elle. Il lui arrivait de se tromper. L'humaine profitait de la chute, de l'air autour d'elle qui filait à une vitesse improbable, ses yeux pleuraient quand elle les rouvraient, le sol approchait sans que son sourire ne se soit estompé. Si elle appelait la mort par son insolente audace, elle n'était pas résignée à se laisser crever pour autant, la mort, ça se méritait. Elle tendait une main vers la terre, prête à invoquer l'air pour amortir sa chute d'un courant ascendant. Mais c'est l'épaule couverte de métal de la valkyrie qu'elle trouvait.

La chute s'arrêtait brutalement et elles remontaient, le sourire de la blonde agrandissait celui de la brune, elle était belle cette folle... Mirari riait à sa remarque, qu'elle trouve tous les prétextes qu'elle voulait, elle ne s'était pas sentie si vivante depuis des lustres... L'habituelle rancunière se gardait bien de l'être aujourd'hui.

Alors qu'elles s'étaient posées, au plus grand regret de la tatoueuse, la protectrice semblait vouloir la piquer, ou vouloir ignorer ce qu'elle savait d'elle. Un court soupire agacé lui répondit accompagné du tintement de la chaîne de la faux.

_ " Ne me prends pas pour les gardes que tu côtoie habituellement. J'ai servi et donné de ma personne à défaut qu'on prenne ma vie. Je suis prête à ce que ça arrive. "

Dans la grotte, il y eut des grattements, quelque chose se déplaçait. Quelque chose de grand mais pas assez lourd pour être le bon ami de la reine.... Quelque chose qui émettait un petit bruit aigu, interrogatif. La brune haussait un sourcil. Avaient-elles réellement quelque chose à craindre d'un animal avec un cri qui paraissait si inoffensif ? Comme s'il était lui-même la proie ?

Elle faisait un geste à Marjhan, sourcils froncés et se fondait dans l'air sous ses yeux, révélant à celle qui semblait la scruter en permanence, une partie de ses capacités. Elle se laissait porter jusqu'à la grotte, y entrait, presque indécelable, invisible dans son élément, elle avançait, repérant une forme clair dans l'obscurité, se mouvant sur le plafond de la grotte, un tas d'ossements visible au sol et des déjections... Elle allait continuer sa progression vers la bestiole inconnue, plus grosse qu'elle ne l'aurait cru, de la taille d'un chariot, quand un son retentit, aigu lui aussi mais bien plus puissant que le précédent. Il troublait l'air, si fortement qu'elle réapparut subitement, chutant sur ses deux pieds, faux en main.

La bête s'était subitement approchée. Une putain de chauve souris, blanche comme la lune, l'animal était fascinant. Magnifique et horrible en même temps. Elle l'observait avec tant de soin qu'elle reculait un peu tardivement pour l'esquiver lorsqu'il prenait son envol dans l'idée de la saisir et de la sortir de son petit nid douillet. Une des pattes arrières se refermait douloureusement sur une de ses épaules et la trainait avec lui.

En un éclair, ils sortaient de la grotte. La brune devait s'assurer qu'il ne la lâche pas comme avait pu le faire Marjhan... Elle lançait la faux vers son cou alors qu'il gagnait en altitude. L'arme faisait un tour et s'arrimait à sa propre chaîne, retenue par le bras valide de la tatoueuse. Assurée de ne pas s'écraser au sol, elle cherchait la valkyrie du regard. Où qu'elle soit. Avant de revenir à l'animal qui continuait de pousser de petits cris à intervalles réguliers sans qu'elle ne comprenne immédiatement pourquoi. Il fallait réfléchir vite et bien, sinon elle ne donnait pas cher de sa peau. Elle cherchait et le moment où elle avait été secouée dans sa fusion prenait tout son sens. Ce cri qu'il avait poussé avait été assez fort pour heurter l'élément et l'en sortir. Elle aurait parié qu'il était presque aveugle et se servait du son comme elle se servait de l'air pour se faire une carte mentale de ce qui l'entourait.

Elle tentait, sans savoir si ça marcherait et parce qu'à cette vitesse et en plein vol, sa voix ne porterait jamais jusqu'à la valkyrie.

* Il est sensible au bruit ! Je suis sûre que je peux le maîtriser s'il me lâche. *

Ses détonations lorsqu'elle déployait l'air, celles qui lui avaient tant posé problème par le passé, parce que ce n'était pas le summum de la discrétion trouvaient enfin une utilité... Si l'animal se décidait à relâcher sa putain d'épaule. Son bras gauche souffrait le martyr, supportant tout son poids sur les griffes enfoncées dans sa chair.

Spoiler:

3






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Feat. Mirari


Quand elles pénétrèrent dans la grotte, une odeur de foin et de purin leur saisit le nez. Marjhan détestait ce genre de relents; ça pouvait paraître étonnant, de la part d'une guerrière dont les escarmouches et les assassinats étaient le gros de son curriculum, mais c'était vrai. Tout comme elle détestait les taches sur son armure, et elle veillerait à ce qu'Alinka la lui récure, précautionneusement. Mais, presque aussitôt qu'elles s'enfouirent dans le tunnel, elle comprit. Valeryon n'y est pour rien... C'était trop étroit, pour ce monstre géant. Et elle ne sentit rien qui aie pu brûler.
Quelques instants plus tard et le temps, pour elle, de sortir de ses pensées, que la tatoueuse se faisait emporter comme un carton de déménagement, par une fichue chauve-souris.

