4 octobre de l’an 0 :

Cela ne faisait que quelques jours que j’avais été promu à mon poste actuelle, mais j’avais déjà fait quelques changements. La première est l’embauche de Sam, l'accompagnateur. Le problème est que j’ai voulu bien faire les choses et il est trop parfait, à la fois musclé, une tête d’ange, un sourire éblouissant, une voix grave de baryton, j’ai l’air d’être un clochard à côté de lui. En plus, il est tout le temps de bonne humeur, ce qui m’exaspère encore plus, comme s’il avait reçu la recette du bonheur et l’avait gardé pour lui.

Sa mission est de guider les gens jusqu’à mon étude, les faire patienter si besoin. Ils doivent s'arrêter devant le bureau de Charlotte Leviathan, ma secrétaire particulière, une jolie jeune femme, aux cheveux blancs comme les miens. Très investit dans son travail, elle présente tous les abords extérieurs d'une fidélité absolue depuis que je l'ai tiré de son ancien patron qui était particulièrement cruel envers elle.

Une fois cet obstacle passé, ils peuvent passer ma porte. Le mobilier est assez présent avec un bureau (toujours bien rangé, je déteste travailler dans le désordre), un fauteuil et deux canapés en cuir noir de part et d'autre. J’ai également créé un mini-bar dans mon bureau, avec toujours une bouteille d’alcool de cerise (provenant d’une petite exploitation située sur les bords du lac Rebirth, juste sous la jungle) et du thé à la menthe et au jasmin, très chaud, très sucré, très bon.

J’attends aujourd’hui un certain Seppo U’Olvir, un entrepreneur Républicain qui souhaite commercer avec le Reike. J’ai déjà reçu de nombreux documents de sa part, il ne reste plus qu’à les signer. J’ai déjà prévenu les gardes royaux à l’entrée du Palais et il va pouvoir passer les différents barrages de sécurité sans problème.

“Mais qu’est ce qui m’a pris de m'entraîner dans pareille galère ?”


Voilà les mots que se répétait Seppo depuis qu’il avait passé les portes de la ville d’Ikusa.
Le marchand n’aimait pas particulièrement les voyages rudes, et il avait du mal à s’expliquer comment il s’était laissé emporter dans la tentative d’ouvrir des succursales et de démarcher des taverniers en Reike. Certes, l'appât du gain était juteux, la marchandise exotique venue de la République aurait peut être un certain succès. Et même si le royaume était loin d’être réputé pour son amabilité envers les commerçants, on y appréciait tout de même beaucoup l’alcool, beaucoup plus qu’en Shoumei ou dans la République en fait. Mais tout de même, c’était quatorze jours de voyages qui séparaient Ikusa de Courage. Quatorze jours où le gobelin avait pris place dans une des caravanes de voyageurs qui traversent le continent. En effet, mieux valait ne pas traverser toutes ces routes seul. C’était bien trop dangereux.
La caravane était donc passée de Courage à Justice, puis de Justice à Liberty, de Liberty a Kyouji, de Kyouji à Taisen et enfin de Taisen à Ikusa. récupérant ou déposant des voyageurs au passage de chaque ville. Un long, trop long voyage, mais il était enfin arrivé.

Le gobelin n’avait jamais vu Ikusa, et l’approche de la ville le laissa, disons, sans voix. Une cité fortifiée monumentale qui se dressait par delà le désert avec en son cœur un palais immense. La ville était aussi imposante que perturbante. Une fois les remparts passés des gardes accompagnèrent Seppo à travers la ville afin que le marchand républicain, qui n’avait que des papiers pour faire des affaires et non vivre à Ikusa, ne s’écarte pas du droit chemin. En traversant les quartiers de la ville, il eut le droit à un affreux spectacle. L’esclavage règnait partout. Absolument partout, des gobelins, des nains et des humains serviles bâtissaient des maisons sous un soleil de plomb. Profondément républicain, Seppo était horrifié par cet aperçu de la vie dans le Reike. Néanmoins il fallait se ressaisir, le Palais approchait, immense, magnifique, imposant et construit sur le dos de milliers de cadavres, il représentait une opportunité d’obtenir enfin une licence de commerce en Reike, afin d’y exporter ses précieux breuvages. C’était l’aboutissement d’un rude périple et de plusieurs dizaines de missives avec un certain Tagar Reys.

Les gardes de la ville le laissèrent entre les mains des gardes du palais qui eux-même le laissèrent entre les mains de Sam, un colosse au grand sourire particulièrement rafraîchissant dans le décor hostile d’Ikusa. Ce dernier fît bon accueil, et le mena à ce qui devait être la secrétaire de Tagar. Une magnifique créature humaine, aux cheveux blancs mais pas à la façon des anciennes, ayant tout pour plaire bien qu’un peu grande et manquant de vert pour le Gobelin.

