Moussaillons un jour, Pirates toujours ~
Aïrès Blue
Étonnante est la vie sédentaire. Tout du moins, c’est ce que Dorgen pense à première vue, après ses premiers jours passés loin des routes qui lui sont si familières. Qu’il s’agisse de la procédure pour se référencer officiellement en tant que citoyen de la République et toutes les déclarations qui s’ensuivent, la découverte de la capitale en elle même et tout ce qu’elle a à offrir, ou encore la gestion d’un budget très limité, cette nouvelle aventure n’a rien à envier à toutes celles qu’a pu vivre le rouquin par le passé, du moins en terme de péripéties…
Le soleil commence à tomber doucement, signifiant la fin de journée pour la plupart des travailleurs de la cité, et une opportunité de plus pour vider sa bourse au guichet de l’une de ses nombreuses tavernes. Le jeune homme est déjà assis au comptoir depuis un petit moment, et déguste sa cervoise en observant la clientèle qui commence à affluer et s’amasser à l’intérieur. L’ambiance se réchauffe rapidement, et les quelques serveurs n’ont d’autre choix que de suivre le rythme pour échapper au remontrances d’un patron sur les nerfs. S’il s’attarde seul dans un tel lieu, et y sacrifie même une partie de ses maigres économies, c’est dans le simple but de faire un peu de repérage : quelques jours plus tôt, Nehla lui parlait d’un établissement de sa connaissance à la recherche d’un serveur, et la nécessité de gagner de l’argent commence à se faire de plus en plus urgente.
Lui n’a aucune expérience dans le domaine… mais pour être honnête il n’a d’expérience dans aucune profession typique de la ville, donc l’idée de servir des boissons et des plats n’est pas plus choquante qu’une autre. Et il est vrai qu’à voir l’état actuel du personnel en ce début d’Happy-Hour, deux bras de plus ne seraient pas de trop. Mais le principal problème réside justement dans cette spécificité du contrat : ce n’est qu’un poste d’appoint, pour les heures de forte fréquentation. Pas de salaire fixe, juste un paiement au prorata des heures nécessaires. Pas très engageant, mais le jeune homme n’a pas vraiment d’autre alternative à l’heure actuelle. Il attend donc patiemment, comme on le lui a demandé, pour parler au gérant et lui proposer sa candidature.
Mais il n’est pas du genre à patienter dans un coin en silence, cet établissement recèle de toutes les opportunités pour faire quelques rencontres et commencer à nouer un réseau de connaissances. Il entame la conversation avec son voisin de comptoir, un homme dans sa quarantaine avec qui il sympathise rapidement, et qui le présente à ses autres amis. La discussion part dans tous les sens, les sujets s’enchaînent, comme c’est souvent le cas autour d’une bière. Dorgen est détendu, souriant, et profite de l’ambiance, soufflant un peu après quelques jours épuisants…
N’importe quel autre client n’aurait absolument rien remarqué… Un geste agile, rapide, sans la moindre hésitation, la simple sensation d’un coude qui effleure son épaule pour attirer son attention pendant qu’une main experte glisse au niveau de sa ceinture pour dénouer sa bourse… L’exécution est parfaite, Dorgen est bon juge puisqu’il maîtrise ce tour depuis son plus jeune âge. Et c’est exactement ce qui lui permet de réagir aussi rapidement, sa main saisissant avec fermeté le poignet du voleur. De la voleuse ?
Ses yeux s’écarquillent alors qu’il se retourne et découvre un visage pour le moins étonné de s’être fait prendre, probablement pour la première fois. Même dans le monde du vol que Dorgen côtoie toujours de près, bien que s’en étant un peu éloigné au cours des années, peu de gens sont capable de réaliser un coup pareil, et ceux capable d’y répondre sont plus rares encore. Et à la vue de cette jeune femme, un simple échange de regard lui suffit pour comprendre, et pour faire germer un sourire sur ses lèvres.
Leur dernière rencontre date d’une dizaine d’années… Elle a beaucoup changé depuis, mais lui arrive toujours à voir la frêle adolescente qu’elle était à l’époque, et à qui il a personnellement enseigné cette même technique. Il relâche son poignet et , un sourire toujours présent sur ses lèvres, se relève pour lui faire face.
- Il faut croire que l’élève n’a toujours pas dépassé le maître...