On l'a dit : la valkyrie n'a jamais été bien attentive aux cours d'éthologie. Ce qu'elle aurait dû assimiler être une Lunerousse n'était guère plus qu'un rongeur volant, à nez de cochon.
Elle dégaine, - elle faisait suffisamment confiance à sa partenaire pour lui laisser quelques secondes de sursis. Mais à une telle hauteur, et puisqu'elle était dans l'incapacité de voler...
Je suis sûre que je peux le maîtriser s'il me lâche !

Elle buta, incongrue; De la télépathie. Elle pensait réellement pouvoir domestiquer une chose pareille ? Un bon monstre était un monstre mort. Marjhan se voyait déjà traîner le cadavre de la bestiole jusqu'au taxidermiste, pour magnifier la cheminée de sa chambre. Et puis, sa vilaine truffe irait de pair avec le tableau peint de Kyrian. Prends ça, ma vieille... décréta-t-elle, intérieurement, pour son ancienne mentor.

Elle décolla, arrachant la terre sous ses bottes, avant de cingler en direction de sa cible. Elle volait mieux, et plus vite; elle était aérodynamique. Et son poing s'écrasa sur son crâne. Une des molaires sauta comme un bouchon de liège, et de nouveau, la chose poussa un hurlement strident. Mais déjà, elle relâchait son emprise sur Mirari; cette dernière aurait davantage de mouvement pour riposter.

« Je vais lui trancher la tête ! », beugla-t-elle, pour se faire entendre. A une telle altitude, le vent sifflait, et la valkyrie surmontait la lunerousse, de telle sorte à garder l'ascendant. « Ne bouge p... »
Son instinct l'ébranla.
Et dans une pirouette aérienne, elle évita, de justesse, un rocher de deux-cent kilos, lancé droit vers elle. Furieuse, elle jeta un regard en contrebas. Une technique de couard; qui avait bien pu oser ?


*
*    *


Jinda avait une réputation très particulière, chez les mercenaires du Reike. Une authentique force de la nature, inexpugnable, capable de livrer bataille des jours durant, sans jamais se relâcher. Mais on la disait aussi incontrôlable. Elle refusait toute forme d'autorité, aussi bien celle de la Couronne, que des rebelles, que des réfractaires Ryssen, et que de ses propres employeurs. En fait, la jeune fille, - puisqu'elle n'avait qu'une vingtaine d'années, n'est-ce pas ? - ne devait son salut qu'à sa génétique aberrante.

Elle était la cadette d'une portée de trois enfants. Son plus grand frère, Ragh, était un drakyn pur sang haut comme un cheval, massif comme un buffle. Orphelins de bonne heure, c'était lui qui l'avait protégée, depuis leur tendre enfance. Un guerrier redoutable, qui, déjà jeune, ramassait son salaire sur le cadavre d'adversaires deux fois plus gros que lui. Il y avait Kaï, aussi, le benjamin. Un Oni, peu ou prou aussi colossal que son frangin; et tous deux étaient célébrissimes dans le monde du mercenariat. Des têtes dures au sang froid, réputés pour leur brutalité. Aucune escarmouche ne leur résistait, aucun siège, et lorsque Tensai Ryssen avait massé les différents clans du désert, au pied d'Ikusa, ils avaient répondu à l'appel.

Kaï avait tué, à lui seul, une vingtaine de soldats, avant de finir assommé sous l'éboulement d'un gros bâtiment. Ragh, quant à lui, avait été éventré de la cervelle jusqu'aux couilles par une femme. Une valkyrie, qui s'était ensuite servi de sa tête pour décorer les remparts de la capitale.
Jinda, ce jour-ci, roupillait dans un bordel clandestin à Kyouji. Quand on lui ramena les restes de son frère, - le coup avait été si brutal que la cage thoracique avait comme éclaté - elle s'effondra, pour la première fois de sa vie. Kaï, lui, sombra dans une sorte de dépression un peu grise, et se terrait parmi les sous-officiers de l'armée de Taïsen.
En bref, il était devenu une fiotte.

Ce que beaucoup de gens ignoraient, et ce qui fut, ensuite, confirmé plus tard, est que la petite bâtarde semi-Oni, semi-Drakyn qu'était Jinda, la poulette à peau rouge, qui suivait l'ombre massive de ses deux frères, et dormait, parfois, sur leurs épaules; cette petite chose, donc, si frêle à la naissance, qu'ils avaient failli l'abandonner dans le désert, était en réalité le véritable joyau de la famille. A onze ans et demi, cette espèce d'imbécile, véritable élue de la génétique, foutait des raclées à ses deux frangins sans grand effort.
Avec cette force, innée, était venue l'indiscipline, puis, inexorablement, la fainéantise. Elle ne s'était jamais pardonnée la mort de Ragh.
Et avait encore moins pardonné à cette valkyrie.

Son employeur ? elle se souvenait à peine de son nom. Un Oni aux pieds énormes, qui lui avait demandé de veiller sur Mirari Shax. Elle et Jinda ne s'étaient jamais rencontrées; du moins, sauf s'il était venu à la tatoueuse, l'idée incongrue de fouiner dans les réseaux clandestins de Kyouji.
Mais puisqu'on lui avait promis une belle récompense, alors...

Jusqu'à ce qu'elle la voit.
Elle.
La Chienne de fer, qui avait décimé son frère, et jeté l'opprobre sur sa famille, en affichant sa tête, orpheline, à l'entrée de la capitale. Celle qui lui avait presque tout pris, et transformé Kaï en un vulgaire étron veule et sans avenir. Elle avait serré les dents si fort qu'elle en avait saigné; et avait décidé de les suivre à travers le désert.

