La clochette de la librairie Theldj retenti dans la boutique presque vide. Des yeux verts se lèvent d’un grand registre et un sourire apparait sur un visage.
Comment vas-tu ?
Tout va bien, père. Et vous ?
Il hoche la tête puis baisse à nouveau les yeux sur son registre. Nehla expire tout l’air qu’elle a contenu dans ses poumons dans un soupir de soulagement. Il ne lui pose pas de questions et c’est bien mieux comme ça. Elle se faufile dans la boutique, replaçant quelques ouvrages comme à son habitude, puis fait glisser un tabouret avec son pied pour se percher dessus et attraper un livre sur les magies élémentaires. Elle se dirige vers le comptoir, posant le livre à côté du registre. Sans lever la tête, son père fait courir ses doigts sur la tranche de son registre, annote une ligne puis pose son crayon.
Quand le rapportes-tu ?
Probablement…
Je ne serais pas là demain. Garde-le jusqu’à la semaine prochaine.
Merci, Père.
Elle lui offre un sourire qu’il devine, puis serre l’ouvrage contre sa poitrine avant de se retourner. Elle pose sa main sur la poignée de la porte vitrée.
Theldj !
Salut, Eivar.
Elle ne se retourne pas, elle sait qu’il lui poserait des questions.
Tu l’as loupé de peu !
Elle fronce un sourcil et tourne finalement légèrement la tête vers son frère. Elle écarquille les yeux puis se retourne, plaquant son dos contre la porte.
Il est revenu ?
Il n’a pas demandé après toi, si c’est ce que tu veux savoir. Ne te fais pas d’idées sœurette.
Il a acheté quelque chose ?
Un truc sur Justice je crois et un truc sur les fontaines.
Quand ?
J’en sais rien moi, je surveille pas les…
Il est parti il y a dix-sept minutes.
Merci, Père. À bientôt !
Elle ouvre précipitamment la porte, manquant de peu de trébucher, la faisant claquer sur les mots de son frère.
Il lui est arrivé quoi ? Elle est au courant que ça se voit quand même ?
Le père hausse les épaules, un sourire aux lèvres, feignant de devoir nettoyer ses lunettes pour les retirer et essuyer la petite larme qui perle au coin de son œil.
Elle a vécu une aventure.
***
La jeune femme court à perdre haleine dans les rues de Liberty, cherchant désespérément la moindre mèche de cheveux familière, en direction du point d’eau le plus proche de la boutique. Elle passe devant une fontaine, ne s’arrêtant qu’une seconde, avant de continuer son périple, se faufilant entre les passants, s’excusant des dizaines de fois sur son passage alors qu’elle ne touche personne, un sourire aux lèvres malgré les regards étranges des gens qui la dévisagent.
Elle continue sa course, son livre serré dans sa main, ses cheveux détachés flottant derrière elle, les larmes aux yeux, s’arrêtant à chaque fontaine, chaque puits, chaque point d’eau qu’elle trouve. Elle sait qu’elle finira par trouver le bon endroit. Elle finit par déboucher dans un petit parc, ses grands yeux scrutant en tous sens les lieux, elle repère finalement le sommet d’une statue qui ne peut être que celle qui trône sur une immense et magnifique fontaine.
Elle reprend sa course, accélérant l’allure, les joues rosies par l’effort, les jambes en feu, essoufflée, elle finit par débouler devant la fontaine, son visage s’illuminant en apercevant sa silhouette. Elle ne s’arrête pourtant pas.
Monsieur Reensoar !
Elle adresse un grand signe du bras au jeune homme lorsqu’il lève la tête de son livre et continue, encore et toujours, à courir, contournant la fontaine dont le bruit réjouit ses oreilles, sa peau absorbant instantanément les gouttelettes projetées en fine bruine près d’elle. Dorgen se lève finalement en la voyant arriver, elle s’arrête à quelque centimètres de lui dans un dérapage peu contrôlé, le souffle court. Elle pose immédiatement sa main sur son torse, plongeant son regard dans le sien.
Monsieur Reensoar ! Il faut… Que je vous raconte… Je vous cherche… Depuis quelques jours et… Il m’est arrivé… Une aventure… Et…
Il glisse sa main sur son bras, un sourire aux lèvres.
Reprenez votre souffle, ce sera plus facile, Mademoiselle Theldj.
Elle hausse un sourcil avant de reculer d’un pas, retirant sa main pour la glisser dans ses cheveux et les remettre en place. Toujours haletante, elle se rend soudainement compte que son arrivée brutale, bruyante et inopinée, en plus de son état physique, détonne nettement de leur première rencontre. Elle a encore quelques plaies visibles sur le corps, la cicatrice laissée par la foudre sur son bras est encore rouge, et quelques éraflures n’ont toujours pas guéri sur son visage, notamment celle à la commissure de ses lèvres. Elle reprend peu à peu son souffle, soutenant le regard du rouquin qui la dévisage.