Milieu d’après-midi
Quartier commerçant, place des Maraîchers
Quartier commerçant, place des Maraîchers
La journée avait bien commencé pourtant. Le soleil avait timidement pointé le bout de son nez et commencé à réchauffer la cité, malgré quelques nuages cotonneux. Puis, pour une quelconque raison, il avait décidé de se cacher derrière de lourds nuages noircis de pluie. Depuis, le torrent qui se déversait du ciel s’était adouci en une fine bruine, laissant quand même derrière lui un petit arrière goût maussade. J’avais espéré mieux pour le début de mes congés… C’est que, je n’en prend déjà pas beaucoup, parce que j’adore mon travail, mais quand je le fais, j’aimerai bien qu’il y ait un minimum de beau temps… Mais bon, arrêter la pluie, c’est comme demander au soleil d’arrêter de se coucher, ce n’est pas vraiment utile…
Toujours est-il que je me retrouve trempé, ma cape et capuchon imbibés d’eau, tout comme mes courses dont le poids du sac de jute a au moins triplé. En soi, ce ne serait pas si dérangeant… si je ne sentais pas autant le chien mouillé. Malgré mes kilos de concombres, oignons et autres viandes, je ne parviens pas à sortir cette odeur de mon nez. Il faut dire que mes sens ultra développés sont une bénédiction, mais parfois, une vraie galère. J’évite de trop me plaindre, c’est un cadeau de ma nature lupine après tout, mais bon voilà, parfois c’est assez dérangeant…
Ou peut-être est-ce seulement moi qui me fais des idées ? Après tout, la foule autour de moi ne se sépare et je ne vois pas de nez froncés en ma direction. Je sais que sans mon équipement de garde républicain, je passe incognito, et donc les gens ont des réactions beaucoup plus naturelles à mon égard. A la réflexion, ne suis-je pas comme un loup dans une bergerie ? Même si je suis soldat, je reste un citoyen de Liberty. Mais qui prime sur l’autre ? Tout dépend du point de vue je suppose.
Soudainement, me tirant de mes réflexions pseudo-sociétales, une esclandre attire mon attention et celle d’une petite foule qui commence déjà à s’amasser. Par pur réflexe, me voilà déjà en train de fendre la foule. En congés oui, mais je représente quand même la loi dans cette ville.
-Qu'est-ce qu’il se passe ici ?
Quasiment toutes les têtes se tournent vers celui qui ose franchir l’arc de cercle de curieux qui vient de se former, alors que je pose mes affaires à même le sol et bombe le torse, mettant en évidence la chaîne de laquelle pendent mes plaques de garde.
D’un rapide coup d'œil, j’examine la scène devant moi. Un marchand est penché au-dessus d’une silhouette encapuchonnée, des légumes sont étalés un peu partout sur le sol et un pied de l’étale est cassé, faisant pencher le reste en équilibre précaire. Le marchand est furibond, sa face aussi rouge que ses tomates et vocifères des insultes et injures à l’encontre de l’infortunée gisant pitoyablement. En somme, une situation tout à fait banale dans la vie d’un garde, et c’est d’ailleurs une des premières crises que l’on apprend à gérer.
Énervé, le commerçant m’explique -ou plutôt beugle- que “cette greluche d’empotée” a percuté son étal et qu’elle lui doit pour au moins vingt pièces d’or de marchandise perdue.
-Ah oui vraiment ? Et bien pas de chance pour vous mon gars, je suis un des chefs cuisinier de la garde, et je sais très bien combien coûte vos légumes. Alors oui je vois bien que le pied est cassé, mais c’est pas une raison pour gonfler vos prix. En plus, ils sont encore consommables, la peau ça se lave.
Je renifle deux fois vers lui. Un humain. Il ne représente aucune menace malgré sa fureur. Je me tourne ensuite vers la foule.
-Allez, circulez ! Je me charge de l’incident.
J’attends quelques instants que mon ordre soit pris en compte avant de me pencher vers l’inconnue et lui tendre une main chaleureuse pour l’aider à se redresser. J’ai l’occasion par la même de l’observer plus en détail, autant qu’il m’est permis. Premier de mes sens, son odeur me parvient… et me trouble. Une odeur iodée. Une odeur que je ne sens habituellement qu’au bord de l'eau. Et visiblement elle n’est pas poissonnière…
-Ça va ? Vous pouvez vous relever ?
Et sentant encore le regard du marchand, j’ajoute prestement :
-Vous avez de quoi payer ? Deux pièces d’argent devraient suffire.
Je ne peux pas lui en vouloir. Son commerce est son gagne-pain, le temps c’est de l’argent...