Il y avait une autre rumeur, célébrissime, à propos de la demi-Oni.
Son désir de voler.
Comme si son corps d'engin de siège, se disputait avec la surdité d'un cerveau d'enfant, elle rêvait de liberté, mais de façon un peu honteuse, coupable. Combattre, elle n'avait jamais vraiment voulu le faire; et si l'adrénaline que lui procurait son corps durant une bataille était un délice qu'elle se refusait rarement, elle était, en réalité, bien plus à l'aise entre deux poulettes, entièrement nues, qu'avec un tetsubo en main.
Déjà petite, elle se jetait du haut de falaises immenses, dans l'espoir que des ailes lui poussent. C'est ce que lui avait expliqué Kaï, pour plaisanter, - mais elle ne l'avait pas du tout pris comme une plaisanterie. A force d'efforts, des attributs apparaissaient sur le corps d animaux. Les girafes avaient de longs cous, pour mieux saisir les branchages en hauteur. Les baleines avaient un trou sur le dos, de sorte à respirer. Et les Drakyns, pur sang, pouvaient déployer une paire d'ailes de leurs omoplates. - Elle avait vu le seigneur Ryssen faire, et en avait été hypnotisée.

Elle avait échoué. Pendant plus de vingt ans. Difficile de savoir s'il fallait s'en émouvoir, ou pleurer. Une telle volonté était à chérir, même pour une peste de son acabit. A moins qu'elle n'aie perdu tellement de neurones pendant le processus, qu'elle ne se rendait même plus compte de ce qu'elle faisait ?
Elle ne pourrait, sans doute, jamais voler comme le faisaient cette chienne de valkyrie, ou ce perruqué de Tensai.
Et alors ?

Une fois sur l'aplomb rocheux, elle souleva un rocher, gros comme un poney. Elle le soulevait comme on l'eut fait d'une vulgaire haltère, avant de le projeter en direction de la Protectrice... Bon sang, elle a esquivé... Cette roulure va m'emmerder jusqu'au bout.
Elle avait esquivé, oui. Et venait d'atterrir, pesamment, juste en face d'elle.

« Tu vas regretter ce que tu viens de faire. »

Sa voix couvait une colère pleine et contenue. Comme si Jinda n'était pas digne d'être la cible de son mépris. Ce qui la fit enrager d'autant plus. C'en était presque comique, de la voir serrer son tetsubo, du poids d'un âne mort. Comique, de la voir grogner, du haut de sa jeune vingtaine.

« Espèce de chienne ! Tu m'as pris tout ce que j'avais...
- Je ne sais même pas qui tu es. »

La valkyrie fonça droit vers elle. Et la bâtarde fit de même. Elle se percutèrent comme deux cymbales, et le corps de la Protectrice fut propulsé, comme une poupée de chiffon, jusque dans le vide. Jinda avait vu, un court instant, et dans le fond de ses yeux, la stupeur, l'incrédulité. Oui, Jinda n'était pas spécifiquement ni plus grande, ni plus grosse qu'un autre Oni. Mais elle était pugnace, et confectionnait, depuis jeune, ses sous-vêtements avec des peaux de wyvern.
Cette pétasse de femme-pigeon n'avait, autant le dire, aucune chance de front, pas vrai ? Et Marjhan chutait, chutait, à moitié assommée. Son plastron avait éclaté à l'impact, et un morceau de ferraille s'était coincé dans son corps.

Jinda, après quoi, leva son regard vers la chauve-souris, plus loin. Elle se débattait encore avec Mirari. « Lâche-le ! », hurla-t-elle comme un fauve. « Il est à moi ! » Si elle ne pouvait se doter d'une paire d'ailes, alors, elle s'en offrirait une.




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A la recherche de BatmanMarjhan

Oui, elle était persuadée de pouvoir le maitriser, parce que ce n'était pas un monstre, à la différence de ce qui se dissimulait dans son cœur, ce n'était qu'un animal. Un animal qui pouvait s'apprivoiser, comme tous les autres du moment qu'on en comprenait les besoins et les leviers, un peu comme les gens d'ailleurs. Heureusement que la valkyrie l'avait accompagnée, sans elle, cette opportunité aurait été difficilement envisageable. Elle intervenait lourdement, écrasant son poing à une vitesse folle dans la gueule de l'animal qui dévia fortement de sa trajectoire, hurlant sa douleur.

La tatoueuse sentait les griffes la relâcher, le rodéo allait pouvoir commencer. Sa main se resserrait sur la chaîne et elle profitait du mouvement de balancier du à l'impact de la blonde, s'aidant de l'air et de son agilité pour se projeter jusqu'à son dos. A peine y était-elle que la folle protectrice voulait déjà trancher la tête de sa monture, Mirari captait son regard, farouche cette fois et préparait ses arcanes, épousant les courants forts qui les entouraient et s'apprêtant à les guider pour tenter de faire dévier le lunerousse pour lui éviter le coup fatal... Elle n'en eut pas besoin.

Un énorme rocher interrompait la mise à mort, redirigeait l'attention des deux femmes sur l'agresseur au sol qui avait prit la valkyrie pour cible. Il fallait être couillu ou stupide pour entreprendre un truc pareil. Une silhouette se dessinait sur l'aplomb rocheux malgré l'obscurité à peine éclaircie par la lune. Au moins, Marjhan allait s'occuper de l'imprudent et lui laisserait le temps de tenter de dompter la créature. La blonde était invincible non ? Sa force et sa supériorité était connue de tous. Même chez les mangeurs de racines au fin fond du trou du cul du Reike, la chienne de fer était réputée comme totalement cheatée.

