Le vent chaud du désert s’attarde sur ma peau, s’engouffre joyeusement dans l’ébène soyeux de mes cheveux dénoués, tandis que j’offre à ses effleurements, mon visage. Un sourire, lentement, fleurit sur mes lèvres tandis que je libère la corde qui maintient la voile et notre vitesse sur les flots. Je pourrais laisser cette tâche à l’un des hommes qui arpentent mon bateau, mais j’avoue que l’exercice me plait, là-haut, en équilibre, surplombant les eaux turquoise du détroit, goûtant aux alizés salés. Je me sens libre, presque autant que lorsqu’il m’arrive de m’abandonner à ma nature et de plonger vers les fonds marins. Accrochée à un mât, il n’y a rien d’autre qui compte que l’adresse, l’habileté. Aucune contrainte hormis celle qu’on s’impose, aucunes limites, aucun masque à figer sur nos traits.
Je me laisse glisser sur le pont, atterrissant avec la grâce nonchalante d’un chat. Mon second, à la barre, manœuvre délicatement et La Murène s’engage dans un bruissement de grément vers la baie d’amarrage et le port. Je m’approche de lui, le congédiant d’un signe de tête pour reprendre ma place de Capitaine, et le gouvernail. Il n’y a pas besoin de mots entre lui et moi, plus depuis longtemps, plus depuis les premières affres de notre enfance où nous apprenions l’art de la guerre auprès de notre père. Il se contente d’opiner du chef, puis de retourner à ses autres attributions dans un cri bref à l’attention des autres marins.
Attentive, les mains ancrées sur le gouvernail, mon regard musarde, papillonne jusqu’aux murailles crénelées de la Capitale qui toisent l’estuaire, hautaines et superbes, imprenables vigies de pierre. Et, sous l’ombre de leur égide, une brusque chappe de plomb s’affaisse sur mes épaules rappelant à ma mémoire, les devoirs qui m’attendent dans la Cité. Un soupir m’échappe, un regret aussi. La liberté de filer sur les eaux limpides, la langueur du voyage constellée d’embruns, la simplicité d’une vie sans convenances ni obligations, sans jeux, me manquent déjà. Je crois qu’une parcelle de mon âme, scellée en mon cœur, aimerait tout abandonner pour la fraicheur et la caresse de l’océan, pour le grincement des gréments et le claquement des voiles sous un vent vif, juste pour ne pas avoir à gravir les marches de la Citadelle à la recherche de mon Chef de Clan.
Oh bien sûr, l’idée de retrouver Agrus m’est douce et peut-être davantage encore, mais je doute que ces retrouvailles soient agréables. Il est parti. Abruptement. Comme ça. Sur un coup de tête. Sur un coup de sang. Et en abandonnant ainsi le Conseil, dans l’ignorance de ses actes, de ses desseins, il les a placés dans l’embarras et déclenchés un mouvement entre panique et suspicion.
Je n’aurais jamais cru qu’il pouvait agir avant tant d’inconséquences, lui qui pèse toujours les avantages et les inconvénients avant de se résoudre à une décision. J’ignore ce qui l’a conduit à cette extrémité, les chemins sur lesquels il s’est engagé pour voir en cette fuite, l’unique résolution de ses difficultés mais je sais les périls de cet agissement. Certains du Clan n’approuvent pas ces agissements, et pire encore, les interprètent comme un acte félon, de traitrise, d’affront. Malgré leur cercle restreint, ils remuent les rancœurs passées, les désaccords, les jalousies. Ils jouent de la situation, espèrent en tirer avantage et pourquoi pas évincer Agrus, après tout Chef de Clan est un titre séduisant qui ne manque ni d’attraits, ni de richesses, ni de prestiges. La situation n’est pas encore dramatique ou explosive, mais qui sait comment elle pourrait évoluer dans les semaines à venir.
L’enseigne en bois peinte, suspendue à la façade par des chaines, juste au-dessus de l’entrée, oscille brutalement. La porte s’ouvre et un homme râblé s’en échappe, imbibé d’alcool, la démarché vacillante et la respiration ronflante. Il heurte mon épaule, m’abreuve d’injures que je reçois avec indifférence avant de repartir dans la nuit tombante. M’introduire dans cet établissement ne m’inspire qu’un vague agacement, pourtant j’hésite. Le lieu n’est pas vraiment opportun pour discuter avec Agrus et lui remettre le pli dissimulé dans ma veste, mais j’ignore où et quand une nouvelle opportunité se présentera, alors faisant fi de mes appréhensions, je pénètre dans le bâtiment.
Une fumée épaisse m’assaille, mélange de tabac et d’odeur de cuisson. Il y a foule, et un brouha s’élève de la salle accompagnant ce smog odorant d’une agitation joyeuse. Sur une scène, au fond, un musicien que personne n’écoute, s’essaye à une balade ancienne qu’il me semble reconnaitre malgré quelques fausses notes. Mon regard arpente les tables en quête de la silhouette massive de mon Chef de Clan.