“Bien le bonjour mademoiselle ! Je suis Seppo U’Olvir. M.Reys doit m’attendre à l’heure qu’il est, je suis là pour parler affaires, enfin parler autorisations pour les affaires pour être plus précis. Auriez vous l’amabilité de m’annoncer ?”

Alors que le peau-verte prononçait ces mots, il ne dépassait du bureau de la secrétaire que ses longues oreilles vertes et pointues et il avait, par politesse, enlevé son couvre-chef découvrant ainsi le foulard rouge qu’il portait toujours sur son crâne verdâtre et reluisant.

Tout se passait bien pensait-il, pas de problèmes avec les gardes à l’entrée du palais, c’était ce qu’il craignait le plus étant un républicain très loin de chez lui. Il priait pour que cela continue ainsi.

Charlotte, la secrétaire de Tagar, sourit en écoutant le gobelin et lui réponds :

Bien sûr, le contrôleur Royal va vous recevoir, veuillez entrer.

Je vois arriver ma porte s’ouvrir, devant mon invité et je me lève de mon bureau pour l’accueillir et lui serrer la main, lui indiquant :

C’est un plaisir de vous rencontrez en chair et en os.

Nous avons échangé de multiples missives, mais c’est la première fois que je vois mon interlocuteur face à face. Je lui fais signe de prendre place sur un des canapés et je m’assois sur le fauteuil, prenant au passage le dossier du gobelin avant de le poser sur la table. Une fois bien installer, je lui demande :

Voulez-vous du thé à la menthe et au jasmin ?

J’attends sa réponse, la théière étant déjà sur la table ainsi que deux verres puis une fois que je nous ai servis, je lui indique :

Avez-vous fait bon voyage ?

Encore une fois, je le laisse s’exprimer puis je reprends le fil de notre discussion :

Comme je vous l’avais écrit, le Reike est intéressé par vos produits. Vous pouvez soit les produire en République et les vendre chez nous, mais les taxes de douane risquent d’être élevé, soit ouvrir une succursale chez nous, avec une production locale. Les deux nous conviennent, même si j’avoue que la seconde a ma préférence.

Il est vrai que les impôts seront plus conséquents et plus facile à récupérer si la fabrique est au sein du Reike. On enlève en plus tous les problèmes liés à une possible contrebande. Si j’arrive à la persuader ainsi, je montrerai l’exemple pour d’autres entreprises Reikoise. Notre balance budgétaire dans certains secteurs est fortement négative et cela ne ferait pas de mal de pouvoir disposer d’un peu plus de trésorerie.

La secrétaire accompagna donc Seppo au bureau du contrôleur royal. L’individu était grand au visage et aux cheveux très pâles, enfin grand, il était grand comparé à un gobelin, pour Seppo tous les humains paraissaient de toutes façons immenses. Tagar lui fit les politesses qu’il retourna naturellement.

“Un plaisir partagé.”

Seppo s’installa sur le canapé, pas dans le fond, sans quoi ses pieds n’auraient pas touché le sol, ce qui n’était jamais particulièrement pratique. Le contrôleur proposa un thé menthe-jasmin. Le breuvage n’était pas exactement du goût du peau-verte mais il l’accepta par politesse. Il aurait été stupide de froisser son interlocuteur pour si peu.

S’en suivi plus de politesses, Tagar demanda au gobelin s’il avait fait bon voyage.

“Le voyage a été bon oui, long, mais bon. C’est que ce n’est pas exactement à côté. Enfin bon dans l’ensemble il s’est bien passé"

Tout cela n’était que politesse et clairement n’intéressait pas le contrôleur royal. Il en vint donc aux faits. Il réaffirma que le royaume était intéressé par la marchandise mais qu’il préférerait néanmoins une production locale ce qui aurait pour avantage de contourner les taxes et bien sûr de créer des emplois aux Reike. Cela n’était pas vraiment du goût de Seppo néanmoins. Une production locale était une organisation plus coûteuse autant en temps qu’en argent à mettre en place et il n’avait pas une grande confiance dans sa capacité à gérer une production agricole de l’autre côté de la frontière. De plus la cultivation était quelque chose de long à mettre en place et pour l’instant toute la production se faisait en république à part pour les alcools les plus luxueux qui étaient en général fabriqués à partir de produits sauvages et donc ne nécessitant guère plus que des cueilleurs.

Seppo se posa et réfléchit un peu, il laissa quelques longues secondes s’écouler regardant dans la direction de son interlocuteur mais perdu dans ses pensées.