Profitant de la diversion, elle reprenait son aplomb, tout comme la chauve souris géante, étreignant ses flancs de ses cuisses, elle plaçait ses deux mains de part et d'autres de sa tête. Puisqu'elle semblait user d'échos pour se diriger... Elle déclenchait un détonation en dilatant brusquement une faible quantité d'air à proximité de son oreille droitre. Trop fort. Le lunerousse biffurquait violement à gauche, se dirigeant vers les deux femmes au sol. Bien, il fallait juste maîtriser un peu mieux, plus subtilement.... En usant des courants, en les renforçant et en créant des dépressions, elle testait brièvement ses théories qui semblaient se confirmer, ça manquait encore sensiblement de précision et les mouvements d'agacement de l'animal lui indiquait qu'au moindre moment d'inattention, il se débarrasserait de celle qui tentait de le diriger. Et puis le regard de l'humaine capta le mouvement soudain, celui du corps de la valkyrie, propulsait hors de l'avancée rocheuse, dans le vide. Molle comme une morte, elle ne déployait pas ses ailes. Putain. Visiblement, il faudrait mettre ses théories en pratiques immédiatement.

Une main fermement accrochée à la chaîne autour du cou de sa monture improvisée, on était loin du sage griffon, elle invoquait l'air de manière bien plus drastique, elle avait besoin de vitesse pour aller récupérer la blonde. Même avec l'aide de son élément, ce serait trop juste, trop court pour la saisir au vol. Alors soit. Les yeux de l'humaine se mirent à briller intensément dans l'obscurité cette fois, deux lanternes à la lumière blanche qui éclairaient son visage rougit de sang.

Si Marjhan reprenait conscience, elle sentirait un fort courant ascendant remonter du sol pour freiner sa chute jusqu'à l'amortir totalement. Les hurlements de l'autre, elle s'en contrefoutait, focalisée sur la valkyrie jusqu'à s'assurer qu'elle fut revenue en sécurité sur le plancher des vaches. Le lunerousse, lui, avait continué sa course vers la rouge, une autre intruse, bien visible, comme un appât posé là, prête à être saisie et dévorée avant autant de sauvagerie qu'il avait envie de massacrer celle sur son dos et qu'il ne pouvait saisir.

Au dernier moment la tatoueuse tournait son visage vers l'oni et se servait de l'invocation de vent qui soutenait l'animal pour la modifier juste avant le contact. La chauve souris se cabrait, stoppant subitement sa course pour présenter ses pattes arrières à la proie qu'était la rouge à ses yeux, aidé du courant qui prenait soudain la forme d'un bouclier circulaire, aussi solide que du métal. Il refermait ses griffes dans le vide. Le bouclier avait été projeté vers l'oni de toute la puissance dont disposait l'humaine...

Elle espérait que ce serait suffisant, une petite impulsion et l'animal quittait l'aplomb avec un cri de dépit. De la même manière, elle le guidait jusqu'à la blonde. C'était risqué, mais elle ne pouvait pas l'abandonner là non ? Pourtant, c'était l'occasion idéale. Ce n'était pas elle qui l'avait agressée, elles étaient en plein désert et elle avait désormais un moyen de rentrer à tire d'ailes pour donner l'alerte. L'opportunité était trop belle...

Le plastron était éclaté. Comme une noix ouverte. Elle était belle la valkyrie et son artefact forgé pour elle... A quoi lui avait-il servit là ? Hein ? Le monstre s'éveillait, furieux, grondant dans sa poitrine. Non, elle ne l'abandonnerait pas ici.

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Feat. Mirari

Elle donnait l'impression d'une petite bicyclette, qui aurait heurté un trois tonnes à pleine vitesse. Son armure avait cédé à l'impact; elle devrait, encore, l'emmener chez le forgeron. Sa survie ne tenait qu'au renforcement de son corps, auquel elle avait procédé juste avant le moment fatidique.
Et ensuite ?
Ensuite, elle chuta. Ses ailes, énormes, absorbèrent les frottements de l'air, et ralentirent la descente. Mirari l'y avait aidée, - elle le sentit - juste de quoi, pour la valkyrie, se réceptionner sur un sol ferme. La tatoueuse aurait pu, dans une perspective de démence assez profonde, caresser l'idée d'attaquer la Protectrice, de profiter de ce moment de faiblesse; elle n'aurait pas été la première. Quant à être la dernière, cependant...

Certaines personnes, blessées, donnaient une impression émouvante de petit mammifère. Comme si, brusquement, leurs émotions de façade, leur colère, leur émoi, disparaissaient, au profit d'une peur animale. Marjhan, elle, donnait simplement l'impression d'être une aiglesse de cent kilos, à qui on aurait subtilisé ses oeufs. Mauvaise comme une teigne, elle jeta un regard noir jusqu'au sommet de l'aplomb rocheux, cent mètres plus haut. Et le sang continuait de pulser hors de sa cuirasse.


*
*   *

C'avait été facile, pour Jinda. Personne n'avait jamais résisté à une de ses charges, de plein front. Son corps était bâti différemment des autres Onis, des autres Drakyns. Chacun de ses muscles avait la vigueur d'une terminaison nerveuse. Et, plus que tout : elle était dure. Si l'impact avait laissé entendre l'implosion de la cuirasse valkyrienne, sa peau, à elle, n'avait pas été esquintée, fut-ce d'un centimètre. Et lorsque la Chienne de fer entama son plongeon, une chose, ailée, cingla droit vers elle.

« Toi ! Si tu ne me donnes pas cette créature immédiatement, je te briserai, lentement ! » Elle gueulait pour se faire entendre. Elle reconnaissait Mirari Shax, la personne dont on lui avait délégué la surveillance. Il ne fallait pas qu'elle lui fasse de mal, - du moins, pas immédiatement. Mais tout comme il était difficile de faire pousser une paire d'ailes, dans le dos de Jinda, il lui était difficile de faire poindre, dans son cerveau, quelconque raison. La mission ? Aux chiottes la mission... rumina-t-elle. Cette créature est à moi. Je veux explorer les cieux. Si l'autre bavette en costume n'est pas contente, je lui décrocherai la tête, à elle aussi.