Il est là, attablé devant les reliefs d’un repas déjà consommé. Une fille d’auberge s’arrête à sa hauteur, débarrasse agilement quelques assiettes tout en lui glissant un secret à l’oreille puis s’esquive en riant. Je m’approche, le visage clôs, comme ciselé dans la roche ou la glace.
“ Agrus Boros... “commençais-je, révérencieuse, en m’installant en face de lui. avant de me faire plus chaleureuse.“On pourra dire que tu m’as fait courir la ville avant que je ne puisse te mettre la main dessus."
Je me laisse glisser sur le pont, atterrissant avec la grâce nonchalante d’un chat. Mon second, à la barre, manœuvre délicatement et La Murène s’engage dans un bruissement de grément vers la baie d’amarrage et le port. Je m’approche de lui, le congédiant d’un signe de tête pour reprendre ma place de Capitaine, et le gouvernail. Il n’y a pas besoin de mots entre lui et moi, plus depuis longtemps, plus depuis les premières affres de notre enfance où nous apprenions l’art de la guerre auprès de notre père. Il se contente d’opiner du chef, puis de retourner à ses autres attributions dans un cri bref à l’attention des autres marins.
Attentive, les mains ancrées sur le gouvernail, mon regard musarde, papillonne jusqu’aux murailles crénelées de la Capitale qui toisent l’estuaire, hautaines et superbes, imprenables vigies de pierre. Et, sous l’ombre de leur égide, une brusque chappe de plomb s’affaisse sur mes épaules rappelant à ma mémoire, les devoirs qui m’attendent dans la Cité. Un soupir m’échappe, un regret aussi. La liberté de filer sur les eaux limpides, la langueur du voyage constellée d’embruns, la simplicité d’une vie sans convenances ni obligations, sans jeux, me manquent déjà. Je crois qu’une parcelle de mon âme, scellée en mon cœur, aimerait tout abandonner pour la fraicheur et la caresse de l’océan, pour le grincement des gréments et le claquement des voiles sous un vent vif, juste pour ne pas avoir à gravir les marches de la Citadelle à la recherche de mon Chef de Clan.
Oh bien sûr, l’idée de retrouver Agrus m’est douce et peut-être davantage encore, mais je doute que ces retrouvailles soient agréables. Il est parti. Abruptement. Comme ça. Sur un coup de tête. Sur un coup de sang. Et en abandonnant ainsi le Conseil, dans l’ignorance de ses actes, de ses desseins, il les a placés dans l’embarras et déclenchés un mouvement entre panique et suspicion.
Je n’aurais jamais cru qu’il pouvait agir avant tant d’inconséquences, lui qui pèse toujours les avantages et les inconvénients avant de se résoudre à une décision. J’ignore ce qui l’a conduit à cette extrémité, les chemins sur lesquels il s’est engagé pour voir en cette fuite, l’unique résolution de ses difficultés mais je sais les périls de cet agissement. Certains du Clan n’approuvent pas ces agissements, et pire encore, les interprètent comme un acte félon, de traitrise, d’affront. Malgré leur cercle restreint, ils remuent les rancœurs passées, les désaccords, les jalousies. Ils jouent de la situation, espèrent en tirer avantage et pourquoi pas évincer Agrus, après tout Chef de Clan est un titre séduisant qui ne manque ni d’attraits, ni de richesses, ni de prestiges. La situation n’est pas encore dramatique ou explosive, mais qui sait comment elle pourrait évoluer dans les semaines à venir.
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L’enseigne en bois peinte, suspendue à la façade par des chaines, juste au-dessus de l’entrée, oscille brutalement. La porte s’ouvre et un homme râblé s’en échappe, imbibé d’alcool, la démarché vacillante et la respiration ronflante. Il heurte mon épaule, m’abreuve d’injures que je reçois avec indifférence avant de repartir dans la nuit tombante. M’introduire dans cet établissement ne m’inspire qu’un vague agacement, pourtant j’hésite. Le lieu n’est pas vraiment opportun pour discuter avec Agrus et lui remettre le pli dissimulé dans ma veste, mais j’ignore où et quand une nouvelle opportunité se présentera, alors faisant fi de mes appréhensions, je pénètre dans le bâtiment.
Une fumée épaisse m’assaille, mélange de tabac et d’odeur de cuisson. Il y a foule, et un brouha s’élève de la salle accompagnant ce smog odorant d’une agitation joyeuse. Sur une scène, au fond, un musicien que personne n’écoute, s’essaye à une balade ancienne qu’il me semble reconnaitre malgré quelques fausses notes. Mon regard arpente les tables en quête de la silhouette massive de mon Chef de Clan.
Il est là, attablé devant les reliefs d’un repas déjà consommé. Une fille d’auberge s’arrête à sa hauteur, débarrasse agilement quelques assiettes tout en lui glissant un secret à l’oreille puis s’esquive en riant. Je m’approche, le visage clôs, comme ciselé dans la roche ou la glace.
“ Agrus Boros... “commençais-je, révérencieuse, en m’installant en face de lui. avant de me faire plus chaleureuse.“On pourra dire que tu m’as fait courir la ville avant que je ne puisse te mettre la main dessus."