Il fallait trouver un arrangement, un moyen de contourner les taxes sans pour autant devoir ouvrir immédiatement une production agricole en Reike. Une idée lui vint en tête mais il ne savait pas si le contrôleur avait l’influence nécessaire pour faire ce genre d’arrangement, il allait néanmoins lui exposer son idée.

Il se pencha en avant, posa ses coudes sur la table et commença à expliquer.

“Messire Reys, tout d’abord je suis flatté de votre confiance, produire en Reike directement serait en effet un gain considérable d’argent. Néanmoins cela nécessiterait un certain temps, en effet je n’ai pas encore les connections, agricoles et maraîchères, qui me permettent de faire l’intégralité de ma production en Reike. N’y voyez pas une quelconque forme de patriotisme économique envers la république, il ne s’agît pas de cela, nous autres gobelin commerçons avec tous et toutes comme vous le savez. Non il me faut réellement plus de temps pour mettre en place l’opération et je ne veux pas nous priver, ni moi de mes profits, ni vous de vos emplois. Alors voilà ce que je vous propose.”

Il laissa quelques secondes à son interlocuteur pour tendre l’oreille.

“Il me faudra environ un an pour trouver les relations et mettre en place une chaîne logistique complète au Reike. Je propose qu’en attendant nous suivions la marche suivante: Pendant le premier mois ma marchandise transiterait sans taxe à travers vos frontières, le temps de fixer avec vos tavernier une relation de confiance et d’établir ma marque légitimement dans votre nation. De mon côté, j’utiliserais ce premier mois d’exercice pour mettre en place une grande Distillerie de l’autre côté de la frontière. Je vous laisse le choix de la localisation tant qu’elle est économiquement viable je suis prêt à y fournir des emplois. Ensuite pendant l’année qui s’écoulera j’aimerais que les produits agricoles et maraîchers de mes partenaires transitent hors taxes ou peut être avec des réductions de taxes jusqu’à mes distilleries. Le commerce continuera à générer chez vous des emplois et de la richesse et me permettra d’établir les relations et la logistique nécessaire en Reike. A la fin de cette année l’intégralité de ma production pour le Reike sera donc en Reike.”

Il s’arrêta encore quelques secondes, le temps que son interlocuteur assimile un peu le plan.
Il n’avait aucune idée de quelle marge de manœuvre les contrôleurs disposaient. Ils pouvaient sûrement signer quelques laissez-passer pour exécuter ce genre de conditions économiques spécifiques. Il fallait néanmoins le convaincre, jouer sur l’égo de ce genre de fonctionnaire marchait plutôt bien en général.

“Je comprendrais néanmoins si cela était impossible, vous n’êtes après tout qu’un exécutant de sa majesté, vous ne pouvez pas faire les lois quand bien même vous auriez contracté un accord plus intéressant que ceux des conseillers royaux.”

Voilà, ne pas insulter sa majesté, mais les conseillers sont toujours mal vus, personne n’aime les lèches bottes.

Il arrêta de parler, et fixa ses yeux pétillants de cupidité sur ceux de Tagar, attendant sa réponse.

Le gobelin répond poliment à chacune de mes questions puis quand j’aborde le cœur de notre discussion, il prend un peu de temps à me répondre. Finalement, il émet quelques conditions et je l’écoute sans l’interrompre une seule fois.

Une fois qu’il a terminé, il émet un doute sur mes capacités à négocier et je lui réponds en souriant :

Le Cœur m’a laissé carte blanche pour notre entretien. Pour tout vous dire, je pense qu’il s’agit d’un test de sa part. Il doit partir à la retraite prochainement et se cherche un successeur.

Je sais que je ne suis pas le seul sur les rangs et il doit tester les différents candidats possibles. Je reprends donc notre discussion :

Vous demandez une exception d’impôt qui risque de mal passer avec les producteurs locaux. Après tout, ils vont payer des taxes et pas vous, certains pourraient parler de concurrence déloyale et vous provoquer en Holmgang ce qui n’aidera pas vos affaires.

À moins qu’il ne soit un excellent combattant, mais vu sa stature, j’en doute. Je continue donc sur ma lancée :

Le but de ma proposition est de vous ouvrir le marché du Reike et avec un produit local, vous n’aurez plus aucune taxe à payer. Je peux vous dire que les démarches administratives pour créer votre filiale ici, installer votre distillerie, l’achat de terre et les permis de vente seront grandement facilité. Je suis d’accord avec votre déroulé, mais vous allez devoir prendre un risque, vous n’aurez pas de passe-droit, ni de réduction.

Pour résumé, je lui offre un cadre administratif très favorable pour son installation, mais pas d'avantage financier. Il sera certainement déçu, mais je n’ai pas le choix. Mes marges de manœuvre sont serrées, très serrées et je dois suivre la loi. J’attends donc la réaction du peau-verte à ma proposition, lui resservant en même temps un verre de thé.