Elle le pensait réellement. Pur produit du Reike, seule la force importait, pour la peau-rouge. Et si son tronc cérébral quelque peu endommagé, autant que le manque d'éducation effarant dont elle souffrait, l'empêchaient de raisonner convenablement, elle savait, d'expérience, que les titres, les pouvoirs étaient faits pour être arrachés. Tensai l'avait prouvé. Elle le prouverait, à son tour, en ôtant le crâne blond de la valkyrie de ses frêles épaules.

Elle s'apprêta à ouvrir la gueule, une nouvelle fois... quand une trombe la percuta, de plein fouet. Mirari avait peut-être, - ou non - utilisé ce sort à maintes reprises. Contre des monstres. Contre des Ryssen. Certains d'entre eux, lourds d'une deux-centaines de kilos, avaient voleté comme de vulgaires fétus de paille; les plus fragiles finissaient carrément en bouillie. Jinda, elle, et bien que ses appuis s'arrachèrent dans les premières secondes, cambra les cuisses, et leva les bras, pour se protéger le visage. Elle résistait avec le stoïcisme d'un torii sous le feu nucléaire. Tout autour, la roche éclata, s'envola, pris dans les tourbillons monstrueux de la magicienne. Jinda encaissa.
Pire, elle commençait à avancer, contre le vent, lorsque la chauve-souris battit en retraite, pour descendre de l'aplomb. « Reviens, maudite chienne, REVIENS !» Vulgaire à en crever, les noms d'oiseau s'étranglèrent dans le vent.


*
*   *


« J'ignore à quoi tu joues avec cette chauve-souris, mais je ne veux pas qu'elle me traîne dans les pattes. » Marjhan était grognon. Elle avait ôté les dernières parties de son armure. Ne restait, sous l'acier, plus que le cuir, noir. Et ses cheveux, sous la colère et le branlebas du combat, chatoyaient. « Profite-en pour jeter un oeil à l'intérieur de cette grotte. Vérifie qu'il n'y a rien d'autre. Fais vite. Elle ne tiendra pas très longtemps. »

Que voulait-elle dire, exactement ? Son ton ne tolérait aucune réplique. Du sang, noir, dans la nuit, bavait sur sa tunique. Son souffle avait augmenté, chamade fiévreuse. Elle ôta une potion de son baudrier, l'ouvrit, d'un coup de dents, avant de la boire. Ceci fait, elle s'essuya la bouche et jeta la fiole par terre. Sa blessure demeura inchangée. Ca n'avait ni l'air d'être du soin, ni, peu ou prou, une lotion pour cheveux. « Maintenant ! »




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Mirari fixait la valkyrie qui avait visiblement une sacrée dose de colère à évacuer après cette attaque qui l'avait mise à bas, la tatoueuse grognait quand elle s'en prenait à la chauve souris. Mirari roulait des yeux, comme si elle avait pour ambition de se mettre entre la tarée rouge et la valkyrie... Il aurait fallut être fou à lier et quand bien même l'humaine cumulait quelques pouvoirs non négligeables, elle n'était pas prête à se sacrifier bêtement. Surtout quand on voyait la résistance de l'autre folle qui hurlait des insanités à leur intention. Son regard se plongeait dans celui de la blonde, descendait sur son abdomen blessé, et remontait à son regard furibond avec un soupire audible.

La protectrice de la reine faisait étalage de toute sa vindicte, ne dissimulait pas qu'elle avait l'intention d'écraser la punaise sur l'aplomb, lui rendre bien plus que ce qu'elle avait subit. Et toujours cette admiration sans crainte qui étreignait le ventre de la tatoueuse, lui tirait un sourire.

_ " La grotte ou l'autre folle ? " Répondait-elle à l'annonce "qu'elle" ne tiendrait pas longtemps mais elle n'espérait pas vraiment de réponse. Qu'il s'agisse de la grotte ou de la folle, les deux étaient aussi probables, et sans doute dangereux pour elle...

Elle qui avait mit pied à terre, peut être de manière imprudente, pour s'assurer de l'état de la blonde. Pourtant l'animal n'attaquait pas, peut être conscient des capacités des deux femmes, ou dans la crainte de se prendre un choc, comme sur la proie bien trop bruyante qu'il avait manqué de peu sur les hauteurs, qui le sonnerait et l'empêcherait de se mouvoir, de se mettre hors de portée, surtout avec l'espèce de pigeon aux élans de violence assez visibles à son encontre.

_ " Je vais voir, mais je serais vite de retour. Fais attention à toi avec cette folle... Elle encaisse trop bien. " La force qu'elle avait vu face à son arcane était impressionnante, elle n'avait pas bronché malgré la puissance qu'elle lui avait envoyé en pleine poire. Elle avait fait choir la valkyrie. La rouge n'était pas à prendre pour quantité négligeable, malgré ses beuglements porcins. Mirari savait pertinemment que c'était un prétexte pour l'éloigner, elle savait que la blonde allait intenter quelque chose qu'elle voulait soit, garder secret, soit en dehors de toute action de sa part... Et étonnamment, elle obéissait. Parce qu'elle l'admirait et la respectait suffisamment pour ça, parce qu'elle comprenait aussi et qu'elle le lui devait bien...

