Assise sur un haut tabouret qu’elle a tiré derrière le comptoir, elle replace pour la énième fois une mèche de cheveux qui glisse de sa coiffure pour venir caresser les pages de son manuel ou celles de son cahier, faisant parfois baver l’encre qui n’a pas encore eu le temps de sécher. Appuyée sur son avant-bras, elle annote d’une main son carnet en tournant les pages du vieux grimoire d’avant en arrière, passant parfois des sections complètes pour retrouver une information qu’elle a pu manquer. Elle se lève finalement pour se servir un grand thé chaud et remettre une grosse bûche de bois sec dans le poêle. Après s’être un peu plus réchauffée, elle se poste à nouveau sur son tabouret, jette un œil à la grande porte de l’auberge, laisse couler son regard vers l’horloge puis vers la fenêtre avant de soupirer et de glisser sa plume entre ses doigts.
Pas un chat. À part Edward, le vieux mage qui vient toujours prendre son petit-déjeuner, elle n’a encore vu personne. Même le cuisinier a quitté l’auberge juste après l’heure du déjeuner, bien conscient qu’il n’y aurait que peu de monde aujourd’hui. Le temps y est probablement pour quelque chose, des bourrasques mêlées à quelques flocons se faufilent dans les rues de Liberty en sifflant, faisant craquer le bois des vieilles bâtisses et claquer quelques volets mal accrochés. Un début d’année un peu gris, qui annonce des jours tout aussi mornes.
Elle continue, sans relâche, à prendre des notes jusqu’à ce que ses doigts soient trop engourdis et trop tâchés d’encre pour qu’elle puisse continuer proprement son travail. Elle a fait ça toute la journée, et son carnet est bientôt plein. Elle n’en a pas d’autre pour continuer, mais sa journée est loin d’être terminée. Il faut qu’elle s’occupe autrement.
Elle laisse son regard émeraude se balader dans la grande salle, elle se tourne pour observer tous les verres et les bouteilles empilés derrière elle, puis elle tourne à nouveau la tête vers la porte d’entrée. Personne ne viendra aujourd’hui, autant mettre à profit cette absence de clients et tout le temps qu’elle a devant elle pour faire un grand ménage de printemps. Enfin, un grand ménage de début d’année.
Elle ferme son carnet et son manifeste de magie, range toutes ses affaires dans la cuisine et entreprend sa grande tâche du jour. Elle commence par briquer toutes les tables et les chaises de la grande salle avant de faire de même avec le sol et les murs, à grand renforts de sphères aqueuses qu’elle laisse éclater contre les murs, glisser sur le sol, remonter sur les parois puis se faufiler jusqu’à la mage qui amasse le tout en une large sphère pour s’en débarrasser dans la cuisine.
Lorsqu’elle a terminé de ranger le mobilier de la grande salle, elle rajoute quelques bûches dans le poêle qu’elle ouvre en grand pour réchauffer le tout avant de s’attaquer au rangement du comptoir. Elle vide toutes les petites cases sous le meuble, le nettoie de fond en comble avant de ranger avec soin tous les objets, les triant au fur et à mesure.
Les bouteilles de différents alcool nettoyées et disposées dans des caisses près de la porte de la cuisine lui permettent de mieux briquer les étagères où elle les dispose habituellement. Avant de les ranger et de faire un réassort du stock, elle se perche sur un tabouret pour laver le grand miroir qui n’a visiblement pas vu l’ombre d’une goutte d’eau depuis des lustres.
Elle est absorbée par l’essuyage de ses verres depuis de longues minutes, maintenant que toute la salle est propre comme un sou neuf, elle fredonne une petite mélodie en rangeant ses verres, impatiente de rentrer chez elle, désormais passablement épuisée par ce grand ménage.
La clochette au-dessus de la porte tinte finalement, sortant brutalement Nehla de sa solitude et de ses pensées. Le retour à la réalité est si brutal qu’elle sursaute et laisse tomber la choppe qu’elle s’apprêtait à ranger, ses réflexes, perturbés par ce bruit qu’elle connait pourtant bien, ne lui permettent pas de rattraper le verre qui se fracasse à ses pieds. Rapidement, elle se baisse pour ramasser le verre brisé et le pousser dans un coin, elle se relève en moins de temps qu’il ne faut pour que le client ne ferme la porte puis elle enfile rapidement son tablier et s’arrête juste devant le comptoir.
Bonjour, bienvenue au Bruit qui Court ! Vous souhaitez boire un verre ou manger quelque chose ? Je vous conseille de vous installer près du poêle, avec le vent dehors, vous ne devez pas avoir bien chaud…
Son sourire de circonstance a remplacé son expression de surprise très rapidement. Trop rapidement peut-être, elle ne remarque pas encore qu’un des bris de verre a entaillé son mollet dans sa chute, ni qu’elle s’est un peu coupé le doigt en ramassant le tout trop rapidement.
Je suis navrée pour le bruit du verre cassé, je ne m’attendais pas à voir quelqu’un aujourd’hui, j’ai été un peu surprise et… oh ! Toutes mes excuses !
Elle attrape son chiffon pour éponger les quelques goutes de sang qui glissent de ses doigts et enroule son index dans un coin du tissu.
Je vous laisse vous installer, je suis vraiment navrée, je vais aller nettoyer tout ça et je suis à vous immédiatement !
Elle incline doucement la tête, comme dans une petite révérence et se faufile en cuisine pour nettoyer ses mains et bander sa petite blessure. Elle en profite pour attraper un balai et une petite pelle pour débarrasser tout le verre du plancher derrière le comptoir puis elle s’approche à pas feutrés de la table de l’homme, son carnet de commande à la main. Elle fait glisser la carte des boissons et celles des plats sur la table avant de reculer d’un pas.
Quelque chose en particulier vous ferait plaisir ?