On lui aurait donc laissé carte blanche mais sans vraiment la lui laisser. Après tout, un test n’est pas une carte blanche, au contraire, c’est une injonction à se comporter de manière exemplaire. Et le moins que l’on puisse dire c’est que le bureaucrate avait clairement la volonté de rester parfaitement dans les clous. Pas d’arrangements spéciaux fussent ils intéressants pour les deux partis, pas au final de réelle négociation. Il fallait néanmoins essayer de pousser un peu sa chance, une production peu connue en Reike aurait du mal à se faire sa place parmi les producteurs locaux sans au moins bénéficier d’un terrain de jeu équitable.

Il fallait réexpliquer qu’il ne s’agissait nullement là de contourner les taxes locales, mais bien juste celles des frontières pendant les premiers temps, afin de pouvoir lutter à armes égales avec les producteurs locaux en matière de prix.

Seppo patienta dix longues secondes et repris, toujours penché vers l’avant pour se rapprocher de son interlocuteur et maintenir l’intensité.

« Messire, j’ai bien peur que mes intentions aient été mal comprises, il ne s’agît pas pour moi de jouer de concurrence déloyale, au contraire, ce que je veux c’est que le temps d’ouvrir intégralement ma filiale en Reike je bénéficie d’une exonération de taxes douanières et uniquement de taxes douanières pour pouvoir offrir des prix comparables à ceux que pratiquent les producteur de votre beau pays. Si ma marchandise ou mes fournisseurs se voient accablés de taxes durant cette première année, le prix s’en ressentira et mon entreprise ainsi que l’activité économique qui en découle en pâtira. »

Un joli discours, se félicita intérieurement le gobelin, on appelait dedans aux deux valeurs phares du Reike, le patriotisme et l’égalité. Cela serait il suffisant ? Ça n’était pas certain mais il fallait bien tenter.

Le gobelin se renfonça dans son siège, ses jambes se surélevèrent tant il était petit en comparaison à son fauteuil. Attrapant la tasse de thé à nouveau remplie, passant un bras derrière la tête d’un air détendu et feignant le désintérêt en regardant ailleurs dans la pièce il ajouta.

« Voyez vous en établissant une filiale intégralement en Reike, je prends déjà un risque immense, il s’agît pour moi d’un marché inconnu, d’une terre étrangère, et d’un royaume distant. De plus investir des capitaux par delà la frontière n’est pas toujours bien vu dans une république de plus en plus belliqueuse. Je fais en quelque sorte un geste commercial majeur en y exportant mes capitaux sans garantie de succès. Au final je vous demande juste un aménagement le temps de m’assurer de la bonne installation des filiales de production. »

Ayant fini sa réponse, le menton toujours tourné un peu vers le plafond il brisa son désintérêt feint et posa un regard en coin inquisiteur sur l’impassible bureaucrate qui lui faisait face.

Le gobelin m’écoute attentivement et je l’écoute à mon tour avec attention, car ce qu’il dit fait sens, comme disent les jeunes Reikois. Je réfléchis ainsi quelques minutes, puis je prends ma tablette de cire et commence à faire rapidement mon calcul, avant d’indiquer à mon interlocuteur :

J’ai fait rapidement la somme représentant l’exonération de taxes douanières sur un an. J’ai pris les chiffres d’une entreprise de taille standard, ce qui sera à ajuster par la suite.

Je lui montre ensuite mes notes, espérant qu’il confirmera mes chiffres, puis je lui dis :

Il s’agit d’une belle somme, mais si nous ne faisons rien, vous ne viendrez pas chez nous, au Royaume du Reike. Je vais donc demander à notre ministre des Finances, celui que l’on nomme le Cœur, son aval et je vous préviendrais dans la soirée de son accord.

Je lui souris, car je suis persuadé que je pouvoir le convaincre. Ses arguments sont solides et si nous voulons développer l’économie, nous n’avons pas le choix. Comme c’est un Républicain, je me confie un peu sur mes projets :

J’ai vu ce que donnait l’économie de la République et j’avoue que je suis admiratif. Il y a deux façons de faire de l’argent, soit obtenir une plus grosse du gâteau, soit faire en sorte que le gâteau grossisse. Je pense vraiment que notre Royaume peut être développé pour permettre un véritable âge d’or, tout en conservant une partie de nos traditions.

C’est le meilleur des deux mondes comme m’avait une fois indiqué mon père lors d’un de nos voyages à l’étranger. Surtout que notre pays a encore des terres inexplorées au Nord à découvrir, avec de nombreuses merveilles et artefacts. Tout cela pourra faire de nous la plus grande puissance de tout le Sekai, mais pour cela, il faut faire bouger les mentalités.