D'un pied habile, elle remontait sur la chauve souris qui commençait visiblement à se soumettre ou à tolérer la présence de Mirari sur son dos, les petits impacts d'air qu'elle envoyait étaient clairs, à perfectionner, ils devraient encore s'apprivoiser mutuellement mais pour ce soir, ça ferait l'affaire. La brune lançait un dernier regard à Jinda puis à la valkyrie avant de décoller vers la grotte.

Rapidement sur place, elle se confectionnait une torche de fortune et l'allumait pour éclairer les lieux. L'odeur reprenait son nez, lourdement, les cadavres et la fiente, la moisissure et le renfermé, une infection. Il y avait beaucoup de cadavres en tous genre, certains humains, mais davantage de bétail et de bêtes du désert. Rien de très concluant, si ce n'est des squelettes de cerbères qu'elle n'eut aucun mal à reconnaître... Au moins sa théorie était confirmée. Couvrir toute la longueur de la grotte lui avait prit peu de temps en définitive mais vu les capacités des deux combattantes à l'extérieur, c'était une éternité et elle ne trainait pour rejoindre la valkyrie, elle lui prêterait main forte, si elle la laissait faire. A croire qu'elle s'était quelque peu attachée ? Ou qu'elle la respectait trop pour la voir se faire défier par une grognasse pareille. Une brute comme on en faisait chez les Ryssens, vulgaire et crue, avec une force de cheval qui lui faisait redouter une nouvelle déconfiture de la protectrice. D'un puissant courant, elle accélérait la course de l'animal pour les rejoindre, au moins, elle pourrait rester à distance avec cette monture.


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Feat. Mirari

Du haut du promontoire, l'Oni les toisait. C'était une grande gueule; une brute, assoiffée de sang. On aurait eu, cependant, bien du mal à débusquer une véritable trace de malveillance, au fond de ses yeux rouges. Une abrutie éméchée à l'alcool et au cul, admettons, mais elle paraissait, en cet instant, jeune. La personne qu'elle avait fait tomber remonterait : elle en était persuadée, et se devait de rester prudente. Ragh, (son coeur se serra) était mort, pour l'avoir sous-estimée.
Elle ne ferait pas cette erreur.

« Qu'est-ce que tu attends, hein... ? », marmonna-t-elle, dans de grands moulinets de tetsubo. A une telle hauteur, il lui était impossible de la voir, mais un picotement, dans son épine dorsale, une intuition vilaine, l'avertit qu'elle ne tarderait pas à débarquer. « Ramène-toi... Tu m'as pris tout ce que j'avais. La vie de mon frère; la gloire de l'autre. A cause de toi, j'en suis réduite à me peler le cul dans des missions d'assassinat foireuses... »

Son coeur battait à toute allure. Elle avait répété, chaque nuit ou presque, le nom de la valkyrie dans son lit, avant de s'endormir. Et chaque nuit, elle rêvait de lui enfoncer sa masse d'armes dans la cervelle. Jinda n'était pas foncièrement mauvaise; mais pas foncièrement bonne non plus. Si elle avait toujours refusé d'abattre les femmes et les enfants, elle avait grandi dans un climat de violence perpétuelle. Que disait cette abrutie de blondasse, déjà ? ah, oui : « Tous les hommes étaient en perdition ». Elle était à peu près d'accord là-dessus : donnez au père de famille une épée, faites-le macérer dans la haine et le sang pendant six longues années de siège, et vous accouchiez d'un monstre parfait.
Mais pas elle.
Jinda avait su rester pure, dans ses convictions. Pure, dans sa morale, fusse-t-elle maladroite. Pure, dans sa vengeance.

« Allez, viens... viens ! Je suis plus forte que mes frères. Je ferai pas l'erreur qu'ils ont faite, ça, je peux te le promettre... » Elle se parlait toute seule, dans la nuit. Tout autour, le silence, rien que le silence. Elle avait entendu, un instant, les battements d'ailes de la chauve-souris, avant qu'ils ne disparaissent le sifflet du vent. « Quoi, je suis pas assez forte pour toi, c'est ça ? pas assez bien ? Franchement, qu'est-ce que c'est que ces pensées ? » Et son tetsubo moulinait au creux de son poing, de plus en plus nerveusement. « Je jure sur ma grosse bite d'hermaphrodite que je te manquerai pas. Tu vas ricocher comme une jolie balle. »

Son coeur continuait de tambouriner, dans une chamade fiévreuse. Ses cellules étaient en ébullition, et sa frustration croissait tout en même temps. Mais qu'est-ce qu'elle fichait, à la fin ? elle ne l'avait pas tuée d'une simple percussion ? Elle était protectrice de la reine d'Ayshara. Elle avait dû en voir d'autres...
Puis, elle sentit quelque chose.

Un sixième sens. Dans son oreille interne. Courant, le long de son échine. Bruissant au fond de ses tripes. On approchait. Mais d'où ? comment ? Elle ne voyait rien, rien ! Rien qui ne remontait l'aplomb rocheux. Et la brume l'empêchait de distinguer ce qui se trouvait en contrebas. Rien de r...

Puis il y eut un bruit, assourdissant. La roche trembla. Quelques gravelas s'échouèrent à ses pieds. C'était comme si un fouet, gigantesque, avait claqué dans les airs. Suivi d'un bruit catastrophique, qui l'obligea à se boucher les oreilles. Un éclai--... ?

