Est-ce un voyage,
Que ce très long voyage,
S’il ne veut finir ?
Il n’appréciait pas les villes. C’était quelque chose qu’il se répétait religieusement à chaque fois qu’il était obligé de mettre les pieds dans l’un de ces centres grouillants et puant de population, de fouler les pavés plats et glissants de leurs rues, de supporter le bruit constant des piaillements des badauds, de toujours devoir se plier en deux et faire attention à la place que prenait son arme dès qu’il passait une porte. Il n’aimait pas la foule, ce courant solide et liquide à la fois, ce mouvement panurgique de corps serrés qui se compressaient dans des artères souvent bien trop minces et encombrées pour pouvoir décemment s’accommoder de leur multitude. Il n’aimait pas la forme tranchante des bâtiments, et il n’aimait pas l’absence presque totale d’éléments naturels. Il n’aimait rien, et se le rappeler avec autant de régularité lui permettait paradoxalement de s’enfoncer un peu dans ses pensées ronchonnes, et d’oublier pendant un moment l’extérieur. Sans doute fut-ce pour cela qu’il ne prêta au début pas attention aux gens qui l’entouraient. La rue était commerçante, et la foule excitée nombreuse, et ses sens peinaient à digérer toutes les informations qui inondaient en ce moment son esprit. Alors quand le premier corps vint le pousser, il n’y fit pas réellement attention, se contentant tout juste de vérifier qu’il ne s’agissait pas là d’un coupe-bourse un peu trop entreprenant. Mais après celui-ci, un deuxième, et un troisième et enfin une multitude d’autres suivirent, avant qu’un cri ne vienne définitivement le tirer de sa rêverie oisive. Quelque chose n’allait pas, et il se rendit compte qu’autour de lui, les gens se poussaient et se piétiner, et qu’il se trouvait visiblement au milieu de ce qui s’annonçait être une panique générale. Il fronça les sourcils ; si sa haute taille et son poids imposant lui garantissaient de manière à peu près certaine de ne pas avoir à se soucier de finir foulé au pied par la populace paniquée, il n’était pas certain de ce qui avait ainsi pu provoquer ce début de débandade. Non pas qu’il ait à l’idée de s’impliquer dans ce genre d’affaire. Il avait bien mieux à faire que cela, et souhaitait autant que possible éviter de perdre son temps. Mais cet incident allait au mieux représenter une perte de temps intolérable, et au pire un véritable problème qu’il allait devoir adresser. Soupirant, il écarta de force le mur vivant à sa droite, se dirigeant vers le côté de la rue, repoussant sans ménagement les gens trop paniqués pour comprendre qu’il souhaitait passer.Que ce très long voyage,
S’il ne veut finir ?
Il s’éjecta du flot de son ampleur grandissante dans une petite rue attenante à l’allée commerçante, et se passa la main sur le visage, se demandant ce qu’il allait faire maintenant. Suivre les petites rues qui couraient parallèlement à son itinéraire initial allait certes le retarder, mais ce serait mieux que rien. Restait simplement à ne pas se perdre dans ces chemins ophidiens, et à éviter les endroits les moins fréquentables. Laissant retomber sa main, il regarda devant lui, et ne put que pousser un grognement de frustration en constatant qu’il se trouvait dans une impasse. Il haïssait les villes. Derrière lui, le mouvement de foule semblait prendre de l’ampleur, et les voix craintives s’étaient changées en un chœur discordant de cris et de gémissements. S’intéressant pour la première à l’autre personne qui se trouvait ici avec lui, il la détailla rapidement.
« Tu ne sais pas par où on peut passer pour rejoindre la Rue de la Nouvelle-Lune, j’imagine ? »
C’était une petite chose, qu’il avait en face de lui, une petite chose fragile et qui pouvait facilement se cacher. Les autres races mortelles lui faisaient rarement un autre effet. Il attendit une réponse de la créature, cherchant en même temps un moyen de se débrouiller. Au rythme où les choses progressaient, il devrait bientôt se résoudre à escalader la façade la plus proche et à passer par les toits.