Alouette, je te plumerai
Duo avec Soren
Maussade, le regard de Súrin erra par la fenêtre de la calèche avant de laisser retomber le rideau pour se replonger dans la pénombre, plus adaptée à son humeur. Déparée de son halo brillant de nouveauté, Liberty ne possédait plus le charme que l'elfe lui avait trouvé la première fois. Sans les circonstances actuelles, peut-être aurait-elle pu revoir la cité avec plaisir, peut-être même en aurait-elle tiré une forme d'enthousiasme même si la raison n'aurait pas été la ville en elle-même, mais plutôt celui qui y habitait. Il avait rendu son séjour intense, bien que bref et grâce à lui, nul mauvais souvenir n'avait entaché sa visite de la ville. Mais il devenait évident que ce n'était pas voué à le demeurer, à commencer par les raisons de son retour en République. Ils avaient été nombreux à tiquer lorsque l'Elfe avait évoqué la nécessité d'y revenir. Qu'y avait-il là-bas qu'elle ne pourrait trouver dans la Fédération ? Ne pouvait-elle pas dialoguer avec les artistes par les voies habituelles ? Pour la première fois de sa vie, elle était heureuse des caprices des peintres et sculpteurs et il avait suffit de dire que leur confiance ne s'achetait que par la visite en personne de la mécène pour qu'ils lui confient leurs œuvres. Le mensonge était un faible prix à payer pour cacher la fâcheuse vérité.
Le claquement régulier des sabots cessa brusquement et Súrin soupira de soulagement. Avec sa mine de papier mâché, même sa robe froissée paraissait en meilleur état que sa propriétaire et elle plissa les yeux sous l'éclat diurne en descendant de la calèche, aidée par Firo. Le garde du corps ne savait rien de son état, et mieux valait qu'il en soit ainsi. Elle avait trop besoin de ses services pour risquer de l'éliminer s'il devait en savoir trop et elle lui avait servi la même histoire qu'à tout le monde. Et quand elle avait indiqué au cocher l'adresse de l'alchimiste, il n'avait rien dit non plus bien qu'un sourire entendu avait brièvement éclairé son visage. « Je suppose que je n'ai pas besoin de vous accompagner à l'intérieur. » « Tu supposes bien. Tu n'as qu'à emporter nos affaires à l'hôtel et te reposer, je t'y retrouve plus tard. » Il ne s'activa pas immédiatement, épris par le doute face à l'air maladif qu'arborait son employeuse. D'eux deux, c'était elle qui aurait mérité de se reposer quelques heures mais il n'était pas engagé pour donner son avis et il la savait trop têtue pour écouter ses recommandations. Quelques instants plus tard, il disparaissait avec la calèche au coin de la rue et Súrin s'avança pour pénétrer dans le hall du haut bâtiment. Accordant un regard noir à l'envolée de marches qui l'attendait, elle prit un instant pour apprécier à sa juste valeur l'architecture luxueuse du rez-de-chaussée. Il n'avait pas menti en mentionnant sa richesse la première fois.
Après avoir gravi les degrés s'étirant interminablement jusqu'à l'étage qu'il lui avait indiqué, elle prit quelques minutes pour retrouver son souffle et pour redonner à sa robe lavande son plissé naturel. Serrée sous sa poitrine par une ceinture ivoire, elle était parfaite pour masquer habilement sa taille qui s'arrondissait à vue d'oeil, comme si son ventre avait attendu que l'elfe prenne connaissance de ce qu'il s'y abritait avant d'honteusement en donner une preuve plus visible, à sa plus grande contrariété. Enfin, son poing marqua la porte de quelques coups. Dès que la porte s'ouvrit, l'elfe lui offrit son sourire le plus enjoué. Il n'était pas nécessaire de tomber dans le mélodrame qui justifiait leurs retrouvailles et il était préférable pour son humeur de prétendre comme si cette visite se plaçait dans la continuité d'une idylle naissante. « Je t'ai manqué ? » Fit-elle en guise de salutations avant d'entrer à sa suite. Ses prunelles curieuses se promenèrent sur ce qu'elle apercevait de l'appartement. Comme le reste de l'immeuble, il était décoré avec une richesse que Súrin, en habituée, reconnaissait et appréciait. Au moins ne suis-je pas tombée enceinte d'un pouilleux, songea-t-elle avec un humour cynique. « Je suis honorée de voir que j'ai désormais droit à autre chose que ton arrière boutique miséreuse. » Le ton taquin, elle s'avança jusqu'à ce qu'elle supposât être la pièce principale et s'empara sans gêne d'une myrtille disposée au milieu de ses comparses sur une coupelle. « Je meurs de faim, monter jusqu'ici m'a ouvert l'appétit. » Se justifia-t-elle en haussant les épaules. Sur les derniers jours, ce dernier avait été aussi volatile que ses émotions. Entre deux nausées, elle était prise de désirs aussi subits que voraces et visitait les cuisines du Duché Adamanti bien plus souvent qu'à l'accoutumée. « Et puis je n'avais pas envie d'attendre pour venir te voir. Je suis un peu chiffonnée par le voyage mais je me suis dit que tu ne serais pas contre que j'utilise ta salle de bains pour retrouver un peu de fraîcheur. » Et le connaissant, et comme elle l'espérait, il l'y rejoindrait.
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