Tout semblait ralenti par l'adrénaline. Le temps s'étiolait, paresseusement, comme du caramel à l'épreuve du feu. Ce qu'elle voyait, c'était le corps de la valkyrie surgir de la roche, le traverser, magiquement. Et le contact de sa paume, écrasant son visage, pulvérisant son nez, déboîtant sa mâchoire. Elle ne l'avait pas frappée, non : elle l'avait saisie. C'était une impression indescriptible. Personne, sur cette terre, n'avait jamais été portée avec une telle force, à une telle vitesse. Comment décrire la sensation d'un corps de deux-cent kilos, déraciné de terre, puis tracté par une main matriarcale, et écrasé contre la montagne ? décrire la douleur indicible, même pour elle, le poids entier d'un aplomb rocheux s'éclater contre son corps ?

Tout n'était plus que chaos. Son cerveau percuta sa boîte crânienne comme un jeu de flipper. Ce qui aurait dû, ordinairement, décapiter un homme, l'avait secouée, elle, à la limite du coma. Jinda avait sans doute compris ce qui lui était arrivée, mais une brève seconde, ténue. La Chienne de fer avait eu recours à la magie. Elle avait traversé toute la montagne à Mach 1, avait empoigné, dans le même élan, la jolie bouille de la mercenaire, et éprouvait les joyeusetés des lois thermodynamiques sur les montagnes qu'elle trouvait. Les unes après les autres, elles s'écroulaient, et les impacts grondaient des lieues à la ronde. Les unes après les autres, l'Oni perdait conscience, et lorsqu'il n'y eut plus aucune roche pour la percuter, la valkyrie finit par s'arrêter. Au bout de son poing, Jinda, pendante, débilitée par le choc.

« Je te reconnais, maintenant », fit sa voix, chaude et mate. Elle était essoufflée. « Tu es la petite soeur de Ragh. »

Sa voix bombarda son coeur de haine. Un feu froid, empoisonné, lui fit grincer les dents. Elle pressa, aussitôt, ses mains massives sur le bras de la valkyrie, mais celle-ci resserra l'étreinte, et pour la première fois, Jinda prit peur. Elle prit peur, parce qu'elle n'était qu'une jeune fille de dix-huit ans. Prit peur, parce qu'elle comprit qu'à la prochaine pression, sa tête cornue exploserait comme un agrume, et que sa vengeance retournerait au néant.

« T-t... Il n'y a pas de trampoline en bas, Jinda. » Une voix pesante. Satisfaite. La voix de celle qu'on avait attaquée, percutée comme une quille de bowling, et qui trouvait sa revanche. « Mais on m'a dit que tu t'essayais à voler. Peut-être est-ce l'occasion de t'entraîner ? »

Le nez brisé, elle sentit des larmes rouler sur ses joues. Ses glandes lacrymales avaient été éprouvées par les multiples impacts, et le contact, métallique, de la main. Mais, pire que tout, elle ne pouvait s'empêcher de trembler des mains. Jinda n'avait que dix-huit ans. Et ce monde était foutrement vaste. Elle parvint cependant à grogner : « Tu m'as pris mon frère. » Mais, dans sa tête, la réplique avait plus de panache. Ca n'avait pas sourdé comme une menace; davantage une plainte, nasillarde.

C'était la loi de tous les guerriers. Le gagnant, prenait son tribut sur le perdant. Des bédouins, dans le fin fond du désert, violaient les femmes des vaincus, et bouffaient leurs sexes, pour vampiriser leur virilité. D'autres les découpaient à la manchette, ou brûlaient leur visage au deuxième degré, - ha-ha. Le tropisme de la valkyrie pour le crucifiement était légendaire. Mais elle n'avait aucune croix à portée de main, et ces billevesées commençaient à l'agacer.
Ce n'était pas de la cruauté.
Juste une loi, tacite, entre elles deux.

« En effet. Je t'ai pris ton frère. Et maintenant, je vais prendre ton oeil. »

Et sans attendre, la valkyrie enfouit ses doigts dans l'orbite de l'Oni. Cette dernière convulsa, aussitôt. La douleur était insensée. Elle ignorait qu'on puisse avoir aussi mal. Les légendes racontaient que les Onis étaient insensibles aux coups; que leurs nerfs ne fonctionnaient plus tout à fait. Mais elle était d'ascendance Drakyn. Elle eut l'impression qu'on lui clouait des visses dans le crâne. Qu'on lui ébouillantait la cervelle. Ses hurlements s’étiolèrent dans le vide. Elle ragea, insulta; puis, supplia, dans les dernières secondes. Ses jambes s'agitèrent frénétiquement.
Et enfin, l'obscurité.

Son cerveau avait lâché. Elle était en vie, Marjhan le sentait. En vie, mais inconsciente. « Vole, maintenant. » Et elle la lâcha, dans le vide. Fit volte face, avant même que l'impact ne se fasse entendre. Jinda ne pesait rien, face aux montagnes. Ne pesait rien, à une telle hauteur. Sa chute ne fit aucun bruit, et si, par un concours de circonstances aberrant, elle demeurerait en vie, le désert se chargerait de l'achever.

La montagne ne s'était pas effondrée. Bien que le sommet de l'aplomb rocheux, lui, s'était éboulé en un gros tas de rocaille. La Protectrice atterrit à deux mètres de Mirari, rangea l'oeil dans sa besace... et grimaça. L'adrénaline l'avait aidé un temps, ainsi que l'artefact, mais son petit manège lui avait coûté plusieurs côtes. Cette Oni cognait comme une sourde. Oui, ce monde était vraiment vaste.

