Anakin vs. Obi-Wan
Feat. Tensai
Une aube, froide et bleue, crevait les fenêtres de la chambre. Marjhan avait toujours été pointilleuse sur l'heure de son réveil; tout comme elle l'était, sur le reste de son emploi du temps. Sa vie avait été manoeuvrée par l'excellence, la discipline. Il en avait résulté deux choses : la première étant, qu'elle n'était pas vraiment celle que l'on invitait aux bals et banquets, histoire d'égayer l'ambiance. Grincheuse, cynique sur les bords, de sa vie de guerrière, et de sa défiance pour les hommes en avait résulté un personnage profondément antipathique, et borné.
Le deuxième point était qu'elle faisait peur.
La Chienne de fer faisait peur, la Nymphe de sang faisait peur. Celle qui avait inauguré la Marche des Suppliciés, le jour de son intronisation auprès de la famille royale, il y a dix-huit ans de ça, faisait peur de son inhumanité. Ce qui se racontait sur elle dressait les poils des échines masculines, et provoquait, à l'envi, l'excitation de certains guerriers. Pourtant, ce jour-là, il n'y avait rien d'autre qu'une demoiselle quasi ordinaire, qui ouvrit les yeux dans son lit. Qui se rinça le visage, et s'étira.
Un petit-déjeuner d'avoine, d'oeufs et de légumes. Elle se surprit, entre deux bouchées, à observer Alinka. Sa jeune boxeuse, - et disciple - semblait sur le départ. Elle s'habillait, tel si elle s'apprêtait à partir au combat. « Il n'y aura pas d'entraînement, ce matin », se contenta de dire la valkyrie, entre deux bouchées de pain à l'ail. « Je sais », qu'on lui répondit.
Il était rare que la petite punk soit aussi calme. D'ordinaire, elle l'aurait vu sautiller sur le lit, sortir dans les rues pour traîner dans les ruelles chamarrées de la capitale. Mais pas cette fois-ci. Cette fois-ci, elle lui parut presque mauvaise, revancharde. La Protectrice haussa un sourcil... avant de claquer la langue. Elle comprit, aussitôt, et se releva de sa chaise. « Tu ne vas quand-même pas--... » mais la tatouée poussa une beuglante. « Je vais quand-même pas quoi ? intervenir, pendant que tu te feras massacrer !? Il est hors de question que je laisse cette espèce de m... »
La valkyrie mangea la distance, entre elle et sa disciple, pour lui saisir les joues, l'intimant au silence. « Fais attention à ce que tu dis. Il s'agit encore de ton roi. » mais ses mots sonnaient creux, dans les oreilles de l'ancienne Janissaire. Ton roi ? Les Ryssen étaient ceux qui avaient brisé la vie de la jeune fille. Elle ne l'aurait pas, cette fois-ci, à coups de jolis discours. Elle soupira, avant de relâcher sa joue, et d'appesantir sa main au creux de son épaule. « Alinka, je ne t'ai pas entraînée, tout ce temps, pour te voir mourir dans la haine. Tu vaux mieux que ça. » mais la boxeuse lui rendit la réplique. « Tu m'as entraînée pour que j'serve cette nation, non ? à quoi bon, si c'est pour voir ceux qui m'ont guidée là-dedans se faire tuer, un par un. »
La valkyrie lui jeta un regard trouble. Elle ne savait ni vraiment comment interpréter le manque de confiance de la combattante, ni comment, au juste, la contredire. Comme bien souvent, lorsqu'elles se disputaient, l'abnégation et le sens du devoir de Marjhan, se heurtaient avec la morale pure et intacte d'Alinka. Elle aurait dû la contredire, trouver une parade, un sophisme, qui lui aurait permis de reprendre du terrain, et de lui clouer le bec.
Mais rien ne vint. Et pour la première fois, elle entrouvrit la bouche, soufflée... avant de la refermer.
« Je ne vais pas mourir », grommela-t-elle, pour toutes réponses. « Non, effectivement », répondit Alinka. « C'est lui qui va mourir. » et elle ôta la main de son mentor, pour s'équiper de ses couteaux de lancer. « Je vais tout tenter. Avec un peu de chance, je le distrairai suffisamment pour te laisser une ouverture. Y suffira que tu l'frappes, au bon endroit. Non ? je l'ai déjà vu saigner, après tout. Enfin, je crois. Peut-être. Lydia m'a dit que les Drakyns étaient faibles au poison. » « Qui est Lydia ? », demanda la valkyrie, sommairement. « ... ... Une fille. »
Elle s'approcha de la boxeuse, qui lui faisait dos, encore occupée à enfiler son équipement. Puis, Alinka se tourna vers elle, levant haut la tête, - Marjhan lui prenait bien deux têtes et demi - avant de persévérer. « Au pire, si on échoue... On s'barrera, hein ? je veux dire, on... » Mais la valkyrie ne l'écoutait déjà plus. Dans un monde de viol et de guerre, vous ne pouviez vous empêcher d'imaginer les pires scénarios, pour les personnes que vous aimiez. Alinka, dans sa tête, brûlait déjà, dans un feu noir. Et les Ryssen jouaient avec ses os, se disputaient son corps inanimé.
