Milieu d’après-midi
Temps caniculaire
[lune gibbeuse croissante]
Temps caniculaire
[lune gibbeuse croissante]
Aujourd’hui c’est entraînement, douleurs, bleus et bosses. Tout simplement parce qu’aujourd’hui, c’est entraînement avec ma mère. Et qu’avec la “Louve d’Acier”, ça rigole zéro. D’aussi loin que je me souvienne, avant même que je ne fasse mes classes, personne n’a jamais osé dire que j’étais un fils à maman. Bien au contraire, de tous, c’est bien avec moi qu’elle était la plus dure et exigeante. Le terme pistonné ne m’avait jamais été attribué, et étrangement, j’en retire une certaine fierté. Les arts du combat ne sont pas quelque chose que l’on prend à la légère et il n’y a pas de raccourcis miracle. Seuls les efforts payent. C’est d’ailleurs pour ça que je ne rechigne pas à la tâche et accepte la souffrance pour progresser. Et question souffrance, je peux compter sur ma mère louve.
Malgré son surnom impressionnant, le sergent instructeur Lathona Argetram est loin d’être rigide. Au contraire, elle possède un grand sens de l’humour et une personnalité plutôt attachante, passé le cadre professionnel. Et encore, elle aime bien nous imposer des exercices assez … particuliers. L’une de ses passions, c’est les cirques et autres artistes de rue. Et il n’est pas rare de la voir parler des heures avec eux… pour mieux nous pondre des entraînements complètement loufoques. Comme aujourd’hui par ailleurs.
Son approche ? L'interdisciplinarité. Voilà pourquoi nous nous retrouvons au milieu de la cour de la caserne, sur une planche au-dessus d’un bassin. Depuis qu’elle a assisté aux derniers jeux intervilles, l’eau est devenue sa nouvelle passion. Heureusement pour nous, avec les chaleurs caniculaires, pouvoir s'entraîner torse nu est une bénédiction. Malheureusement pour nous, l’eau est congelée, un élémentaire ayant été dépêché spécialement pour la maintenir à “la bonne température”.
-Maëvis, Lysandre, c’est votre tour. Karl, Enora, vous prenez le relais.
Sa voix claque sec et n’invite pas à répondre non. Je regarde mes infortunés collègues sortir du bassin, frigorifiés, et les mages vidés de leur énergie, reprendre leur force sur des bancs. Bon et bien, quand il faut y aller…
L’oni et moi nous plaçons au centre de “l’arène” alors que les deux autres se placent l’un en face de l’autre, préparant leur projectiles magique. Les règles sont simples : faire tomber son adversaire à la baille en esquivant les boules de feu et d’eau. Et bien sûr, continuer à esquiver jusqu’à déraper d’épuisement, car après tout, tout le monde va y passer. Esquive, capacité de combat, résistance aux écarts de températures. Voilà les promesses de cet entraînement…
-Allez-y !
J’ai un léger avantage sur Lysandre. Je suis un peu plus rapide et souple que lui, aussi, j’esquive plus facilement les projectiles. Lui, au contraire, est plus trapu et un seul coup suffit à me déboiter l’épaule, mais il doit en plus encaisser les dégâts magiques qu’il ne parvient pas à esquiver. Chacun connaît le style de combat de l’autre, mais cela importe peu, toute notre concentration est focalisée sur le fait de ne pas tomber le premier. Évidemment, on sait pertinemment que ça finira par arriver, mais c’est une question d’honneur. Il y a un classement secret dans l’escouade, et perdre maintenant fait perdre de précieuses places. Je ne peux pas me le permettre. Les derniers jours, j’ai perdu mon avance au classement. Mon esprit est tourmenté par les manigances de la sorcière ailée et ma concentration en a souffert. J’ai du mal à chasser son visage et surtout son sourire de sorcière, de mes pensées. C’est dingue ça quand même, j’ai l’impression de la voir partout, même dans la réflexion de la boule d’eau qui vient frôler mon nez.
Erreur.
Elle est bien là. A la caserne, ici, chez moi, à côté du Sergent Mckenrow. La vipère est entré dans la tanière.
Erreur fatale.
J’imagine très bien la tête que je dois faire avant que la boule de feu de Karl ne me déséquilibre et que le poing de Lysandre ne fasse passer ma stupeur en douleur. Je fais deux tours sur moi-même avant de chuter tête la première. L’impact polaire me gifle au visage et me réveille instantanément. J’émerge des flots aussi prestement que j’y suis entré. Autant dire que je n’ai absolument plus chaud. A la place, le froid me fait grelotter et mes muscles contractés font ressortir mes nombreuses cicatrices ordinairement cachées sous mes habits.
Le Sergent attend que je finisse de me sécher le visage et de rattacher mes cheveux avant de me faire signe de le rejoindre. Je déglutis difficilement. Je m’attendais à avoir de nouveau affaire à Koraki Exousia, mais pas si tôt...