« On rentre. J'en ai ma claque, de cette maudite montagne. »



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Mirari avait volé à tire d'aile avec le lunerousse, en direction des deux femmes, soutenus par les vents. Elle avait voulu aider et prêter main forte à la blonde qui avait subit une basse attaque, improbable et impromptue. Du genre de celles que l'on disait faute à pas de chance, au mauvais endroit au mauvais moment. Peut être que la tatoueuse se sentait un peu responsable. Peut être ressentait-elle un peu plus de respect pour celle qu'elle avait vu voler sans ses ailes et manquer de heurter le sol comme un chaton lancé du toit. La rage sourde qui l'avait prise quand elle avait vu la valkyrie au plastron si abimé, elle ne se l'expliquait toujours pas. Elle s'était mue en une angoisse qui prenait racine au fond de sa poitrine et l'étreignait toute entière. Encore moins explicable.

Mais il n'était pas temps à tergiverser. Le bruit, ce déchirement, elle l'avait déjà entendu, elle le connaissait, quand on fendait l'air à une telle vitesse qu'il en détonnait, comme le tonnerre déchirant le ciel. Marjhan était détentrice de cette vitesse incroyable. Marjhan était d'une force colossale. Pourtant, Marjhan était tombée. Putain d'emplumée. L'inquiétude se mêlait à la colère d'avoir obéit, de s'être laissée mettre à l'écart. A cet instant très précis, elle se jurait que si elle mourrait, elle se ferait un plaisir de trouver un nécromancien assez dingue pour la ramener à la vie et qu'elle la buterait elle-même et le nécromancien ensuite pour avoir accepté. Ca n'avait prit qu'une seconde, Mirari était enfin arrivée à l'aplomb, un instant, elle voyait la silhouette tonitruante de la rouge s'agiter seule, et l'instant qui suivait... La valkyrie apparaissait à travers la roche, dominant son adversaire d'une main sévère, rendant la rouge à ce qu'elle était, une enfant. Ses yeux arrondis de surprise, sa bouche ouverte, déboitée, le sang qui coulait de son nez, goûtait de son menton... Ce n'était qu'une enfant hébétée qui s'était lancée dans une mission de trop grande envergure pour elle, une gamine qui voulait accomplir, prouver, se venger, peu importait. Elle allait comprendre les dures lois qui régissaient la vie dans son ensemble en la personne de la protectrice. L'humaine ne l'enviait pas, elle repensait une fraction de seconde aux tabassages de son père, un humain, plus fort que la moyenne, mais un simple humain, avant que la blonde ne les propulse, loin et fort, la ramenant à la réalité et au présent. Chaque rocher, chaque impact, elle en ressentait la puissance qui vibrait jusque dans sa cage thoracique, comme un caisson de basse à plein volume, la forçant à s'écarter de l'aplomb qui s'effondrait, maintenant l'animal dans les airs, ses yeux rivés sur le duo qui disparaissait presque pour réapparaître beaucoup plus loin, au creux de la montagne.

C'est presque comme si elle pouvait éprouver de la pitié pour la mercenaire qui avait très mal choisit sa cible ce soir. Quelques fussent ses motivations, à ce moment très précis de l'histoire, la tatoueuse était certaine qu'elles ne pesaient plus grand chose face à sa survie. Aussi forte et résistante était-elle... Comment affronter à un tel déferlement de violence ? L'éboulement se taisait, l'animal se posait, le vent à ses oreilles se taisait et elle eut tout le loisir d'entendre les vociférations d'abords puis les cris, les suppliques... Même sans voir précisément ce qui se passait, elle se souvenait de bien des moments où elle avait elle-même hurlé, elle avait toujours ravalé ses suppliques, toujours étouffées par le monstre, était-elle réellement plus forte grâce à lui ? Ou simplement plus effrayante parce qu'elle ne se conformait pas à ce qui était attendu d'un corps torturé ? Son propre soupire lui répondait. Qu'est ce que ça pouvait changer. Encore ce soir, elle réalisait manquer encore cruellement de force. Marjhan, et même l'autre folle, n'avait-elle pas dit être hermaphrodite d'ailleurs ?, lui avaient encore une fois prouvé qu'elle manquait encore de beaucoup de choses pour faire face à des créatures comme elles.

D'un regard détaché, elle suivait la chute du corps jusqu'au sol, sans un semblant d'émotion apparent, juste neutre. Tout s'était éteint avec les cris. Un vide presque apaisant alors qu'elle continuait à fixer le corps inerte, éclaté dans son propre sang. Si elle survivait, elle était certaine qu'elle retenterait. La tatoueuse eut un demi sourire à cette idée. La détermination de la jeunesse, parfois jusqu'à la folie hein. La blonde revenait vers elle et elle se permettait de la détailler, inquisitrice alors qu'elle rangeait son butin et ronchonnait. Appuyée sur ses bras croisés sur l'encolure de la chauve souris géante, pour une fois, Mirari surplombait la valkyrie. Etrange de la voir sous cet angle. Comme si elle était rendue un peu plus humaine, un peu moins légendaire, plus proche.

_ " Je t'offre un verre, un cigare, un bain et tu me montre ces côtes ? " La brune l'invitait, qu'elle puisse rentrer ensuite au palais sans ressembler à un gâteau de poussière, de sang et de tripes, qu'elle puisse redescendre un peu de ce combat, qu'elle ait une zone tampon avant le retour à ses obligations. Cette bonté d'âme n'était pas feinte, juste un petit geste, un retour à son aide, du moins tentait-elle de s'en persuader. Sous le regard implacable, elle souriait et lui glissait dans un souffle, comme si elle craignait que quelqu'un l'entende.

_ " Tu pue la tripe et le fer... " Peut être que ça la convaincrait, peut être que ça l'agacerait, les deux lui allait. Tant qu'elles s'extirpaient d'ici. Elle avait déjà en tête l'emplacement où tenir sa nouvelle monture, le temps qu'elle l'apprivoise décemment, qu'elle ne fasse pas de dégât.

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