Ca n'arrivera pas.
Elle se contenta de lui sourire, avant que sa main, d'une pression nette, ne claque sur son cou. Et qu'Alinka ne s'évanouisse, inerte, dans ses bras.
La Chienne de fer faisait peur, la Nymphe de sang faisait peur. Mais, pour la première fois depuis longtemps, elle quitta sa chambre avec une appréhension, très humaine, dans son ventre. Ce n'était pas de la crainte, - quoiqu'il puisse se passer, et quelque guerre qui pourrait, dans un avenir proche, ébranler le royaume. Elle avait appris à mourir voilà bien longtemps, et huit décennies de ratonnade dans les déserts du Reike avaient inscrit en elle une virtuosité guerrière. Elle se battait, avec une relâche émouvante de peintre.
Ce n'était pas de la crainte, mais une notion plus aiguë que ça. En face, attendait le plus fort. Comme si, brusquement, la Protectrice avait rajeuni de soixante années, et qu'une ferveur de pucelle effarouchée, - ou de jeune combattant testostéroné - s'était emparée d'elle. Ses gênes de valkyrie étaient en ébullition.
Le combat, rien que le combat.
Elle ouvrit la porte à double battants, quitta la chambre. Et les lumières du palais réfléchirent sa silhouette comme un jeu de stroboscopes bling-bling.
*
* *
* *
Elle était venue à l'heure, au terrain d'entraînement royal. A quoi ressemblait ledit terrain, ne l'intéressait pas. Pas encore. Sur le chemin, qui menait de sa chambre jusqu'ici, quelque chose s'était produit. La blonde qui, hagarde, cheveux décoiffés, paupières lourdes et haleine parfumée au petit matin, s'était levée de son lit, avait entretemps muté. Elle n'était plus Marjhan, la silhouette ailée qui venait de protéger sa disciple. Elle était la Chienne de fer, et ses yeux bleus, féroces, se posèrent sur le roi.
« Majesté. »
La blonde avait horreur des tartufferies. Mais avait encore plus horreur des citernes d'alcool mal dégrossies, qui empuantissaient l'armée. Les Gulmak, les Ryssen, les barbares tintinnabulants de clochettes, barbouillés de sang de cheval. Une valkyrie au Reike, c'était comme voir une sirène, dans un banc de piranhas. Si elle n'était pas, elle-même, profondément désaxée, et adepte de crucifiement au petit bonheur la chance, sans doute n'aurait-elle jamais trouvé sa place dans ce monde.
Si elle ne l'avait pas rencontrée, elle.
Ayshara, la jeune princesse, pour qui elle avait sacrifié les dix-huit dernières années de sa vie. Un instant, un court instant, l'image de sa protégée, ses cheveux argentés, qui se dérobaient au vent comme un rayon de lune, ses épaules frêles, ses émois, l'ébranla. Elle l'avait vue grandir, comme sa fille. « Dans un monde de viol et de guerre, vous ne pouviez vous empêcher d'imaginer les pires scénarios, pour les personnes que vous aimiez. » Nul être n'avait plus hanté les cauchemars de la valkyrie, qu'elle. Nul être ne l'avait davantage poussée à exceller. Quand la tête de ses parents avaient roulé sur le sol, elle était prête, déjà à ce moment, d'affronter l'homme qui lui faisait face.
Mais les émotions étaient un frein, durant un combat. Et aussi soudainement que toutes ces femmes qu'elle avait aimées, étaient apparues... elle tâcha de les restreindre. N'importait plus que ce qui allait suivre.
« Me voici. Et à l'heure. » Elle n'avait pas pris son armure avec elle. Elle n'aurait fait que la gêner. Certains survivants du putsch Ryssen, témoignaient avoir vu le roi éclater les remparts d'Ikusa d'un seul coup de poing. Aucun métal ne le retiendrait. Il lui faudrait être dix fois plus féroce que d'ordinaire.